Il faut se gaver de
plaisirs Zum Türken Jean de la Croix Enragé
Brigadier Triboulère Luxure Trêve Algues Delvaux
Rouge Bichon Maltais Lecture
100 chevaux Retour Voix
Gethsémani Seul avec Le Seul
Comme s’il voyait l’invisible, il tint ferme.
Epître aux Hébreux : Ibid. 11. 27
Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier.
Georges Bernanos
Il faut se gaver de plaisirs
Ils nous instruisent. Inutile d’évoquer le sexe,
celui-ci a le privilège d’un instinct et le caractère de l’évidence, ni même
celui de la gloutonnerie, tous deux sujets rabattus. Ce sont les plaisirs du
bas.
Les grands plaisirs sont autres, ce sont ceux du
haut, ceux de l’esprit, esprit capable de considérer l’âme qu’il contient, de tendre vers, l’âme qui épanouit par le
moyen de la pensée, associée aux travaux du cœur. Le cœur au sens où l’entend
le théologien, ou un écrivain tel que Ernst Jünger en lui donnant un sens
augmenté et sacré. Le cœur indispensable à l’action. L’action seule capable de
libérer et d’accomplir. Et puis il y a les variations, l’esprit est fait de
variations, de thèmes, de registres, de timbres, d’infinies nuances qui se
moquent du temps, capable de retrouver dans les kilomètres plis de matière
cérébrale les souvenirs que l’on croyait enfouis à jamais, ou les variations
qui devaient ne jamais voir le jour.
Plaisir souverain de consacrer une part majeure de
sa vie à considérer le mouvement de la lumière sous les immenses arcades d’une
place d’Italie. La lumière est métaphysique. De Chirico l’a affirmé par la
peinture à l’huile et des écrits non moins talentueux.
Dans ces moments là tout devient possible pour le
contemplateur solitaire. L’âme se ramasse portée par un mouvement perpétuel qui
la dépasse mais la féconde tout autant. Se développent des mondes fertiles, aux
dimensions gigantesques.
Salles de musées, mollets de femmes qui vont et
viennent, parfums, ombres qui s’agitent, celles d’un monde sans début ni fin.
Le monde est immobile, seule la lumière se déplace et le transcende. Conscience
du monde qui se régénère chaque jour, comme les petites cellules d’Hercule
Poirot.
Poissons nichés entre les roches entre deux rais de
lumière changeante trompant le prédateur lui-même à la merci d’autres mondes,
d’autres pièges au grès des eaux.
Bagage cellulaire et moléculaire, totalité du
chiffre du monde et du cosmos.
De Chirico n’a jamais agit autrement. A l’affût des
mondes de l’enfance passée en Grèce, des rêves engendrés par les places si
spirituelles de Ferrare, clé suffisante pour ensuite déchiffrer le monde,
gagner une écriture et accéder au style.
Passer sa vie en contemplation est possible.
Chiasso, Milan, Côme, Gardone Riviera, rencontré
aux portes du Vittoriale une délicieuse jeune fille aux si jolies dents, si
délicate, si gaie, au regard si doux, aux petits seins si potelés et si
mignons, nous visitons le Vittoriale et chaque corridor, chaque merveille
nouvelle est pour moi l’occasion d’ajouter un gentil compliment, elle est aux
anges.
Mais c’est qu’il y a aussi une bien jolie voiture
l’Isotta Fraschini du poète, qui est là, en robe bleue rutilante, comme
endormie.
Un coup d’œil un coup d’aile puis ce sera le
Brenner, le zum Türken…
L’Obersalzberg, Salzbourg, si cette foutue durite me laisse un peu de répit.
Une perle rare : le Jounal de Pontormo. Ses menus, ses pratiques alimentaires et
ses ennuis intestinaux aux cours de ses
travaux sont choses primordiales.
Zum Türken
Il semble que l’hôtel zum Türken existe depuis 1630 et fût un couvent dépendant de
Salzbourg. Moines et habitants du site devaient sans cesse se battre contre les
turcs envahisseurs, d’où son nom « Le turc ».
Carl Schuster l’acheta en 1911 pour le transformer
en chambres d’hôtes. Ebéniste passionné, guide de montagne, conseiller
municipal, commandant des pompiers, son épouse était noble, née Von Kabas, du
château proche du village d’Oberalm près de Hallein.
Hitler venant dès les années 20 à la maison
Wachenfeld pour des séjours réguliers et souhaitant s’étendre encore après
l’avoir rachetée pour la transformer en « Berghof », Marin Bormann
son secrétaire s’intéresse en 1933 au zum
Türken…
Les ennuis commencent alors pour la famille
Schuster.
