CARNETS 1996-98


Le bel arrondi   Des chevaux au galop   La boue  Levant   Le désir   Froidure    Après-midi, il neige   Midi  L'aventure   Une réussite   Des idées noires lavées par la couleur   Ombres chinoises   Une société secrète   Une maîtresse femme   Haïku parisien   Le dernier jour   Radar mental   La chambre verte   Poème   Un dessin  Baudelaire   a m   Ferdinand   Tout son soûl   Robes et dessous   Fin avril   Paris   Il fait gris   Loin du Boulevard Arago   Près du cœur   Mettre une fin   Beauté du monde   L'heure   Vertu   Grand magasin   8, rue de l'Université   La lettre   Fer rougi   Connais-toi toi-même   Il pleut à verse   L'horloge   Moiteur   Rigidité   Apéritif   Dans le bleu   C’est en septembre   Aux aurores   Un prélat discret   Entre mille   Chez Marius   Mimosa   La spiga   La reverrais-je   Jésus (et) Raphaël   Le ménage   Des faits, des faits, des faits   Temps gris   Morris Louis   200 000 DM   Quelque part en Hollande   La lumière   Mises en caisse   La chair   Le bonheur   Grève à Orly   Il savait   Joyeuse   Santé   L'obscène   Le turbo oubli   Les bacs du Rhin s'en vont et viennent   Sandy   L’espagnol   Déjeuner de bolognaise   Le labyrinthe   Des millions   Confettis   My heart belongs to Daddi   Le beau 69   Huit secondes   Et si c’était moi  Mémorial   Plus d’énergie   Sarah   Le cycle de la nature



Le bel arrondi...

Armande portait cette nuit une jolie robe fine, noire, longue, fendue sur la cuisse et les épaules, et avec une partie du dos nu seule se détachant la fine ligne noire des bretelles. Dos superbe à peine potelé ! Je suis depuis longtemps déjà très ému par les beaux yeux brun noir de jais et en amande d’Armande, par la gentille frange barrant son front, belle brune corse, si douce, au nez droit avec un bel arrondi au bout du menton. Nous sommes attentifs l’un à l’autre et je l’admire beaucoup... le paradis doit être de la tenir serrée contre soi…





Des chevaux au galop

Alfred Hitchcock fut la référence majeure et le maître reconnu de François Truffaut. Avec Jean Renoir. Il définissait le talent par le fait de posséder le regard « visuel » ou pas. Importance capitale du visuel donc dans le cinéma, qui ne cultive pas assez cet aspect, a recours à des effets spéciaux, détourne les problèmes ou se contente de faire des photos parlantes ou du théâtre filmé.
Ainsi des chevaux au galop, pour Hitchcock, ne peuvent devenir du cinéma qu’avec une rythmique basée sur les gros plans, rapprochés, éloignés, en alternance serrée, alternance des gros plans sur les sabots, les étriers, les naseaux (Les Massacres de Scio ou La charge des Cuirassiers), les visages des cavaliers etc. pour rendre le mouvement, la trépidation.
La mise en scène lui semblait fastidieuse car la part créative consistait pour lui avant tout à écrire le film, à en faire un découpage précis et scrupuleux, avec dessins à l’appui (comme Fellini), et de visualiser à l’avance tout le film dans sa tête, sans s’occuper du son et des dialogues. Après, il ne restait plus qu’à filmer ! Il se contentait alors d’indiquer avec précision ce qu’il désirait à ses opérateurs, sans jamais regarder la caméra, car tout était déjà pensé, visualisé dans sa tête. Il est curieux de pouvoir faire le rapprochement à ce propos avec Giono, qui procédait de même en construisant ses romans : notes nombreuses, renseignements précis, élaboration lente par la pensée : le roman était près, fini... il ne restait plus alors qu’à l’écrire.

Claude Viallat ce soir au téléphone me dit m’avoir envoyé une carte de vœux, et semble content d’avoir reçu mes photographies d’étalages rayés et fenêtres, moins satisfait que je lui demande comment obtenir une estampe chez Soardi à moindres frais. Nous verrons cela à Paris en janvier ou février, j’espère ne pas l’avoir froissé, il a en tout cas gentiment refusé.

Farcis : Courgettes évidées et bouillies, chair à saucisse, mie de pain, bœuf bouilli, poitrine fumée, oignons, ail, et persil, hachés, sel, poivre, un peu de riz bouilli, fromage râpé.
Fond du plat : un peu d'huile d'olive et d'eau.
En réserve : pommes de terre nouvelle et œufs à l'ail, accompagnés d'une belle frisée...

François Mitterrand est mort. Je viens de terminer 4 petites sculptures plus une cinquième dont je suis un peu content. Me revient à l’esprit le poème d’Alfred de Vigny où la louve souffre et meurt sans parler.


La boue

Tempête énorme, montagnes violettes, effacées par des fumées d’encre en mouvement, éclairs noirs, maisons écrasées, navires fracassés et échoués sur les avenues du port, grues cisaillées sous les paquets des bourrasques blanches, suifs, nuages crasseux roulant sur les collines comme du lait dans une mare de thé, fouettée par les herses des chevaux de pluie, torrents dévalant les pentes abruties par la boue, éboulis engorgés de pierres brunes, de branches arrachées emportées, vignes frappées de solitude comme des idéogrammes chinois, fidélité transparente et beauté trouble des tuiles sous le vernis des eaux incessantes, chantiers ravinés, moteurs noyés, quais retournés, pins soufflés par l'orage comme des chiens penauds, ocre rouge des terres engorgées, saillie des ruisseaux, roseaux flamands ébouriffés, punks transis au café, buvant du grog maltais, milliers d'oiseaux blottis dans le coton des aiguilles de pins, proues de sous-marins enfoncés dans les bars, platanes abattus, fourbus, sur les kiosques à journaux, cigares flottants sur les nasses boueuses, poubelles renversées, pleines de chats crevés et de linges souillés.

Toulon est triste et pauvre, bête et méchante. Donner du temps au temps, résister à la pression comme les deux coques d’un submersible, écouter, ne pas répondre aux provocations, qui sont le mode commun ici. Continuer à travailler, voyager, ne pas pourrir sur place, ne pas devenir fou, tenir tête, être soi-même et cultiver son jardin. Les temps à venir sont peut-être à redouter. Il faut s’armer et prendre le maquis : le maquis de l’esprit. Vu aujourd’hui les vœux du FLNC canal historique, au sus des autorités. Unité. Calme. Dignité. Armes bien entretenues. Discrétion. Le Milieu autrefois avait des codes, définis par des règles précises articulées par un vocabulaire.
Ainsi pour le mot « mentalité. » Une « fille » de bonne mentalité l’emportait sur les autres, au physique plus avantageux... La mentalité désormais est une notion perdue, tout dans le rapport à « l’autre » se dégrade, se délite : il n’en sortira rien de bon.


Levant

Soleil plein, éternel. Photographier et peindre, et construire, et mettre en scène et approfondir les fenêtres béantes, trous noirs pour les amants, grandes ouvertes l’hiver sur le Levant, avec les draps qui flottent aux rebords comme des jupes relevées, courants d'air léger sur les cuisses, les dessous, éveil sensible de l’épiderme.
Acheter la carte de l'Estaque et monter jusqu'au terrain vague, cirque naturel sur le viaduc, cul-de-sac abouté au calcaire des collines, dernier point de vue panoramique sur l'Estaque avant la plongée du TGV dans le tunnel en direction de Berre. Montée au site proche du littoral, avec le repère du grand silo blanc.
Prosper Mérimée avait fait graver dans le chaton de sa bague : « Souviens-toi de te méfier. » Saine vérité sans sottise lorsque l’on a barboté dans certaines eaux…
François Mitterrand, à propos du droit de réponse : « A quoi bon… le démenti ne fait qu'authentifier dans les esprits la fausse querelle que l'on vous porte. »
Jacques Séguéla, qui réfute : « Tout coup reçu et non rendu fait perdre un point. Chaque round compte, car la rumeur est un meurtre sacrificiel déguisé et irréversible. »
Grands draps blancs, étendus, panoramiques, sur les séchoirs en plein air, en plein soleil d'hiver éblouissant, surexposé, comme des écrans flottants, surfaces étendues prenant l’air du midi, poreuses, imperméables.
Claude Viallat : « Qu’est-ce que je sens ? Qu’est-ce qui travaille en moi ? »
Vincent Bioulès : « Qu’est-ce que je vois ? Contrôler ce que je vois, et le rendre. »


Le désir...

Rencontré aujourd’hui la femme de ma vie au BHV. J’achetais des chaussettes en coton rouge clair et elle, les avait choisies en vert, nous engageâmes la conversation sur le plaisir qu’il y a d’être bien chaussé et de porter des couleurs pour rompre avec la morosité ambiante. Arrivés devant les caisses je lui ai demandé sa main, mais elle déclina ma proposition en se déclarant « bien chaussée », avec un mari architecte et 4 enfants. Un ange est passé. J’avais échoué (et échappé au pire ?) mais je soupçonnais à cet instant, le temps d’un éclair, l’ombre gourmande d’un regret sur son visage...
Le soir, à l’Ambassade du Brésil où l’on projetait des vidéos, la jeune artiste allemande Cecilia Trip montrait de bonnes dispositions à mon égard, par ses regards ombreux et ses gentilles attentions. Cela a déclenché en moi toute une série de fantasmes très précis...

C’est curieux : en cette période courante je prends conscience de pouvoir enfin mettre en place un langage, une maturité et une cohérence dans ma pratique, alors que, paradoxe, les raisons de continuer s’effilochent au regard de la crise morale profonde que traversent l’Art et la société en général, une véritable mutation de civilisation, et où l’artiste, au sens commun, est une figure peut-être amenée à disparaître, à se recycler… dans d’autres pratiques ! C’est ainsi, mais l’aventure continue…


Froidure

La faucheuse fait son travail. Récemment ont disparus Philippe Thomas, Michel Journiac, et hier, Richard Baquié. A qui le tour ?
Vivre en hiver à Paris c’est au fond, pour un méridional, un peu comme une montée dans les brumes pour se retrouver dans un tableau flamand, lumière de bronze, arbres décharnés, chaumières disloquées, le tout propice à la méditation.
 Rembrandt. La leçon d’Anatomie… Et puis c'est aussi la douceur des tableaux de Marquet, ces ciels cotonneux repris par Simenon, où l’attitude n’est plus au repli mais à une vision tournée vers l’extérieur, ce qu’il y a au dehors, derrière les vitres d’une fenêtre, ouverte l’été (Le Vieux PortLa Joliette), fermée l’hiver (Le Pont NeufCran-sur-Sierre).

J’appelle Ben, et il me dit que je suis un sous pop artiste et que je vaux 2 sur 10. Pas plus. Et il se moque de moi. Bon. Et puis après il me dit que je réussirais parce que je suis entêté, et que c'est pas si mal ce que je fais, mais que ça devrait être plus divertissant et moins basé sur mon ego : moi, moi, moi. Il n'a pas tout à fait tort. Bon. Voyons tout ça demain. Ben me les brise un peu quand même.
J’ai envie d’aller à la pêche très tôt. Voir le soleil monter vers 7 h sur l’huile de l’horizon, manger des sardines, un coup de rouge, une gauloise, et rentrer au port vers 11 h pour lire le journal.

