Mystère et boule de gomme Beaucoup plus tard Kahawa Un pauvre roi Presque un Debré Entre hommes Ami si tu tombes L’atelier Brasserie Lipp Diploé C’est curieux Le temps perdu Le temps retrouvé Les toilettes de Philippe Auguste Laurel et Hardy Le rossignol embastillé Hartung Le trésor La chienne Privacy Le repos S.O.E Tout va bien La bécasse Emmuré Check Up Candie Ce qui brille On nage Gigot à volonté Madame Chrysanthème Choléra Un vieux con Fred Astaire Longue phrase particulièrement réussie si on la relit tranquillement Le banquier Sombrero Nuit de Chine Stavelot
Mystère et boule de gomme...
Je suis en plein Marielle,
trois films, géniaux, et je suis allé voir Raymond, allongé sous une montagne
de couette jaune, avec livres, Sopalin,
serviettes de toilettes, à nid d'abeille, en coton, de serpillières épaisses,
de livres, de journaux, de petits animaux en peluche avec lesquels il dialogue,
de coussins en tout genre, la tête couronnée d'un bonnet de grincheux énorme
comme une cheminée, bourré de papier, bleu marine, enfoncé jusqu'aux yeux, et
retombant au sommet sur le traversin jaune, la table de nuit croulant sous les
stylos, les boites de chocolat, les lunettes, les bonbons des Vosges, les tubes
de Pento, les carnets
d'adresse, au pied de la montagne, sacs divers plein de bouteilles de jus de
fruit, qui servent aussi de vase de nuit, livres empilés, bouteilles d'eau
minérale, animaux en peluches, télévision servant de socle à un gratte ciel de
livres et de notes, et un rempart, des murailles, des édifices de boites de
dossiers de toutes couleurs, étiquetées, avec au sommet, un réveil, un canard
en plastique, des piles de courrier ouvert, un parapluie, des cintres chargés
de chemises rayées et de costumes bleu marine créant des rideaux pour moduler
les courants d'air ou stopper les lumières de néon roses et bleus et jaunes, et
qui clignotent au ré de chaussée que l'on surplombe, un sex-shop, une épicerie,
le pressing qui repasse les fameuses chemises empilées dans leurs sachets de
cellophane, un restaurant libanais, comme dans un tableau de Hopper...
A son chevet, les pieds pris dans des fils électriques et des
sacs divers, les babouches marocaines jaunes et les chaussures du maître et
chaussettes en tire-bouchon, entre deux périodes où il piquait du nez, le
bonnet bleu s'abattant alors sur la colline jaune, pour un sommeil teinté de
réflexion, comme on escalade ou on marche en montagne, je prenais des notes sur
mes genoux, échangeant comme on escrime ou on joue aux échecs quelques
répliques sur le treillis de références et de noms propres dans lequel le
navire Hains avance dans un
brouillard apparent mais sachant très bien la route, ne mettant en panne que
pour mieux repartir, sans faute aucune, résistant sans faillir à mes ruses pour
obtenir une information à laquelle il se refuse...
Celle de l'affaire Flagrant Dali, des circonstances
qui ont amené Jacques Darche et Dali à emprunter de façon indélicate une de ses
images pour en faire une illustration des « Mémoires » de Dali, alors que Raymond était
tireur chez Roger Viollet, derrière l'Académie, entraînant un procès
retentissant...
La scène se passe donc chez Raymond, l'après-midi, après-midi au
cours de laquelle, comme à chaque fois en tête à tête, je prends des notes sur
un petit carnet bleu : il y est habitué et semble en tirer une certaine
coquetterie doublée de méfiance, de jubilation rentrée. Dehors il fait froid...
Ce jour-là, c'est de la tauromachie, un interrogatoire, au
chalumeau : j'essaie une fois de plus, après tant et tant de vaines approches,
sournoises pourtant, venant de loin, mais toujours déjouées par Raymond, qui se
dérobe sans cesse : ce sont ces joutes qui nous unissent, ce jeu du chat et de
la souris qui nous est familier, et je lui laisse l'avantage, pour mieux y
revenir, et le surprendre au coin-coin de rue au moment où, peut-être, son
attention et sa vigilance seront relâchées, mais il n'en est rien : il tient
bon...
Quelques jours avant, au téléphone, Raymond est très fatigué, sa
voix est frêle, lointaine, il a une angine et ne peut donner des nouvelles
de son diploé, il m’annonce le décès de Madame Raffray, sa prof de dessin, 98
ans, André Verdet (92 ans) et Tom Wesselmann. Il évoque la vie de Madame
Raffray devenue prof en 1936 à l’âge de 20 ans l’année où il est né donc. Il me
dit de venir le voir car « il
est très visible. »
Mais cet après-midi il s'agit de tout autre chose, et voici
comment cela commence (je le laisse venir) :
La cousine Madeleine est très mal, celle qui a exposé il y
a peu et vit à Guingamp (…) On appelait Madame Raffray « Mimosa », en 1938
(...) au lycée, elle nous faisait dessiner des natures mortes, torchons,
théières (…) J’étais terrorisé par Pageot d’Ascouët, un copain tête brûlée,
terreur des mères de famille, précurseur du dripping, nous débouchions les
tubes de la boutique de mon père, et nous faisions des drippings…
Tu as vu la fille de Madame Raffray à Nantes, elle est
aussi professeur… Bossuet a mis Fénelon en résidence surveillée au
Cateau-Cambrésis (Château de Niort ?) car Louis XIV avait vu que Les aventures
de Télémaque étaient une critique de sa politique (…) Madame de Maintenon était
d’une famille protestante, son grand-père s’était battu pour Louis XIV à La
Rochelle : « Il aimait le fric… » Bossuet : « Eloge funèbre de Madame
Henriette. » (…) Il ne faut pas que l’on m’empêche de m’appeler Hains ni toi
d’ailleurs de t’appeler Hays, tu devrais t’intéresser d’ailleurs aux courses de
haies… je te vois très bien en jockey. Mornay du Mont Chevreuil est le père de
Youri et chevalier de l’Ordre de Malte, il y a aussi les Mornay du Mont Lévrier
(…) Jacques Charrier est en ce moment au Japon, ou en Chine…
Les pêcheurs de Bosnie Herzégovine ont des tuyaux qui
passent sous la mer et apportent de la vodka aux pêcheurs d’Istambul, ces ont
des pipe-lines de vodka (…) Wesselmann est mort en fait le 17 décembre.
C’est Gérard matisse qui m’a invité à la Métisse de Matisse, comme celle de
Facchetti…
J’étais l’ami de Georges Mathieu qui habitait une mansarde
rue Gay-Lussac et soutenait la revue Action Française et était très ami avec
Facchetti…
Lire Jérôme (Tharau ?) qui avait dit que Barrès
ressemblait à un de ces rastaquouères comme on en voit à la terrasse du Café de
la Paix. « Pauvre Barrès à sac et à breloques.»
J’ai connu Mathieu chez Colette Allendy, il travaillait
pour les publicités des Cie Transatlantiques, au Havre, comme
« advertising manager… »
Les choses se précisent, il poursuit :
C’est Jacques Darche, du Club Français du Livre, guidé par
les moustaches-antennes de Dali qui a détecté mes photos chez Viollet. Madame
Guillestre (Direction de Roger Viollet ?) avait caché les Fisher, des juifs,
elle m’avait trouvé un boulot de tireur à la Libération, il y avait des
Académies où les prix de Rome se déguisaient en empereurs romains et je tirais
ces photos…
Paul Facchetti habitait avec sa femme chez ses parents rue
Saint-Jacques, sa femme qui était agrégée de philosophie et se considérait
comme ma compatriote du fait qu’elle était de Fougères, elle a été enchantée
que Mathieu devienne membre de l’Institut. Un jour Mathieu me dit : « Facchetti
va avoir une galerie » alors que ses parents n’étaient pas chauds… Il ouvre rue
de Lille et expose d’abord (Hélène Shalem ?) elle faisait des gravures, plaques
de métal gravées et exposées, très amie avec un noir qu'il aimait bien (Monfort
de Launay ?)
Yoran Kazak qui habite rue Poulet est marié avec
l’ex-femme de Gaëtan Picon, ils ne s’entendent pas, ils s’engueulent… Il habite
Varengeville, son atelier est en train de s’écrouler, comme celui de Braque, le
maire devrait sauver tout ça…
J’étais l’ami du petit-neveu d’Arturo Lopez. Jean Claude
Riedel voulait que Germain Viatte achète les notes de Pierre Henri Rocher,
l’ami de Duchamp, il a refusé préférant des photocopies venues d’universités
américaines…
Riedel aimait bien Mark Brusse et Ghislain Kazak a exposé
chez Gervis rue de Tournon après la rue du Bac. Claude Eric Richard me fait connaître
Kazak, il a été professeur à Perpignan dont le dôme de la cathédrale est une
œuvre d’Abadie. On l’appelait « La girafe » ou « Le grand-chose », il
fréquentait le café Moineau… Il me
présente dans une chambre de bonne de la rue Jacob un jeune homme qui
s’appelait Henri Cosert, le neveu de José maria Sert, il fréquentait des
librairies comme Tschann : « Nous avons eu un coup de foudre... » Je m’en suis
méfié de peur de retomber dans des histoires de drogue comme au café Moineau…
Il redécouvre sur les quais un livre, le livre du docteur Théodore Flournois :
« Des Indes à la planète Mars.» Il arrive chez moi avec un exemplaire, 1
variante du livre de Flournois et il y reste… une semaine et demie où nous
avons passé notre temps à aller au Dôme à boire et manger des huîtres (…) Je
devais aller en Bretagne et lui en Suède où un collectionneur l’attendait dans
une île, il m’avait prêté un agrandisseur photo, qu’il a vendu pour payer son
voyage en Suède…
Une amie commune, Jeanine See, que j’aimais beaucoup, See,
qui habitait rue de la Pompe et est venue me réveiller avec la voiture de sa
mère pour distribuer les journaux d’André Breton, Mounier, rue Lepic (…) puis à
la sortie des gares de l’Est, Saint-Lazare, pour inviter le peuple de Paris à
la 1° manif’ des citoyens du monde à la salle Pleyel, j’ai conservé les
macarons du service d’ordre (…) Jeanine See était donc une amie d’un ami de
Lilianne Vincy qui a exposé chez elle.
Jean Claude Lange ne manquait jamais la bière de mars à
Munich, sa femme lui avait donné de l’argent pour qu’il aille à Munich…
Jeanine C. See avait partagé l’atelier de Sam Szafran rue
Henri Barbusse où était mort Philippe Delage. « Maudit soit qui ne maudit pas
la guerre. »
J’avais passé une soirée pas loin de la tour Eiffel,
boulevard de la Tour Maubourg, pas loin des Rothschild (…) Jeanine See avait eu
un fils avec un jazzman à New York, qui avait travaillé au Club Saint-Germain
rue Saint-Benoît : quand je me suis retrouvé ave celle et un ami de Szafran,
ils étaient drogués, et riaient…
Jean-Claude Lange est parti à Munich en laissant sa femme
et sa fille à Paris, la première femme de Lange savait qu’il était mythomane…
Au moment de l’affaire de Suez il faisait croire qu’il y avait participé alors
qu’il était alors à Paris ! Sa fille Véronique est née rue du Mont d’or.
Caputo était le marchand de tableau de la galerie de
France et avait refusé de me dépanner… Je n’avais pas revu Jean-Claude depuis
son mariage et j’ai eu une inspiration, alors qu’il travaillait à l’agence
Méglio, chez les Napolitains, qui lui avaient présenté la femme d’un neveu de
Dailhan qu’on voyait chez les parents de Klein, les Méglio vendent le
Bateau-lavoir ils ont 300 immeubles dans Paris, Jean Claude travaillait chez
eux rue Philippe-Auguste… Philippe Delage a conservé une médaille qui est chez
Sophie… Monsieur Raffray était émerveillé par les italiens qui emballaient les
pins parasols d’Erqui, chose dont les français auraient été incapables…
Je l’interroge alors d'un Uppercut
verbal (jouant la surprise) sur la façon dont Jacques Darche a réussi, avec
Dali, à tomber chez Viollet sur la photo qui allait entraîner l’Affaire Flagrant Dali, à 3
reprises, en lui disant qu’en ne me répondant pas il me mène en bateau, il
répond :
« La barque de Saint-Pierre marchait à coups de gaffe »
disait Monseigneur Duchêne, professeur de Teilhard de Chardin et de Jérôme
Carcopino dont j’ai toujours aimé la lecture, entre autres : La basilique
pythagoricienne de la Porte Majeure, où j’ai emmené Mimmo qui a donné un bon
pourboire au gardien, porte restaurée depuis, comme la porte de Néron… »
C’est surréaliste… (…) Jean d’Ormesson et Giscard courent
dans la rue en brandissant leurs épées d’Académiciens après un jeune beur qui a
piqué le bicorne de Giscard… tout çà est cousu de fil blanc et à Fourvières des
jeunes te diront qu’ils sont des patriotes lyonnais et qu’ils mettent des
chandelles pour le pardon de Notre Dame de Fourvières…
Rémo Bianco m’avait emmené de Paris à Lyon en voiture,
nous avons dormi à Mâcon et le matin j’ai pris un taxi qui m’a emmené au
Sheraton Ibis à Lyon où je me suis prélassé… « Je pisse du collodion ou du
bitume de Judée » (dit-il en
transférant son urine brunie par le thé résiduel d’un bocal dans un autre) C’était rigolo de voir les élèves
des Beaux-arts déguisés avec des draps de lit et des couvertures en empereurs
romains (…) Il y avait aussi le Vivant Denon…
On peut supposer que l’image des mains a été faite chez Viollet,
avec les verres cannelés, ce qui possible, mais mystère et boule de gomme sur
l'affaire, il ne lâche rien… je tiens bon mais il a senti que je suis à
l'affût, ce qui me fait perdre quelques millimètres de terrain, et il enchaîne
:
« L’amour ne
serait pas aveugle s’il portait des verres cannelés… il n’y a pas besoin d’en
dire plus long ! »
Il résiste, il résiste !
« Je t’ai dit aussi que si le fil de la vierge est un fil
conducteur, le voile de la mariée est cousu de fil blanc… je ne t’en dirais pas
plus mon pauvre ami… »
Ensuite, pour bien brouiller les pistes et en forme de pied de
nez :
« Hommage à Mireille Mathieu est un tableau de
Georges Mathieu... Regardes un peu, veux-tu, les consignes d’eau de
Chateldon… »
Je n'ai rien obtenu, malgré les tours et détours que nous avons
empruntés, la partie est nulle, j'ai fait chou blanc ! L'affaire Flagrant Dali conserve
tout son mystère...
