CARNETS 2015-16





Roman  Magazines  Orsay  Festivités estivales  Maman  Quel été  AK47-Uzi  Vernissage  Fantasme  Parabole des talents  Modernité  Un jour  Incendie  Longtemps après  L’ennui photographique  Dans la froidure et le mordant de mars  Poussière  Fracas  Avant le départ  Voltaire  Clarté  Succès 






Un soir Max Jacob rencontra Jésus Christ en personne, au milieu de la foule d’un cinéma où l’on projetait Les aventures de Fantômas.

Alberto Savinio, Souvenirs


Passe à travers moi une lumière dont je ne suis pas la source.

Cardinal Henri de Lubac





Roman

La chrétienté, les primitifs, les clochers romans au milieu des champs de blé... A tout cela adieu ! Oui mais.
A chaque fois que je pénètre dans une église romane je deviens un homme nu. Les animaux le sont, nus, vrais, dans l'instant.
Je dois trouver du pognon pour me barrer à Assise, et voir les églises peintes par Giotto, à force de les voir sur internet j'en ai les yeux qui sortent comme ceux d'un loup de Tex Avery, je n'en peux plus, faut que j'y aille.
Putain les grandes fresques de Giotto, leur couleur, leur format, tout, pour moi c'est le top absolu.
Avec les Ménines.



Magazines

Les magazines artistiques ne sont bons que pour se torcher le cul, mais comme c'est du papier glacé ils ne sont bons à rien, même pas pour bourrer ses godasses.
L’œil peut-être, il y a 50 ans, le papier n’était pas glacé.
Et pourtant, un bon poulet des Landes, bien gras, vous lui truffez le cul de bonnes herbes, avec du beurre aussi, beaucoup de beurre, 2 ou 3 gousses d'ail, et vous vous régalez, il n'y a rien de meilleur.



Orsay

Erreur fatale : celle de s’y rendre. N'espérez aucun récit, aucune description, aucune anecdote sur les souffrances que j'y ai endurées, les horreurs que j'y ai vues, ce mastaba Giscardien est indescriptible. J'ai pris de l'aspirine en rentrant. Là je suis en train de me décomposer une bouillotte sur la tronche. Je ne peux plus, ce n'est plus possible ce genre d'endroit, ce genre de pays, ce genre de système, d'ambiance, ce tourisme qui nous tuera tous. Comprenne qui pourra.

Putain je vais crever. Il est arrivé d'un coup. Seul dans la pénombre je suis comme en taule. Il ne se passe rien. En bas, dans le froid, les traces de vomi de cette nuit commencent à durcir, les bris de verre des bouteilles de pinard et de bière cassés jonchent les trottoirs, un vague soleil hypocrite nargue une gouttière, dans peu de temps ils reviendront, les hirsutes vont commencer leur nuit, leur joies, celles de hurler, de tout casser, jusqu'au bout, comme on leur a appris.



Festivités estivales

L'été arrive, la chaleur étouffante, les shorts gueulards, les enfants rois hurlant « Je veux une glace ! », ces journées qui n'en finissent plus, et puis la fête de la musique, juste avant, qui me donne envie de crucifier Jack Lang. Heureusement ne tardent pas à venir les jours qui raccourcissent, tout finit par arriver.
Sur Paris à cette heure brille un pâle soleil si incongru qu'il en devient vulgaire, éclairant de façon impudique les allongés dans leurs vomis, les cohortes d'hirsutes africains nonchalants entourés de morveux braillards, ce soleil renforce même l’affreux vacarme des skateboard des futurs chômeurs, arrogants alter mondialistes habillés en fakirs aux yeux injectés de hachich, et surtout ces rayons brûlants font cuire les flaques de merde et les étrons séchant sur les trottoirs, les reliefs de fast food jetés au sol par des collégiens hurleurs, la chaleur intense n'aide pas les croûtes formées par les chewing gum à se résorber, ni les flaques de bière de la veille à sécher sans dégager des relents écœurants , aveuglé on bute souvent sur les canettes au risque de tomber en voulant éviter les courses folles des chiens crasseux des punks vautrés avec les sdf devant le supermarché.
La Foire de Bâle sera le pic absolu, le Disneyland final de cette période pré-estivale.
J’ai perdu 12 de mes proches en 5 ans, c'est beaucoup, et maintenant je ne demande plus qu'une chose c'est un p'tit coin de campagne, des lapins (j'aime bien les regarder manger), une chaise longue... des bouquins, des toiles... 