Terminé la mise en boîte des vidéos « Gina » et « Ecrans. » Travaillé toute la journée, tâche répétitive et pauvre. Cela me permet de me souvenir tout en travaillant, de cette exposition chez Renos Xippas vue le samedi 1 avril 95 et qui présentait alors des peintures faites en Grèce pour les cinémas d’Athènes dans les années 50, annonces de films aux formats gigantesques, illustrations très réalistes et expressives exécutées d’après photos, dans le frais, sans repentirs. Disproportion, efficacité, impact assuré, beauté certaine de ces travaux éphémères.
Art de la rue, la peinture est ici plus puissante et évocatrice que l’affiche. Et on se rend compte de la grandeur, propre et figurée, de ces immenses panneaux qui ont si bien vieilli, et de la pauvreté visuelle et émotionnelle des affiches de cinéma aujourd'hui…

Revu aujourd'hui Passions privées où je salue Vincent Bioulès, élégant et précis, et qui se dit finalement satisfait de l’exposition de Toulon qui sera ensuite installée à Montpellier : « Bonjour Monsieur Bioulès ! »
Pauvreté de nos collections par certains aspects. Je note au passage et juge rapidement de la qualité de deux tableaux qui dominent l'ensemble : 1 Marquet (Pont Neuf, brume et neige) et 1 Miro très allongé, panoramique.
Viennent ensuite Bonnard, Vuillard, Tal Coat, Tanguy, Laurens, Chirico, Reverdy, étonnant avec un collage cubiste de 1917 sur lequel figurent les mots Nord-Sud.
Le Dufy appartenant à Alain Delon est supérieur, les 3 Mondrian sublimes mais tristes, alors que Marquet réchauffe même la neige et la rend moite et grasse. Des Fontana somptueux, mais encadrés de façon désastreuse, un Ryman, un Wesselmann (celui de Günter Sachs) magnifique, un Richard Serra sur toile, rectangle fiché dans le sol, superbe à tous égards, un impressionnant Léger de 1950, un Ben Nicholson fort juste, dans la collection de Hubert de Givenchy, qui possède aussi un beau dessin d’Henri Moore, des photographies de Hirakawa montrant des sexes de femmes et leurs poils, un Kandinsky de 1927, petit format carré extraordinaire, indicible beauté, puis, Larry Clark, photographe habile, un beau Viallat et un beau Pincemin, tous deux anciens.
La Colère d'Arman, peu montrée et qui appartient à Didier Guichard est aussi un temps fort de l’exposition.
Balthus, et l’on ne peut que le constater, occupe dans ce parcours une place unique, magistrale, cet artiste est singulier, voilà tout, et ce, bien que je ne me sois jamais entiché de sa peinture, mais tout de même !
Picabia est égal à lui-même, fou, un météore, peut-être encore mal vu, qui reste encore à découvrir, qui résiste, lorsqu’on croit avoir tout dit de Picabia, le voilà qui rapplique et en rajoute, et en fait encore trop, et souvent… emporte la partie. Le Cézanne, étiré en hauteur, est un petit monument. Un Magnelli de 1914 est lâchement assassiné par l’encadreur : dommage ! Pour le reste, beaucoup d’argent dépensé en fadaises, pirouettes et hochets pour les sots, leurres habiles pour les caves... Il y a aussi un Franz Kline remarquable.


Après-midi, il neige

Haiku : Après l’hiver vient le printemps.




Midi...

La neige, épaisse, est très colorée et l’on pense à Monet et Marquet qui l’ont traitée à merveille, ont su la traiter, la voir, avec ses mauves, ses tons chauds, ses renvois de lumière, son modelé, sa vie propre. Leur neige n'est pas celle de Mondrian ou moins encore celle de Caspard David Friedrich.


L'aventure...

A regarder sans répit et m'interroger sur le parcours de Claude Viallat, pendant les soirées de solitude studieuse d’une semaine enneigée, et sur ce qui anime ma passion si forte pour certaines œuvres, certains peintres (Marquet, Viallat, Fontana, etc.), je me dis qu'il s’agit, plus qu’une recherche de filiation, plus que la part de rapport homosexuel symbolique et refoulé qui relie les peintres par générations (Peinture Cahiers Théoriques), plus qu’une idolâtrie un peu névrotique pour des artistes que l’on pense ne pas pouvoir égaler, qu'il s’agit donc tout simplement d’un désir nu, désir de plonger dans la peinture, de s’immerger, d’« aller y voir », de s’engager, désir semblable à celui qui nous anime, quand fébriles et concentrés, tôt le matin, on gagne le lieu de plongée , désir d’eau, de descendre au fond des choses. Passion pour la plongée dans la peinture, la mer, la femme, l’inconscient profond ?

Les dessins de meubles pour la galerie Yoshi avancent, et mes idées sont sympathiques. La vie est belle.
Les affaires reprennent, avec deux chantiers de décoration en cours. Des travaux de peinture, ma spécialité. Laque et acrylique. TollensValentine, Ripolin, de la marque, il nous faut de la marque !
En continuant comme cela il se pourrait bien que je puisse acquérir dans de brefs délais une encre de Marquet (Le château d’If), une BMW K100, une estampe de Viallat, 3 vertèbres chez Auzoux, et La sirène du Mississipi chez René Château Vidéo.



Une réussite…

Vu ce matin Marie Martinez chez Christian Lacroix rue du faubourg Saint-Honoré, très belle femme, Jacques doit être un homme heureux. Le soleil d’hiver inonde l'avenue Matignon, où j’achète pour 200 francs chez Artcurial une lithographie d’Arthur Aeschbascher, Artcurial où je trouve, aplati dans le caniveau devant chez De Jonkheere, un envoi de Vito Acconci à une amie, écrit en anglais, et que je prends dans un premier temps pour l’écriture d’Olivier Debré ! C’est la moisson.
Découverte ensuite et émotion aussi, chez Hopkins-Thomas, devant un dessin à la plume signé par Albert Marquet, une marine, immense de qualité, et dont les marchands demandent tout juste 5000 francs. Visite dans l’après-midi à l’Hôtel Dieu pour y revoir le plafond de la salle d’accueil, grande toile tendue commandée par l’Assistance Publique à Claude Viallat, bouffée de lumière rivalisant avec Véronèse ou les Tiepolo de Madrid.
Chez le marchand d’estampes du quai Saint-Michel, à deux pas de l’ancien atelier de Matisse, j’admire sans retenue un tirage d’une gravure sur verre, une des rares a avoir été tirée par Corot en personne, et retirée à 150 en 1921. Superbe de liberté dans l’écriture, moderne, dégagée; et aussi des estampes de Delacroix et Daubigny.


Des idées noires lavées par la couleur…

Passé ce matin chez Fournier, où son assistant, Jean-Louis Oudin, va chercher dans la réserve l’estampe de Claude Viallat (faite en Italie) longtemps convoitée, un peu déchirée sur un coin. Je négocie et il décide de la céder pour 1000 francs (au lieu des 2500, et loin des 3000 demandés par la galerie S.., à Nice, pour la même estampe), et je peux l’emporter sur-le-champ après avoir versé un chèque de motivation de seulement 500 francs. En marchant dans la rue je jubile comme un enfant qui aurait un nouveau jouet... je suis heureux, je possède un Viallat !
Je me rends le soir au vernissage de l’exposition By night à la Fondation Cartier, où se presse une foule dense et plate. Buffets, mondanités. Yvon Lambert, Yves Mourousi, Gérald Piltzer, Chantal Crousel, etc. Grazia Quaroni a les bras chargés de son nouveau né, et je l’en félicite. Une maternité dans les tubulures métalliques, et une cohorte de visages à la James Ensor ! Champagne ! De très belles femmes, et comme toujours en ces circonstances, je me sens très seul, et ne peux réprimer l’idée de rentrer seul, après ces filles toutes en chairs opulentes. Alors me vient la tentation de la fuite vers les terres du midi, la retraite sereine et joyeuse au milieu des vignes, façon « Joseph Delteil », en tout cas bien loin de Paris.
Rentrant dans la mansarde de la rue de Lappe, je découvre d’un œil neuf l’estampe de Claude Viallat (acquise l’après-midi) en propriétaire comblé, et les idées noires s’envolent, lavées par la couleur…
S’envolent aussi, comme lavées, les images accumulées en zappant des vidéos pornographiques, vidéos souvent hideuses et débiles. Les cabines de visionnage ont envahi la rue Saint-Denis, où comme à Tokyo les hommes viennent après leur travail se murer dans le rêve et la répétition, mendiants modernes d’un peu de détente, d’un peu de plaisir.
L’époque de la prostitution était bien plus saine à tous égards, mais la Préfecture de Police et les autorités en général en ont décidé autrement.


Ombres chinoises…

Café Le Saint Augustin, boulevard Malesherbes. A travers la froidure et les flocons épars une lumière s’élève qui allonge les jours et ressuscite les passants. C’est le printemps qui vient. Grand-Marnier. Ombres chinoises. Bonheur d’être en vie, à Paris...

Il neige en dehors de Paris et il pleut à l’intérieur. Il fait sec dans mon grenier. Ce qui est déjà beaucoup.
Grattages, enduits et peintures pour la chambre de Chantal D., fine cuisinière, amie agréable et collectionneuse chronique. Travail physique, fatigue du corps, éveil de l’esprit, paix de l’âme.
Et toujours, cette petite page de carnet d’Albert Marquet, chez Hopkins-Thomas…


Une société secrète...

Et je revois ce soir un film allemand sur la montée fulgurante du nazisme et l’extermination des juifs d’Europe et des opposants au régime. Pour peut-être la millième fois, ces images vues, revues depuis mon enfance, et qui me bouleversent. Un homme est interrogé et raconte l’arrestation de son père, il y a 50 ans : derrière les mots choisis pour raconter, le masque de l’homme adulte qui a fait (ou non) ses comptes avec son passé, derrière le calme affecté pour évoquer le sujet, on perçoit l’indicible, l’incapacité de « dire », une fracture profonde.
Cette même fracture ouverte dans l’âme de mon père à chaque fois qu’impuissant à pouvoir dire cet au-delà dont il est pourtant revenu, il nous livre une image, un flash, un détail qui laisse enfoui l’indicible, l’essentiel.
Il y a chez les anciens déportés une fraternité au-delà des positions sociales, un lieu au secret absolu, celui de la mémoire commune d’un niveau de souffrance qui les rend étrangers à leurs contemporains, leur famille. Ils sont les vestiges humains d’un peuple sans nom, le peuple des matricules, le peuple des camps. Et il en est ainsi que l’on soit, ministre, commissaire de police, ou plombier... un lien au-delà des mots, une chaîne invisible. Une société secrète, verrouillée.

Revu aujourd’hui mon actrice préférée, Elisabeth Bourgine, qui joue aux côtés de Jean-Paul Belmondo dans le Guignolo un rôle de jeune fille élevée dans un collège anglais, et qui, il y a peu, m'avait souri à la brasserie du Palais de Justice. Elle était là, assistante d’Eric Rohmer, en train de tourner (emmitouflé), avec une équipe très réduite, une scène avec Arielle Dombasle, dans une allée déserte du marché aux Puces de Saint-Ouen. Je lui fais un signe en lui souriant et elle me reconnaît alors, et me rend un sourire très lumineux.
Vu Etienne Chatilliez dans les réserves de la galerie Bernard Jordan, un nouvel espace ouvert rue Chapon.
Me suis engagé ce matin, non pas dans la légion étrangère comme Hans Hartung, mais par un chèque de motivation de 500 francs pour l'achat d'une page de carnet de dessins d’Albert Marquet, dessin à la plume de grande qualité, et ce, à la galerie Hopkins-Thomas rue de Miromesnil, la galerie m'accordant en outre un escompte sur les 5000 demandés pour cette œuvre…


Une maîtresse femme...