Je ne savais plus si je m'adressais à un fantôme, un fou, à Paul
Léautaud ressuscité tant la ressemblance apparaît maintenant évidente (lunettes
demi-rondes et barbe drue de trois jours, sourcils en balais de porte) mais
certain d'assister aux moments rares d'une vie qui s'éteint, celle d'un grand
personnage c'est certain.
J'en ai profité pour dessiner sur mon carnet cette sculpture
endormie dan un moment d'accalmie...
Mais cela s'est corsé quand Denise Kito, la veuve du peintre et
la « fiancée » de Raymond, un p'tit oiseau digne d'un Degas, avec
fourrure et chapeau-chapka de panthère (fausse), maquillage approximatif mais
bonté à toute heure et langue bien pendue s'est pointée, nous sommes allés acheter
au Dôme des huîtres, du Muscadet, du
pain de seigle et du beurre, avec le sac à roulettes bleu marine, et alors, là,
la montagne jaune s'est augmentée d'un pavement de plateaux d'huîtres belons,
fines claires, plates, creuses, (je ne suis pas un spécialiste), tâchant ici et
là un journal, un livre sur Rome, et la soirée a pu se dérouler comme une
cérémonie, Denise et Didier côte à côte, la fenêtre ouverte et le plafond
reflétant les roses et bleus subtils des néons du sex-shop (0 degrés
extérieurs)… Quelques paroles échangées entre amis occupés à aspirer les
huîtres et à trinquer...
Beaucoup plus tard...
Nous avons marché ensuite avec Denise Kito au pied de la Tour
Montparnasse, il faisait très froid. J'ai recueilli là des confidences
fondamentales pour la rédaction de mon livre, notes prises dans l'autobus qui
me ramenait dans la nuit vers la Bastille. J'ai pu terminer le livre de Rousset « Les jours de notre mort » allongé comme un moine sous ma
couverture militaire vert bronze, regardant mes sculptures alignées sur le
mur...
Kahawa...
Nous sommes des êtres sensoriels. Alors il nous faut toucher,
sentir, caresser, renifler, se rappeler sans cesse que l'on est au monde par ce
moyen et ne pas rompre le lien. Les écrivains adorent les talismans, les
grigris, les objets signaux autour d'eux. La plupart. Giono avait un bureau
parsemé d'objets chinois, (il a appris le chinois à partir de 70 ans), de
pierres. Malraux avait les siens. Vieux ringards ? Peut-être. Mais la question
reste intacte lorsque l’on passe 23h sur 24h les yeux comme des soucoupes
devant un écran… Nécessité des supports visuels et tactiles pour distraire
l'attention ou relancer les idées, se réconforter.
Les primitifs sont encore plus attachés à leurs objets et en
général les transportent sur eux, en ornements ou même incrustés sous
l'épiderme, et leur vouent un vrai culte. Le gri-gri est concerné, tout comme le komboloï crétois. Il me semble que leur
présence et les effets sur le toucher et la vision réconforte et entraîne à
nouveau le cours des pensées dans la bonne direction, comme des panneaux
indicateurs sur les routes de l'esprit, et redonne un signal de plaisir pour
garder confiance. Car il est bien question de plaisir. Écrire, sans entrer dans
le domaine freudien, répond à une économie de plaisir, pas seulement mais en
partie. Plaisir d'écrire, surtout, recherche de plaisirs par l'esprit, course
au plaisir dont nous sommes insatiables, souvent frustrés, et recherche d'une
nouvelle cohérence dans l'écheveau des souvenirs des plaisirs passés, ou à
venir... Écrire (pour mon cas) est une excitation, il y a quelque chose de
jubilatoire, l'esprit cours après son plaisir en essayant de le rattraper... La
pièce écrite par Picasso : « Le
désir attrapé par la queue. » Il
faut dire qu'il savait tout ou presque des désirs humains, en bon catholique
transgressif, il en connaissait les tours et détours, la violence aussi, et
n'aura cessé de les mettre à mal, en scène, de les montrer jusqu'à l'obscène et
au sublime se confondant) ou en essayant de recoller les morceaux des plaisirs
déjà vécus, restés épars dans la mémoire, mais actifs, passés mais encore
actifs voire intacts, même et y compris bien sûr de façon inconsciente (il est
gonflant ce Freud, toujours là quelque part pour mettre son grain de sel sur la
queue du vautour de Léonard.)
Bon, le plaisir d'écrire sur le plaisir d'écrire ce matin va
succéder au déplaisir de la toilette, la torture du rasage, pour vite retrouver
ensuite la pure jouissance des bruits atténués de la brasserie le matin, le
percolateur qui fume et chante, les passants endormis, les pages du journal que
l'on caresse lentement, plaisir de lire en « fumottant » (expression
de Giono, toujours) sa pipe, même des sottises, mais c'est que les faits divers
et les meurtres découverts le matin (travesti retrouvé récemment découpé en
rondelles, tête humaine trouvée sur un chemin, on est déjà dans la thématique
d' Un Roi sans divertissement : à
relire d'urgence car polar métaphysique de haut vol, où le seul plaisir dans un
paysage désolé par six mois d'hiver est de voir du sang sur la neige) sont
aussi un pur plaisir digne d'un roman de Patricia Cornwell : on tremble, on
frissonne, on a peur ou on s'indigne, tout en sirotant un goût amer de moka, le « kahawa »,
dont Caf' Tor* fût le meilleur ambassadeur en terre autrefois
chrétienne, et dont les derniers mots furent, il me plaît de le penser : « Je meurs pour le kahawa,
vive la France ! » Atchoum.
Ben moi ça va, j'écris pas rasé, sale, brumeux, les yeux
bouffis, pas présentable, ou alors parfumé cravaté, pomponné, à tout moment.
Seule me guide l'inspirâtion. Toutes
proportions gardées, j'ai l'impression de ressembler (dans le ridicule
romantique) au personnage que joue J.P. Belmondo dans Le Magnifique,
avec Jacqueline Bisset. Il n’a pas un rond, vit en robe de chambre et mules,
pas rasé, perturbé, un peu allumé, à la ramasse, raté à point, mais il écrit,
et sublime sa vie par l'invention : tout ce qui lui passe par la tête, des
romans à deux sous, des histoires invraisemblables. Je crois me souvenir que F.
Dard disait être un peu dans cet état dès qu'il se mettait devant son Underwood. Je me sens vraiment
dans la peau de ce personnage burlesque, drôle, pathétique, ridicule, passant
par tous les états d’âmes, versatile aussi, qui écrit avec avidité, hilarité
parfois. C'est ce qui m'arrive quand je réponds à un courrier, que le fil des
images entraîne toutes sortes de commentaires... ou quand l'idée d'un sketch me
vient.
* Caf’ Tor, dont le nom véritable était Antoine Broggi, avait une torréfaction dégustation de café de toutes provenances dans la vieille ville de Toulon. C’était une figure, amateur passionné de mécanique et de motos nous avons partagé cette passion pendant des années, avant tout départ au long cours vers l’Italie, l’Espagne ou la Suisse, un rituel superstitieux m’imposait de prendre un dernier kahawa chez lui, de commenter les étapes, cela me rassurait et je quittais la ville brûlée de soleil avec une merveilleuse amertume en bouche, de bonnes sensations propices à un pilotage serein. Sa boutique ne désemplissait pas, les maghrébins étaient des fidèles de son nectar, vendu 1 euro, je m’asseyais parmi eux en fumant ma pipe, en lisant les nouvelles, car très amateurs de résultats des courses, ces derniers lisent beaucoup la presse, et Caf’ Tor avait compris cela et achetait au moins cinq exemplaires du canard local, « Var Matin » (et menteur). On me demandait parfois de lire tel ou tel paragraphe (certains orientaux âgés sont encore illettrés), surtout les mentions concernant les résultats du tiercé. Les commentaires allaient bon train entre ces hommes mûrs et plutôt calmes, des revendeuses du marché tout proche venaient aussi, avec leurs tabliers bleus et leurs doigts engourdis. C’était vivant et chaleureux. Nous avons souvent bien ri et toutes sortes d’images sont restées gravées. Sur négatifs, car j’ai beaucoup photographié dans ce périmètre, mais surtout dans la mémoire, ce qui au fond est encore mieux. Disons-le : ce fut une époque de ma vie…
M. P. doit occuper mon studio atelier du passage Thiéré dans
quelques jours. Elle
connaît les lieux et y a ses habitudes. Je lui dis que je suis bien content car
elle va se frotter un peu à tous les objets, chambranles, chaises, et bien sûr
le lit, laissant ainsi nombre d’hormones femelles, qui agiront d’autant sur mes
phéromones lorsque je reprendrais possession de l’atelier. Comme un sanglier je
sentirais dans l’instant le passage d’une femelle, ce qui aura des effets
bénéfiques sur mon état d’esprit… Elle
a beaucoup ri.
Un pauvre roi...
Encore une journée laborieuse, avec quand même une station au soleil sur le port avec monsieur Rénato / Vu à TF1 (je ne me lasse pas de ce prénom, qui se situe entre La cage aux folles et Du rififi à Paname), qui m'a raconté des tas d'anecdotes, entre autres un déjeuner avec Burt Lancaster, des conversations à bâtons rompus avec Alain Delon, sa rencontre avec Sophia Loren, ses dialogues avec Mastroianni, Audiard qui habitait le Georges V à l'année, y pénétrait en vélo dans l'ascenseur, lui-même y résidant aussi, sa fuite en pleine nuit d'un palais du roi du Maroc, dont un des ministres (homme) lui écrivait des mots d'amour et voulait conclure, d'où un départ en catastrophe pour ne pas passer à la casserole et entraîner de fâcheux problèmes diplomatiques... L'amitié de 40 ans avec François Marcantoni, qui publie son troisième livre : Strass et voyous, en évitant de parler de Monsieur R. afin de ne pas froisser son épouse en évoquant ses frasques, des anecdotes à l'infini...
Ou encore un périple dans des régions de Colombie, pour la DEA, où après des jours de pénétration
sur des sentiers cahotants, dans des montagnes éloignées de toute civilisation,
on arrive dans un bar rempli de têtes patibulaires dignes d'une pub pour une marque
de café, avec les mouches qui volent, les cigares, les armes, et ce panneau : « Ici nous prenons la carte
American Express... » J'en
passe et des meilleures. De quoi en faire un livre, ou plusieurs... Un pauvre
roi très divertissant. On est presque, là aussi, chez Philippe de Broca. Sauf
que tout (ou presque) est vrai. Faudra que j'enregistre ces récits, on doit
pouvoir en faire quelque chose... Et l'animal semble intarissable. Il est en
confiance. J’ai mon diplôme d’ami…
Le temps gris est souvent plus pénible à Toulon que dans le
Nord. On a alors une seule envie : lire, voire alité, et lire, lire...
Mais je ne lis pas, j'écris, tout en peignant, ponçant, clouant,
siliconant, farfouillant, classant, déplaçant, bidouillant, tournant en cercles
concentriques, observant, empilant, dépilant, collant, décollant, surtout
décollant. Ce qui fait que tant bien que mal l’article sur Le Minor est
presque sorti du four, et je me demande si j'aurai encore l'honneur et le
privilège de sa correction ? J’écris une fois de plus pas rasé, en peignoir, le
cheveux en pétard, l'haleine fétide, le regard torve, la chaussette en
accordéon, écrire devrait exiger une belle chemise empesée, avec faux col,
cravate italienne, veste de drap noir à brandebourgs de soie, culottes de
cheval à larges bandes rouges, bottes en tuyau de poêle avec éperons d'argent,
sabre de cavalerie et ses dragonnes, slip Petit
Bateau, gants gris souris, moustache luisante, parfum anglais, bicorne à
plumes, cigare espagnol, médaille de grand-croix de Malte, monocle, badine de
cuir fauve...
Tout compte fait un complet rayé avec gilet, chaîne de montre
or, feutre mou à large ruban de soie, cravate rayée, chaussures en chevreau
bicolores, pochette et cigares feront l'affaire. Je ne prends aucunes nouvelles
de Raymond, le sachant entouré et choyé. Je redoute sa disparition. Jeannette a
laissé un message charmant sur mon répondeur, je suis aux anges.
Presque un Debré...
Presque un Debré...
Ce matin dans la boite aux lettres j’ai reconnu sur une belle
enveloppe l’écriture légère de Claude Viallat, et le tampon de la poste de
Nîmes. J’ai monté les 5 étages à la hâte, et j’ai ouvert l’enveloppe. Coulures
délavées bleues, presque un Debré... Quelques mots touchants pour la nouvelle
année. Je suis toujours aussi heureux de connaître et d’apprécier Viallat,
cela ne change pas.
Entre hommes...
Déjeuner à L’Ile Rousse, le grand hôtel de Bandol,
avec M. C., Corse d’origine, notaire retraité, et de René R., aventurier
retraité, et votre serviteur, artiste pas encore retraité. Ciel gris mer calme.
Vins et cuisine excellente, cigares, amitié. Il est bon de souffler de temps en
temps.
Sentir avec force, à la tombée de la nuit, que je vais quitter
la ville, ce que je fais depuis 30 ans, avec toujours à cette heure de la
journée une tristesse, celle de quitter ces rues que j'aime, et que maintenant
j'aime moins, mais qui restent toujours les miennes en quelque sorte, ce
sentiment s'augmente lorsque je quitte une personne chère à cet instant douloureusement
suprême...
Modiano a Paris, j'ai Toulon, ma modestie dû-t-elle en souffrir.
Et Paris, Madrid, Lugano ou Barcelone...
Mais Toulon est chargée de trop de choses obscures pour n'être
pas comparable à cette obsession qui lie Modiano à Paris. Et aux êtres qui lui
sont chers, et tout est là précisément. Tout cela se mêle, se croise,
s'enchevêtre ! Les êtres et les lieux, le tout teinté d'affection et d'amour.
Ne croyez pas que je m'éloigne de notre sujet.
Ami si tu tombes...
(Texte paru dans le Journal Le
Déporté)
La librairie du Mémorial
de la Shoah, récemment inauguré, présente un ensemble complet d’ouvrages
consacrés à la Shoah et aux
déportations et exterminations pour raisons raciales. En tant que fils de
résistant-déporté c’est avec un grand intérêt que j’y ai remarqué l’ouvrage de
M. Jean-Marc Dreyfus (éd. Perrin), une synthèse précise et claire de la
situation et des statuts des déportés résistants depuis 1945 jusqu’à la période
actuelle où les langues se délient et beaucoup de livres paraissent à
l’occasion des commémorations du 60° anniversaire de la libération du camp
d’Auschwitz, qui est d'ailleurs loin de résumer à lui seul l'Univers
Concentrationnaire. Ce bilan global n’oublie pas les familles et le
caractère ambigu de la façon dont ce que l’on nomme désormais le travail de
mémoire s’opère ou pas, au sein des familles de cette catégorie de déportés. La
médiatisation parfois exagérée de la Shoah en cette période ayant tendance à
créer un amalgame réducteur entre anciens déportés résistants, politiques et
raciaux, n’a pas, selon M. Dreyfus, que des effets négatifs. Elle permet aussi
d’examiner le passé avec plus d’attention et aider ainsi le travail des
historiens qui disposent d’archives plus nombreuses, de moyens et de méthodes
nouvelles pour les exploiter.