Maman

La boite de couleurs à l’huile Lefranc Bourgeois a 50 ans, c’est celle de maman, qui avait cessé de peindre. Les tubes sont endommagés et il m’a fallu les recouvrir de ruban adhésif pour les maintenir. Les appellations des couleurs, qui m’ont toujours beaucoup plu, comme par exemple le carmin de garance, dont je me dis qu’il a appartenu à Arletty dans Les enfants du paradis, ou alors l’ocre jaune que j’écris par mégarde « ogre jaune » et qui nous envoie en tapis volant vers la Chine impériale, les ors, les rouges, les décors, les tuiles vernissées verte des bords de toits de la Cité impériale.
Quant au vert anglais N° 5 il m’évoque ces détestables séries de tanks britanniques qui cumulaient les catégories, et pouvant se nommer « Mark 1 », série 4, version x, tout en s’appelant « machins numéro 30 » mais avec option numéro a 






Quel été

J'ai morflé. 2 opérations. Revenant à Paris, vers 17h quand il fait déjà noir et que l'on a envie de se flinguer,  je rencontre EF et JLR, le collectionneur, place Saint Germain des Prés. On boit 1 coup, on rigole.
Puis JLR nous dit : « Vous ne savez pas : Bustamante a été nommé directeur de l'ENSBA ! »
Moi je dis : « Ca alors... mais je le suis depuis 30 ans, c'est un copain, il aime mon travail... il a même chez lui une de mes photographiesEt si on allait lui dire bonjour, puisqu'on le connait tous les 3 ? »
Nous descendons l'enfer de la rue Bonaparte et on se pointe sur le quai Malaquais : « Bonsoir on vient voir Jean-Marc Bustamante, est-ce qu'il est là ? »
On nous répond : « Allez voir son secrétariat... »
Porte dérobée : « Bonsoir est-ce que Jean-Marc est là ? On est des copains. »
La secrétaire ne se démonte pas et nous dit courtoisement : « Je vais aller le voir... »
Elle revient peu après : « Voilà il vous reçoit maintenant. »
Jean-Marc apparaît immense et radieux, dans l'encadrement de la porte de 3 mètres de haut vu qu'on est sous les lambris de la République : « Ah ! bonjour ! Entrez donc… »
Dans un bureau aussi grand que celui de la chancellerie de Berlin en 1939, avec canapés, tableaux, plafonds décorés, donnant sur les jardins nous nous asseyons, un peu impressionnés par la solennité du lieu.
Jean-Marc est très content de nous voir et nous raconte son arrivée ici, sa nomination, on bavarde, on papote, tout se passe très bien.
Et puis tout à coup devenu sérieux il se tourne vers moi et dit : « Alors Didier, tes photos... comment ça va ? »
- « Bof, c'est plutôt facile les photos, mais je continue... je travaille dur »
Je commence à bafouiller mais Jean-Marc qui avait une idée derrière la tête me coupe la parole  et envoie tout de go : « Cela fait longtemps que je voudrais faire quelque chose avec ton travail.... mais je ne sais pas ce qui serait le mieux, une exposition, un livre, les deux ? Dans une galerie peut-être, comment aborder les choses ? »
Je réponds aussitôt : « Ben dépêche-toi parce que sinon je vais crever inconnu... »
Lui, très compréhensif : « Hum... oui... il faudrait savoir comment présenter tout ça, je regarde tes sites internet et vraiment je suis cela de très près tu sais, mais je voudrais savoir comment toi tu préfèrerais montrer ton travail, il faut que tu sois vu et connu. »
- « Ben... un livre serait idéal, avec une exposition. »
Jean-Marc réplique : « D'accord, viens voir les livres que nous publions. » et m'emmène vers une bibliothèque où se trouvent tous les livres publiés par l'ENSBA, des fins, des gros, tout ce que l'on peut désirer, et je dis en regardant le plus petit : « Pas celui là il ne me plaît pas, par contre celui-là... (en montrant le plus gros) »
Jean-Marc, répond : « Très bien, on va s'en occuper, on prend rendez-vous et on se met au travail d'accord ? »
EF et JLR me regardent avec des airs satisfaits, la secrétaire pointe son minois et annonce : « Monsieur Bustamante, vôtre prochain rendez-vous est arrivé. »
Il est temps de partir, on se salue et en me serrant cordialement la main et Jean-Marc insiste : « Prends bien rendez vous avec ma secrétaire, on se voit bientôt. »
On est sorti sur un tapis volant. Du coup JLR nous a offert le champagne au bar de l'Hôtel des Beaux Arts.