Chantal D. m’étonne par sa puissance de vie, son courage. Dans la vitrine de son salon je découvre parmi des objets esquimaux, indiens, mérovingiens, égyptiens, une bague réalisée par Calder à son intention, métal en spirale, et un minuscule stabile, réduction fascinante des immenses sculptures qui ornent les places du monde entier…

Voyage à Paris. Poème retrouvé (Guillaume Apollinaire).

Ah la charmante chose
Quitter un pays morose pour Paris
Paris joli
Qu’un jour
Du créer l’amour
Ah la charmante chose
Quitter un pays morose pour Paris


Haïku parisien...

La pluie après la pluie.


Le dernier jour...

Douce nuit sur Paris endormi.
Les choses avancent petit à petit, mais je me sens bien seul...
Mettre de l’ordre dans ses affaires, comme avant de mourir, mais pour se rendre à l’atelier, comme on va à Notre-Dame, comme si c’était le dernier jour.
Etre de plus en plus jeune, comme un enfant atteint de cancer, qui connaît son état et pourtant reste gai, préserve son entourage de toute tristesse. Etre de plus en plus jeune, chaque jour qui nous rapproche du terme de notre vie, par un décompte incessant, nous rajeunit si l’on est conscient que le nombre d’années qui reste se réduit... Vivre chaque jour comme si c'était le dernier. Et travailler. Le cœur léger, le cœur lilas.


Radar mental…

Vu chez Daniel Malingue un Marquet tout à fait remarquable, en provenance de l’Hermitage, souvent reproduit, et qui représente la place de la Trinité : il est destiné à un musée, pour 6 MF, et chose curieuse, la date apparaît à côté de la signature, en bas, à gauche. Projection privée cet après-midi au centre Pompidou, du Radar mental, film réalisé par Alexandre Nahon, où Mimmo Rotella tient son propre rôle : film émouvant sur un artiste des plus authentiques.
J’ai ensuite un long entretien avec Jean-Paul Avice, conservateur du fond Apollinaire à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Tous les objets sont conservés dans une mansarde et nous parlons assis sur les chaises ayant appartenues au poète, au milieu de ses meubles donc, étagères, bureau, armoire etc.
Le neveu de Guillaume Apollinaire, peu scrupuleux, a peu à peu dispersé la collection, en vendant les Picasso, Marie Laurencin, Giorgio De Chirico etc. Il manque toujours un lieu pour présenter de façon permanente l’ensemble reconstitué de l’appartement du boulevard Saint-Germain, ce qui n’a pas l’air de beaucoup inquiéter la Ville de Paris !



En poursuivant mon étude de la vie et l’œuvre d’Apollinaire à travers le petit opuscule Chez lui, qui réunit des textes de André Billy, Paul Léautaud, Max Jacob, Philippe Soupault, je note des coïncidences et correspondances amusantes avec ma propre façon de vivre. Tout d’abord avec son goût très prononcé pour l’amour physique et la bonne cuisine, et un penchant naturel pour le malheur en amour. Goût aussi pour les pâtisseries et sa gourmandise pour les tripes, le fait qu’il ait habité seul, jusqu’à la guerre, son pigeonnier sous pente du boulevard Saint-Germain, entouré de ses livres, sans trop les lire d'ailleurs, leur préférant Fantômas et Nick Carter à Victor Hugo et n'hésitant pas à envoyer Cendrars passer des heures à la Sainte Geneviève, pour lire tout, absolument tout, et lui rendre compte ensuite...
Il y a un fait troublant c’est que Soupault l’ait baptisé Palmyre dans un roman, mon arrière-grand-mère maternelle étant née Palmyre d’Agostino, à Rome, vers 1875. Goût pour l'uniforme, le tabac gris et les promenades dans Paris, et surtout cet ultime détail que nous avons en commun : le poète avait sa baignoire installée dans sa cuisine !

Le futur. Le bonheur. BMW dans les collines escarpées, calcaire, chênes verts, pins ébouriffés, mistral, la mer, au loin, plus bas.
La proue fendant l’eau, le kiosque fier et l’huile de l’eau glissant sur la coque noire. Jacuzzi varois. Jazz à Juans. L’air frais du matin, bise d’iode, soleil rasant les flots, léchant de rose pêche les joues des falaises ocre couronnées du pubis des pins moutonnant sous les cônes des montagnes abat-jour sur les côtes rôties de l'été qui s'annonce.
Gasoil, il fait frais sur la mer.  La danse. Virevolte, cascade et dégringolade russe de caresses « enchaloupées », esquissées, dans la vitesse, la lumière et le sourire. Braseros. Guitares. Biftecks après la plongée dans le bleu. Gorgones violines. Loups argentés, poulpes amis. L'atelier et ses tentures. Rotin blanc. Odeurs des huiles. Surfaces. Sentiment, inouï, de la couleur. Le lit, l’Italie.


La chambre verte

Apprenant ce soir le triste état du sculpteur Georges Jeanclos sans doutes condamné, marié à Mathilde Ferrer, (tous deux professeurs aux Beaux-Arts de Paris), et cousin de Chantal D., je pense le cœur serré aux plongeurs disparus Jean Raulin, Jean Bergero aujourd’hui malade aussi, à Gérald, du musée de Toulon disparu il y a un an, à ceux-là donc terrassés par le même mal sournois qui nous dit que tout peut s'arrêter très vite.
Puis, je pense à mon père. A La Chambre verte de Truffaut et les centaines de bougies allumées. Et qu’il faut vivre et jouir de la vie, et être bon, et travailler d’arrache-moi les pieds, car le temps nous est compté…

Impossible. Difficile. De voir la vie autrement qu'au travers des tableaux d’Ensor ou de Bosch, de Dubout, Grosz, les écrits de Céline, autrement qu'à travers les mots du juge, dans Le cercle rouge : « Tous les hommes sont coupables. »

Lancer un grand programme de réalisation de Moucharabiehs (from Cairo) simples, à partir de la section de bois (lattes trouvées dans la rue passage Louis-Philippe) et qui conviennent bien à ce projet. Travailler (à terme) le programme de films burlesques d’après Méliès, Aldo Maccione et les pieds de pain qui rebondissent.

Si depuis 10 ans je conserve la même banque, place Maubert, c’est qu’en m’y rendant, je pense toujours au commissaire, joué par André Bourvil, dans Le cercle rouge, et rentre le soir dans l’appartement de célibataire qui donne sur cette même place, à la lumière tamisée, et donne à son chat en rentrant une écuelle de lait, loin des affaires et des truands de la rive droite... J’envisage pour les prochains mois de revisiter les projets en cours et de les rassembler dans un double processus : resserrer les cibles et en même temps ne s'interdire aucun registre. Difficultés cependant de régler la logistique, de disposer des moyens, car mon travail est toujours un bricolage permanent.
Les évènements ne manquent pas à Paris : Barcelo, Corot, que j'aime par-dessus tout, les « carnets » de Picasso qui sont une mine !
Au lieu de se spécialiser, comme beaucoup d’artistes ces dernières années, qui fabriquent des labels sans surprises, défendent leur marque comme des entreprises dont ils seraient à la fois, directeur de communication et chef du marketing, je pense qu’il faut rompre avec cette attitude, ouvrir le champ, expérimenter des directions au risque de se planter, ce qui est le luxe suprême d’un artiste, attaquer la matière le cœur et l’âme à nu, être généreux et par là ambitieux.


Poème...

J’ai le disque dur qui fatigue.
Bénis soient les ébénistes.
Une belle tranche de jambon.
Ses cuisses serrant mes oreilles.


Un dessin…

Fatigué par les travaux de modification de l’atelier passage Thiéré. Je pense à l’atelier occupé par Marquet en 1916 à Marseille, quai de Rive-Neuve, à celui de Picasso à Mougins avec ses grosses chaises cannées et le fauteuil à bascule et le chien afghan Usbek, à l’atelier de Baboulène sur le port marchand à Toulon, à son tablier bleu, à Miro dans la lumière des baies vitrées et les pierres apparentes de Majorque...
Le dessin à la plume de Marquet, acquis cette semaine, dit son silence à côté désormais du grand Viallat dans la cuisine, juste sous mon nez et je suis émerveillé par tous ces trésors ! Content surtout de pouvoir digérer à loisir ces travaux, de mieux les comprendre jour après jour. C’est qu’il faut vivre avec les œuvres, elles nous accompagnent au cours de notre vie, procurent la joie nécessaire pour relancer le désir dans son propre travail, et nous montrent le chemin. Ainsi je peux comparer le dessin de Marquet à ceux contenus dans le catalogue « Plages et ports », publié à Sète, et mieux discerner la technique et l’esprit du maître de l’eau, sa posture si singulière et subtile entre action et contemplation.
Ses toiles peuvent être à la fois rapides, enlevées, et laborieuses, avec des reprises. Technique qui n’appartient qu’à lui, une façon de s’accorder avec le temps, le temps de l'observation, celui de la couleur déposée sur la toile, le temps qu’il fait, le temps qui passe…



Les travaux d’aménagement du passage Thiéré avancent, et sont fatigants.
C'est après 10 ans passés que j’ai décidé de transformer cet espace et de l’adapter à de nouveaux travaux, plus intimes, petits assemblages et œuvres sur papier.
Et je songe tout en travaillant à la forêt des Maures entre La Garde Freinet et Ramatuelle, aux chênes verts, au plaisir qu'il y a à circuler à moto de l’Estaque à Marseille sous des ciels changeants, les contre-jours, les grands coups de balais donnés par le vent dans les paquets de nuages galopant vers les plaines de la Crau, à glisser sur l'auto pont suspendu au-dessus des docks de la Joliette et capter d’un seul coup d’œil le sabot de plâtre des falaises du Pharo dominant le Château d’If. Roseaux, taureaux et moustiques en Arles, dans les terrains vers Bauduc. Le bout du monde où ciel et eau se confondent. Viaduc de La Redonne. Montée des Lauves...
Iris de Suse. Morues. Rimes mortes. Carrières de sel à ciel ouvert. Physique des astres. Nuit des temps. Beauté.


Les grands espaces. Du cœur, de l’âme. Le désert. Confinement de l’atelier, du cabinet de travail et d’étude, et l’horizon infini, aux limites extrêmes de la perception, de l’activité neuronale. Le silence de la nuit. La paix des sens. Promesses du lendemain. Etre en vie.


Baudelaire...

« Tout ce qui est noble et beau est le résultat de la raison et du calcul. »


a m

Passé hier à 15 h (temps pluvieux) à la Fondation Wildenstein, où Madame Michèle Paret, qui a la lourde charge de la préparation du catalogue raisonné des œuvres de Marquet, me confirme l’authenticité, la qualité et l’intérêt du dessin que j'ai acquis chez Hopkins-Thomas. Je lui parle de mon projet de faire des relevés photographiques du site représenté et que je pressens être une vue des côtes Est au large de Marseille, et des îles, avec le Château d’If, ce qui permet sa datation, vers 1918, au moment où il séjournait chez Eugène Montfort ou lors de son séjour à l’Estaque. Ce dessin est tiré de ses pages de carnets, très nombreux, mais qui servaient rarement à la réalisation des peintures, et étaient des œuvres à part entière. Marcelle Marquet ayant dispersé la presque totalité de ces carnets, il est difficile, voire impossible d’établir une chronologie. Il se peut que le monogramme « a m » porté en bas à gauche du dessin, mais d’une encre légèrement différente, soit de la main de la veuve du peintre, qui l’a souvent fait pour authentifier la bonne provenance de plus d’un croquis ou dessin. Sa qualité étant établie, la Fondation me propose de le publier un jour et de me délivrer un certificat en attendant...
Le jour même je découvre rue du faubourg Saint-Honoré la permanence dans la qualité et l'idéal de création de la ligne Courrèges, et en face, la beauté troublante d'une jeune femme brune à la peau de pêche qui ingénue, essaye un maillot / short bleu azur, ce qui m’émerveille et me comble, après les roses, les blancs si purs, les orangés, les mauves et le chrome et le verre et les jupes plastiques de la marque Courrèges. Avenue Matignon je rencontre Michou, radieux, tout de bleu vêtu comme à son habitude, et nous plaisantons gaiement devant un curieux spectacle, celui d'un homme assis courbé sur un banc, immobile et figé dans son sommeil d’ivrogne, la tête appuyée sur son coude comme une sculpture de John de Andrea ou de Richard Keinholtz, et les pigeons posés sur et autour de lui, picorant avec gourmandise de grandes flaques de vomissures roses orangées. La composition surréaliste est parfaite. Doisneau ? Le spectacle de la réalité intemporelle de Paris, de sa poésie…
Que la ville est belle sous la pluie.