Un avantage non négligeable est celui du recul par rapport aux
évènements, avec à terme, l’apport considérable des archives russes lorsque les
effets de la guerre froide se seront estompés, et qui devrait être
proportionnel à la bonne volonté des autorités russes pour les rendre
accessibles.
Dans cet ouvrage figurent des photographies inédites, comme
celles prises lors de la poignante messe célébrée par le père Riquet au
Trocadéro le 7 juillet 1945, et sur laquelle on voit un cortège de déportés en
tenue rayée descendant les marches du palais en portant une gigantesque croix :
comment ne pas ressentir une forte émotion devant ces images faites à chaud,
où, le temps d’une cérémonie, la fraternité des revenants n’était pas encore
brouillée par les considérations politiques ?
L’après guerre aura été la période où la déportation était avant
tout présentée comme un symbole du martyr des patriotes combattants et où l’on
n’avait pas encore mis l’accent sur les aspects politiques et raciaux de
l’univers concentrationnaire, les informations et les enjeux évoluant avec le
temps.
Il faudra attendre des décennies pour que le mot Shoah fasse
son apparition avec un film américain au succès retentissant, puis le film de
Claude Lanzmann, pour arriver à notre actualité où la dimension raciale de ce
phénomène unique dans l’histoire prend le pas, en tout cas dans les médias, sur
le martyr des déportés résistants...
Toutes polémiques sur le sujet seraient obscènes. Le brillant
exposé de M. Dreyfus nous éclaire sur la condition singulière des déportés
résistants, que ce soit du point de vue de leur statut administratif, des
pensions, de leur état de santé ou de leur vie de famille. Selon M. Dreyfus,
les effets de la sur-médiatisation due aux commémorations actuelles rendent le
travail de mémoire plus aisé pour les déportés raciaux et leurs familles, au
regard de l’ampleur même de la Shoah,
alors que la situation psychologique au sein des familles des déportés
résistants demeure plus délicate.
L’accent est porté sur les difficultés qu’ont pu éprouver les
déportés résistants avec leurs enfants pour s’exprimer et témoigner alors que
les témoignages sont désormais facilités par leurs interventions dans les
écoles et par-là même, auprès de leurs petits enfants et des jeunes
générations. Autant de phénomènes qui ne sont pas irréversibles mais le temps
est compté car les rangs des anciens s’éclaircissent d’années en années…
Un des intérêts de ce livre est aussi de présenter les rares
images faites à l’hôtel Lutétia,
peu montrées jusqu’à présent, émouvantes car faites à chaud. L’aspect physique
des déportés et les expressions des visages émaciés nous informent beaucoup par
les émotions contenues alors que sont en général privilégiées les images
d’archives anglaises et américaines montrant les charniers. Les regards sont
particulièrement poignants. Pupilles exorbitées, visages hagards de revenants
en état de choc. Le livre comporte aussi un bilan exhaustif des travaux des
médecins depuis 1945, souvent anciens déportés eux-mêmes, pour déterminer la
nature particulière des pathologies inhérentes à la déportation, travaux
utiles, entre autres, pour l’évaluation des taux d’invalidité et des pensions.
Ces travaux furent d’abord initiés par des médecins de l’Armée
Américaine afin d’étudier les pathologies liées à la faim et aux conséquences
psychiatriques liées à ces conditions particulières de détention, puis relayés
avec brio par des français en 1954, les médecins Charles Richet et Antonin Mans
(ancien déporté), avec la parution de leur somme Pathologie de la
Déportation.
Espérons et souhaitons que cet ouvrage dont l’actualité est
cruciale fasse bientôt l’objet d’une nouvelle publication ?
On notera au passage l’avance prise alors par les chercheurs
américains qui ont vite compris l’importance capitale des connaissances
qu’apportaient ces travaux pour les conflits et les catastrophes à venir.
Retenons que si 70% des déportés survivants parmi ceux qui sont revenus, dont
le taux de mortalité dans les années qui suivirent leur libération a été de
45%, soit la moitié des rapatriés, ont retrouvé une santé satisfaisante, les
30% restant ont tous un taux d’invalidité physique ou psychique important, qui
s’accentue avec l’âge. Ceci en guise de conclusion, alors que le travail des historiens
se poursuit, et pour appeler les familles de déportés résistants à la
vigilance, à renforcer nos liens de fraternité. On ne peut donc que recommander
la lecture du livre de Jean-Marc Dreyfus, qui en ce sens est un outil
remarquable.
L’atelier…
La bise est ici revenue, coupante et sèche. Mais cela ne me
déplaît pas. Installé à mon bureau, je travaille. Le lieu de mon atelier est le
résumé de toute ma vie adulte et d'artiste. J'y ai tant et tant œuvré, tout a
été fait dans ces 20 m2 ! Y compris les grandes sculptures. Il
a subi plusieurs métamorphoses...
Lorsque j'y pénétrais pour la première fois, en 1984, un homme
âgé y était mort. La saleté s'était solidifiée, la puanteur était bien réelle,
le lit encore défait montrait l'obscénité de l'intimité du défunt. Reliefs de
repas pétrifiés jaunes d’œufs collés comme un Spoerri poussiéreux. Des insectes
douteux avaient élu domicile dans les lieux pour y faire bon ménage et créer
leur colonie. Des hommes en blancs, masqués, sont venus, et ont désinfecté le
lieu.
Je l'ai ensuite désossé entièrement pour le peindre de blanc,
faire ressortir le rouge des tomettes datant du début 19° et rendre les
fenêtres et la porte praticables.
En deux mois ce fut fait et je me suis mis au travail, jusqu'à
aujourd'hui. Les seules interruptions furent celles de mon absence de
conscience (et de présence) lors de mon épisode dépressif en 93, puis lors de
l'enlisement toulonnais en 2002.
Le lieu ressemble désormais à un cabinet de travail plutôt cosy bien que spartiate, destiné à l'estampe, les petits objets et le travail de bureau, après avoir été un vrai atelier de peintre, plein comme une chaudière de cartons, de toiles, d'outils et d’œuvres de grands formats passant mal la porte. J'y suis bien.
Le lieu ressemble désormais à un cabinet de travail plutôt cosy bien que spartiate, destiné à l'estampe, les petits objets et le travail de bureau, après avoir été un vrai atelier de peintre, plein comme une chaudière de cartons, de toiles, d'outils et d’œuvres de grands formats passant mal la porte. J'y suis bien.
Brasserie Lipp…
Ce matin, dans la rue, j'ai croisé Georges Noël, 81 ans !
Toujours pote. Il pense tout comme nous. Il en a marre des français : « Tu
sais cela n'a pas changé depuis Louis 13 qui a inventé la Cour... » Une ambiance toute différente aux
USA et surtout en Allemagne et en Suisse où sa cote est énorme... sauf ici, où
il a juste un atelier. Immense. Il a un autre atelier à New York depuis 40 ans,
donc les USA... il connaît !
Georges est lucide sur le marché français, il a connu Yves Klein
très tôt, et sa notoriété s’est faite ensuite chez les Américains et les
Allemands alors qu'ici on l'ignore à 100 %. Ce désamour avec la France (pour
laquelle il a risqué sa vie en 1944) ne l’ont pas empêché pourtant de revenir y
vivre ses dernières années. Ca m'a ému de voir Georges Noël ! Il est né un 25
décembre et moi un 27. Quand je le vois, avec sa gueule burinée je me vois moi
plus tard. On se ressemble, y compris physiquement. Fraternité au-delà des
âges...
Je me rends chez Jeannette Z dans l’après-midi, à deux pas de la
brasserie Lipp. Appartement sous les
toits, Jeannette est délicieuse. Elle m’expose ses travaux sur le paysage
anthropomorphique, qui feront l’objet d’une exposition à Lille en mai. Elle
apprécie beaucoup le pétale séché mauve que je lui offre, aussi séché que mon
cœur dégouline… Attablé ensuite aux Deux-Magots où je relis Le paysan de Paris arrivent
Maggy Wallace et Jacques Villeglé. La lumière est belle, je fais quelques
clichés qui s’avèreront réussis. Discussion chaleureuse à bâtons rompus.
Jacques est content. Il est (enfin) au MOMA.
Nous évoquons Raymond, Roberto Peccolo, Georges Noël, l’éternelle frilosité et
les erreurs répétées des français avec leurs artistes, nous plaisantons.
Bientôt ce sera l’exposition de François Dufrêne à Brest… Maggy est en forme et
tout à fait ravissante.
Diploé…
Diploé…
Merveilleuse journée avant la torture cubaine des bars de nuit.
Ils ne perdent rien pour attendre ! Le Louvre, le Palais-Royal (ces mots
semblent surréalistes), le Nemours,
le bar du Meurice, les
Tuileries désertes sous la pluie fine, visite chez Raymond qui ressemble à
Léautaud allongé dans son lit bonnet de laine de schtroumpf sur le crâne protégeant son fragile
diploé. Je le lui dis, on se marre, puis on boit du Perrier,
à son chevet je retrouve, dans l’intimité de la chambrette, le Raymond que
j’aime, le compagnon, le complice, toujours plus comédien et facétieux au fur
et à mesure que sa santé décline et le tient alité. Au Louvre je passe une
journée de bonheur : celui d’apprendre et d’admirer. Les maîtres. Je songe aux
futurs tags et graffitis sur le marbre de Carrare d’Alexandre et
Diogène de Pierre Puget. Et je suis sûr que lorsqu’on en sera arrivé
là, des hommes (politiques) diront : « Pourquoi-pas, au fond ? » Ils
en sont capables...
Ainsi Hercule combattant Achéloüs transformé en serpent, du baron Bosio,
ferait un merveilleux étendoir à linge…
Le Nemours, A l’Oriental, La
Civette, tous ces lieux m’aident à travailler, à me retrouver et
oublier Cuba : soyons plutôt Cohiba
?
Bonheur à nouveau de ces instants où la lumière grisée si fine
par temps de pluie imprègne nos pupilles, nos cellules, le fond de notre œil,
notre cerveau, notre mémoire visuelle, tous nos pores, notre âme ouverte et
soumise à la sensibilité de la lumière du monde. Cela nous ramène à Stieglitz,
à ses images de New York sous la neige, si fines, les nus faits en 1918…
Le bar de l’hôtel Meurice,
encore intact avant d’être calciné par les combats qui feront rage dans les
grandes capitales occidentales d’ici peu, est un lieu d’une exquise sérénité,
où plane l’ombre géniale de Dali, dans des raffinements qui eux aussi sont
menacés de n’être plus que des spectres dans notre mémoire. L’adjoint au chef
barman, Frédéric Despins, est d’une grande courtoisie. Il me recommande de
revenir pour pouvoir photographier en paix sans compromettre la discrétion des
clients du bar.
C’est curieux...
Ayant été éboueur (mon premier emploi) dans les années 1977 j’en
conserve de forts souvenirs et notamment celui des odeurs de bennes, qui
finissaient par s’imprégner dans nos vêtements, notre peau, même après la
douche, odeur comme un moule, un cocon, un sarcophage. C’était l’été, puis ce
fut l’automne. Cette odeur est identique et commune à toutes les ordures
domestiques où que l’on se rende sur une décharge, mer d’ordures à ciel ouvert
jusqu’à l’horizon, aux vagues de plusieurs mètres de haut, stratifiées,
attaquées par des escadrilles de mouettes. Cette odeur je la retrouve à Paris
en croisant les bennes d’éboueurs dans les petites rues... Les bennes se sont
modernisées, soulever les bacs est mécanisé, les « ripeurs » sont
habillés d’uniformes vert fluo, mais l’odeur est la même. Il doit en être de
même pour celle des charniers, du fond des lieux et des âges.
Le temps perdu…
A ne pas enregistrer sa voix et ses propres commentaires devant
les œuvres du Louvre et d’ailleurs depuis 30 ans. A ne pas dessiner 4h par jour
devant les œuvres des Maîtres et les Antiques. A ne pas retravailler à
l’atelier les notes prises, les croquis et les enregistrements. A ne pas
modeler dans la glaise chaque jour pendant 10 ans d’après les Maîtres français
du 17° et les Antiques.
Le temps retrouvé...
Avoir compris à l’approche de la 50° année de vie le peu de
temps qu’il reste pour accomplir tout cela et récupérer chaque geste comme un
grain d’or, chaque seconde comme un gramme d’or.
Hier le Louvre. De nouveau la peinture française. Pierre Puget,
Jean de Goullons, Jean Dubois, Valentin de Boulogne, Franz Snyders, Joseph
Lieferinxe (écoles du Nord), Joseph Vernet (ah ! Vernet), Le Brun, le grand Le
Brun, Jean Jouvenet.
Photographié l’Annonciation de Bernardo Daddi, mon œuvre préférée depuis longtemps ainsi que La pêche miraculeuse de Jouvenet. Des éclairs de lumière dorée trouant des hernies de nuages gris zébrés de bleu outremer m’ont permis, parmi les touristes, de capter deux magnifiques vues de la cité et des eaux boueuses depuis le pont du Carrousel. Les dieux avaient créé l’éclairage !
Récupéré un catalogue des dessins de Marquet à la galerie Laurentin quai Voltaire où je trouve chez un bouquiniste les « Souvenirs sans fin » de ce cher André Salmon. En dévalant la rue du Bac dans les bourrasques et un ciel gris à la Philippe de Champaigne j’entre chez Fournier où sont présentées les premières œuvres d’Hantaï, Degottex. Jean Fournier est assis comme une statue étrusque à sa petite table de plastique, qui l’accompagne depuis les débuts de la galerie, face à Elodie, la grâce incarnée, ses nouvelles formes callipyges et ses petits escarpins lui vont si bien que j’en ressens un vertige, tous deux sont si studieux et charmants, dialoguant à voix basse dans le prieuré de la peinture. Ce sentiment me poursuit depuis des années, j'aime Elodie et n'ai jamais pu ou osé lui déclarer...
Photographié l’Annonciation de Bernardo Daddi, mon œuvre préférée depuis longtemps ainsi que La pêche miraculeuse de Jouvenet. Des éclairs de lumière dorée trouant des hernies de nuages gris zébrés de bleu outremer m’ont permis, parmi les touristes, de capter deux magnifiques vues de la cité et des eaux boueuses depuis le pont du Carrousel. Les dieux avaient créé l’éclairage !