AK47-Uzi

Les réactions aux attentats : cortèges de pleureuses, pseudo-liturgie victimale et lacrymale, tous hagards, vaincus. On ne voit aucun visage fermé, pas de tête haute, de yeux durcis, de silences éloquents, d'attitude martiale, rien, rien qu'une jeunesse molle, victime en puissance, et l'ennemi l'a parfaitement compris, tout se déroule comme ils l'ont prévu en attaquant un peuple de brebis.

C’est curieux, tout à coup, subitement, le flux des véhicules vient de s’interrompre et un ami a surgit : le silence. Et tout à coup, subitement, c’est la paix retrouvée, un état de grâce…



Vernissage

Che cosa dire ? Che cosa non dire ? Si deve ridere ? Un po ? Sopra tutto mai ? Essere serioso ? Profundo ? Divertente ? Apparire come una persona importante o un uomo modesto ? Far sentire alla piu bella donna che voglio uscire subittamente con lei per essere da solo in un ristorante ? O far sentire al galerista omossesuale (come tutti) che possiamo essere amici ? Parlare de cose intelligenti, di cultura o apparire come uno che non rispetta niente, un vero ribelle (i milliardari adorano i ribelli) ? Essere vestito come un adolescente con le calze sopra  le natiche o arrivare col bel vestito, belle scarpe, cravata di sette ? Essere in gamba o apparire completamente depressivo (il romantismo) ? Essere un cane o un leone ? Un serpente o un luppo ? Essere sincero o un monumento de ipocrisia ? Dire la verita o fare capire che no me ne frega la veria, me interessa sola arrivare ?



Fantasme

L'avenir voilà le fantasme. Le devoir d’être désormais transparent en toute chose. Un homme totalement libre de faire ce qu'il veut, émancipé, heureux selon des critères imposés et obligatoires, selon les canons et les règles de ceux qui veulent notre bien. Tout sera réglé, prévu, contrôlé, nos urines en temps réel, pour notre bien. Notre vie, sa durée, nos idées, nos rêves, seront optimisés, prévus, pour notre bien. Nos dépenses, on le voit avec les publicités qui précèdent nos goûts, les connaissent, les anticipent, seront programmées elles aussi en temps et en heure. Pour notre bien. Et notre mort ? Peut-être sera t'elle programmée aussi. Pour notre bien.







Parabole des talents

Celui qui ne fait pas fructifier ce qu’il a reçu du Seigneur sera jeté dans les ténèbres. Qu’as-tu fait de ton talent ?

La lumière se fait peu à peu sur mon voyage en Westphalie lorsque j’étais étudiant.
Hanté par la figure de Joseph Beuys, auquel je m’identifiais, et marqué au plus profond par la vie de mon père je voulais voir le lieu de sa déportation : la forteresse d’Anrath. M’y étant rendu seul par le train j’avais marché longtemps le long du Rhin sous des ciels plombés. La forteresse, devenue QHS pour les longues peines, était imposante. Dring…
Curieusement la porte s’est ouverte, j’ai demandé une audience en expliquant les raisons de ma visite. Un prêtre m’a accueilli quelques minutes plus tard et m’a guidé vers une petite pièce pour un entretien. Mon récit s’est vite transformé en dialogue et je ne me souviens plus exactement pourquoi j’en suis venu à interroger le prêtre sur le Saint-Esprit.
La rencontre avec Jean-Pierre Raynaud, chez lui, m’avait beaucoup marqué, ainsi que les vitraux de l’abbaye de Noirlac ainsi que la vie de saint Bernard de Clairvaux parcourue dans la foulée.
Le prêtre était dans l’embarras pour me répondre et m’a signifié que je le questionnais là sur un sujet complexe. Ce prêtre tout entier dévoué à la pastorale dans ce lieu sinistre voué aux épreuves et à l’expiation n’était sans doute pas théologien.
François Varillon : « Un cri d’amour vers le père et le fils ».
Toute une vie est nécessaire pour se rapprocher de son Père…