Ferdinand...

Belle journée de printemps au Palais-Royal. Bonheur : commander un sandwich, 1 café, et fumer en lisant à la terrasse du Nemours.
En regardant la beauté si obsédante des femmes qui vont et viennent sur la place Colette il me vient à l’esprit l’évidence nue de ma recherche, de mon désir : trouver une femme au physique et au regard rappelant celui de ma mère. L’enfance...
La latinité. Un désir pour la vie. Du pain sur la planche : des cuisses, des seins, un ventre !
Je me retrouve ensuite en pensée dans la cour peuplée de marronniers de la rue du Pré-aux-Clercs où j’habitais étudiant, lisant Bataille, Artaud, Giono, Liebnitz et allant tôt le matin m’asseoir dans l’amphithéâtre du cours Yvon, à l’Ecole des Beaux-Arts, pour y dessiner le modèle, découvrant pour la première fois le corps nu des femmes...
Toits enneigés. Café pris sur le zinc rue Jacob.
Je lis dans Le Monde une note sur Simon Bolivar, qui vécut en 1806 à l’hôtel de Malte, 63 rue de Richelieu. Un frère, un vénérable…
Une autre sur la firme Volkswagen, qui a doublé ses bénéfices en 1995, un beau parcours depuis le baptême de la « Choupette » présentée à Hitler il y a 60 ans.
Beau parcours aussi de Ferdinand Porsche, dont les moteurs équipaient déjà les chars Jagdpanther... Ferdinand, le personnage de Pierrot le fou, tourné à Toulon… Renault en revanche connaît une régression des ventes. Véhicules trop chers etc. Et ce malgré un énorme budget communication et une première place au championnat du monde…
Le Journal du Dimanche est quant à lui le seul dont les ventes progressent alors que celles des autres journaux déclinent…


Tout son soûl…

Je suis allé ce matin sous la bruine et un voile gris ténu sur l’Ile de France à La Frette, petite commune nichée tout contre le lit de la Seine, sagement endormie à flan de colline, où Albert Marquet a habité six ans à la fin de sa vie, y acquérant un atelier, et où vécut aussi Jacques Chardonne. Un hameau de vignerons orné de lilas blancs où ils reposent dans le petit cimetière au sommet de la colline. Corneille, autre commune où Daguerre est né, et La Frette se touchent au point de se confondre. J'ai la chance d'être accueilli et guidé dans ma visite par le président de l’Association des amis de La Frette, très intéressée par Marquet, au point d’organiser des ateliers de peinture de plein air sur les berges.
La maison où le peintre avait installé son atelier sous les combles est séparée de l’eau de la Seine par la seule petite route qui entre dans le village, il pouvait donc peindre « tout son soûl », expression employée par sa femme Marcelle.
Et dans l’air frais et gris du matin glisse vers Paris une longue péniche noire, flotte un drapeau français, rectangle parfait qui ondule doucement sur fond de peupliers en plan latéral… Kaléidoscope. Albert Marquet – Marcel Carnet !
De retour dans Paris après avoir déjeuné avec le photographe Philippe Guégen, qui fait quelques clichés de mon croquis pour une éventuelle publication, je découvre dans une librairie de mon quartier le livre réédité par Arléa, « La cuisine paléolithique » par Joseph Delteil, et augmenté dans cette édition de photographies savoureuses...
Achat en Livre de Poche du livre de Robert Debré : L’honneur de vivre.
Je termine cette journée en allant saluer Claude Viallat qui a investi la Salle Melpomène de l’Ecole des Beaux-Arts, sur le quai Malaquais et je suis ébloui par le regard bleu d’Isabelle, sa fille.
Viallat nous présente un ensemble imposant d’objets (bois flottés etc.) et tel un Judoka au titre imprenable il nous envoie au tapis car sa maîtrise est telle que les prises sont abruptes, fulgurantes. L’œil pétillant, la force tranquille. Inimitable. Fortiche. Puissant ! Le tout ne tenant bien sûr qu’à un fil. Bravo Viallat. La nuit sera calme.

La solitude de mes soirées depuis plus d'un mois fait que je m’endors en regardant la télévision d'un œil détaché, agitant mon index pour passer d'une chaîne à l’autre, et je me dis que ce réflexe répétitif, ce besoin d'images animées, en surface, très hypnotique, sert à ne plus être là, à s’absenter de sa conscience, quand on est las de tout, pour oublier, pour trouver le sommeil. Dans cet espace de temps, on est abandonné à l’image, d’où l’énorme enjeu de ce média, la propagande massive et organisée. Nous sommes ainsi aux mêmes heures des millions dans cet abandon passif, absents au monde et à nous-mêmes, dans une douce euphorie triste...

Chez Claude Berri, qui tourne à Lyon « Lucie Aubrac », nous remplaçons à côté du bureau chargé de catalogues un Buren ancien, sur toile non tendue, par un Alberto Burri de 1958. Il a acheté un nouveau Calder et une sculpture de Giacometti, et sorti ses Dubuffet.
Chez Marie-Rose et Patrick F. nous examinons le soir une nature morte de Manet, un Dunoyer de Segonzac, un Le Brun (Est-il « bon » ?), et une toile attribuée à Philippe de Champaigne.
Dans l’après midi, après être passé chez Knoll, où je me rends souvent, je salue Claude Viallat dans son exposition quai Malaquais. Tout de noir vêtu, moelleux, malicieux et chaleureux bien que réservé comme à son habitude. J’admire le peintre et l'homme, et me sens tout gauche à son contact...

Pris un verre hier soir avec le géant Georges Noël, sec comme un cep, au cœur « grand comme ça. »
Acheter sans faute le « Saint Louis » de Le Goff et « Montaigne à cheval » de Jean Lacouture, sous peine de poursuites à cheval et de coups de revolvers tirés dans les bouteilles de rhum Négrita dont Blaise s’aidait pour rédiger Le Lotissement du Ciel et Bourlinguer, à Aix pendant l’Occupation.


Robes et dessous…

« Va m’acheter pour deux sous de parpelles d’agasses. »
Réfugiés montant de la ville vers le quartier de Siblas dans la cave de mon grand-père pour fuir les bombardements anglais.
Place Camille Ledeau, ma mère, première ouvrière dirigeant l’atelier, habillant les officiers et leurs dames, robes du soir etc. Bal de la presse, à l’Opéra, où l'on dressait un plancher à ras de la scène.
Atelier rue de Lorgues où l’on habillait les prostituées du quartier réservé, qui commençait au coin de la rue, et où les apprenties allaient livrer robes et dessous...
Noël C. venant chercher maman en jeep, sous bonne garde donc, dans le quartier de Siblas pour l’entraînement d'aviron au fort Saint-Louis (digue du port aller et retour), avant 8 h du matin, début du travail à l’atelier. Douche froide en toutes saisons.
Le Grand Café, boulevard de Strasbourg, où l’orchestre commençait à jouer chaque jour à 4 h. Musiciens italiens, rumbas etc. Peu de voitures à cette époque.
Passage de la « Toupine », charrette avec une citerne dotée d’un couvercle, récoltant le contenu de seaux hygiéniques.
La grand-mère de la patronne de l’atelier de couture de la rue de Lorgues vêtue comme au début du siècle de longues robes noires jusqu’aux chevilles, et pissant dans la rue par sa culotte fendue, jet de pisse caché par les grandes robes, debout les jambes un peu écartées au-dessus du ruisseau, comme on faisait alors…
La mère de mon grand-père Louis Varaldo, né Via Solférino à Cairo-Montenotte, tout comme son père Vincenzo Ferraro.

« Il n'est à peu près rien au monde qui ne puisse se fabriquer un peu plus mal pour être revendu un peu moins cher et ceux qui ne considèrent en toutes choses que le prix sont les justes victimes de cette fâcheuse pratique. »
John Ruskin





Fin avril…

Grande virée en Camargue avec Anke D., en moto, par Fos, Martigues, Port de Bouc, Port St-Louis, Les Salins de Giraud, les étangs de Vaccarès, le phare de Gacholle, le domaine de Lapalissade, baignade, longs cheminements sur les digues et leurs ornières, taureaux, montagnes de sel, glaise, flamants roses, chevaux, roseaux, soleil de feu, paquets de nuages, flammes des cheminées de Fos et sa tour médiévale, retour à Marseille, atelier, confidences, marivaudages, désir.

Temps de bonheur : prendre le train sous la pluie et partir pour Paris ou en sens contraire pour Toulon, avec les journaux, de quoi écrire, du tabac, le Saint-Louis de Jacques Le Goff, et les poésies et les Lettres à Lou d’Apollinaire.
Chaque départ de Toulon est un arrachement.


Paris…

Gazouillis des oiseaux par la fenêtre entre ouverte, cumulus blancs, bleus apaisés.
Comme à chaque printemps, promenades dans Paris, le Marais, les galeries. Peu d’allées et venues, l’Art semble mort. Bioulès me déçoit par trop d’erreurs, Martial Raysse, toujours aussi fin mais sans plus, Daniel Spoerri, qui vire vite à la morbidité lourde, les New Yorkais Peter Halley et Fabian Marcaccio tiennent un peu, mais c’est quand même la déconfiture ! Nos valeurs implosent en douceur, lentement, la décadence est soft, programmée, normalisée et acceptée.
Je pense à Monet et son rapport à la table, au jardin, au sublime, à la peinture…
Il nous faut penser à s’organiser : partir à la pêche, s’occuper de jardinage (y compris au sens Voltairien du terme), lire les classiques, se consacrer aux plaisirs de la table et du lit, à ceux de l’esprit aussi, auprès d’une femme douce. Prendre sa retraite. D’urgence. Et peindre à satiété. La clef des songes ?


Il fait gris…

Chanson d’amour : « Je t’aime. »


Loin du boulevard Arago…

La santé. Levé très tôt. Cuisine. Lecture. Courrier. Travail. Vers 11h : lentilles et carottes fermes dans un peu de vinaigre. Fromage de chèvre. Produits du terroir. Vin de Bordeaux (grand cru). Pain mastiquant. 1 pet et au lit. 15h : café. Au travail. 1 biscuit. Projection de films. 20h : la soupe. Laitage. Tisane. 21h : Grand spectacle dénudé et dansant. Smoking. Stetson. Nouba carabinée. Quelques cartouches dans les bouteilles (et pour la dulcinée). Minuit : extinction des feux. Lecture des Pères de l’Eglise. Sommeil du juste.


Prés du cœur...