Récupéré un catalogue des dessins de Marquet à la galerie Laurentin quai Voltaire où je trouve chez un bouquiniste les « Souvenirs sans fin » de ce cher André Salmon. En dévalant la rue du Bac dans les bourrasques et un ciel gris à la Philippe de Champaigne j’entre chez Fournier où sont présentées les premières œuvres d’Hantaï, Degottex. Jean Fournier est assis comme une statue étrusque à sa petite table de plastique, qui l’accompagne depuis les débuts de la galerie, face à Elodie, la grâce incarnée, ses nouvelles formes callipyges et ses petits escarpins lui vont si bien que j’en ressens un vertige, tous deux sont si studieux et charmants, dialoguant à voix basse dans le prieuré de la peinture. Ce sentiment me poursuit depuis des années, j'aime Elodie et n'ai jamais pu ou osé lui déclarer...
Je suis ému par Jean Fournier avec le sentiment de voir pour peut-être la dernière fois un des grands marchands du siècle dernier. Visage émacié, regard perdu et triste semblant voir l’au-delà. Il semble me reconnaître et en tout cas se lève pour me saluer, poignée de main douce et affaiblie, présence digne d’un grand de l’Eglise de l'Art, et je perçois au passage la récompense et la dîme d’un sourire éclatant d’Elodie, si jolie avec ses cheveux courts, heureuse avec naturel de me voir. C’est que nous jouons au chat et à la souris depuis si longtemps. Titubant pour retrouver la sortie sur l’épais coco je remonte vers les quais en marchant sur des œufs, le cœur chaviré, ivre comme un fauve en hiver carburant au calva entre deux croquis. En plus, je ne bois pas.
Les toilettes de Philippe Auguste…
Il y a un problème de taille dans la muséographie française.
J’écarterais dans l’instant celui des choix architecturaux faits à Orsay ou au
Louvre. Trop à dire et à médire. Il faut traiter le sujet des sanitaires, des
aérations et des odeurs, de manière générale... Je dirais aujourd’hui que
le Louvre sent les pieds, le pet, les aisselles des milliers de badauds
demi-abrutis qui sont là afin que l'Etat récupère leurs dix euros avec pour
prétexte génial « la culture pour tous », ça, fallait y penser, il
sent surtout les haleines fétides car les millions dépensés en ventilation sont
insuffisants, c’est clair comme de l’eau de roche bien pure jaillissant d’une
source des Pyrénées. Je me suis rendu (on y arrive!) deux jours de suite au
pissoir à côté des vestiaires côté Richelieu, à quelques mètres de l'enceinte
de Philippe Auguste. Un lieu de fort passage. 25
m2 maxi, en marbre datant des
années 70 où tout est à l'avenant : panneaux crasseux, fers rouillés sous les lavabos
et avec une panne ou une absence d'aération notoire faisant régner une odeur de
merde comprimée (comme on peut faire de l'air comprimé) faisant penser aux
chiottes d'un transport de troupes juste avant la bataille de Guadalcanal par
40° extérieurs et 50° dans le bateau chauffé à blanc ou celles d'un U-Boot devant Malte en plongée
depuis 48 heures après que tout l'équipage ai eu la chiasse due à des conserves
pas fraîches et impossibilité de faire surface à cause des mines anglaises ou
encore l’atmosphère du fort de Vaux après une semaine d’enfermement pour des
centaines d’hommes, vivants et morts, dans la promiscuité, l’obscurité, la
misère. Acharnement aussi des nazis à laisser les déportés et parmi la
multitude surtout les musulmans (déportés en phase terminale,
se vidant entièrement avant de mourir, figés) patauger dans leur merde, sur
place, afin de plonger l'humain dans le néant en le rendant à sa condition
purement organique.
Sur 4 pissoirs seulement, alors que défile ici une foule
considérable, 2 étaient hors-service 2 jours d'affilée. Aération nulle, on
entre là dedans saisi à la gorge par une odeur qui pétrifie, l'accumulation des
heures d'utilisation intensive aidant on est à saturation. Pourquoi un espace
aussi restreint ? Aucune réponse.
Les chiottes d'un bâtiment comme le Louvre, au niveau réception
sous la pyramide, avec un cahier des charges (et des décharges) aussi lourd, ça
devrait être, au minimum, une batterie de 100 pissoirs alignés, propres, avec
autant de cabines, bien éclairés, aérés, sans se bousculer avec ceux qui
entrent et sortent. Eh bien non. Les Français ne savent pas faire... Manque
d’espace ? Sans doute pas. D’argent ? Pas si sûr. Problème culturel
plutôt. Au Prado, on pisse en sifflotant, aéré, clair, propre, normal. Pareil à
Berlin, à Londres. A Paris non. Dégueulasse, pas entretenu, surtout défectueux.
Je ne comprends pas.
Et à côté de ça des milliards pour des lampadaires en métal
brossé, design, pour faire riche, des mises en scène grandiloquentes, du
« Wilmotte » et du « Putman » en veux-tu-en-voilà. Manies
de nouveaux riches. Je ressors du Louvre avec des hallucinations, des vertiges
d'odeurs d'haleines, d'odeurs corporelles, et de chiottes dégueulasses.
Lorsque l’on emprunte la galerie de la peinture française au 3°
étage, qui cerne la cours carrée, arrivé vers le début du 19° siècle, Ingres,
David, après des centaines de mètres d’un dispositif se voulant ceci, se
voulant cela, si l’on veut se soulager, il y a, comme partout dans le Louvre,
des toilettes. Minuscules ! Non refaites ou mal refaites, peu pratiques,
contrastant par leur dispositif médiocre avec le côté « m’as-tu vu »
du Louvre actuel.
La vérité de tout ce phénomène ampoulé est là : dans les
chiottes, soviétiques, délaissées, car l’on pense d’abord à paraître.
Administration boursouflée, lourde, ayant perdu le sens des choses élémentaires
et incapable de créer des conditions d’utilisation des locaux qui lui sont
confiés de façon rationnelle. Usine à gaz, avec ou sans jeu de mot. Le pays des
Droits de l'Homme, celui qui fait la
leçon au monde entier ! Qui choisira un jour l’efficacité, la simplicité,
l’hygiène, pour ensuite contempler et étudier les œuvres l’esprit clair et les
entrailles soulagées sans interférences dues à un manque total d’esprit
pratique ? Comme si l’on ne savait faire que compliqué, cher, sophistiqué mais
peu pratique. Est-il si difficile de concevoir des sanitaires et des espaces de
repos ou de restauration qui soient u.t.i.l.e.s
en toute simplicité, ni plus ni moins ?
Seule la cafétéria, bien que pathétiquement sous dimensionnée,
située à la mezzanine de la pyramide, semble remplir ces conditions :
nourriture saine et de qualité, un bon éclairage, aucun délire décoratif, de la
sobriété, pour aller ensuite dans les salles l’esprit clair et non pas bousillé
par des odeurs de cantines et des WC qui empestent !
Ce n’est pas à Paris que l’on trouve cela à Madrid, New York,
Londres, Berlin, Athènes, Pékin, Rome, partout ailleurs qu’à Paris, cela est
possible. Ce n’est pas de M. Wilmotte dont nous avons besoin mais d’un type à
l’esprit avant tout pratique.
Laurel et Hardy...
J’achève un article sur une charmante boutique de Montmartre
tenue par une charmante personne. Cette même charmante personne souhaite que
l’on retire la métaphore employant le terme « chevelure de sirène » à
son propos tout en reconnaissant la grande qualité et les éloges sincères du
même article. Le prétexte, suscité par l’ignorance, est que les sirènes
seraient des prostituées de la mer, et donc l’expression entraîne chez l’intéressée
(sic) : « un malaise
profond. » Au fond je
crois que l'on affronte mieux les vrais défis, où l'on doit mobiliser courage
et ténacité pour des causes sérieuses, que les conneries totales produites par
certaines personnes, qui sont sans importance, mais tellement agaçantes et aux
conséquences incalculables, les imbéciles comme les enfants pouvant en effet
déclencher des réactions en chaîne d'une proportion colossale, ce qui fait
d'ailleurs le ressort du comique basé sur la logique de l'absurde, Stan Laurel
et Oliver Hardy ont poussé très loin cela, Laurel, avec grand naturel, pouvant
arriver dans une pièce et s'asseoir sur une chaise, désœuvré, et déclencher par
paliers progressifs, à partir d'un minime détail, la destruction totale de la
maison, voire du quartier, et n'en laisser que des ruines fumantes...
Chose qui s'est produite deux fois au 3, rue des Riaux, où j’ai
mon atelier, l'immeuble ayant brûlé à deux reprises grâce aux abîmes
insondables d'irresponsabilité des habitants de type cas sociaux, d'où mon
extrême prudence désormais et mes activités de gendarme, d'ailleurs
reconnues et acceptées par la majorité des locataires, n'ayant aucune envie de
retrouver mes livres autographes et manuscrits en tas de cendres fumantes... Tout cela n'est rien face
aux glaciers des Alpes, au saucisson à l'ail avec un verre de Côte du Rhône ou
à la mer éternelle, celle de Baudelaire, avec ou sans sirènes, qu'on ne me
parle plus de sirènes !
Le rossignol embastillé…
Quartier auquel je me suis habitué par obligation au point d'en
aimer certains aspects, ceux au fond du vieux
Paris, de l'Ancien Régime aux années 30, mais où je ne serais jamais chez
moi, ce chez moi fantasmé se situant à Saint-Germain-des-Prés, que j'ai
longtemps habité, et dont je me sentirais toujours exilé. Mais l'exil a du bon. Il permet de fantasmer
justement, plaisir extraordinaire, et même de créer en réinventant les lieux
(ou les personnes) en se les réappropriant par l'écriture, le prisme de la
mémoire, le charbon de la chaudière qui réside sous le crâne des
écrivains. Il fait un froid à couper au couteau, et le ciel est pur
au-dessus des toits, un temps à trotter dans les paysages d'Ardèche ou les
hauts plateaux de Valensole comme le capitaine Langlois, fontes pleines de cartouches
et de petits cigares piémontais, le regard au loin sur les cimes enneigées et
les épaules rentrées sous l'épais manteau noir réglementaire, une chapka de
lapin noir sur la tête et les parements rouges des culottes marquant la
silhouette. Ah, il
fait un temps à lire au coin du feu, avec une vieille tourbe et du tabac !
17h. L'heure pour le capitaine Langlois, couvert de givre,
son cheval au pas ployant l'échine sous les tourbillons de neige, de mettre le
cap sur la lointaine mèche fumante d'un relais de poste, où retirer ses bottes
devant l'âtre, et fumer un de ces petits cigares piémontais avec un grog
brûlant en pensant pupilles dilatées à une certaine comtesse Pauline de
Théus...
Hartung…
La tragédie sous-tend l’histoire de l’Art au XX° siècle. Hartung
blessé et perdant une jambe devant Strasbourg, lui qui aimait tant observer les
astres, la contemplation. Les Otages de
Fautrier. Zoràn Music à Venise dessinant des fantômes rayés et leurs
dépouilles, ceux de Dachau. L’abstraction qui relaie l’impossibilité de
représenter, affronte le vide métaphysique. Sam Francis, Roy Lichtenstein,
Samuel Fuller, fantassins ou médecins de l’US Army en Europe ou dans le
Pacifique.
Chez les anciens,
Masson marqué à vie par les tranchées, Braque gazé, Léger bien abîmé, Céline,
Giono, Genevoix, Jünger, et tant d’autres pour qui il y aura un avant et un
après, comme un arrêt de l’histoire, qui va déterminer la teneur des œuvres.
Il n’est rien de comparable dans la condition de fils de déporté
avec celle des principaux intéressés dont on ne connaît qu'une partie des
expériences, qui sont incommunicables.
Je songe à mon père, bien sûr, mais à tous ses camarades
disparus depuis, que j'ai eu la chance de connaître, et qui pour certains
avaient été encore plus marqués.
Je pense aussi à certains personnages du film de Claude
Lanzmann, déportés raciaux, dont les témoignages sont un patrimoine
inestimable, et surtout, à Esteban Téruel, le meilleur ami de mon père, un
anarchiste espagnol, qui a été Sonderkommando.
Je l'ai connu. Et sa mémoire me guide et me remet sur les rails.
Il y a dans le milieu des déportés, toutes origines confondues,
une fraternité de la misère qui est ésotérique et imperméable aux profanes que
nous sommes, comme un secret impénétrable. Donc à chacun sa croix, sa
conscience, et l'épreuve sera toujours d'être ce que l'on est, ni plus, mais
pas moins. Je l'éprouve sans cesse plus dans ma vie d'adulte, de l'être en
silence, en sachant que l'on ne sera pas compris, que certains engagements
seront toujours mal compris. Il faut l’assumer. La véritable leçon de Madame
Simone Veil, souvent interrogée en sa qualité de Présidente du Mémorial de
la Shoah, n'est pas d'être une victime car elle n'a pas choisi de l'être.
Sa grandeur c'est d'accepter et de choisir en conscience de traverser le miroir
de l'ignorance et de l'incompréhension et de rester droite. C'est le cas pour
tous ceux qui ont souffert, la liste est longue parmi les anciens combattants,
au-delà des déportés, dont on ignore souvent la vraie nature des épreuves, et
qui ne font que continuer après, dans la communication justement. On pourrait
ajouter que les Narcht und Nebel et les résistants déportés,
eux, avaient choisi leurs risques et les avaient assumés...
Il ne doit pas être un exemple car il a eu tort en partie au
regard de l’immense succès posthume de ses livres. Paix à son âme. Mais par un
curieux retournement de situation qu'il était loin d'avoir anticipé, et encore
moins prémédité, dans son cas il serait indigne de le supposer, sa disparition
a ajouté un aspect dramatique et sacrificiel qui a participé à la construction
du mythe qu'il incarne désormais : une référence internationale, une icône. Le
destin des hommes est curieux. C’est qu’ils n'en sont pas complètement
maîtres...
Mettre l'accent sur toutes les subtilités de notre propre
parcours avec justesse, c'est en cela que l'on devient adulte. En ce qui me
concerne, j'ai fait mes comptes, je suis et demeure un fils de déporté, à vie.
Mais cette condition, avec la part de pathologie qu'elle comporte (sujet
complexe), j'ai décidé de l'assumer pleinement, et de braver le ridicule, aux
yeux de certains, en devenant un simple petit soldat de la mémoire, un simple porte
drapeau, ma façon de dire à ceux qui restent et qui se savent condamnés par
l'âge : « Ami, si
tombes... » Une
contribution qui peut sembler facile mais qui s'accompagne d'autres gestes,
plus discrets bien sûr. Car la représentation, l'image, ce que l'on appelle
avec toute la vulgarité de notre temps la « communication », est un
terrain de combat, en acceptant de faire cette chose visible par tous,
médiatique, et même assez théâtrale, on marque un signe fort et sans équivoque.