Modernité

Exercice quotidien : changer de place aux terrasses de café pour éviter les hurlements des « Allô t'es où ? », les révélations dans les mobiles des détails les plus intimes, les mères tatouées fumant et téléphonant en mettant leur poussette tout contre vous, l'enfant se mettant à hurler après 1 minute montre en main, les jeunes hurleurs aux tympans détruits par la sono.
Sans oublier les trajets supplémentaires pour contourner les zones où je sais que je vais devoir enjamber des punks hurleurs, des roumains allongés, où je vais devoir slalomer entre les flaques de vomis, les immondices, les flaques d'urine et souvent les excréments de la veille, car j'habite un quartier où comme le dit madame Hidalgo : « La fête et le vivre ensemble existent. » Les détours aussi pour éviter les groupes de jeunes hurleurs, arrogants, bloquant les trottoirs, les portes, faisant tout pour détruire toute début d'harmonie dans le capharnaüm urbain parisien, détours aussi, pour ne pas céder aux scooters roulant sur les trottoirs, suivis  à contre sens par les rollers dans un vacarme d'Airbus au décollage, les pétasses roulant en Vélib sur aussi les trottoirs avec des airs de princesses en exil, dans tous les sens.



Un jour

Tous, hommes et femmes sont frères et sœurs et marchent vers un avenir radieux, sans races, dans une parfaite égalité, circulant en toute liberté, épanouis, heureux, libérés de leurs tabous, la religion catholique surtout, cette peste rétrograde qui nous fait perdre 2000 ans. La diversité culturelle sera un grand jardin bien plus beau que l'ancien paradis, les enfants joueront avec des équerres et des compas, pour s'initier à leurs futures épreuves d'entrée dans la Cité Radieuse, la biologie distribuera au millionième de milliardième de milligramme près les doses de compensation à d'éventuels petits problèmes de santé ou de mauvaise humeur. Plus de lundi, plus de dimanche, tous magnifiques, la chirurgie plastique sera administrée en pilules. Epanoui, heureux, le Nouvel Homme, maître de la Connaissance pour marcher vers la Lumière. Attention aux récalcitrants…



Incendie

Quand je vois un artiste je sors mon calibre, ma hache d'incendie, le canon de 75, le lance merde, je mets l'huile à bouillir, la glue en tonneaux, les poisons en flacons. Ils se multiplient comme des blattes, la moindre institutrice à la retraite se veut créatrice. Le chômage ? Voici que pullulent les ateliers d'artistes. Ils sont assommants, Uderzo avait pigé ça… Beuys l’avait prédit ! Warhol l’a prévu, vous aussi vous serez célèbre. Les idées, on vous les fournit avec l'attirail, vendues avec le PC, avec les pinceaux ! Soyez écrivaineu, allez-y c'est facile, quelques efforts et vous le chierez votre roman, le récit de vos premiers orgasmes ratés, des petits secrets de famille, des petits et grands ratages de vos divorces, de vos aveuglements, le récit de votre ignorance érigée en majesté.



Longtemps après

Après des années de deuils, de fatigues, de voyages aussi, cours mais riches d’annotations, de doutes qui rongent jusqu’aux os, me voici serein pour un instant. C’est qu’il fait frais et que règne une sorte de calme inhabituel pour l’époque. Malgré les vas et vient la rue est paisible, j’ai tout le loisir de reprendre la plume en suçotant ma pipe. Une attitude anachronique et salvatrice. Survivre désormais est affaire de révolte intérieure, d’imaginaire, d’invention, en remontant à contre courant. Le flot est hostile, tout nous mène vers la conformité. Ma table est dégagée, la lumière est douce à cette heure. Ces instants n’ont pas de prix.