Le hall de l’hôtel (qui est une sorte de musée)
nous permet de découvrir un portrait peint de la maman d’Ingrid Scharfenberg,
actuelle propriétaire des lieux, 91 ans, petite fille de Carl Schuster, et un
portrait de son grand-père Carl Schuster travaillant le bois.
L’hôtel zum
Türken était prospère, recevant des hôtes illustres dans les années 30.
L'épouse de Carl Schuster était une femme d’affaire avisée ainsi que très attentionnée et attachée à ses enfants.
Carl Schuster a subit des pressions énormes de la
part de Martin Bormann (le Berghof est à moins de 200 mètres) et du NSDAP pour
peu à peu faire main basse sur les lieux.
Menacé, brisé moralement, Karl Schuster a du céder.
A 56 ans il lui fallait abandonner son œuvre afin d’éviter de graves ennuis
pour sa famille.
Martin Bormann, pour s’assurer toute tranquillité a
envoyé Carl Schuster au camp de Dachau, près de Munich, pendant un an, il en
reviendra détruit.
L’hôtel en quelques mois a été reconditionné pour
accueillir les SS chargé du service au Berghof, l’hôtel étant plus près que
leurs casernes installées plus haut sur le plateau.
En 1945 après les « bombing » répétés de
l’aviation américaine le zum Türken
était ravagé, mais les murs tenaient bon.
Devenu zone alliée l’Obersalzberg a été restitué au
territoire de Bavière en 1947, en conservant cependant des options pour une
durée de 50 ans.
Et le Türken
a du être cédé de nouveau, mais aux alliés !
Thérèse Partner, la fille de Carl Schuster et
mère d’Ingrid le rachète aux alliés en 1949.
Reconstruit exactement comme il était avant guerre
et l’on peut évoluer au Türken dans
un musée vivant, dans les ambiances des années 30. Sols, boiseries, poignées de
porte, sont identiques dans leur conception et leur style à ceux du Berghof…
Tout fait sens ici.
Mais ce n’est pas tout. Sous le confortable,
austère mais coquet Türken se trouve
un monstre. Un monstre de béton, et ce monstre se visite. Enfoui 30 mètres sous
terre un territoire fait de salles de toutes tailles, parfois immenses, sur des
kilomètres, avec une trentaine d’accès gardés par des chicanes équipées de
mitrailleuses. C’est le bunker d’Hitler, un réseau souterrain allant du Berghof
jusqu’aux entrailles de l’Obersalzberg, pour la garde, les équipes de
maintenance, un hôpital, les appartements privés du Führer, d’Eva Braun, du
docteur Morell, de tout un monde destiné à vivre là.
Attaqué au bazooka, comportant de nombreux impacts,
les entrées sous l’hôtel donnent accès à cet univers glaçant, immense, un
labyrinthe interminable et complexe.
L’heure de l’apéritif dans le bar cosy aux rideaux
typiques, s’avère passionnante : Kurt et Ming, deux officiers américains
dans une unité de chars basée en Allemagne sont venus eux aussi étudier le site
et nous continuons à échanger dans une basserie de la petite ville de Berstechgaden,
plus bas, dans la vallée qui mène vers Salzbourg.
Collectionneurs il n’est pas rare que ces deux
officiers passionnés d’Histoire ne dégagent des terrains alentours des vestiges
du IIIe Reich.
Ingrid Scharfenberg est inénarrable. Hostile aux importuns
je parviens à la séduire grâce à une maitrise à peu près honorable de
l’anglais, qu’elle parle à la perfection. Etre admis à l’hôtel n’est possible
que sur recommandation…
Une des nombreuses photos de l’accueil la montre
enfant contrainte de serrer la main Führer dans l’hôtel volé à sa famille, et
aux côtés de tous les grands de ce monde venus au fil des années en visite sur
un des derniers vestiges vivant du Berghof.
Disparue peu après j’ai l’impression parfois que
tout cela est irréel.
Je garde précieusement le souvenir de cette femme
admirable, qui a connu Von Stauffenberg…
A Munich je dois réparer cette foutue durit dans le
garage de l’hôtel avant de pouvoir me rendre à Dachau.
Fils de déporté je me rends compte à Dachau que le
but de mon voyage est atteint.
Rideau.
Milan, Turin, Pavie, Gênes, Vintimille.