Le ridicule ne tue pas, contrairement à ce que pensent nos
contemporains soucieux de paraître, soucieux d'image positive, de politiquement
correct, toujours du côté des bien pensants, au chaud. Pas très bien vu chez
les jeunes, et les moins jeunes, de porter un drapeau bleu, blanc, rouge. On a
longtemps préféré, sans le dire bien sûr, un drapeau rouge tout court. Ce n'est
pas mon cas. Au fond c'est tout simple ! Il faut être soi-même, à condition de
savoir ce que l'on est. Et en faire la démonstration dans ses actes.
Le trésor…
Voilà 10 ans que dans mes cartons où dorment les trésors utiles
pour construire de petites sculptures un morceau de plâtre se trouvait là, en
forme de quart de voûte carrée. Pendant toutes ces années cet objet devait
trouver sa destination mais c’est en vain que je l’ai, des centaines de fois,
manipulé, observé, essayé de lui adapter un bout de ficelle, de bois, une
crotte de lapin, tentatives inlassables mais vaines. L’objet avait toutes les
qualités pour créer un signe fort, il contenait dans sa forme et sa matière les
éléments qui me conviennent en général pour parvenir à force d’essais et de
réflexion à ajuster une sculpture dotée de sens et d’équilibre. Mais c’est que
pendant toutes ces années je voulais à tout prix, ignorant et aveugle, habiter,
occuper le dessous de la voûte, comme pour marquer la notion d’abri, et je
m’entêtais donc dans mon échec.
C’est hier, après des manipulations diverses sur l’armée des
petites sculptures qui prolifèrent dans mon studio, que la solution est venue.
Je touchais et caressais sans conviction ce débris en me disant que la chose
était tentante mais qu’il faudrait pourtant renoncer, car insoluble.
Puis l’idée est venue, en douceur : pourquoi ne pas poser un objet, une boule de papier, mâché de grisaille, sur le rebord supérieur de la voûte, en équilibre ?
Puis l’idée est venue, en douceur : pourquoi ne pas poser un objet, une boule de papier, mâché de grisaille, sur le rebord supérieur de la voûte, en équilibre ?
J’avais trouvé. Au lieu d’occuper le centre, l’abri protecteur,
je m’étais mis en danger au bord du toit de l’abri, mais j’avais haussé ma vue,
et donc mon esprit. Un modeste morceau de chêne, tenon récupéré dans une
charpente du 18ème, simplement posé comme un outil abandonné sur une des parois
intérieures de la « grotte » béante a suffit à animer un peu cet
habitacle et parachever l’équilibre général. J’en tire la leçon qu’il faut du
temps pour comprendre les choses les plus simples et qu’il est toujours utile
d’élever sa vue, et 10 ans était la durée nécessaire pour accomplir ce geste,
consistant à déplacer un morceau de papier de 4
cm. Juste un peu plus haut…
Ce matin en me réveillant, la récompense était là, l’objet était
posé sur la banque où je travaille, semblant me dire : « je n’ai plus besoin de toi,
j’existe maintenant, et ne me regarde pas de cet air de benêt étonné, va plutôt
préparer ton petit-déjeuner ! »
La chienne…
Je suis bouleversé car les choses se bousculent dans mon esprit.
Je viens de raccrocher mon téléphone après avoir échangé quelques paroles
brèves avec papa, hospitalisé dans le service de psychiatrie de l’hôpital
militaire Sainte Anne à Toulon, paroles brèves mais précises et chaleureuses et
aimantes.
Cet appel fait suite au visionnage de La chienne de
Jean Renoir en cette fin d’après-midi et d’après guerre. Le temps est froid et
il neige un peu. La chienne est
un chef-d’œuvre. Fenêtre dans la fenêtre, rapports étroits entre peinture et
cinéma. Les cadrages, la lumière, sont parfaits, le son de même. Le jeu des
acteurs est juste comme l’on dit d’un orchestre ou d’un piano qu’il est juste.
La mise au point de la photo oscille entre des effets subtils et simples à la
fois avec par moments de légères approximations qui ne rendent le résultat que
plus touchant.
Et je songeais en regardant ce film à ce livre si beau, Mon
père, toujours de Jean Renoir. Ce père dont on aperçoit une toile à la fin
du film dans la vitrine d’un grand marchand alors que Michel Simon voit
s’embarquer dans la voiture d’un collectionneur son propre autoportrait, qui le
renvoie au passé, lorsqu’il était encore quelqu’un sans jamais avoir été
lui-même…
Film troublant sur l’identité, le double, où se concentre aussi
la critique sociale et la recherche de l’homme à l’état nu. Nudité de l’homme
dans sa condition et l’abîme qu’il porte en lui, et dont l’idée qu’il se fait
de lui-même va dépendre de l’histoire, de la broyeuse qu’est la guerre. Jean
Renoir, lieutenant de cavalerie en 1914, était invalide d’une jambe, avec une
légère claudication. Ce sens du cadrage, des arrières plans, des détails, comme
cette mouche qui se balade sur le mur au moment où Michel Simon ouvre une porte
sur le spectacle de sa maîtresse au lit avec son mac. Filtres de la pluie, des
échafaudages, des contre-plongées, perspectives d’escaliers, de rues en pente.
Marquet est là tout comme Doisneau ou Brassaï. Géraniums aux
fenêtres, linge bien plié dans l’armoire conjugale, oiseau picorant des miettes,
guitariste bien cadré dans la scène de la Chanson des rues, un titre interprété par Jean Sablon, plus tard.
Toutes ces émotions se superposent comme un trop plein.
Et ce film me ronge comme un venin opiacé, le sentiment aigu de
la beauté, avec comme ressort souterrain l’obsession de la peinture, comme dans
un rêve d’orient, une volute de fumée, fumées de cigarettes qui montent au
ciel, « Dans la baie de
Saigon… » Les paroles de
la chanson Opium composée par Charlys, si bien photographiées dans
ce film, ce qui ne nous éloigne guère d’Etienne jules Marey et ses
chronophotographies de fumées précisément.
Renoir est aux confins de tout cela lorsqu’il met Michel Simon
en scène tout comme Marquet savait d’un coup de pinceau et d’encre de Chine
régler son compte à un passant, Bubu de Montparnasse par
exemple ou à une passagère de la pluie courant après un autobus pour aller
retrouver son amant ?
Privacy...
Une amie me précise avoir toujours appris les limites à ne pas
dépasser à ses enfants en bas âge. Ses enfants non seulement ne doivent pas lui
en vouloir mais doivent lui en être profondément reconnaissants au fond
d'eux-mêmes et doivent agir de même avec les leur. Cela s'appelle l'Education.
Et cela est valable avec tous les humains, grands et petits, toutes cultures
confondues, le respect avant tout, et la discipline et les devoirs envers les
autres ne sont pas des agressions injustes comme on veut nous le faire croire
par démagogie, avec les résultats qui ravagent notre société de façon sournoise
et insidieuse ou carrément horrible parfois, et dont hélas nous n'avons pas
encore vu tous les effets, dont certains sont (et seront à moyen terme) d'une
violence inouïe... Mais on a ce que l'on mérite.
Concernant la justice, il me semble que l'état de droit que nous
vivons la préserve de trop d'indépendance et d'outrecuidance malgré, ça et là,
quelques excès, notamment pour inculper certains politiques de façon lourde,
comme pour les remettre à leur place ! Le problème, comme celui de
l'administration, est politique, au sens strict et non pas commun ou
vulgaire. Le droit et les institutions étant soumis aux processus politiques
(en démocratie parlementaire tout au moins, sinon tout est soumis au bon
vouloir du grand sachem... ou de l'Ayatollah) la déliquescence de notre V°
république, paumée, de nos institutions, vivant sur leurs acquis (depuis 46 et
58), font que le problème est insoluble pour le moment, sans changement, ce qui
ne peut se faire d'un coup de baguette magique ni en faisant une énième révolution,
la pire des choses.
Et n'ayant pas fait Sciences-Po, je ne risque pas d'avoir la solution ! Je ne vous cache pas que de voir une famille où les adultes se taisent devant des enfants de 5 ans, me désole, et fait que je perds un peu de mon estime pour ces mêmes adultes, car ils se mettent à nu en montrant là des faiblesses pour lesquelles j'ai peu d'indulgence. Toujours est-il que c'est très embêtant. Ma retraite à la campagne n'est pas toujours si idéale que je veux bien le montrer dans mes mises en scènes bouffonnes et autres jolis paysages…
Et n'ayant pas fait Sciences-Po, je ne risque pas d'avoir la solution ! Je ne vous cache pas que de voir une famille où les adultes se taisent devant des enfants de 5 ans, me désole, et fait que je perds un peu de mon estime pour ces mêmes adultes, car ils se mettent à nu en montrant là des faiblesses pour lesquelles j'ai peu d'indulgence. Toujours est-il que c'est très embêtant. Ma retraite à la campagne n'est pas toujours si idéale que je veux bien le montrer dans mes mises en scènes bouffonnes et autres jolis paysages…
Le repos…
Mentir, inventer des raisons pour se dérober lorsque l’on est
chez des personnes où la promiscuité et l’absence de privacy vous
rend la vie insupportable. Et oui, ça je sais faire, je mens comme un arracheur
de dents ! Comme tout le monde. Avec toujours (comme tout le monde ?) le goût
amer du sentiment de mal faire, un malaise. Le problème c'est quand il faut
tenir encore quelques jours (pour x raisons) sans pouvoir
quitter les lieux tout de suite. Alors là, il faut des nerfs solides. Si cela
se passe sur un bateau minuscule, que l'un a besoin de calme et que l'autre
fait un bruit permanent, si l'un apprécie l'ordre et l'autre laisse traîner ses
chaussettes sur les casseroles et entame le grand air du trouvère au moment où
l'autre se plonge dans les pensées de Schopenhauer, eh bien ça finit par un bon
coup de hache d'abordage dans le crâne, avec dépeçage du corps, soit pour le
manger, soit pour en faire cadeau avec délice aux goélands et autres oiseaux
criards qui virevoltent toujours autours des rafiots. Il y a pire dans la vie !
Mais je donnerais cher ici pour un peu de calme. Ce que je fais en général
puisque ma vie de célibataire, vieille tante, artiste raté, ours mal léché
lunatique et jaloux, toujours de sa privacy, me coûte très très
cher : le calme et la solitude d'un bureau se paient au prix fort : carences
affectives, frustrations diverses et variées, sentiment d'inutilité...
Le pire c'est que même là, le calme semble être un luxe impossible
à atteindre, avec des voisins qui considèrent que leurs voisins (les Autres)
n'existent pas et s'ils existent qu'ils n'ont qu'à s'écraser... quand ce n'est
pas de leur part de la provocation pure et simple, par bêtise congénitale, par
médiocrité. Sonos, hurlements, ivrogneries, bagarres, tout y passe. Vaste
problème. « De quoi
envahir la Pologne » dirait Wood Allen...
Bon je retourne à mon martyr domestique, les hurlements de ces
adorables bambins auxquels rien n'est interdit font que je ne m'entends plus
taper sur mon clavier...
S.O.E
Je rentre d'une grande vadrouille dans les chemins creux devant
l'île de Bréhat. La tête bien aérée toute l'après-midi par les grands vents de
la Manche et du Golf Stream, mais aussi par des pensées une fois de plus
dirigées vers le passé, celui des années de guerre. J'aime approfondir les
choses. De fil en aiguille et au fil de l'épée, un fil d'Ariane
entre réalité et rêve, entre réalité et le monde trouble de l'inconscient, mes
pensées s'organisent...
Lorsque l'on évoque le réseau Notre-Dame et le B.C.R.A (service dépendant des britanniques et
leur S.O.E), lorsque l'on se remémore le personnage de Paul
Meurisse dans L'armée des ombres (Kessel, Melville), lorsque
l'on parcourt les entretiens sur le Général entre son fils Philippe, l'amiral,
et Paul Tauriac, s'impose un nom : celui de Rémy.
Prénom plutôt, choisi par celui dont la pierre tombale, dans le
minuscule cimetière de Kermouster, un rude bloc de granit, porte gravé celui de
son véritable état civil : Gilbert Renault. Mais... s'agit-il bien de lui ?
Modiano en ferait un best-seller si l'histoire n'était insaisissable, jamais
totalement écrite, tout comme le mystérieux nom de Rémy (alias Watteau, Raymond, Morin, Beauce, Roulier, Jean-Luc,
etc.) fut toute sa vie indéchiffrable pour l'ennemi, inavouable même (et
surtout) pour les compagnons de combat, puis ensuite sans cesse et
inlassablement obscur pour les faiseurs d'histoires. Justement... Un homme
de l'ombre, maurrassien, membre de la Confrérie
Notre-Dame (et producteur de
cinéma avant-guerre), une des toute 1° organisation de résistance, qui a
par son action et sa fidélité à la France Libre, infléchit le cours des
évènements. Grandeur de l'anonymat ! Après m'être recueilli sur sa tombe
quelques instants je suis allé ensuite voir la maison où il a finit ses jours
et qui est aujourd'hui la propriété de Jean-François Revel, la villa Gwennva à
Lanmodez, face à Bréhat. Là aussi on peut entrer dans la fiction : il y a-t-il
eu un rapport entre Rémy et Revel, lequel, cela eut-il à voir avec les affaires
de la France ? Poupées russes des interprétations possibles...
En tout cas, pour compléter cet examen, je vais lire ses mémoires, publiées en 47, tout en sachant qu'un personnage de cette trempe ne raconte que ce qu'il veut bien raconter... Pour vous dire aussi que les paysages sont magnifiques ici, on a envie de s'y installer ! On y trouve le calme, chose plus difficile à s'offrir dans le midi.
En tout cas, pour compléter cet examen, je vais lire ses mémoires, publiées en 47, tout en sachant qu'un personnage de cette trempe ne raconte que ce qu'il veut bien raconter... Pour vous dire aussi que les paysages sont magnifiques ici, on a envie de s'y installer ! On y trouve le calme, chose plus difficile à s'offrir dans le midi.
Le livre de Philippe de Gaulle regorge ainsi d'informations et
de révélations sur toute sorte de gens et d'évènements. Bien que partial,
venant d'un fils aimant son père jusqu'à la vénération, il mérite d'être lu, ma
curiosité est satisfaite sur un certain nombre de détails, qui n'en sont pas en
fait, sur la logistique, les conditions de vie et d'action au jour le jour en
Angleterre et à Alger entre 1940 et 1944, sans compter la suite de l'épopée. On
n'en ressort pas gaulliste, disons gaullien, car le personnage était fascinant,
et bon écrivain.