Après trois ans passés loin l’un de l’autre, Sophie L. m’a appelé, nous nous sommes retrouvés, et nous avons fait l’amour, et je la serre contre moi, très fort. Je l’aime. (Nous sommes allés à sa demande acheter au BHV une jolie corde avec des tâches rouges…)


Mettre une fin…

J’apprends par Olivier Debré que le pauvre Ramette, notre assistant à l’Ecole, s'est donné la mort, et qu’une cérémonie aura lieu en sa mémoire aujourd’hui au cours Yvon. Que sommes-nous ?
Les années passées à l’école des Beaux-Arts furent des années fortes, sombres aussi, passionnées, années de découverte, faim de la vie, faim tout court parfois. Expérience de la douleur. Chaque jour est un recommencement.
22h.
Etaient présents à la cérémonie : Poncelet, Amor, Claude Viallat, Olivier Debré, Jean-Michel Alberola, Bernard Piffaretti, Mathilde Ferrer, et Alfred Pacquement, dont le bref discours fût très digne et très discret, et prudent aussi...

Beauté de l’avenue Henri Martin sous la pluie fine de mai, les lourds feuillages et leurs grappes de fleurs blanches, les éboueurs et leur vacarme au petit jour, et cette frêle jeune fille assise à l’arrêt d’autobus de la Muette et lisant les jambes jointes, attentive, un livre de Colette tenu comme un missel, alors la ville s’éveille, si belle, palette de visages, de jambes, d’automobiles, échafaudages d’émotions... je pense à Sophie que je vais retrouver cette après-midi... à l’escargot de notre amour sous les feuillages...

La pluie tombe drue sur le zinc des toits de ma mansarde. Demain j’ai rendez-vous, avec Sophie !


Beauté du monde…

Sophie et moi avons de nouveau fait l’amour si tendrement et si fort.
Je suis un gorille gauche, elle est une souris malicieuse, il faudrait que je me procure un gros morceau d’Emmental.

Le piège s’est refermé, je pense à elle et me sens abruti par son absence, à sa vie avec un autre alors que je la voudrais toute à moi. Ne pas fondre. Rester distant, conserver un bon jeu de jambes et un cœur solide... Ca chauffe, le café monte.


L'heure...

Mes liens avec Sophie se resserrent, au sens propre et au sens figuré, je l’aime, je crois, beaucoup. Que pense-t-elle de moi ?
Nous vivons tous encore dans une préhistoire des affections, une obscure période médiévale de nos sentiments. Clivage barbare sur nos ondes électromagnétiques entre sexe et tendresse, sexe et amour, aspect incomplet de la théorie freudienne...
Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Thérèse, Landru, Lacan, le Pape, Fernand Raynaud, Matisse, le quidam qui passe, le garçon de café, chacun répond à sa façon. Une même condition mais aucune définition. Je ne sais ce que je suis que par rapport à l’autre, à un manque, à une différence : elle est une femme, je suis un homme, il ou elle est trisomique 21, je ne le suis pas, il ou elle va mourir, mon heure viendra plus tard.


Vertu...

Le joli mai... Les travaux de transformation de l’atelier passage Thiéré avancent. Trouverais-je en moi la force pour mener à bien mes projets, « réaliser » disait Cézanne, peindre enfin sans retenue les natures mortes et les paysages que je projette depuis des mois, sinon des années, et développer en parallèle les œuvres sur papier, sur panneaux, les assemblages, les constructions diverses, dessins, photographies et les sculptures, je suis envahi par l’idée de n’être qu’un fabriquant de souvenir, de colifichets, à peine capable d’avancer en bon étalagiste la prétention du joli, du lisible, et incapable d’atteindre le grand, le « beau », le juste. Rodin. Monet. Tâche immense. La grande vertu : l’humilité dans le travail, loin de toute fausse modestie et des calculs, et quel orgueil fou que de vouloir y prétendre ! Cette attitude est désuète aujourd’hui mais je la revendique car je la crois juste : l’admiration des maîtres nous pousse en avant, arriver nu et humble devant la tâche, sans imposture. C’est le cas de Rodin dans son rapport à la statuaire.
Pour pousser ce raisonnement dans ses limites, nous dirons qu’il y a une mécanique très subtile dans la dialectique chrétienne, assez obsessionnelle, névrose de la culpabilité, ambition du rachat et de du dépassement des contraires, désir, oui, désir de transcendance, qui a pourtant donné de si beaux fruits... Plénitude de la forme, des formes : Maillol.


Grand magasin…

Les dames de France. Imaginaire lié à l’enfance. Matins de mai près du marché du cours Lafayette, ses sourires, ses légumes, la place du théâtre sous un soleil radieux qui monte au-dessus des darses et exhale les odeurs du port, plus bas, alors que tout près, dans la ville haute, Les Dames de France présentent dans leurs vitrines une féerie de parfums capiteux, de dessous féminins, de tissus d’été, de rouges à lèvres, à ongles, lèvres des vendeuses si soignées, femmes mûres aux robes noires, aux poitrines hâlées par les rayons du soir à la sortie du grand magasin ou par le repos (et le plaisir) pris le dimanche, sous les pins.


8, rue de l’Université

Vu le nouvel accrochage du musée d’Art Moderne, qui fait la part belle à Raymond Hains avec un très bel ensemble d’œuvres, constitué du livret Hépéryle éclaté, du film Pénélope, et de trois panneaux dont un très coloré tiré du film et les deux autres étant les lettres bleues déformées des nouveaux réalistes, sous un épais capot de plexiglas. Elégance, finesse, extrême subtilité. L’art de Raymond Hains m’est apparu à nouveau comme très important, m’a ému autant que lorsque je le découvrais pour la première fois, jeune étudiant débarqué à Paris, et qui traînait seul le soir à la Hune, dès 22 h, fuyant ma chambre sans eau, dévorant le rayon des livres d’Art, j’avais acheté alors mon premier catalogue celui du CNAC, par Daniel Abadie, et l’ai gardé depuis comme un talisman, regagnant à la fermeture de minuit ma chambre 8, rue de l’Université, Camille Bryen habitant au 4, et les Debré juste en face, ce qui était vraiment un comble pour ma chambre de bonne, un hasard prédestiné. Bône... Apollinaire a-t-il visité Bône lors de son séjour en Algérie, où il fit la connaissance de Louise de Coligny-Châtillon ?


Vu chez Hopkins-Thomas de sublimes subtils et évidents dessins aquarellés par Marquet, aux couleurs si fraîches, aux tons si réalistes et vifs, qu’ils font paraître par contraste bien fades et sèches et coincées certaines tentatives de Vincent Bioulès qui s’efforcent d’aller dans le même sens mais sans le moelleux, la légèreté, la vibration ironique car un peu distante, et tendre aussi d’Albert Marquet face au spectacle du monde.
Un air d’accordéon, les larmes d’un poète, un enfant dont la balle s’éloigne, l’odeur de la daube, une femme s’essuyant après l’amour, les marguerites du marché, l’âcre parfum de l’eau des salines au point du jour, le sommeil, les pluies fines du dimanche après-midi, tout m’est plaisir.


La lettre…

Vu Gianni Bertini, toujours superbe, à la Foire du Livre Ancien à la Mutualité, les Nahon, très florentins, une lettre d’Alberto Magnelli mise en vente 500 francs, et des lettres de Guillaume Apollinaire écrites de 1914 à 1916, une lettre intéressante (il y en a des milliers) de Napoléon, une autre de Charles-Quint et un mot sur papier bleu où Rodin parle d’un de ses plâtres… je m’inquiète car Sophie ne m’appelle pas.

La chaleur a fondu sur Paris, on ne bouge plus, on étouffe, on agonise. Je serai demain au château de Versailles avec Sophie. Allées, bosquets, taillis, esplanades, grandes eaux, tritons, naïades, allées détournées et carrefours de buis, ombres lourdes, rais de lumière filtrant des pins maritimes, miracle du marbre rose veiné de blancs et de gris, ciels d’azur et... l’amour. Un songe.


Fer rougi…

La décision de reprendre la plongée sous-marine de manière intensive me fait regarder la très belle estampe de Viallat, qui comporte un grand papier collé, comme un chose paradoxale avec ma sensibilité du moment, dirigée par les fluides, alors que la matière et le corps même de sa peinture renvoie à mes yeux au sable des terrils, à la poussière des arènes, à l’érosion des pierres dans les grandes étendues vierges, sèches et rases de la Camargue, aux gorges encaissées des environs de Nîmes, aux brouillards de plâtre lumineux dissipés par le mouvement des manades et le formidable envol des paquets de poussière sous les tonnes des taureaux lancés, aux silences de l’atelier nîmois quand le peintre travaille, posant la couleur en ellipses, le geste arrêtant le temps, le sang bu par le sol du Gard, pétrifiant la terre, déjà empreinte, marquages au fer rougi dans le poil des bêtes d’élevage...

Henri-Germain Delauze, PDG de la Comex (100% des parts) me rassure. Il déclare avoir décidé de se rattraper passé 60 ans, grâce à une condition physique relativement bonne. Se rattraper, c’est à dire profiter davantage de la vie et réaliser tous ses désirs en renonçant avec bonheur aux 14 heures de travail quotidien nécessaires à la bonne évolution de l’entreprise, soit construire un bateau plus grand, un sous-marin plus efficace. Vivre intensément, comme un enfant. Avec la mer. Plonger pour le plaisir, manger peu : langouste à midi et riz, dormir, aimer. Suivre son exemple !
Vu de très belles choses à la Foire de Bâle. Mais après une heure de déambulation, après Ingres, Reinhardt, nous trouvons le stand de la galerie Kamakura, qui présente Claude Viallat en exclusivité. Et cela tient, n’a pas pris une ride, et conserve toute la fraîcheur, l’élégance juvénile et millénaire du geste précis du vieux judoka de Nîmes, jouisseur de la peinture, et qui en fait ni trop ni trop peu. Peinture sans apparences ni artifices, nue et présente comme de l’eau sur les aspérités des pierres sèches, danse sans cadre ni limites. Evitement des ombres noires dans l’air du soir encore chaud et geste fulgurant d’un Curro Romero qui abolit les poids et les mesures, courbes et contre-courbes, risques pris dans les torils près des berges du Rhône...
Les propriétaires de l’atelier de Toulon me demandent de restituer les deux belles pièces où je travaille. C’est une mauvaise nouvelle, mais qui a l’avantage de rendre urgente la recherche d’un autre lieu, plus sûr, et surtout bon marché. A suivre...




Ayant accroché 4 toiles d’Yves Corbassière dans les bureaux de la société de Marc Landeau, près de l’Etoile, je resonge à l’immédiat après-guerre, à l’épopée du Tabou, avec Yves Corbassière posant au volant de son tacot à damier avec Anne Marie Cazalis et Juliette Greco, au Bee Bop, au baron Mollet, à Vian (et sa célèbre voiture Brazier), à Saint-Germain-des-Prés et au Saint-Tropez de cette époque...