Jean de la Croix
Il me faut étudier les connections possibles entre
Jean Malaurie, la langue des Inuits, et les Cantos
d’Ezra Pound, ceux des troubadours en Provence, la ponctuation, la syntaxe et
la langue écrite de Céline, la poésie
des voyelles chez Jean de la Croix et les merveilles des chansons populaires.
Cathédrale de la Sed, Toulon. Toutes lumières allumées ombres envahissant les hauts
murs, à deux pas de là dans la nuit de décembre les faisans et lièvres
suspendus chez Baldaccino, le meilleur charcutier de la vieille ville
m’émerveillent, souvenirs d’enfance, des Noël, à l’intérieur de la cathédrales
les personnages disséminés, les proportions me font penser à Corot, tâches
sombres des boiseries, des fers forgés rythmant les fonds, immenses, de
l’édifice.
Mon ami Rénato choisit cet instant pour déclamer
doucement :
C’était un
espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait
sanglant sur le bord de la route
Et qui criait
« A boire, par pitié »
(…) le coup passa
si près que le chapeau tomba
Et le cheval fit
un écart en arrière
(…) En s’écriant
« Caramba ! Donne-lui tout de même à boire » s’écria mon
père
Mon père ce
héros au sourire si doux
Où sont vos bras
vos mains et vos gestes superbes
Qu’avec la
grande faux vous faisiez dans les herbes
Hélas la nuit
immense est descendue en nous
Et comme le
ferait une mère
La voix d’un
peuple entier les berce en leurs tombeaux
Enragé
Après
15 ans de notes à foison, des montagnes d'annotations je rédige maintenant huit heures par
jour, sans répit, met en forme, corrige, complète pour augmenter la somme de
mes Carnets. C'est énorme mais cela m'a pris aux tripes, comme une survie, pour
ne pas devenir fou. Et cela me rend heureux, j'ai le sentiment que derrière ma
folie, il y a un fil, un sens, et j'ai la joie des mots, je jubile, je suis heureux.
Le confort tue
la prière.
Thomas Merton
Soyez béni mon
Dieu qui donnez la souffrance
Comme un divin
remède à nos impuretés
Et comme la
meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les
forts aux saintes voluptés
Baudelaire
Brigadier
Triboulère
Vint
enfin le mois de septembre. Où tout est plaisir malgré l’océan de merde dans
lequel nous pataugeons. Robes d’été : mollets, bras nus, poitrines jolies
disparaitront bientôt sous les lainages.
Mais
venons-en aux faits : il y a Léautaud, et son Journal, si fameux, si clair, si juste et souvent jubilatoire de
vérité. Contemporain de Jules Lafforgue et Albert Marquet l’épée du Mercure de
France ne débande jamais. Voir et sentir
une silhouette qui passe et la figer dans l’instant. Comme Pound l’enseignait
(ABC de l’écriture) Léautaud est concis, vif, direct. N’agissait pas autrement
Eugène Montfort et son Brigadier
Triboulère illustré par Marquet : volupté de la simplicité et du trait
fort. Marseille 1918 : Le quai de
Rive Neuve, où Marquet séjourne chez Montfort, et laisse tableaux et
dessins, dont une acquise (à grand peine) à la galerie Hopkins-Thomas, une vue
du château d’If, qui ne me quitte plus.
C’est
que tout se recoupe, le fil est ténu mais il se tient.
Les
temps sont durs, on ne se voit pas, mais il me semble que je dois ressembler à
Pierre Richard, sursautant au moindre bruit et se réfugiant sous le lit…
Je
viens de me souvenir de Jean. Connu lors de reconstitutions de l’Opération Anvil-Dragoon dans le midi. Jean était
parti à la guerre de Corée dans l’espoir de se faire tuer à cause d’un chagrin
d’amour. Son grand désespoir au retour était d’avoir échoué…
Luxure
La
luxure du regard que ne m’apporte plus l’Art contemporain se trouve dans l’Art
roman. Forte charge symbolique, savoir, connaissance, souvent cachés mais
sous-jacents car cet Art là est populaire, lisible par tous, à des degrés
divers de leur culture fût-elle illettrée. Cet Art a pour fonction de relier
l’Homme au sacré, par l’anecdote, le récit, avec toutes sortes de lectures
possibles, sans le renvoyer à lui-même, à son nombril, ou à des messages
sociaux-politiques, jamais à la propagande, qui n’y a pas sa place…
Barda-mue s’amuse
Pompe-moi le biniou mon minou
Bricole-moi la sandale vieille pédale
T’es madu vieux faux-cul
Taie sur le paddock haddock sur le tarmac
Confettis de figatelli
Tu sais ksé niais de nier les faits
Pourquoi tuer l’estafette en tutu ?