Les anachorètes d’Egypte, Pères du Désert, ont cultivé l’immobilité, la tempérance, le contrôle des fonctions organiques. Notre cerveau ne connait pas l’immobilité, notre corps se transforme, palpite, c’est un subterfuge, une géniale ruse de Sioux, une condition humaine basée sur le mouvement. Ceux-là ont su cultiver le génie de la contemplation et de l’immobilité alliés à une forte activité spirituelle.

Maman est morte, Yves est mort, Raymond est mort, Richard est mort, Gianni est mort, Olivier, Marc, Vincent sont morts et c’est oublier les autres. 
Je suis vivant et songe à ce pays perdu, ce rivage de sable blanc, au parfum des posidonies, à ma peinture en sommeil, quittée depuis tant d’années. Au bois des tasseaux, aux branches ondulées qui recevront la tension des draps flasques gluants de blanc d’Espagne, de la toile brune sentant le jute et au colliers des semences d’acier, au jus ocres, jaunes, bleus, verts d’eau, noirs de pêche, roses fins, rouges vermillon clair. Fantasme de lumière, des murs d’Assise, de Padoue, de Berzé-la-Ville, frais, mats.

Saint Augustin ou François ont tous deux vécus des époques troublées, folles, incertaines, l’un aux prises avec les Manichéens, le second avec la dégénérescence des mœurs et de la pensée.

Le XXe siècle a préparé le lit de la mort de l’Homme après avoir tué Dieu. Le siècle actuel vend les restes, les oripeaux à petit prix, monnaye la charogne. Angoissé, l’Homme moderne a choisi de mourir, pour faire place à l’Homme robot Africain de préférence. Un leurre. Le suicide est toujours un leurre.
Seuls viendront l’égout, le sordide,  et la mort comme seul témoin dune éternité perdue.
La Liberté tant invoquée, la Fraternité, l’Egalité ressemblent au chaos, à un asile de fous, organisé par des illuminés.

Rien ne nouveau, jamais. Le goût de la mort et du suicide, vrillé dans les esprits Européens.

Bien que ce ne soit pas lieu, un seul clic permet d’y avoir accès, citons pourtant cher lecteur ce poème d’Arthur Rimbaud, qui semble contenir en substance à la fois la menace et un espoir de rédemption :

Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.
Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.


Le sage se sait débiteur (Bertrand de Jouvenel) et ma reconnaissance envers les Grands qui nous ont précédé est totale, ils avaient tout dit, compris, nous avons oublié de les écouter, les étudier, le passé est proscrit, suspect, le passé c’est dépassé, l’avenir seul, un confort démultiplié nous est vendu, une promesse de Paradis, un mensonge éhonté.
Je me sens d’Assise, de Carrare, d’Albisola, d’Albenga.



L’ennui photographique

Capture d’instants, choses expressives, détails signifiants, repérages poétiques ou constats objectifs, vestiges de matière, pittoresque, témoignage, la photographie ne me convainc pas. Il ne s’agit que de choses mortes. Elle est l’antichambre de l’esprit de musée, qui sert à gagner de l’argent en faisant payer les entrées, mais porte le sceau de la Mort.
On me dit photographe. Pourquoi pas, mais je ne crois pas à cette technique, qui reste à mes yeux ébahis un balbutiement, un théâtre d’ombres parfois utile, pas davantage qu’un simple croquis. Le dessin est perdu, mais avec lui on a tout perdu.
Une encre de Marquet saisit le mouvement d’un cocher ou d’un portefaix mieux qu’une image photographique, fût-elle belle, séduisante, évidente.




Dans la froidure et le mordant de mars
 


Assis tôt le matin quelque part dans Paris j’entends autour de moi et en moi des sons et des bruits paisibles ou fracas rassurant des rideaux de fer des boutiques qui ouvrent, quelques rares véhicules, le roucoulement d’un pigeon sagement installé dans le store de la pharmacie, le ronron de l’autobus, rien n’est encore agressif ni sauvage à cette heure…