Connais-toi toi-même…

Après des années, je retrouve les émotions, les sensations, les intuitions philosophiques qui me liaient si profondément à l’œuvre de Tapiès dans ma vingtième année et qui agissent de façon souterraine dans mon analyse actuelle de l’œuvre de Viallat. Marche dans le périmètre de l’atelier, rapport au sol, horizontalité, spirale du temps et des idées, des intentions, importance de ce qui nous traverse et vient du plus profond, du fond des âges et des signes les plus anciens, de Lascaux à la Chine. Nous avons ainsi des grands rendez-vous. Malraux était ponctuel. On n’échappe pas aux grandes œuvres, elles nous forment, rendent notre propre langage possible. Rodin encore, qui pensait juste et avait à l’esprit la statuaire du tympan de Chartres ou celle de Reims.
Déjeuner avec Raymond Hains à la Pizza Napoli, rue des Canettes, à deux pas de « Chez Alexandre », un peu plus bas dans la rue, où se réunissait Yves Klein et ses amis. Nous avions déambulé auparavant sous les ombrages et les baraques vertes de la foire de la poésie, place Saint-Sulpice, où j’achète des poèmes d’Audiberti chez Gallimard, une anthologie de la poésie chinoise classique, une autre de la poésie japonaise, et un recueil d’œuvres de Philippe Jaccottet.
Déjeuner fort arrosé, animé, succulent, Ginette Dufrêne et Michel Marcuzzi nous rejoignent pour déguster des verres d’anis, en sortant nous croisons Georges Noël qui revient de la foire : accolades, tout le monde est réjoui. Nous nous rendons ensuite dans la rue Marcel Duchamp, qui fête son premier anniversaire. Retour plus tard rue d’Odessa, au « Génial », sous les fenêtres de Raymond Hains, à côté du sex-shop, que l’on visite, un lieu surréaliste…
Chantal D., qui fut l’assistante d’Aimé Maeght, me dit avoir dîné avec Louis Schweitzer, le PDG de Renault, qui a investi avec son épouse l’ancien appartement d’Albert Marquet devant le Pont-Neuf, et l’a laissé en l’état, un appartement vaste et confortable que j’espère donc pouvoir visiter prochainement et compléter de visu ma connaissance du peintre, et je me demande si les céramiques admirables de la salle de bain sont préservées. Intéressante coïncidence.

La lecture d’Alexandre de Marenches nourrit et complète ma vision de l’état de nos régimes politiques en Europe de l’Ouest. Un suicide, conscient ou inconscient, une perte constante de motivation, d’identité face à la montée en puissance de l’Extrême-Orient, de celle de l’Est, ours monolithique en sommeil, pour l’instant, et face au Sud, affamé, et peut-être un jour révolté, et enfin face à la violence et l’esprit de conquête de l’Orient fanatisé par les Chiites...
Et nous vivons encore, c’est le cas de nos élites, sur la fascination pour un cadavre, celui de l'Union Soviétique. Les conséquences seront proportionnées à nos renoncements...


Raymond Hains dit se rendre chez Jackie Matisse au Cap Ferrat. Gianni Bertini m’explique comment réaliser un livre à peu de frais. Vincent me montre le Vlaminck historique (1914) que possède sa grand-mère, au Trocadéro.


Il pleut à verse...

Après être allés à la galerie de la Présidence, devant l’Elysée, où l’on nous présente 3 toiles d’Albert Marquet dont une, très belle, grise avec fumée, un hiver de 1907, une minuscule aquarelle de 1912, et deux dessins érotiques, Les deux amies, jeunes filles entre elles dont une enfouit sa tête entre les jambes écartées de sa partenaire, un thème souvent abordé par le peintre et d'ailleurs remarquable ; nous allons chez Claude Berri qui nous reçoit anxieux car il attend un grand Robert Ryman récent, en provenance des Etats-Unis, et les transporteurs de chez Chenue sont en retard...
Il nous explique avoir quitté le tournage de « Lucie Aubrac », à Lyon, pendant 24 h, pour se rendre chez Robert Ryman qui lui réserve le « regard », et le premier choix sur sa production. La toile que nous sommes chargés d’accrocher, Type, de 1996 (213 x 213 cm), provient de la Pace Gallery, elle est montée au dernier étage par les employés de Chenue au moyen d’un treuil qui surplombe la petite cour pavée de l’hôtel particulier, et lorsque nous nous affairons autour de la caisse pour l’ouvrir et déballer l’œuvre, le cinéaste est joyeux comme un enfant devant un nouveau cadeau. Sur son bureau est posé un magnifique Calder, authentique, gracile comme un paon, très artisanal, de 1942 environ, qui provient de la dernière foire de Bâle, peut-être de chez Jean Krugier. Nous disposons les deux grands Cy Twombly côte à côte, l’Alberto Burri (Galleria Blù, 1958) trouve sa place dans un corridor, sorte de boudoir, aux côtés de Arp, Fontana et Manzoni, et je lis l’espace d’un instant sur la table de verre les dialogues du film en cours de tournage : prison, cellule, calvaire de Lucie Aubrac et de son mari…
Il s’agit ensuite pour nous de déplacer un monochrome d’Yves Klein qui se trouve face au lit dans la jolie chambre blanche de Claude Berri et son épouse, située à l’étage supérieur. Curieuse façon qu’a Claude Berri de nous demander sans cesse notre avis sur tel ou tel tableau, de douter de ses choix, comme extérieur à l’objet, ce qui est rare chez le vrai amateur. Il semble en apprentissage, celui d’une nouvelle croyance, se forçant à y croire, convaincu de l’importance de la chose mais ne semblant pas y adhérer vraiment. Et n’y a-t-il pas chez lui plus de conformisme à s’approprier ce que les marchands lui désignent comme les meilleures œuvres du meilleur peintre vivant, les plus chères bien sûr, « business is business », les joyaux de l’intelligence occidentale, américaine bien sûr, un peu à la manière de Pascal qui nous dit en substance : « Agenouillez-vous et vous croirez » ? Plus de conformisme donc, dans le fait de réaliser de bonnes opérations avec les valeurs les plus sûres du moment, alors que le véritable amateur, lui, est jaloux de son propre goût, plutôt discret et sûr de lui, ne fait confiance à personne pouvant se substituer à sa propre sensibilité et à sa propre intuition, vit une aventure de découvreur, ce dont il tire fierté, prend seul des risques et veut avoir raison avant tout le monde. Ici on pense à une leçon de peinture, pour un élève fort moyen, mais qui paie bien cher ses cours...
Combien de la génération de Raymond Hains ou de jeunes artistes, seraient relancés pour plusieurs années ou de galeries françaises mises à flot, avec le prix d’un seul Ryman ? Une aventure intérieure n’a pas de prix... mais ces questions me viennent cependant à l’esprit…


Le Big Band de Count Basie, Lester Young, Coleman Hawkins, Billie Holliday et Jimmy Lunceford : toujours la même émotion, comme au premier jour, devant Matisse ou à l’American Bar, dans la basse ville de Toulon, le petit « Chicago », où adolescent je traînais les soirs d’été, pour 3 francs mis dans la fente d’acier chromé nous écoutions alors « La nuit » de Léo Ferré, avec pour seul éclairage dans le petit bar la lumière rouge du juke-box et les yeux des barmaids... Raymond Hains me reparle aujourd’hui du café Moineau, au croisement de la rue du Four et de la rue des Canettes, où Guy Debord et lui se retrouvaient quotidiennement, et qui est devenu une boutique de vêtements dans laquelle travaille la jeune fille qui était à la table voisine de la nôtre à la Pizza Napoli, et Chez Alexandre il y a quelques jours… 


L'horloge...

Les artistes sont souvent des enfants. En l’homme adulte il faut chercher l’enfant et les pédiatres sont souvent de grands architectes ! Des rêves d’enfant, une vision, une odeur, décideront de toute une vie, dans sa couleur, sa tonalité, dans sa conscience, sa façon d’être au monde. Horloge arrêtée. Et il semble en être ainsi de Raymond Hains. Il m’explique la lanterne magique de son enfance et les jeux d’optique qu’elle permettait d’obtenir, puis les dessins et les calques dessinés d’ombres chinoises réalisés avec Jean, son frère aîné, à Saint-Brieuc, marin de la France Libre qui deviendra armurier passionné et spécialiste des mécanismes d’armes, ils ont préfiguré et en quelque sorte fixé la ligne directrice de son travail et de ses obsessions majeures, des verres cannelés et des premières photographies abstraites au film « Pénélope. »
Jeux de mains entre la ligne et le flou, les vides et les volumes, des enfants couchés dans leurs berceaux, jeux d’ombres et de lumières, de mouvements esquissés, de sons épars ou précis qui les accompagnent, la voix du père, de la mère, air sec ou humide, caresses, odeurs des aisselles de la mère : tout est là, déjà...
Et la recherche éperdue de l’enfance accompagne souvent les grandes œuvres, les grands desseins.
Je découvre peu à peu le vrai mode de vie de Raymond Hains, lisant le matin dans son lit (ce lit qui est un peu son atelier), et parfois tout le jour, annotant au fur et à mesure chaque texte au feutre Waterman bleu, préparant ainsi comme on recharge des batteries le ferment des monologues riches, fournis et interminables qu’il tiendra au téléphone, toujours depuis son lit ou au restaurant, autre atelier de prédilection. Délices de l’esprit distillés avec l’amitié comme révélateur, comme fil conducteur, à la façon d’un Montaigne dans son pigeonnier, phare, kiosque de sous-marin de la rue d’Odessa. Les restaurants et les livres engloutissent ainsi les revenus intermittents de Raymond Hains, et suffisent à son bonheur dès qu’il est « à flots. » Pantagruel, Méliès allongé, mais les pieds sur terre, et bon marcheur, piéton de Paris ou d’ailleurs le reste du temps, la marche pour parfaire la cuisine des idées, pour continuer à dérouler le fil de laine des idées... C’est alors qu’il déploie devant moi les émouvantes silhouettes de soldats réalisées avec son frère, découpées dans un papier calque jauni et conservées dans des pochettes rhodoïds : l’origine est là...


Moiteur...

Cigales dans le soir gris. Plongée ce matin aux Deux Frères, au Cap Sicié, par 48 mètres, lumières, couleurs, eaux froides du fond, espace immense et irréel. Violet amer sur le palais, tabac, anisette. Louis Del Buono organise son club avec habileté. Hangars, voûtes, matériels. Site magique des rives de Tamaris. Soleil de plomb. Hommes tatoués, femmes douces, chien de chasse près de la grande marmite d’aluminium dans laquelle mijote déjà le liquide rouge orangé de la bouillabaisse, pavée de la peau noire et de la chair blanche des grosses tranches de congres, brasero à l’ombre d'un mur épais sous le soleil de plâtre. Il est midi.
Il y a des manquants : Jean B. et Jean R., emportés par le « mauvais mal » et que l’on n’oublie pas... 


Rigidité...

Passé la journée de samedi à Marseille dans la tiédeur et sous la pluie, attablé dès le matin sur le vieux port, pour le petit déjeuner, avec Anke D., juste face au quai de Rive-Neuve d’où Marquet installé chez Eugène Montfort a réalisé ses admirables vues du Panier, et tandis que nous parlons et apprenons à nous connaître, je mesure le chemin parcouru depuis Paris, Paris où mes tentatives de me rapprocher d’Anke s’avéraient vaines, et alors que nous évoquons les questions liées à la représentation du sexe dans l’Art, devenue trop facile, voire vulgaire aujourd’hui, celle-ci me propose de poser pour elle, afin qu’elle réalise plusieurs tableaux représentant un sexe d’homme : il est toujours flatteur de se voir photographié sous tous les angles ! Ce que nous allons faire dans son atelier avant de déjeuner, et la séance de pause laisse l’artiste comblée d’avoir trouvé un modèle aussi avantageux... Quel délice ! Au cours de la séance, l’intimité qu’elle a voulu créer entre nous me permet de confirmer à Anke mon désir de visu et sans équivoque : elle en semble ravie, s’excite et s’étonne de sa propre curiosité, de son audace, et multiplie les prises de vues en gros plan, rougit beaucoup de me voir bander et batifole sous ma hampe sans succomber un instant à mes avances, nous devons rester, c’est le jeu, dans le cadre strict des prises de vues... et elle se montre aussi rigide que moi : hélas pas pour les mêmes raisons !