Hein ?
Gamelin Tamerlan l’olifant
Ou la défonce pour une gamate en fonte
Trêve
Rodin
cela a à voir avec la daube et le vin rouge alliés aux plâtres encore frais, à
la filasse humide, aux bois des charpentes, ça sent le foutre frais, c’est
grand, c’est sacré, c’est immense.
Mais
poursuivons, élargissons : Einstein avait raison, il n’y a rien d’ancien.
Ni passé ni chronologie, seul le présent et de toute éternité, et il passe,
c’est un Fangio de la pensée, de la physique à la métaphysique pour envisager
le divin.
Les
Lettres de Cézanne (et l’odeur du papier jauni), celles de Van Gogh, les
reliques de saint François, les orgues de Staline, les couilles embaumées de
Pharaon, cela n’a aucun but, aucune prédestination, chose réservée aux
questions de la grâce, et nous abordons alors les rivages d’un territoire sans
circonférence, celui de la théologie…
Hegel,
que j’annotais dans une chambre sans eau ni chauffage un hiver de 1979 rue du
Pré-aux-Clercs après les séances de modèle du cours Yvon, tâche brune du pubis
du modèle et blancheur immaculée de la neige recouvrant la cour du Mûrier,
m’avait je crois appris que l’Histoire tend vers un but, une fin, qu’il existe
une évolution, et je crois aussi que nos contemporains en restent persuadés,
trompés par la pensée positiviste, des kilomètres d’Auguste Comte et de
croyance effrénée dans la science et les techniques.
Tout
cela me semble un rêve, un mirage, ponctué de millions de morts, au nom du
Progrès, du futur de l’Homme Nouveau. Les Totalitarismes ont agi selon cette
croyance, et la modernité en imposant une démocratie totalitaire n’agit pas
autrement.
Les
différentes époques du christianisme ont aussi envisagé longtemps une fin du
monde, annoncée, inéluctable.
L’idée
d’un temps sans durée, en une spirale infinie, un présent définitif me semble
plus juste. Seul existe pour le petit homme l’instant où il nait, aime puis
meurt.
Toujours
Einstein : la vitesse seule peut remonter le temps, lui faire un pied de
nez, envisager la galipette.
Mais je
crois à l’invisible, au les mythologies du passé, à la puissance du christianisme,
et en particulier le catholicisme, englobant la pensée grecque fondatrice, qui
sont à la philosophie ce que la Rolls est à la bicyclette.
Il
semble hélas que le crétin moderne ait opté, lui, pour le roller et la
trottinette…
Reste
les fleurs et les plantes odorantes : Aubépine, Chèvrefeuille, Clématite,
Laurier, Lilas, Magnolia étoilé, Tilleul, Azalée, Rosiers, Glycine, Marjolaine,
Muguet, Narcisse, Violette, Jacinthe, Pervenche, Lis, Jasmin, Œillet blanc,
Camomille, Santoline, Camélia, Gardénia, etc.
Lauriers : faciles à trouver et à
tresser
Saint-Jean d’Acre fût-il un
simulacre ?
Fromage râpé, onomatopées, scarabée et bébé
Rolling block
Calembredaines, brique marine, petit pois
Proserpine, rapin, rapine, bonté divine
Youri Gagarine est-il allé à
Tibihérine ?
Trombine,
grosse pine, cabine, has been
US Carbine…
Algues
Sainte
Marie du Mont, l’Estaminet, marronniers
dans la froidure, paquets de trèfles, fleurs blanches comme des algues dans le
courant, la Normandie, forte, puissante. Servante aux seins splendides.
Visages
de Fragonard ou ruines de Guardi, jaunes légers pour suggérer la lumière sur un
visage, ocres et roses pour la vie, la palpitation, blancs et gris pour jabots
et collerettes, touches enlevées et vives, fraîcheurs, peu de repentis,
techniques ou moraux, peinture transparente ou grasse, enlevée, toujours. Lumière vermeille. Corde à linge, murs lépreux,
joues splendides, vermillons.
Le
blanc d’Espagne, pigment si particulier, parmi tous les autres blancs il est
une Reconquista à lui seul, cheville ouvrière de la préparation, il m’épatait.