Vincent D. a fait un rêve cette nuit dont j’étais le
protagoniste. Il me le communique par téléphone. Je possède une tour miniature
de 10 étages de style années 30, Bauhaus, avec escaliers extérieurs et
baies vitrées sur chaque étage, un par fonction, atelier, studio spartiate,
cellule de moine, atelier d’estampe, bureaux, archives etc. Il observe avec sa
femme et sa fille, Diane, la tour qui décolle légèrement d’abord puis se met à
léviter assez haut. A ce moment là je dis : « Faut
que je fasse de l’essence ! » et
la tour se repose doucement…
Tout va bien…
Réveillé à 5 h j'ai un peu travaillé, avalé deux tartines et me
suis recouché, la tête lourde, encore besoin de plonger dans le sommeil...
jusqu'à 10 h. Mauvais ça. Cela provient des troubles de voisinages récents (et
anciens), pour lesquels j'ai écrit au Procureur... Carrément. Convocation
ensuite dans un commissariat soviétoïde
et reçu par un gentil policier, doux, attentionné, un peu apeuré (c'est la
nouvelle génération) qui s'est caché comme un caniche derrière une montagne de
dossiers remplissant les 4 mètres
carrés d’un pseudo bureau et je
devais me lever pour apercevoir ses yeux timides. Il devait manquer de sommeil
car il piquait du nez. Visage bouffi et yeux rouges, une pâte, mais qui avait
sans doute abusé du bambou (à mon avis, rapport aux yeux rouges aux pupilles un
peu dilatées), ce qui se fait beaucoup chez les flics.
Après un entretien d'une courtoisie évasive comme la fumée
sortant des toits du Vatican, il m'a raccompagné et affirmé que des enquêtes
seraient faites mais que cela allait prendre beaucoup de temps. Moi, en pensant
que cela prendrait 1000 ans au minimum, je lui ai répondu que je m'en doutais,
et on s'est quittés presque amis, comme si en filigrane chacun souhaitait
remercier l'autre de ce cours moment d'humanité dans un merdier généralisé. Je
le plains.
Ce que je vis est difficile, avec mes maigres seaux d'eau pour
calmer les sauvages, mais ce qu'il voit et entend doit l'être oh ! Combien
davantage. Il doit gagner péniblement à peine plus de 1000 euros... Les dealers, eux, se promènent sous ses
fenêtres dans des voitures de sport sono (raï ou reggae, au choix) à fond. De
quoi rester philosophe, au fond. Et ce petit bureau saturé de dossiers comme
dans une pièce de Tchékov. Il m'a presque fait de la peine... Quel destin aura
ce type ?
En parlant de peine, je suis littéralement scié par la langue de
Pierre Loti et sa façon d'avancer à pas lents mais sûrs dans des zones de notre
esprit, de nos affects, avec un style fulgurant, sûr de son fait, de ce qu'il a
à dire, en toute simplicité. Bouleversant par moments. Je veux parler du Livre
de la pitié et de la mort. Il me faut la fameuse biographie sortie
récemment. Visiter sa maison sera un plaisir mais devoir se limiter à 5000
caractères pour en rendre compte, un supplice chinois.
Je me vois très bien tressant des paniers dans un Carmel. J'ai
toujours rêvé d'une vie monastique contemplative et à 20 ans j'avais la fibre
très mystique. Sans en parler jamais je conserve cela au fond de moi. Je pêche
depuis comme un cochon, un mécréant, un pauvre ère, et je trahis si souvent la
parole divine… La volupté ! Ceci dit les saints ont tous étés d'abord de
terribles pêcheurs, des débauchés, des paumés, qui au bout de cette route on
trouvé une autre issue. Tous. Voir les illustrations que Pasolini en a données.
La bécasse...
Ma cheftaine en chef s'est pointée ce matin avec la photographe,
mal fagotée, toujours cet air pas fini, pas sûr de soi, un peu puéril, voire
lycéenne attardée, et a fait un petit cinéma sur des corrections à apporter à
un article dont il ne ressortait aucun argument valable, juste pour marquer le
ton du chef. C'était attendrissant, je la voyais venir de très loin, façon
western quand le mec fait semblant de somnoler mais devine les malfaisants qui
s’approchent. Question
d’instinct. D’instinct animal...
Je suis resté calme, courtois, sombre et profond (Julio avant un
concert), attentif, ne laissant rien montrer de mon léger agacement en
acquiesçant à sa requête : j'observais. Cela
n’est pas grave, mais confirme ce que je pense, cette fille se débat entre
séduction et pouvoir mal assumé sur une patinoire de coups tordus, de vacheries
et de vraies saloperies. Je
la devine appréciant beaucoup mes textes mais étant par-là même gênée et entre
deux sentiments : le montrer et perdre de l'autorité ou s'en éloigner et
renoncer à l'attraction qui semble l'animer. Un
vrai coup tordu. Ma solution : rester à distance, répondre oui à ses demandes,
ne pas entrer dans le jeu.
Le problème c'est qu'elle guette mes regards pour voir si je
suis attiré ou en tout cas sensible à son charme, et donc je dois faire des
efforts hypocrites pour y répondre juste un peu, l’œil bienveillant, mais pas
trop, afin de ne pas lui laisser croire que je suis chauffé à blanc. Voilà les pièges
féminins !
Moins délicat que la chasse à la bécasse, qui, maligne, vole en
zig zag (sentant les cimes des pins, hum que c'est bon) et que l'on
doit prendre par anticipation, mais tordu quand même. Des histoires
et des imbroglios par camions, leur gasoil, leur carburant, leur vice... Il faut que je reste à
ma place, sans plus, et m'impliquer le moins possible.
A condition qu'elles (avec la photographe, même
style baba immature et arrogant) ne considèrent pas, comme les
enfants, que si on ne joue pas avec eux c'est que l'on est contre eux
! Ces filles babas attardées
et qui veulent se montrer libérées, émancipées en apparence, en apparence
seulement, m'ennuient, toutes divorcées à 30 ans avec un enfant, elles me font
penser à ce qu'elles redoutent et détestent le plus : de vieilles bigotes ou
des concierges au fond coincées... Sortes de perroquets femelles radotant, aux idées éculées...
Emmuré
C’est simple il faut inventer sa vie, formidable liberté qui
nous est possible, même au fin d'un trou. La
vraie vie n'étant pas dans les contraintes et l'ordre social mais dans la
conscience de cette liberté. C'est
le cas des poètes, artistes, et mystiques. Ils ne peuvent s'ennuyer, le temps
paraît trop court pour arriver à juguler, canaliser tout ce qu'il y a à faire
pour être à l'unisson avec la beauté du seul fait d'être en vie ! Et de le célébrer leur
façon... Même
(surtout) Maximilien Kolbe (il est là, tapi dans ma conscience) est libre,
super libre et créatif lorsqu'il dit en substance en agissant : je prends
sa place, je meurs à sa place, pour mourir emmuré. Mystère ! Ne pas savoir cela
équivaut à croupir dans l'ennui, à se traîner jusqu'à la fin, sans joie
véritable, insatisfait. Au
fond c'est fastoche. En
réalité ça ne l'est pas car nous sommes limités par nos corps, nos maux, la
pesante machine de notre être qui chaque jour nous dit : j'en ai marre, j'ai
mal là, je suis triste, c'est trop dur.
Check Up
Je n'ai rien à dire. Absolument rien. La ville et les villois m'insupportent, la Crète
m'obsède parce que j'y ai ressenti un bien être que j'ignorais depuis
longtemps, pas si éloigné de ce que l'on ressent en haut du Mont Caume, seul,
en hiver, comme Angelo Pardi sur son cheval courbant l'échine dans les
bourrasques, et la seule idée à laquelle je me raccroche c'est de me remettre à
faire mes trucs artistiques, et notamment la peinture, toujours remise à plus
tard, ce qui me torture et devient obsédant. Mais l'incertitude du lendemain
domine tout, j'ai ainsi appris ce matin que j'étais interdit bancaire pour un
écart de 3 jours pour l'encaissement d'un chèque...
J'ai réussi à déclencher des contres mesures qui devraient m'en
faire sortir d'ici peu, ce qui me chagrine le plus c'est la lourdeur teintée de
grossièreté de la directrice d'agence avec son accent du midi bien vulgaire et
ses attaques hypocrites pour avouer finalement qu'ils auraient pu me prévenir
par un coup de fil au lieu de me traiter comme un criminel. Leur vie avec
piscine, enfants drogués, 4x4 et cuisine à frises pseudo provençales
cul-cul et barbecue avec machins trucs me donne envie de dégueuler. Je conchie les
Toulonnais... Je
voudrais arriver à atteindre l'impossible dans l'immédiat : vivre des rentes
que me laisseraient les galeries après avoir fourgué mes machins (ils ne
laissent que des miettes mais ça fait rien) et me planquer pour travailler dans
une bicoque de Crète ou des Baléares comme certains peintres qui eux se portent
mieux. Me barrer
quoi, au calme. Mais ne soyons pas chagrin, il faut faire avec tout ça...
Descartes a fait un songe qui lui a indiqué la voie de ses idées
lorsqu'il était quelque part en Hollande ? Hum... il faudrait vérifier ça,
Raymond Hains connaît ça par cœur mais je n'ai pas envie de l'appeler, il me
fait peur maintenant, Cet
homme est dangereux (titre
d'un décollage des années 60 ) et puis ayant entrepris un check-up (je suis
quasi-sûr de mourir d'une crise cardiaque ou d'un cancer déclenchés par mon
fort taux de stress, alors je cours les médecins, les radios, les collos, les écos, les biolos, etc.) les 1° examens
ont montré que j'avais trop de cholestérol et qu’il fallait arrêter les
gâteaux, les alcools, tout ce qui est bon, voire très très bon, hyper bon, et
dont j'ai abusé avec tant de volupté, depuis tant d'années. Il faut dire que j'ai
bien profité de la vie mais que j'aimerais bien vivre encore et encore et en
jouir encore et encore et que donc il faudrait penser à se calmer, et marcher,
et faire du sport, et donc calmer aussi les repas pantagruéliques et les virées
avec Raymond Hains me font peur désormais, je le soupçonne de m'avoir coulé à
force de vin blanc, de nuitées au restaurant, de foie gras et j'en deviens
parano, ce qui me tue c'est d'avoir peur de mourir, alors fini la tortore, le
gras double, les cailles à la crème sur canapé, les milles feuilles, et
: doucement sur les cigares et le tabac (m'a dit ce bon toubib breton aux yeux de chien perdu), faut
maigrir, vous êtes limite obèse, ce qui n'est pas encore alarmant mais pourrait
le devenir au 1° petit-salé-huîtres-lardons-Coulommiers-Meursault-profiteroles,
alors attention à pas finir au bd des allongés... Je ! Je ! Je ! Notre ego est
lassant...
Candie
La contemplation n'est valable que lorsqu'elle est inscrite dans
le temps, la lenteur, l'étirement du temps, sans idée de spectacle ponctuel et
attendu, le corps vivant à son rythme sans que les idées de performance s'en
mêlent, ce qui nous rend agités et donc nous met en danger. Chut ! Ne bougons
plus, arrêtons tout, le rythme infernal et les remords et les désirs de
châteaux en Espagne et les fantasmes, laissons aller, au mieux un air de Sirtaki ou une complainte de
Billy Holiday, comme celle qui montait d'une boutique de bijoux de La
Canée, l'ancienne Candie... Une
Crétoise ou un Crétois ne se posent pas la question comme ça : ils s'assoient
sur une chaise et ils regardent passer les voitures, à l'ombre. Subtiles et
mystérieuses vertus de la contemplation. Ils bavardent un peu avec l'un ou
l'une, car il est important d'être socialisé un minimum, et voilà. Ils mangent
bien, dorment très bien, tout leur soûl, et regardent le paysage.
S’asseoir sur une chaise devant chez soi, sous un parasol, et
attendre, en regardant qui passe, mais il faut que de temps en temps une
voisine ou un voisin fasse de même et que vous causiez un peu pour rompre la
monotonie de vos pensées, de toute façon l'idée même de monotonie est absente.
Se demander pourquoi on vit est bizarre, on vit, pour continuer
à voir le paysage, si beau, magnifique, écouter les grillons le soir, regarder
passer les autres ou les chèvres, boire un verre d'ouzo glacé, contempler ses chaussures, regarder voler une mouche,
et comme thérapie : faire tourner son komboloï, c'est à dire une
sorte de très joli chapelet qui fait un bruit mat, avec pompon, ce qui rend la
contemplation élégante et non-inerte.
Si on ajoute à cela l'action de préparer ses repas, l'entretien
courant de sa personne et de sa maison : voilà, le compte est bon ! Ca suffit
amplement et c'est déjà énorme. Un gros avantage : les crétois ne se doutent
pas de l'existence de Freud, Jean-Paul Sartre, Jacques Lacan, Achille Zavatta,
ni même Groucho Marx. Car ce n'est pas indispensable. Ces réflexions sont
sottes ? Peut-être, mais bon, ça a l'air de marcher, et à chaque fois que je
retrouve l'équilibre et le vide de l'esprit, vide des mauvaises pensées et prêt
à s'emplir de la respiration du monde, ouvert sur le monde, eh bien cet état
ressemble à cela...
Une inquiétude : pas si facile d'y parvenir, plus difficile que
cela en a l'air, et cela m'arrive moins souvent qu'auparavant, alors que c'est
dans cet état de vide et de contemplation et d'observation, d'abandon de soi
mêlé de vigilance sur le monde malgré des moments de somnolences inévitables,
que l'inspiration prend naissance comme une érection mentale.
Ce qui brille
Je suis nulle part, ou plutôt incapable de donner ma position. Je bricole avec un ami, rien de notoire, j'essaie de passer entre les gouttes. J'essaie de retrouver le Colosse de Maroussis, un bon livre, mais en Poche la couverture n'est pas jolie, alors... Dire que j'avais une édition ancienne revendue bêtement pour boucher un trou comme tant et tant d'autres livres que je regrette bien sûr. Non, rien, vraiment... Les idées d'autodépréciation, de culpabilité, de vacuité, et tout le pack qui va avec, bref la petite musique du dépressif borderline, sont largement compensées par l'obsession majeure : mes travaux artistiques et un refuge possible en Crète. Les choses artistiques travaillent sur l'émotion, une chose très subtile, que même la photo, assez froide, et le cinéma, qui sont des techniques froides, essayent de transcrire sans jamais rivaliser vraiment avec le langage parlé, la peinture, le dessin, l'écriture, la musique et la chanson en direct, en live. L'émotion ! Voilà ce qui nous rend étrangers aux autres, tous les autres, qui restent de l'autre côté, qui vivent les émotions mais ne savent pas y toucher, les travailler, oser affiner ça, bricoler ça.
Céline en parle très bien dans « Les entretiens
avec le Professeur Y. » D'où la solitude existentielle et douloureuse
de l'écrivain, de l'artiste de manière générale. Ce qui fait que souvent ça
tourne au tragique... Parler de soi provoque au bout d'un moment
l'écœurement...
Je reste sur mon rêve, mon Espagne à moi : essayer de reprendre,
de poursuivre mon travail même si la vie, actuellement, ne me laisse d'autre
choix que les petits boulots. Ainsi de prochains travaux prévus à Ramatuelle.