Apéritif...

Il pleut sur Tamaris. Nous prenons l’apéritif chez Francis Andréo et son épouse. Nous parlons d’Oran, de l’Italie, de l’Andalousie. Préparation d’un litre d’anisette : 2,5 gr d’extrait d’anis en provenance de l’usine espagnole, 50 % d’alcool pur acheté en pharmacie, et 50 % d’une eau la plus pure possible, eau de source de préférence. Le pastis, lui, s’obtient en ajoutant 17 cachous Lajaunie ou une quelconque réglisse.

Plongé ce matin aux aurores sur la roche à corail de Sicié. Remonté une amphore de belle taille chargée de concrétion, par 68 mètres de fond où elle dormait depuis le 4e siècle.
Vu l’exposition Baboulène à la mairie du Revest-les-Eaux, avec ses gris subtils, ses verts de bronze, d’olive et de tilleul, ses cobalts si discrets, ses noirs de pêche et l’orangé sourd des oursins... Appris la mort de S., le compagnon de J.F S.
Pris la décision d’acquérir le charmant appartement ancien de la place Vincent Raspail. Ainsi va la vie...

Le Journal du Var publie un article sur Serge Rezvani. Tout en lisant, je me souviens d’un déjeuner au soleil d’hiver autour du gigot à l’ail préparé par Lula, et sous son œil attentif, sous la verrière de la véranda, parenthèse volée à leur intimité, à leur secret. Il était question de Venise, de gaieté, de chansons écrites pour Truffaut...

Aller et retour pour Paris, signé avec ma banque les modalités de l’achat du petit appartement de la place Saint-Vincent, et peut-être celui d’une chambre près de l’atelier du passage Thiéré.
Travaillé pour Claude Berri hier sur un grand Rauschenberg, un triptyque des années 50 : œuvre historique et très exposée (High & Low, N.Y.C, Ils collectionnent).


Dans le bleu...

Dernier regard à travers la vitre épaisse des masques. Un premier « Plouf ! » Je saute. Descente dans le bleu sur celui qui me précède. Myriade de bulles. Cathédrale. Millions de points argentés. La vie expirée... L’homme palme fort. Il est vite. Il faut suivre ! 42 mètres. Il fait froid. Un peu. Le gilet ne gonfle pas. Signes échangés, j’appelle un équipier. J’insiste. OK, ça vient. Mais on a raté la roche. Le chef de palanquée donne une direction dans l’immensité sombre du sable, les milliers de coquilles blanches, immaculées, éparses. Son nom ? Il faut y aller. Palmage puissant le nez au ras des gravettes, des coquilles grises, blanches, mauves, les grosses étoiles tapies sur le fond et hérissées de griffes, machines à broyer, à digérer... Il faut bouger les membres supérieurs, la nuque, répartir l’eau froide dans tout l’habit pour que le néoprène diffuse sa douce chaleur... Surtout la tête. Il faut faire vite. Souffler à fond. Maîtriser sa respiration. Bien cracher l’air. Bruit du détendeur. Détecter en soi le moindre signe de fatigue. Les mains gantées de peau retournent les coques blanches d’un geste délicat, dentelles minérales à la géométrie parfaite, pour trouver celle qui sera intacte, sanctuaire vide épargné par la pression. Tout à coup devant au ras du sable la roche apparaît, gigantesque base d’un cône sombre et flou, à la masse écrasante et aux contours incertains. Sous chaque main, dans chaque aspérité, un violet pulse l’eau filtrée par son orifice strié de blanc et de noir qui le distingue de la roche. Prise solide. Un coup sec et il cède. La poche du gilet est trouvée à tâtons. Il faut aller vite. Stabiliser un peu car nous remontons légèrement. Richesse infinie dans les épaisseurs sombres de la roche. Corail rouge orangé. Gorgones bleues géantes. Langoustes et leurs antennes. Un filet perdu a figé un rocher en forme de pyramide déjà recouverte par les micro-organismes, la vase et les algues, comme dans un vieux grenier d’Ecosse... Des bouts dérivent sans but. L’un accroche mon bloc : ne plus bouger. Des mains s’activent pour me dégager avec des gestes sûrs. Je suis libre. Les liens retombent sur mes palmes. La scène est au ralenti. 20 minutes. 60 bars de pression. Il faut bientôt remonter. Chaque seconde compte. Ne pas briser la mince coque tenue entre le pouce et l’index. Le signe de la remontée est donné. Tout doucement, vers la lumière, qui revient peu à peu. Dans le bleu, en apesanteur et chargés de leurs instruments aux cadrans lumineux sur fond de combinaisons colorées ou de noir profond, et dont les tons changent à chaque mètre de gagné, les plongeurs, si gauches à terre, apparaissent soudain comme des poupées aux gestes lents et mécaniques, à l’étrange beauté, cherchant le repos, glissant dans les molécules d’eau en remontant à 10 mètres minute. On distingue enfin la surface, couvercle argenté en mouvement, papier d’aluminium froissé par les vagues, où le ciel transparaît, vers la lumière et la traversée du miroir. Nous sommes encore trop bas. Chacun vérifie anxieux ses paramètres et contrôle tour à tour montre, profondimètre, tables de calcul ou ordinateur. Quitter son détendeur et souffler à fond dans la bouée de signal de surface, qui d’un coup monte en flèche, crève le plafond immense, et se met à flotter, là-haut. Les minutes au palier s’écoulent lentement. Douze mètres. Puis six. Yeux des plongeurs attentifs aux moindres détails et l’esprit chargé de rêve. Les respirations se font lentes, favorisant ainsi la décompression. Les corps se détendent, paquets de chair, de tissus, d’acier, d’aluminium, de silicone, suspendus au mince fil de nylon blanc dont le plomb de pêche qui le leste pend plus bas, en plein bleu. Fourmillement familier des micros bulle qui éclosent dans l’organisme, au bout des doigts, dans les sinus. Bouger alors, agiter son squelette, ses muscles et ses articulations pour mieux désaturer...


A trois mètres la surface est là, très agitée, comme du verre miroitant, au mouvement formidable, et change le cours des pensées, le corps, lui, soudain allégé. Le temps presse. Faim violente. Le corps s’impatiente. Foutus paliers, interminables !
Sur nos têtes tangue l’énorme masse rouge du bateau et ses hélices inertes et menaçantes, son échelle pointée vers le fond et nous, revenants qui baignons dans une lumière de monastère et la tiédeur d’un bain pariétal… Mais il est temps. Le manomètre indique zéro. D’une seconde à l’autre l’air s’arrêtera. Repérer le détendeur de secours le plus proche, à collerette verte, sanglé au flan d’un bi-bouteille. Inutile. Le signe de sortie de l’eau est donné. En un coup de palme la surface est crevée. Saisir au vol et avec prudence un barreau de la grosse échelle d’aluminium, qui reçoit toute la force d’inertie du bateau agité par la mer et s’agite comme une arme, une menace. C’est fait. Un deuxième barreau et le poids du bloc casse alors les épaules, la tête tourne, on passe d’un monde à l’autre, plus violent, plus instable. Effort inouï pour arracher sa propre masse par l’eau alourdie, mettre un pied après l’autre, gêné par les palmes. Nausée. Effort encore. Bruit énorme du moteur qui hurle derrière la coque. Je lance mon bras le plus haut possible vers une main qui se tend comme dans une Sixtine providentielle, pour confier la précieuse coquille blanche, si fragile, en éructant l’ordre de ne pas la briser !
Un barreau encore. Fardeau de fatigue. Un pied sur le pont. La joie. Impossible de garder l’équilibre. Nous vacillons pour déposer les blocs et trouver un appui. Le bateau est fracassé par la mer, il faut s’assurer solidement. On prend des coups. Se libérer des sangles et de l’habit qui colle à la peau. Mettre le matériel en sécurité. Vérifications. La plongée est finie. Les langues se délient. Eclats de voix. Exclamations. Quelques notes dans un carnet. On fait déjà route vers le port...


C’est en septembre...

Soleil brasier brûlant et chaud au début de l'automne, à la fin août, deux heures avant le lever des couleurs, façades et volets gris de l'ancien hôpital de la marine, place de l’Amiral Senès. Ciel d'azur. Vieille cité usée, dont j’observe le spectacle depuis tant d’années. Vieille prostituée ayant renoncé à vivre de ses charmes, même au rabais ou à n’importe quel prix, ne comptant plus que sur sa bonne étoile ou celle d’un Shérif protecteur, pour continuer à vivre, par habitude, par instinct.


Aux aurores...

Magnifique baie de la Ciotat dans l’automne naissant. La rade de Marseille. Sourires, bonhomie et bon accueil au café algérien rue de la Joliette. Puis La Crau, Martigues, Fos, Arles. Anis, cigares, hôtel Nord-Pinus pour la novillada et la corrida !

En arrachant le papier peint à fleurs roses du petit appartement de la place Saint-Vincent, dans un immeuble construit au XVIIIe siècle, et en grattant les vieilles peintures jaune pâle qui couvrent les murs de briques à peine enduits, je découvre une superbe croix de Lorraine au badigeon vert et qui dormait cachée là depuis 50 ans...


Un prélat discret...

Vu à la Fiac 96 la déconfiture actuelle de l’Art européen, des consciences, des cimaises, des cœurs : confiture, foutre, merde, mort. Le déclin d’un Occident suicidaire…
Jean Fournier, tel un discret prélat du Vatican ou un vieux moine ayant fait vœu d’humilité dans un monastère oublié (celui de la peinture), nous parle, ému, comme à l'habitude, de Kimber Smith, de sa timidité à lui proposer une exposition…
Une galerie anglaise nous montre 7 remarquables petits formats d’André Derain. Je remarque un petit Calder (un stabile), sage et fort, à côté d'un beau Joseph Albers jaune. Voilà tout. Les Vasarely de 1957 à 1970 sont très biens…

Hier dimanche j’ai retrouvé Sophie et nous avons fait l’amour dans sa chambre, à Saint-Ouen. Le matin j'étais chez Claude Berri, pour accrocher un tableau carré d'Ad Reinhardt, un des derniers, dans sa chambre, face au grand lit, ainsi qu'une œuvre de Robert Ryman, sur plexiglas opaque, datée de 93, côte à côte avec le Reinhardt. Claude Berri est content de contempler ces œuvres à leur nouvelle place, l’espace laissé vide dans le bureau de l’étage inférieur devant être comblé par un grand Cy Twombly qui doit arriver de Londres. Il nous montre un dessin / collage / empreinte de Jean Dubuffet, de 1954, que nous commentons avec lui, soucieux comme à l’habitude de connaître notre avis. Plus bas, au niveau de la rue de Lille, sont accrochées les premières et très belles œuvres de Daniel Buren, très motivantes à mes yeux.


Entre mille...

C’est en rentrant chez moi à la nuit tombée, et en remontant la rue Daval, très passante, dans ce carrefour très « branché » des années 96, que je l'ai vu, marchant sur le trottoir opposé, suivi d’une femme blonde. Sûr, c’était lui ! C'était cet homme qui témoignait dans le film de Claude Lanzmann« Shoah. » C’était lui, je m'en suis souvenu en une seconde. Visage haut et solide, regard droit et lointain, nez cassé. Monovitz. L’usine de caoutchouc de la Buna, l’impossibilité de témoigner au retour. L’indicible... J'ai traversé la rue, lui ais dit que je l’avais reconnu, parlé de la qualité de son témoignage, et combien je me sentais ému de cette rencontre, là, moi le fils d'un survivant parmi d’autres, comme lui un des derniers. Regard. Poignée de main. Emotion réciproque. Un homme entre mille.