« Au blanc d’Espagne », son
nom seul est une enseigne. C’est de très bon matin que je me rendais A la momie rue Blondel : quelques
mètres séparaient A la Momie de l’angle de la rue Saint-Denis, et passant devant
d’immenses poupées aux crinières colorées, harnachées de skaï rouge, de cuirs
noirs, de bas résille, et de bottes de sept lieues je rougissais en baissant
les yeux. Des images de Félix Labisse ou Paul Delvaux venaient à mon secours…
Le sarcophage de bois peint était debout près de l’entrée, les bacs de
pigments, le plancher craquait, il y avait là des merveilles…
Plus
tard les plaisirs offerts (une façon de parler) par les belles, moins voyantes,
plus ordinaires, me sont devenus familiers, l’audace a fait place à la
timidité, mais c’est une autre histoire, un autre récit.
Rouge
Une
exposition à la Maison Rouge me
confirme dans la nécessité de ne plus jamais remettre les pieds dans cet
endroit. On y trouve ce qui se fait de plus médiocre en matière de collection
privée à prétention muséale, de plus convenu et au fond de plus conforme. Public de bobos demi-instruits avec poussettes venus en goguette, fascinés
par la liturgie de la nouvelle religion, ce qui est culturel. Couples bientôt divorcés, par conformisme, enfants gâtés,
par conformisme aussi, queues devant les musées. Fascination pour la mort ou le
sordide, chez des personnes qui n’ont connus que leur confort. C’est une
consternation.
Bichon
maltais
Origine
du mot Malte : Malat qui
signifie « lieu sûr », tout comme l’île de Miljet, Méléda à l’origine, en Croatie. Le
Bichon frisé, dénommé aussi Bichon maltais
est connu sous la Rome antique qui définit déjà cinq catégories de chiens
Bichons. Ces petits chiens servaient pour détruire les colonies de rats qui
pullulaient à bord des navires de Méditerranée. Une race très ancienne donc
citée par Aristote : le Canus
mélitansis (chien maltais). Strabon (qui
louche, d’où le terme de « strabisme ») en parle : un chien
servant de compagnie aux matrones. Les Caractères
de Théophraste : un des personnages fait graver le nom de son Bichon sur
sa tombe. Bernadette Chirac a un Bichon maltais, « Sumo », qui a mordu 2 fois le Président…
Lecture
Lire
Stendhal (Mon cœur ne sent que Milan)
c’est être heureux. Confortablement installé dans un jardin ami sur les
hauteurs de Paradiso (quartier de Lugano ou trône Golfo une sculpture réalisée
en 2000) sur un canapé aux volutes de métal de style vaguement Liberty, truffé de coussins en coton et
aussi de soie ottomane, les pieds calés sur des contreforts en synthétique
(tout ou presque est désormais constitué de dérivés du pétrole, y compris les
pires saloperies), la tête calée contre un muret je suçote une pipe Stendhal de chez Chacom au tuyau de
polymère rouge bagué d’argent en contemplant les montagnes alentours et les
reflets métalliques du lac de Lugano. J’aperçois plus bas le triangle d’un
monokini et surgit tout à coup une image : celle d’un gros morceau de Parmesan
et d’un poulet rôti sorti du four.
Le
contexte frontalier du Tessin où Italie et Suisse se confondent est maintenant
fané. De vieilles demeures finissent de pourrir avec parfois quelques beaux
rafistolages, comme des femmes un peu trop fardées. Un charme s’en dégage,
celui de la beauté en putréfaction, envahie par les plastiques, et la fange de
la modernité. L’Europe s’impose ici avec son cortège de gueux et d’aigrefins à
l’affût. Migrants désorientés et paumés pullulent. Car les frontières sont des
rivages, elles attirent les détritus. Le spectacle est souvent désolant, mais
le contraste entre les bâtiments mussoliniens, les villas Novecento et la glue contemporaine est saisissant, attire l’œil,
fait le bonheur d’un curieux. Les nostalgies sont fécondes : on peut
dessiner, photographier, peindre tout cela. Granit aux différents tons de gris,
nature verdoyante sur les coteaux alentours, alignements géométriques des
vignes séculaires, baroque des églises (Francesco Borromini est né à Bissone, à
deux pas), brumes couvrant des kilomètres de châtaigniers, toits en ardoise,
villas florentines aux murs peints tout autour des lacs, demeures patriciennes
aux bibliothèques fournies, mobilier ancien, automobiles de collection, parures
dans les armoires, on peut imaginer encore l’avant guerre (celle de 1914) et
les voitures à cheval. Rêver d’une harmonie perdue entre paysans et citadins
dans ces régions rudes mais prospères. La cuisine, si raffinée, ignore les
clivages français entre cuisine populaire ou bourgeoise, encore moins la Grande cuisine. Elle est une, sans
chichi, ancrée dans le terroir, et lorsqu’un aristocrate (il y en a beaucoup en
Italie du Nord), un riche banquier, ou des célébrités de la politique, du
cinéma (George Clooney habite la région), souhaitent faire un bon dîner c’est
dans un Grotto pour déguster polenta,
cochon grillés, champignons et vin du pays. A prix d’or.