Ce matin nous allons faire estimer chez Christie's une œuvre d'Appel,
j'emmènerais un petit Sylvie Fleury, coqueluche de l'Art Contemporain snob-international-mondain-people-jet
set que j'avais connue à ses débuts quand elle a commencé à sortir avec
Armleder, héritier de l'hôtel Richemond
à Genève, nous intervenions alors sur la Foire de Bâle, finissant le boulot
dans les boites où croisait le gratin, et moi, pauvre con, qui m'intéressais à
tout ce qui brille... au point d'acquérir un multiple de Sylvie Fleury pour le
revendre ensuite chez Artcurial.
Mais faut que j'y aille : ouille !
On nage...
Le regard fier du marchand de journaux Ali Akbar, lorsque je lui
ai demandé de faire un portrait de lui. Dans la seconde il s'est tendu, tendu
devant les autres, devant l’œil, comme on se tend et on insulte un peloton
d'exécution. C'est un personnage ! Venu du Pakistan il y a 32 ans, il vend Le Monde depuis tout ce
temps, exclusivement et dès sa sortie, à la terrasse des cafés de
Saint-Germain-des-Prés. Je l'ai vu dès mon arrivée à Paris il y a... 30 ans. Et
depuis, il est toujours là, dynamique, avec un style inimitable pour lancer à
la cantonade « Le Monde, Le Monde », une énergie inchangée. Il
a plutôt bien réussi puisqu'il a famille, pavillon en banlieue et jouit d'un
certain confort désormais, il fait partie intégrante de ce carré intello chic
qu'est Saint-Germain. Mais il est triste. Le monde l'attriste...
Et il l'a écrit puisque ses aventures quotidiennes dans le
quartier lui ont permis de trouver un éditeur (ils sont tous là, à lui acheter
leur canard). Quelle dégaine et quelle énergie ! Triste, mais fier, et j'ai
aimé son regard tendu, comme celui d'un combattant. C'est la 1e fois que je lui
parlais en 30 ans, et stoppé pour un cliché.
10 h du matin.
La chaleur est déjà intense au-dessus des toits, il fera 30 et
plus tout à l'heure, alors j'en profite pour écrire toutes fenêtres ouvertes,
encore groggy par les travaux d'hier
et les hurlements des jeunes qui viennent se saouler au bar en bas,
futurs chômeurs, déjà très cons (vociférations des portables), et dépenser le
fric des parents.
Canicule ! Giono, au début du Hussard sur le
toit décrit bien cette curiosité de la nature, le soleil haut, de feu,
de plâtre, la suffocation, l'impossibilité de se rafraîchir vraiment, une
ambiance dramatique, qu'il utilise pour créer une réflexion métaphysique. Camus
agit ainsi aussi ?
Hier, en déambulant (toujours dans Saint-Germain) j'ai acheté un
livre d'A.D.G, enfin, c'est
rare d'en trouver, on dirait qu'il est censuré. Ce n'est pas impossible, car on
sait bien qu'il suffit de faire semblant de ne plus avoir un livre alors qu'on
a, en fait, décidé de ne pas le vendre, bel exemple de tolérance. Ca s'appelle
: « Pour venger pépère », et ça n'a pas l'air mal, pas
génial, mais avec de belles figures de style, et parfois des trouvailles, des
phrases qui sont des bijoux. Je suis en nage. Ne plus bouger !
Ah ! Que j'aimerais naviguer sur les eaux de la rade dans le
soir qui tombe et les reflets vermeils sur les coques ! Paris sent les pieds et
les rats. Ah ! La brise si douce sur les joues de la bien-aimée ! Ici règnent
les shorts. Ah ! Les monts embrumés par la chaleur, près à s'embraser ! Ici les
tôles des bagnoles achetées à crédit rentrent dans les chairs putrides. Ah !
Ici et là le roulis chavire nos cœurs sur une mer de Chine ! Les voitures du
métro roulent des yeux de poissons morts...
Gigot à volonté
Raymond veut me voir, ainsi « les
choses vont avancer », et puis « on
ira au Gigot à volonté. »
Le bougre sait comment m’appâter, mais bon, où est le piège ? L’amitié est
un long chemin dont il faut cultiver les abords, jeter les mauvaises herbes,
sinon le chemin disparaît, on se retrouve seul au milieu des ronces. Alors
cultivons.
Je ne sais pas pourquoi, mais revenant de Crète et aimant le
maquis méditerranéen, je reviens toujours en rêve aux fins d’après-midi en mer
de Chine, allongé sur la natte de l’entrepont d’une jonque, reflets dorés qui
miroitent en suivant le clapotis de l’eau sur les coques alentour, scintillent
sur les parois des compartiments de bois du plafond, et cela me ramène sans
cesse aux meubles de bois bruns et aux dragons de cuivre dans l’appartement de
mon parrain, tout un bric à braque très élégant et mystérieux issu de la Chine
des Empereurs (les photographies de têtes coupées m’impressionnaient beaucoup),
du sac du palais d’été, ramenés dans une malle de métal laqué noir aux ferrures
de cuivre achetée à New York pendant la Grande Guerre et dont j’ai hérité,
parrain étant saxophone ténor dans l’orchestre de la flotte et accompagnant les
amiraux et autres ambassadeurs jusqu’au fin fond de la Chine ; ambiances qui
ont été mises en scène dans La canonnière du Yang Tsé Kyang, ou
alors à un film vu enfant à la télévision (alors en noir et blanc), où il était
question d’autres enfants partant pour la Chine sur un tapis volant pour
atterrir en douceur au bord de la cité interdite, là aussi dans une lumière de
miel et la douceur du soir, les ombres projetées par les toits laqués rouges et
dorés, il suffit pour cela que j’entrouvre la première page de Madame
Chrysanthème, assis ou accoudé au comptoir de cuivre du café ou la préface
d’Antoine Blondin aux Poèmes de Verlaine où la perfection du style
cisèle l’esprit même de Verlaine comme l’ivoire est ciselée par l'artisan...
Toujours ces reflets dorés qui dansent, la lumière pénétrant par
les stores et zébrant les parois du berceau d’un enfant qui joue avec ses
mains, le monde étant pour lui limité aux effets de lumière de la chambre où il
est né ; adulte, cette émotion est toujours la même lorsque le soleil est
oblique sur les darses où dorment abruties de chaleur les coques grises des
grands navires de guerre…
Choléra
La soi-disant fête de la musique… L’enfer de Lang ! La banlieue
est descendue, au bord de l'émeute, façon tribune de supporters de foot, avec
trompettes, rap et techno bas de gamme diffusés sonos à fond, hurlements
hystériques, jets de bouteilles, j'ai dû me faufiler vers 1h du matin pour
atteindre ma porte dans les odeurs d'aisselles des blacks hirsutes haineux en
survêt nylon, regards hallucinés, dans un brouillard de shit, j'ai vu cette
nuit là, comme l'an dernier, le visage de la barbarie moderne, et tremblé à ce
que cette émeute pourrait donner lorsque la guerre civile éclatera.
Un vieux con
C'est fou comme l'Opéra et le Classique élèvent l'âme et
emplissent le cœur de joie et l'esprit de lumière. Lumières ! Si en plus l'on
contemple les étoiles par une nuit dégagée, notre passage sur terre est à son
comble. Je me réjouis d'autant plus que je suis depuis trop longtemps crucifié
jusqu'à l'os (malgré mes Quiès et mon casque de tir) par les charmes
nocturnes des tam-tams (en matière d'exotisme j'ai une prédilection pour le
centre Europe et la musique tyrolienne, si possible interprétée par Miles
Davis), « bom-boum-baba-boum,
bom-boum-baba-boum, bom-boum-baba-boum », accompagnés de cris gutturaux (ce
sont des formes d’expression plus proches du massacre du tympan que du
sacre du printemps : Eric Satie avait-il le début d'une idée de ce que la
modernité allait nous réserver ?) qui mettent mes nerfs à vifs et mon moral à
zéro devant la mélasse contemporaine. J'allais oublier les milliers de : « Allo... t'es où ? » qui résument, sous mes fenêtres, le
paysage mental de ce que l'on nomme pudiquement les jeunes, catégorie à
laquelle je me réjouis chaque seconde de ne pas appartenir, préférant, et de
loin, me ranger peu à peu mais sûrement dans celle des vieux cons, ce que
j'assume bien volontiers avec joie et soulagement par contraste, par hygiène.
Une chose connue : être comblé par la musique et l'immensité de
la voûte céleste. Harmonie ! Au sens propre et figuré ! Ah ! Les marronniers du
Luxembourg ! Ah ! Ordre et harmonie de Delphes, l'esprit transcendant la
maââtière ! Ah ! Bach ! Ah ! Môôzârt ! Ah ! Ah ! Macarons et rubans
en ribambelles, belles dans les jardins, colin-maillard au printemps dans les
bosquets, jambon à l'os sur robes de satin étendues sous les frondaisons de la Malmaison, sabres posés dans l'herbe
grasse avant de trousser bien à fond la jouvencelle. Musique de chambre ! Plein
air ! Fenêtres ouvertes sur les plans d'eau des jardins à la française ! Ah !
Génie classique ! Amours ! Un papillon se pose sur une épaule ! Vins fins ! Et
c'est le papillon qui s'envole ! Que la belle est jolie ! Délires.
Mais c'est que je m'ennuie tant et tant, rongé par le cafard noir
embastillé par les tam-tams, cerveau vrillé par les frites écrasées et les « T'as pas cent balles »,
glissant sur les crachats entre deux « Je
vais niquer la meuf. » C'est décidé ! Je dois m'évader ! Fuir, partir,
pour mieux retrouver mes esprits ! Palais Royal ! Tuileries ? Mirage...
La robe d’un colibri. Décidément cela ne s’arrange pas… Un vieux
con je vous dis.
Fred Astaire
Il se trouve que ce matin, bourré de médicaments, je suis allé
faire ma lessive et j'ai rencontré Georges Noël, toujours et encore, le
peintre, né en 1924, et il m'a invité dans ses immenses ateliers (3 niveaux). On est des vrais amis et
on parle le même langage. Lui aussi a vécu, son épouse est Margit Rowell,
conservatrice au MOMA. Ils ont eût 2 filles,
mariées, plusieurs petits enfants, etc. Il
est comblé.
Mais il vit seul, sans être pour autant isolé et travaille comme
un fou, semble rajeunir de jours en jour et me donne à chaque fois une leçon de
vie et de courage. Je
l'aime ! Nous avons
commenté le passé, ses débuts chez Facchetti en 57, la guerre, les femmes (il a
été parfaitement opérationnel sur le plan sexuel jusqu'à 75 ans me révèle-t-il
avec fierté), regardé sa collection d'objets eskimos et africains. Avons parlé de Fred
Astaire et notre goût commun pour la danse.
Bref, c'était épatant, je ressors à chaque fois ragaillardi de
mes visite chez Georges,
on se marre, on parle peinture, métaphysique, solitude, destin, tout y passe.
Et pourtant il est à la fin de sa vie. Et
puis, il m'a offert un tableau. Je
suis resté sans voix. Il
m'a dit : « Toi, tu le mérites. » Alors je lui ai donné mon
couteau suisse (c'est un pyrénéen, ils aiment les couteaux car ils sont tous un
peu bergers sur les bords), et lui, alors il m'a donné un ancien couteau
portugais, très effilé, sans doute du 19°...
Longue phrase particulièrement réussie si on la relit tranquillement
A Luca Venturi. Ta mission : achever cet ouvrage éternel et le
dédier à la mémoire de Mimmo, dans une formidable apothéose publicitaire dont
il aurait éjaculé de joie, gravant dans le marbre son œuvre érotique sulfureuse
(sans être scrofuleuse), chaque goutte de semence de l'or liquide du Maître
devant être fondue dans le bronze comme un glaive ou l'aile Art
Nouveau d'un bouchon de
réservoir de Rolls, Victoire de Samothrace de l'ego de Mimmo, petit enfant de
Calabre rageur, rêveur et pudique, errant à Midi le juste dans les rues de
Catanzaro noyées par un soleil de plomb fondu, cachant son âme d'Annunzienne
délicate comme un pistil de Lalique ou la jarretelle d'une pute hongroise
fumant des Chesterfield au bar du Lutétia, les lèvres humides
de Bloody Mary, et amené à accomplir un jour la légende, le destin d'un
précoce Empereur de l'art Contemporain, véritable Bucéphale pulvérisant sur les
abeilles de la moquette-tatami du Negresco les médiocres pasticheurs du passé
comme des ectoplasmes, pissant d'un jet puissant sur la gueule des critiques
pâmés devant son génie dans les escaliers de l'hôtel Chelsea, et, mangeant en grand seigneur des spaghettis à la tomate De Monte, dans un p'tit
hôtel de Cortina d'Ampezzo tel Buster Keaton bouffant la chatte de Marylin sans
sourciller, le regard lointain et ramenant sa mèche sur le côté comme un
coiffeur romain, un doigt enfoncé dans son cul (celui de Marylin) au son de la
mandoline des bersaglieris de
la besogne picturale : il dirige il ordonne, il décide, il exige dans l'urgence
et le calme Olympien des vrais chefs (tel Karayan conduisant d'un doigt sa Spider rouge aux chevaux rugissants sous
le capot), lui, le capo du décollage et de la baise mondaine
et champêtre, rejoignant dans la gloire son maître et éternel ami, piazza
di Spagna, lieu où il fût rattrapé par les gendarmes à bicornes noirs
pour être foutu en taule à Regina
Coeli avec le grand Mario
Gallone, rejoignant donc, disais-je, son maître et ami, je veux parler, une
fois de plus, comment en douter une seule milliseconde, du grand : Giorgio de
Chirico.
A la chasse, le fauve est seul devant son destin, le danger et le risque. Mais dans le temple du génie, les maîtres sont réunis !
A la chasse, le fauve est seul devant son destin, le danger et le risque. Mais dans le temple du génie, les maîtres sont réunis !
Le banquier
Eh! Doucement... ne crions pas victoire. Pas du tout. Le banquier m'a reçu
pendant une heure, assez adouci par l'appel du cabinet d'avocats L.
& P., Montréal, Toronto, Paris,
Genève, il ne doit pas comprendre qui est ce mec qui arrive à trouver de
tels appuis. Il a fait des calculs très pointus, et étudié comment sortir de la
merde. Car rien n'est gagné. Disons pour le paraphraser que l' « on revient de loin. » Pendant ce temps là, moi, j'étudiais
son visage car les chiffres ne m'ont jamais intéressé...