Poussière

N’est vrai que ce qui est exact. Auguste Comte

Des années de maturation, de réflexion, de recherches assidues, de passages par les chimères, le doute, les arcanes du savoir Magistral, un temps long fût nécessaire pour le découvrir, un secret que je vous livre ici sans rétribution, ce secret de Polichinelle pour les microscopiques crétins que nous sommes devait être révélé, mis à jour, expliqué, cesser tout mystère, obtenir une évidence métaphysique, une seule, utile, ce secret j’en suis le dépositaire mais vous le livre, c’est celui de la Vie.
Seuls les anachorètes et les cénobites tranquilles avaient pu jusqu’alors approcher une évidence d’une désarmante simplicité et qui la rend quasiment ésotérique.
Manger. Se remplir par le haut pour se vider par le bas. Voilà tout. Dormir comme un bébé sur les collines de Ligurie.
A ceci s’ajoutent des modalités personnelles : peindre, dessiner. Le matin à l’atelier, l’après midi aux terrasses pour s’occuper du basilic et des courgettes.
Prier. Recommencer.



Fracas

Tonnerre ici dans l'Ouest ! On patauge. Rentré hier en nage, douche sous le tuyau d'arrosage dans le jardin ! Et la pluie diluvienne ! Il fait sombre. Finies les chaleurs, les cuissons matinales, les vapeurs de parturiente, les anis étoilés, quand viennent avec fracas les mélancolies automnales.
Je suis allé au dancing, je les rends folles... c'était du James Ensor.
Chance d'observer quelques génies de la tarentelle. Une manière remontée du fond des âges ! On ne peut parler de technique ce serait barbare : non, il s'agit là de tradition portée à son comble son firmament, la joie du souvenir des fêtes des moissons en Italie, l'enfance qui anime le corps comme une marionnette, mécanique huilée, avec beaucoup, beaucoup de fantaisie et d'invention !

Ce qui est génial c'est que François, le meilleur taxi boy a du bide. Il est grand mais il a du bide, et comme il est génial, totalement génial, il s'en sert au lieu de le cacher : d'un total naturel, il ne cache rien, jouit de tout ses atouts et le bide avec lui en est un, il lui sert de lestage, sa science de l'équilibre et de la cavalière fait qu'il maintient son assiette en fonction de ce centre vital bedonnant, cela lui permet des figures originales. Des bras immenses dont il joue en tous sens comme Shiva, gestes très fantaisistes,  une main agitée haut comme une girouette au dessus des têtes, ses bras donc s'animent en mouvements pendulaires autour de ce centre vital bien lesté. Ses cavalières se déploient elles aussi autour du même centre, les directions des membres et du tronc sont souvent verticales, il monte et descend, jusqu'à s'accroupir pour mieux repartir. C'est un génie.



Avant le départ

Frotter, astiquer, shampoing, dents au papier de verre et bicarbonate de soude, je lâche le plus de gaz possible, délestage donc, rasage, parfum Paco Rabanne, chaussures Repetto, pantalon extensible pour les moulinets, polo ultra léger noir pour les bourrelets, œil vif et positif, du machin sous les bras, les pastilles Alibi à l'eucalyptus, la vitamine « C » pour péter la forme, le cul propre, l'estomac léger, enfin prêt. 
Foncer ensuite sur les chapeaux de roues au Capitole et faire une entrée fracassante : descente des 3 marches de l'entrée dans l'arène sans bavure aucune, démarche Aldo vers la table réservée, serviette éponge noire sur l'épaule, un regard circulaire pour détecter le cheptel…
J'attaque un tango les yeux dans le vague, mystérieux dans la pénombre, déhanché ad hoc, puis tel un guépard rentrant du boulot, je retourne m'éponger le front à ma table...
François 1e ou le pape des taxi-boys à 16 soupapes. Michel-Ange de la tarentelle, Léonard du paso-doble, mieux : le général de Gaulle du Rock’n Roll.
Je lui explique qu'il est mon modèle, que j'écris des trucs sur lui, il trouve ça sympa, il m'encourage.
Lucifer est aussi Pharaon, Dieu de la danse sans jamais faire aucun foin, au Capitole il fait de l’or : sans moustache et sans éternuer c’est à Nietzsche qu’il verse son bac-chiche.
Le mec de l'accueil, qui est aussi videur, mesure 2m20, pèse 130 kg, est un ancien gendarme motocycliste spécialiste des Arts martiaux, prénommé Nounours, en général accompagné d'un chien qui pèse autant, avec une mine extrêmement patibulaire.