Mais la
normalité européenne garde ses droits, et règne là comme ailleurs. Venus pour
assister à une conférence au théâtre de Chiasso, il faut se frayer un passage
parmi les costards en lamé trop serrés, les tatanes pointues, toute une armée
de demi-sels, employés de banque ou fonctionnaires à découvert, George Clooney
de parking, pseudo-gauchistes hirsutes affalés sur les marches, migrants
désœuvrés, bref une cour des miracle générant trafics en tout genre et
nuisances permanentes. Ce qui est conforme, normal, et le signe d’une
invincible démocratie.
Mendrisio
est un bonheur, moins exposée aux populations modernes et épanouies de l’Europe
progressiste, la petite ville a du génie. Offrir un lieu d’exposition discret,
du meilleur aloi, qui jouxte une merveilleuse église baroque. Peu de bruit, et
en parcourant les rues, peu de tags, peu de détritus, peu de hurlements ou de
George Clooney en costard serré.
Carlo Carrà est à l’honneur, pour une rétrospective qui fera date. Dire que j’aime Carlo Carrà serait trivial. Il me hante autant que de Chirico, autant pour leur pensée, leur acuité, que pour leur œuvre. Tableaux de taille moyenne, modestie du projet, poésie immanente, délicatesse, l’ « ancien Futuriste » a tout compris, tout vécu, je suis son vassal, il m’épate, et me donne du chien pour continuer.
Carlo Carrà
s’est accomplit après guerre à contre courant dans d’aimables paysages en apparence
désuets mais aux vertus métaphysiques, la modestie a fait de lui un monument
silencieux, et un peu goguenard.
Une
photographie d’Ugo Mulas montre le maître en famille.
Un
paysage de 1943 : La mer,
tout simplement, un coin de terre, un arbre improbable… et un nom, une date en
bas à droite : « C. Carrà
943 ».
Peu
après, attendant un ami devant un bordel chinois de Côme, je songeais :
l’humanité ne pense qu’à bouffer. Se remplir par le haut et se vider par le
bas, le reste étant secondaire. Ca va loin. Objectif Mars ? Nano
technologies ? Cartes de Crédit, Smartphones, c’est du nougat. Ils veulent
bouffer, se goinfrer. De cela tout le reste découle, et ça va barder de plus en
plus, car ceux qui bouffent le moins, ou très peu, voire pas du tout, feront basculer
ceux qui se bâfrent. C’est mécanique. Finies les villas florentines, les
intérieurs cossus, les mirages humanistes. Ca va saigner.
Faux
rebelles, clowns divers et variés, ça pavoise sec en attendant, ça prend des
airs de ministre, ça communique, ça pédale dans le vide.
Enfin,
il y en a, Jeff Koons, qui donne quelques satisfecit. Il a compris le rôle
fondamental de la cravate, de la mise ?
Gilbert
& George, eux, avec leur pastiche vestimentaire des années 60 sont
pulvérisés, dépassés. Ce sont d’aimables ringards.
Comme
chez les militaires la tenue est importante et fait sens. Quoi de plus ridicule
que les artistes qui arborent encore ces hardes pseudo-gauchistes que sont les
jeans troués, la barbe de trois jours, le blouson de cuir de faux dur, la tenue
des faux rebelles rescapés des années 70 ?
La
chose est cependant risquée en France, pays de tous les conformismes, où un
artiste doit s’identifier à un rebelle, donc de gauche, l’implacable doxa
ambiante l’impose, avec sa liturgie : tronche en biais, fringues ad hoc,
air vaguement désespéré, post post post post romantique, etc.
Koons
échappe bien sûr à cela, il est ailleurs. En Amérique, et avec une cravate. Là,
je tire mon chapeau…
Le rêve
de paix et de silence continue de m’obséder, en séjournant à Giubiasco, j’ai tout à coup la sensation fugitive que je
pourrais y rester. Le silence, précieux comme une eau fraîche en été.