Il n'est pas méchant, pour sûr, il me l'a même dit. Chose qu'il n'aurait jamais cru bon de préciser sans l'appel sibyllin de la charmante voix émanant du mystérieux mais puissant cabinet L. & P. Sa tête est ronde et charnue comme une tête de cochon sur un plateau à la vitrine d'un charcutier, dans la grisaille des corons, dans les années trente, par un jour de pluie bien froid, où la femme tuberculeuse et enceinte d'un mineur, ouvre la porte sous le bruit caractéristique du grelot, pour venir acheter un peu de mou pour le chat, et de bœuf bouilli pour accommoder les patates quotidiennes, déjà chargée de lourdes bouteilles de vin rouge grossissant son filet à provision mal raccommodé, tête exposée en majesté sur un plateau donc, avec un peu de sang séché autour, un brin de persil fané et une mouche qui virevolte.
Il n'est pas méchant, pour sûr, il me l'a même dit. Chose qu'il n'aurait jamais cru bon de préciser sans l'appel sibyllin de la charmante voix émanant du mystérieux mais puissant cabinet L. & P. Sa tête est ronde et charnue comme une tête de cochon sur un plateau à la vitrine d'un charcutier, dans la grisaille des corons, dans les années trente, par un jour de pluie bien froid, où la femme tuberculeuse et enceinte d'un mineur, ouvre la porte sous le bruit caractéristique du grelot, pour venir acheter un peu de mou pour le chat, et de bœuf bouilli pour accommoder les patates quotidiennes, déjà chargée de lourdes bouteilles de vin rouge grossissant son filet à provision mal raccommodé, tête exposée en majesté sur un plateau donc, avec un peu de sang séché autour, un brin de persil fané et une mouche qui virevolte.
Simenon est là, sur le trottoir, de l'autre côté de la rue, il
sort de l'estaminet tout proche où il s'est requinqué avec un Quinquina,
il bourre sa pipe sans quitter des yeux la pauvre femme aux mains rougies par
les lessives, essaye de chasser de son esprit toutes les Amazonies et les forêts vierges et les mirages
et les fêtes foraines de chair et de dentelles et d'aisselles, sans compter les
gros seins chauds de Nina la
blonde que sa visite à La lanterne Rouge, dans quelque
instant lui procurera. Non, il se concentre. La lumière blafarde dans la
charcuterie et la légère buée sur la vitrine : il sait. Dans quelques minutes,
une heure au plus tard, la femme sera morte, le mari anéanti, la police plus
que perplexe…
Il tient là son prochain roman. Cela mérite et justifie La
lanterne Rouge, et puis juste après un bon bock Chez Dédé,
peut-être une carbonade flamande bien chaude, en suçotant sa pipe : inutile de
prendre des notes, tout se construit déjà dans sa tête, là, sur ce trottoir
détrempé, il relève le col de son manteau en chevron de laine, lisse le bord de
son chapeau. Plus loin luit une lanterne...
Eh ! bien sa tête ressemble à celle du cochon. De larges lèvres
boursouflées, propret, précis, courtois, un grand dadais pas bête, et qui a
plutôt bien réussi, bien noté, à coup sûr. Grand, costaud, lourdaud plutôt,
avec une sorte d'expression précieuse un peu en dessous : j'aperçois l'espace
d'un instant le poitrail musclé d'une statue de centaure de la Grèce ancienne
ornant un angle de son écran d'ordinateur, et je me dis qu'après tout mon grand
dadais qui se défend si bien serait peut-être bien adepte des jeux de
cache-cache dans les jardins publics...
Un bon garçon, intraitable, sans état d'âme si ce n'est celui de
poursuivre son avancement dans la perspective délicieusement jouissive des
petites joies sado-masochistes que procure à l'infini le jeu du chat et de la
souris avec le client un peu sournois, cherchant à duper son sens aigu de l'avancement,
du résultat, de la gestion suprême : la carrière. Je l'aimais. Là, à sa merci,
je décidais de l'aimer. Cette tête de veau, lisse, raie sur le côté, je
décidais de l'adopter, de me fondre dans sa logique, suivant les moindres
méandres de ses raisonnements chiffrés, prospectives de budget, résultats sur
échéances, possibilité d'amortissements, carré de l'hypoténuse, peu importe,
tout me va. Ce faisant, à la fin de ce long et pesant entretien sur un fil
aiguisé, sans filet, à terrain découvert, pelé même, de plus en plus mielleux
et charmeur, il m'a brillamment exposé les avantages procurés par le fait de
contracter une assurance contre les doigts pris dans une porte, les préjudices
moraux, le rhume mal guéri, les moindres interstices de risques non pris en
charge par la concurrence...
Je compris immédiatement avec mon cerveau reptilien doué d'une
intuition sans faille combien mon acquiescement serait pour la chimie de ce
cerveau numérisé mais sexué une micro jouissance de plus, comme un goût de
victoire, ayant bouclé la panoplie des petites humiliations qu'il me distille
maintenant depuis le jour où il tombé sur moi comme une mouche sur un camembert
: le bon client, fragilisé, hors norme, aussi curieux pour cet esprit
banlieusard et inculte que les parties génitales d'une grenouille sous le
microscope de Jean Rostand, ou un germe de pourriture de mie de pain dans un
bocal du laboratoire de Pasteur, avec de la neige sur Paris au dehors, pour
créer l'ambiance.
Je quittais la moquette de mauvais goût, le métal brossé, les
plastiques crasseux et les panneaux obscènes vantant les mérites des taux
d'emprunts pour l'achat d'une Citroën de l'agence Saint-Germain pour retrouver
la fraîcheur du boulevard, passer devant la demeure de Guillaume Apollinaire,
et aller fumer ma pipe au Rouquet,
en regardant les passants, et les ellipses décrites par la chute des feuilles
mortes. « Il pleut dans
mon cœur comme il pleut sur la ville... »
J'avais gagné. La tête de veau, sans me le montrer un seul
instant, avait cependant pris en pleine poire l'appel courtois mais ferme du
prestigieux cabinet L. & P.,
et se tenait à cette heure, à n'en pas douter, dans ses petits souliers (en
solde), se disant qu'après tout ce Didier Hays méritait bien un peu de
clémence, de patience, un peu d'attention.
Une vraie romance à la Joël Séria. Kitch, dérisoire et bandante.
Je viens juste de quitter mon sombrero, mon fouet, et mes bottes de vacher avec
éperons qui piquent. C'est qu'elle en veut cette grosse vache. Je l’ai
rencontrée au Chantilly où il y avait
la fête des 100 ans de l'établissement. Je fumais ma pipe, circonspect, attablé
avec quelques connaissances et elle et sa copine, une merveilleuse garce
blonde, que je préfère de beaucoup d'ailleurs, se sont assises à côté de nous
et ont peu à peu participé aux bavardages en dessous de la ceinture et
plaisanteries de corps de garde, ce qui les a diverties.
Elle, me regardait, je faisais mine d'être un peu ailleurs, très
classe, façon grand d'Espagne en villégiature en ne me mêlant que très peu aux
légèretés : sérieux, juste une pointe de malice dans l'œil. Puis l'orchestre a
redoublé d'énergie avec des blues et
autre boogie-woogie et deux autres
volatiles bien dodues sont arrivées. J'ai invité les 4, très prince en exil, à
boire quelque chose sur les banquettes. Et là, je m'assoie à côté d'elle, et…
PAF ! Elle me révèle ses origines espagnoles : je m'engouffre ! Je lui parle
dans un Castillan impeccable d'une voix de crooner andalou sur le retour des
nuits de Madrid, des palais qui ont abrité mon génie. Et puis elles se
taillent, charmées par l'hidalgo et je lui dis avec détachement que je lui
enverrais l'article de presse dans lequel j'apparais puisque j'expose au Casino
de Saint-Raph’ (en précisant qu'il ne
s'agit pas du supermarché), toujours détaché, portant beau. Ce que je fais le
lendemain avec un mot doux… PAF ! Elle me rappelle, câline, pour me dire
qu'elle a apprécié la rencontre, l'article (elle sait donc lire) et qu'elle ira
voir l'expo avec sa fidèle Zora, la blonde que je préfère.
J'attends une semaine à Paris, cassé par un lumbago terrible,
quasi-grabataire, et là, de nouveau : re-PAF ! Elle m'appelle pour me dire
qu'elle a adoré l'expo. Bon. Je rentre à Toulon, le dos cassé, et bien content
de retrouver ma cabane, et surtout ma fidèle solitude et mon PC et ma
collection de jouets, et mes albums de hairy
pussies. Et puis re-re-PAF ! Elle m'appelle, et là, je sors le grand jeu :
le restaurant sur le port de Toulon, carrément. Fruits de mers, loup grillé,
vin de qualité (cher), accueil haddock, et note salée. Je casque sans broncher
alors que je viens de laisser à ces Jean foutre 6 mois de subsistance. La suite
est fort simple, promenade au clair de lune et farfouillage sous la carrosserie pour vérifier
l'état du véhicule…
Dans la plus pure tradition elle refuse au dernier moment
l'estocade dans mon gourbi frankistanais
pour me rappeler le lendemain et annoncer qu'elle vient vers 20h30. Petit
dîner aux chandelles (cochon à la moutarde et fraises au vin) et re-PAF ! Le
plumard, direct, et plein de trucs très cochons (elle serait plus camion que
trottinette), on lime, on lime, et on re-lime. Quel tempérament ! Je tiens la
route jusqu'au bout avant de la noyer vers 1h du mat dans une piscine de foutre
qui la laisse cassée, pantoise. On ronfle un peu et vers 6h du matin et :
re-re-PAF ! Je réattaque par la face nord, j'introduis, je ramone, elle en
redemande, elle se perd en mots cochons, elle s'éclate la chienne ! Moi, je
sens ma tension qui descend vers 6, je vire loque humaine, mais jusqu'au
dernier moment je reste raide comme le dernier défenseur de l'Alcazar de
Tolède, j'enfonce, je défonce (sic : « Défonces-moi
bien, etc. ») et j'emporte la partie en beauté : la belle est comblée
et repart à son salon de coiffure faire ses permanentes.
Nuit de Chine
En fait je n’ai pas l'énergie surhumaine nécessaire pour
raconter cette histoire.
Je me contenterais donc de rappeler les faits.
Je me contenterais donc de rappeler les faits.
Un soir Madame Y me téléphone, on se téléphone souvent même si
l’on n’est pas loin. Elle me dit : « Didier
? Vous voulez prendre un verre sur la terrasse ? » Alors moi, très touché, je dis : « Oui, j'arrive. »
Sur ce, je prends une douche, je me rase, j'enfile un vêtement
léger et seyant avec des mocassins en vachette cousus main bien cirés, je
m'asperge d'eau de Cologne British sous les burnes, vérifie les dents, la
mèche, j'inspire à fond et je sors après avoir donné un bon tour de clef : « CLAC-CLAC » vu que
ma porte est blindée anti-tout...
Je fais 4 à 5 pas en glissant quasiment sur le dallage rapport à mes supers mocassins et : « DING... DONG, DING… DONG » je sonne, décontracté, souriant, italo-british, calme. Elle m'ouvre dans un splendide déshabillé Léonard, tout fait de voiles superposés avec de grands dahlias et toute une forêt vierge hyper-kitsch imprimée de couleurs flamboyantes. Je suis le filet de parfum léger et les courbes callipyges jusqu'au salon, et elle me dit : « Asseyez-vous, j'arrive… » tout en me montrant 2 sièges cannés en faux Louis XV sur la terrasse en demi-cercle disposés de part et d'autre d'une nappe brodée sous un store Buren rayé vert et blanc.
Je fais 4 à 5 pas en glissant quasiment sur le dallage rapport à mes supers mocassins et : « DING... DONG, DING… DONG » je sonne, décontracté, souriant, italo-british, calme. Elle m'ouvre dans un splendide déshabillé Léonard, tout fait de voiles superposés avec de grands dahlias et toute une forêt vierge hyper-kitsch imprimée de couleurs flamboyantes. Je suis le filet de parfum léger et les courbes callipyges jusqu'au salon, et elle me dit : « Asseyez-vous, j'arrive… » tout en me montrant 2 sièges cannés en faux Louis XV sur la terrasse en demi-cercle disposés de part et d'autre d'une nappe brodée sous un store Buren rayé vert et blanc.
Beaucoup de géraniums, musique douce, et la voilà qui se pointe
avec le seau à glace et 3 marques de grands whiskies, des biscuits à la cul hier, etc.
Je bourre ma pipe, regarde les lumières de la ville en silence,
puis, tout en vrillant un œil de velours dans ses châsses à elle tartinés
de rimmel à la truelle, je lance un : « Il
fait bon... ce soir... »
Elle, au sommet de sa forme, resplendissante, style Dalida au Casino de Paris, me répond : « Oui, on est bien… j'adore ma terrasse... » Torride.
Elle, au sommet de sa forme, resplendissante, style Dalida au Casino de Paris, me répond : « Oui, on est bien… j'adore ma terrasse... » Torride.
Puis après c'est le cortège de trémolos, le duo parfait,
l'opérette, la romance : « Vous
aimez l'Andalousie ??? - Oui, je l'adore... - Je me souviens
de nuits de feu vous savez, j'avais rencontré une espagnole... hum... enfin,
vous voyez... - Oui... je vois... » Tout baigne, c'est à qui sortira la
meilleure, mais en au bout d'une heure je dis : « Vous savez Madame Y, je dois
aller pisser. »
Sans se démonter ni rien montrer elle enchaîne : « Aucun problème, c'est la
deuxième porte à gauche après la bibliothèque ! » Je me lève, grand prince et me dirige
vers une porte discrète entre une collection de Reader's Digest et la chambre béante ou trône une
descente de lit entrouverte en faux satin matelassé vieux rose, vomi frais.
Alors j'entre et me retrouve dans le cagibi des chiottes avec
des fleurs artificielles roses même au plafond, des lapins en peluche roses,
des petites filles qui pleurent en tenant une poupée, de vrais poupées
habillées en rose, du papier cul enveloppé dans un dévidoir en tissu fleuri
rose, des boules de déodorants lavande un peu partout, et puis un couvercle en
peluche rose avec une fleur imprimée au centre rose elle aussi, et je soulève
le couvercle un peu étourdi par la lavande disposée de partout, et sortant ma
minuscule bite que j'ai du mal à atteindre vu le bide, tout en me reculant pour
viser, je vois un étron jaunâtre qui flotte en travers dans une soupe jaune
assez mousseuse. Un étron silencieux. C'est là que tout à basculé, en revenant
sur la terrasse, c'était plus tout à fait comme avant, elle me dit : « Il fait vraiment très bon ce
soir, c'est divin. » Alors je fais : « Hum... oui, hum...
c'est divin... »
Stavelot...
28 octobre 2005 à 17h45
Appel de P. A, en larmes,
que je reçois sur la route entre Stavelot et Spa :
« Il
est mort, à 16h, il est mort dans son sommeil, il ne s’est pas réveillé… »
Je vois les yeux perçants
et le visage de Raymond Hains à travers les arbres des forêts des Ardennes qui
défilent devant moi, en voiture vers Spa, je voudrais lui parler…