Lire Stendhal c’est être heureux, mais danser c’est l’être aussi.
Je n'aime pourtant guère sortir le soir, me couchant vers 21 h avec boules Quiès, casque de tir, bonbons Ricola, sodokus, fusil à portée de main, bouillote, bougie, mitaines, bonnet de nuit… Il reste les après-midi.

Etre dans une situation et en être le témoin et le mémorialiste, ou en tant que peintre, jouir d'un paysage ou d'un beau modèle et le dessiner et le peindre dans la foulée. Voilà qui est merveilleux. Ecrire avec des mots simples, sans fioriture mais avec goût et non sans recherche ce que l'on voit et entend, voilà le plus bel exercice !
Au Capitole il m'est arrivé d'écrire, et aussi de compléter sans cesse la liste et les portraits succins des personnes que j’y rencontre.



Voltaire

Notre professeur de littérature chez les bons pères maristes, nous enseignait Voltaire, son sosie. Ce prêtre était merveilleux, il nous a donné la passion de la littérature, il sautait en l'air d'enthousiasme en parlant d'un auteur, d'un texte. Son studio était tapissé de livres du sol au plafond, dans toutes les pièces, c'était impressionnant, il était lyonnais, avait fait de belles actions dans la résistance, et écrivait des romans policiers sous un pseudonyme.

Cette année aura été marquée par la lecture studieuse (et ardue) d’Etienne Gilson. Après Jacques Le Goff et Ernst Jünger, en quelques mois, Jünger converti au catholicisme à 90 ans passés…

Mais Gilson est de taille, une pierre de taille, c’st une clé, une porte vers Saint-Thomas, mais à lui seul il est une île, un territoire, un monde. Et quelle trogne ! Gilson le géant.

« Qui aurait prévu un saint Thomas après saint Augustin ? » (Gilson).








Clarté

Les choses arrivent en même temps, la peine que l’on se donne ouvre sur des clairières, des plaines, des horizons.
Gilbert Keith Chesterton et son Saint Thomas du Créateur certifié chef-d’œuvre par Etienne Gilson, le père Martin Stanislas Gillet (maître de l’ordre des Prêcheurs) et le père Joseph de Tonquédec (jésuite) ou encore George Bernard Shaw est arrivé en parallèle, comme un boulet de canon…
Saint Thomas d’Aquin, l’Aquinate, le bœuf muet, le tonneau ambulant avait le don de concentration des hommes d’action, pas l’esprit d’un mystique.
Saint François et saint Thomas ont rechristianisé la chrétienté et si la Nature fût l’outil de saint François, Aristote fût celui de saint Thomas.
Chesterton au tournant du XXe siècle avait compris la bouffonnerie progressiste qui nous ronge…
Ces lectures assidues, dans le prolongement des primitifs italiens et de l’Art roman, qui m’occupent depuis des années, ont changé ma vie.
Et je ne mesure par encore les conséquences de ces découvertes, encore surpris de les avoir assimilées.

On n’échappe pas à soi-même. La passion pour les armes, surtout celles du XXe siècle, pour les mécanismes et pour l’Histoire contemporaine pèsent lourd aussi sur le rythme de mes occupations.
Abel Gance : « Je ne saisi pas le mouvement mais l’instant de ce qui demeure. »
Je cherche la crypte sous l’édifice, la clé sous la porte, il me faut aller vite au vif du sujet, entrer dans la matière…
Une chance : celle d’entrer dans un livre tout nu, avec les yeux de l’enfance, avec un regard vierge, comme si je venais d’apprendre à lire, à déchiffrer les caractères et rester concentré. L’instant de la rencontre est décisif, on ne rencontre que ce que l’on connait déjà.



Succès

Chaque jour m’enfonce un peu plus dans une forêt vierge aussi inextricable que merveilleuse. Loin du succès et de toute réussite sociale, d’entrées d’argent et de projets susceptibles d’y remédier, une certaine euphorie se dégage de la situation, une sorte de paix, de liberté pour avancer en dépit des aléas, celle de n’avoir aucun compte à rendre.
Il y a trois crises à traiter : celle de la Grèce, celle de la graisse et celle de la Grâce…























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