100
chevaux
Arrivé
à Pavie il me faut rendre hommage à la fidèle BMW K100, pas une ride, qui après
250000 kms parcourus caracole toujours en tête, fait l’admiration des amateurs
et supporte mes bagages, en redemande même. Toujours fidèle, c’est une
grimpeuse, il lui faut de l’altitude, de la vitesse, du poids, des contraintes,
des épreuves, là elle se réveille et donne toute sa mesure.
La
Lombardie est fidèle à la description qu’en fait jean Giono dans son
remarquable Voyage en Italie et Pavie
plus encore à son aussi remarquable Bataille
de Pavie. Les perspectives sont là, d’interminables ciels de Flandres, les
alignements de peupliers, les petits bouquets de fumée qui se perdent dans les
brouillards. Mais je ne vois Charles Quint nulle part, les rues sont bondées
d’étudiants (ceux-là sont supportables) et les locaux ont bien ce teint de
lait, la finesse de peau et de mise décrites par Giono. Ôtons le cancer des
zones industrielles, quelques panneaux, etc. et nous serons vite au 16e
siècle car rien ne manque. Les galets du Pô, un regard qui se dérobe, un
parfum, après la grande vitesse sur l’autoroute, tout devient plaisir.
Retour
A la
brasserie Le Chantilly j’interroge un
des garçons qui a travaillé dans le quartier de la Bastille à Paris. « C’est un quartier qui bouge » me
dit-il prudent mais sûr de lui. Car il vient d’employer l’expression en vigueur :
« qui bouge » signifie pourtant queues de 100 mètres chaque matins
devant le bureau d’accueil des migrants venus nous enrichir et construire un
nouveau monde à force de courage, d’idées nouvelles, tout comme dans la
mythologie américaine, un film de Scorcese où le héros italien illustre la
grandeur des peuples européens venus contribuer à la grandeur des Etats
Américains par le peuplement et leur génie propre. « Qui bouge »
signifie la suite, les excréments sur les trottoirs, la pisse chaque coin, les
tags sur chaque millimètre, les détritus éparpillés ça et là malgré les efforts
louables des balayeurs, noirs à 90% car les enfants des blancs sont au bistrot,
les embouteillages endémiques, les pseudo-punks et leurs chiens allongés en
tous sens multipliant les nuisances, les insultes envers les passants qu’ils
considèrent comme une race inférieure à eux, magnifiques et romantiques
rebelles, les fous, nombreux, qui souvent hurlent, ceux qui hurlent sans être
fous, c'est-à-dire 90% des « jeunes » aux tympans détruits par la
sono, une ambiance de cours de récréation permanente ou chacun est roi,
souverain, a tous les droits, se drogue, se saoule, ce que font chaque nuit les
enfants des blancs, enfants des bourgeois des beaux quartiers venus
s’encanailler, hurler surtout, et boire, boire puis vomir, vêtus de hardes
étudiées, de costumes issus des mangas, arborant des airs shakespeariens de
princes en exil, exerçant sur les rues alentours une pression sonore
insupportable aux familles, aux vieux, aux laborieux, c’est leur fascisme
libertaire, celui des anti fascistes élevés au grain dans nos écoles par des
institutrices socialoïdes qui leur ont inculquer la révolte comme un devoir
sacré, sans leur dire qu’ils seraient bientôt le comble du conformisme, des copies
conformes à des larves.
Mais ce
faisant je n’écoute déjà plus les babillages de la brasserie à peu près calme à
cette heure matinale, mon regard se fixe sur des lettres gigantesques au flanc
d’un camion de livraison : « Besson », et cela colle parfaitement.
Oui, Georges Besson, celui des éditions Braun
et Cie dans les années 30 et leurs petits classiques du XXe siècle, le
Besson des admirables évocations de l’œuvre de Marquet, des séjours chez Eugène
Montfort à Marseille en 1918.
Puis
tout à coup un souvenir, pourquoi ? Les bois de Gonfaron un hiver de
l’enfance, gare endormie, buée aux carreaux, froidure, téléphone mural en
bakélite noire, bourrasques, vent terrible, marrons qui fument sur le poêle,
pluies, brouillards, faisans, fonte, champignons, chuchotements, rires,
silence.
Voix
La
capacité à adhérer à un discours ne dépend pas des arguments invoqués, ils
interviennent dans un second temps, mais du timbre, du rythme, de la mélopée,
du pouvoir hypnotique de la voix, de la conviction interne de celui qui le
prononce. L’auditeur est pris, il
adhère. Avocats, escrocs, tribuns, politiques, tous le savent et y excellent.
L’auditeur, possédé, se sent complice, compris, voire devancé, quand sous
couvert de pertinence l’on multiplie les évidences simples ou les lieux
communs. Rapide ou lent, puissant ou murmuré, le piège est imparable.
Gethsémani
Il y a
des Ulysse de la pensée, ils peuvent voyager immobiles. Thomas Merton, nous
promène longtemps de New York à l’île Bermude, de Calais à Paris, des collines de
Rivesaltes au Quercy, au Rouergue, Brives, Limoges, Montauban, puis Dijon,
Bâle, rencontre une petite fille blonde à l’allure de souris, fonce sur
Marseille, Cassis, La Ciotat, Hyères, Cavalaire, Saint-Tropez puis l’Italie,
Gênes, Florence, aborde les rivages des 3 concupiscences, les montagnes du
matérialisme, puis reviens chez Ad
Reinhardt alors dessinateur humoristique, avant d’arriver au 13e
siècle, Etienne Gilson, Saint Paul, passe bien sûr par la dépression, l’agonie
de l’âme (agonia), non sans avoir
connu les textes d’Ezra Pound car il est aussi poète, puis nous livre ensuite
une flopée de livres, des serpents d’étoiles d’une modernité à se taper le cul
par terre. « Nous ne connaissons pas
Dieu si nous ne nous connaissons pas ».
Mais
son parcours finasse, là où il est question de Jacob Boehme, Jean Tauler, David
van Reybrouck, Jean de la Croix, Jean Chrysostome, Evagre de Pontique, Walter
Hilton, saint Aelred de Rielvaulx, saint Grégoire de Nysse, Pierre de Celles,
Don Augustin Baker, Ammonas, Pierre le Vénérable, Garcia de Cisnéros, Isaac de
Ninive, saint Athanase, Pierre Monchanin, tout cela pour arriver enfin au
monastère cistercien de la stricte observance Notre Dame de Gethsémani dans le
Kentucky après avoir connu tous les affres de la vie moderne.
« Sede itaque solitarius » (Tiens-toi
tout seul)
Seul
avec Le Seul
Le
moine est un homme expérimental, au seuil du désespoir, du vide, et essaie de
trouver la voie par la prière. L’abandon en Dieu cependant reste un risque, une
lutte où patience et courage sont nécessaire pour l’humilité de l’acceptation
de cette condition, l’échec même est nécessaire, comme en montagne la mort
rode, celle de l’esprit, la difficulté est toujours intérieure et il fait
référence à Camus décrivant cette recherche d’équilibre sans cesse instable et
compromis au dessus des précipices de l’absurde…
C’est
l’inconfort du désert où il n’y a ni repères ni routes tracées. Paralysie de
l’enfermement en soi, écueils divers et variés, danger de la contemplation de
soi (l’homme moderne) et le découragement à chaque pas.
Un
homme suspendu dans le vide à une fragile corde au dessus d’un torrent déchaîné
et menacé de disparaître.
Les
Rhénans (mystique Rhénane) avaient compris la différence entre l’inertie
narcissique et la vraie contemplation, loin du quiétisme de pacotille des
mystiques modernes.
Merton
a une méthode : donner l’essentiel, la conclusion, en début de paragraphe,
il est généreux et n’embobine personne, surtout pas lui-même, c’est qu’il
s’agit de dégager, d’éclaircir, de débroussailler le plus possible, et
d’avancer. L’évidence d’abord, comme un cadeau, puis le raisonnement.
« Nous devenons ce que nous sommes dans la
façon dont nous parlons à Dieu, la prière, une des plus activités dont nous
sommes capables ».
Avec
Merton se retrouve l’image du marcheur en montagne qui vient immédiatement à
l’esprit en lisant Etienne Gilson, aucune dialectique ressemblant à la
résolution d’une partie d’échec, mais la lente progression, capable de ralentir
lorsqu’un obstacle s’impose, lorsque la voie semble impossible, pour mieux
continuer, sans jamais s’arrêter. C’est que la pente est rude. Et il est
possible de décrocher durement.
Résister
à la superstition, à voir des signes partout, ne pas sur-interpréter, et
surtout ne pas faire n’importe quoi !
L’aspect
collectif de la vie monastique, ses travaux en commun, ressemble à l’équipage
d’un char dans le désert de Tobrouk ou une escouade de légionnaires en
Amazonie. A la vie à la mort, tous solidaires. Pour survivre il faut avoir tout
en commun.
Mais le
fer de lance reste la prière.