Chez Marius...

Raymond Hains est couché, il ne s’est guère levé aujourd’hui, et il lit avec une loupe car son installation électrique est défectueuse. Il me raconte (nous sommes en ligne) son omelette aux girolles d’avant hier, et sa façon de préparer la soupe, en coupant simplement les légumes sans les réduire en bouillie. Le matin il a acheté un chou qu’il a préparé et qu’il espère bien finir avant d’aller dormir. Il est de retour de Berlin où Eric Fabre a fait agrandir à l’échelle 1 son portrait en pied, et de Kassel où on lui a montré son emplacement pour la Documenta, de retour donc d’un voyage qui fût détendu et agréable, et il me confie avoir eu quelques vacances alors que l’été s’est passé à Paris, et son impatience à rejoindre Nice au plus tôt, seul Daniel Templon le retenant à Paris pour préparer une exposition faisant suite aux compressions de César. Exposition pour laquelle il a déjà une idée, mais « c’est une surprise » et il décide de rester discret sur ce sujet. Comme lors de nos récents entretiens Raymond Hains se plaint du manque d’argent. Les fonds rapportés d’Allemagne sont insuffisants et il laisse aller sa lassitude et son peu d’estime pour les marchands d’Art en France, qui le laisse dans le besoin, et de citer Eric Fabre, Daniel Templon, les Soardi, et Lara Vincy qu’il dit ne plus comprendre. Il projette de m’inviter « Chez Marius », place de l’Alma, dès que les fonds seront de nouveau là, et où il s’était arrêté en revenant du vernissage de l’ARC : belons n° 1 et n° 2, etc.
L’entretien reprend après une interruption, et Raymond Hains est très heureux de m’apprendre une bonne nouvelle, l’achat par le FNAC d’une des pièces réalisées à partir de photos du Cours Saleya, et qui devrait lui permettre de vivre au moins trois mois en ayant réglé dettes et arriérés. Signature hier des tirages commandés par Eric Fabre et qui seront exposés sur son stand de Berlin. Et toujours le même projet d’aller à Nice retardé par un colloque prévu à Tours, un banquet d’anciens élèves du collège de Saint-Brieuc, et l’exposition prévue chez Templon, exposition dont « il se serait bien passé », car Templon déclare sans arrêt ne rien vendre, et ses choix n’étant pas toujours les meilleurs...
Nous projetons de faire un bon déjeuner pour « se remonter le moral », à Nice ou à Milan.


Mimosa...

Milano. Brouillard. Fogg. Pluie de poix sur Milan, trombes d’eau qui transforment la via Manzoni et la piazza Cavour en mer d’huile, alors que nous visitons l’avocat Roy. Palais de Justice. Carabiniers. Mandat du financier Colina de Lugano de stopper au plus vite la campagne de presse en cours visant à le discréditer, accusé par la presse nationale d’avoir commandité l’assassinat d’un avocat et auteur de romans policiers impliqué dans un trafic d’influences en collusion avec un de ses ennemis, contrat devant être exécuté, toujours d’après la presse, par un membre des services secrets italiens, rencontré dans une boite de nuit. Démentis. Réunions. Interminables conversations au téléphone pour convaincre le financier (et client) de ne rien faire, de laisser passer les fêtes de Noël, toutes proches...
Je visite les galeries de l’AnnunciataIl NaviglioTornabuoni, etc.
Levés dès 5 h ce matin, à Antibes, pour foncer sur Milan et Parme, si belle. Serveurs du restaurant en vestes blanches et papillons noirs qui s’affairent dans le salon feutré autour des dessertes chargées d’« antipasti » et de fruits. Dans la soirée la culpabilité du banquier de déstabiliser un ennemi avéré se confirme mais la tentative de meurtre reste hypothétique, non prouvé. Colina reste encore coupable d’avoir contacté dans des conditions rocambolesques un agent secret assez sot pour se laisser soudoyer, dans un boite de nuit à la mode, de lui avoir demandé de déposer de la drogue et des armes au domicile de l’avocat visé...
Le tout reste de détourner l’attention de la presse en proposant une version révisée des faits...
Aventures imprévues qui interviennent au cours d’un salutaire séjour à Antibes, où je me repose quelques jours après deux mois passés dans le midi à restaurer l’appartement acheté dans la vieille ville de Toulon, et dont les travaux restent inachevés. Et je songe au travail qui m’attend à Paris, estampes, dessins, peintures, assemblages et sculptures...
Dans la soirée de lundi, fait l’amour à bord d’une voiture japonaise avec une prostituée albanaise se faisant appeler Mimosa, dans le paysage de la banlieue urbanisée de Milan noyée de brouillard, de froid et de pluie comme dans un film de Fellini, avec ses terrains vagues peuplés d’orties, ses grands panneaux publicitaires au format panoramique qu’utilise Mimmo Rotella, ambiances bien décrites par Giorgio Scerbanenco dans ses romans. Mots simples et seins si doux... Une gentille fille, faite pour être épousée, erreurs d’aiguillage de la vie... Un beau moment de printemps vécu à la Noël, et qui revigore ! Visite le lendemain aux Collettes, la maison de Renoir à Cagnes-sur-Mer, et qui surplombe la baie de Cannes au milieu des oliviers. Une bâtisse qu’il avait vouée aux enfants et au travail.
Nous nous rendons ensuite à Nice pour voir la rétrospective Wesselmann au Mamac, et je découvre beaucoup d’œuvres que je ne connaissais que reproduites dans les livres, déjà familières, surtout par l’excellent catalogue raisonné, dont Wesselmann a contrôlé la conception de la maquette avec soin. Moins célèbre que Warhol ou Rauschenberg, Wesselmann tient à s’ancrer toujours plus dans le dessin, l’étude du modèle, chacune de ses œuvres est « hand made », artisanale, et l’artiste contrôle tout, de A à Z, chaque détail, du châssis à l’ultime glacis. On peut voir au dos des gigantesques brosses à dent, des fumées de cigarette, des clefs posées, des tubes de rouge à lèvres ou de la grande Volkswagen rouge, de nombreuses indications au feutre noir sur la date, le procédé de fabrication, des précautions pour le transport, la conservation, procédé qui s’apparente un peu aux grandes machineries des décors de théâtre. Magnifique ! Cela apporte de l’eau à mon moulin, et me donne hâte de relancer mon propre travail, après les travaux du 82, rue Alézard, les perturbations dues à la vie sociale, les errances de la pensée…


La spiga...

Je me souviens des moments passés à Antibes cette semaine, de l’atelier de Renoir à Cagnes, d’avoir navigué à bord du bateau de Luca Venturi, le White Hunter, autour du porte-avion américain Roosevelt en baie de Cannes, d’avoir acheté un imperméable Burberry’s rue d’Antibes, d’un voyage éclair à Milan où j’assiste en direct à une affaire politico financière, d’avoir marché sous la pluie via Manzoni où se trouvent les éditeurs et les galeries d’Art, la piazza Cavour où l’on fait le tour des agences de presse, via della Spiga où j’imagine dans le soir qui tombe les silhouettes des dames se rendant à la Scala, au temps de Stendhal…


La reverrais-je...

Assis aujourd’hui sous le soleil hivernal, à la terrasse du Nautique qui ouvre sur le port. Navires de guerre gris dans les eaux froides de la grande darse. Nous apprenons la mort de Jean-Edern Hallier. Comment ne pas être triste ? Il nous manque déjà, 10 minutes aux journaux télévisés et voilà tout. Jean d’Ormesson frappe juste : « C’était un écrivain » (il le répète deux fois). Souvenir d’une coupe de champagne prise en sa compagnie chez Gérald Piltzer, de sa gaieté et de son magnétisme. Je suis ébloui par la vision d’une jeune fille qui vient s’asseoir près de nous. Une apparition. Elle est si belle et si parfaite que je suis vitrifié par sa présence et je me dis que cette existence là, si proche, justifie de vivre. La reverrais-je ?


Jésus (et) Raphaël...

J’ai repris mon travail dans l’atelier du passage Thiéré, à Paris, et je me bagarre avec mes propres pensées dans cet espace exigu. Parmi les directions possibles, le travail des années passées a créé un fil ténu que je dois suivre pour pouvoir continuer. Un langage curieux s'est organisé peu à peu, miroir étrange...
Des œuvres de Jean-Michel Alberola vues récemment me font penser qu’il a compris beaucoup, mais si peu réalisé...
Ce peintre évolue dans une impasse si profonde qu’il en suscite une certaine compassion. Quel pathétique ! Le personnage est assez théâtral, habité, et plutôt attachant, mais le peintre, lui, est mal à l’aise dans ses formats, utilise un chromatisme convenu, bouché, sourd, n'arrive pas à choisir, se prend les pieds dans le tapis... Et pourtant. L’inspiration est là, pressante, impérieuse, avec un souffle qui vient d’Espagne, de Gibraltar... d’Algérie. Ceci n’est pas le cas de Soto, Jésus-Raphaël Soto, qui tout en faisant peu varier son registre, reste surprenant, frais, toujours plus juvénile en prenant de l’âge, et dont l’œuvre m’éblouit. Avec une préférence pour les petits formats carrés très récents, sans pour autant dédaigner les immenses panneaux, mais il semble que le meilleur passe dans ces sortes de subtils retables contemporains qui n’induisent pas la notion d’échelle, de monumental ou d’espace paysager. Les premières œuvres étaient déjà magistrales d’autorité, de maîtrise, de force d’expression et d’invention, comme celles d’Antoni Tapiès, Lucio Fontana, Alberto Burri, Olivier Debré, Georges Noël à la même époque : les années 50. Les courants qui suivirent ne semblent pas comparables dans l’esprit de rupture et d’aventure en cette période d’immédiat après-guerre.
Il est clair et récurrent qu’il y a les années 53/54 /56, comme il y eut les années 1913 / 1914. Seules les années 60/70 sont chez Soto moins convaincantes, avec l’utilisation d’angles ouverts, une attitude moins radicale. Mais aujourd’hui le chemin parcouru fait de Soto un classique de la modernité, avec une œuvre d’un rare équilibre... risquons-nous à le qualifier de « Poussin de l’Art cinétique et construit » ! Quelle suprématie ! Il serait cruel de dire ce qu’il devrait rester d’un Alberola et d’un Garouste.

Vu aujourd’hui au Centre Pompidou « Made in France. » Tout un programme...
Je ne conserve guère en mémoire que le choc visuel très fort que procure le panneau de Daniel Buren encadrant comme une huisserie de fenêtre de gris rayé le grand papier découpé de Matisse, puis, lorsque l’on pénètre dans la salle suivante, en franchissant les vantaux rayés, l’ouverture si magistrale à gauche sur le grand Sam Francis, l’impact très fort des deux magnifiques Nicolas de Staël, encadrés en majesté de deux excellentes encres de Chine, puis un grand Shirley Jaffe, un petit Lapicque qui se tient bien, le Pierre Buraglio, ici à son aise, des sculptures de Laurens et, bien sûr, le développement sublime opéré par les bâches de Viallat... Le reste ne vaut pas un pet de lapin.




Le ménage...

Quel temps reste-t-il à un peintre vivant à Paris ou en province aujourd’hui, de quel temps dispose-t-il pour travailler : peindre, dessiner etc. lorsque dans une journée il doit se raser, préparer du café, les repas, faire des courses, s’occuper de la maison (maintenance, ménage) s'il n'a pas de domestique, acheter et lire les journaux, lire des livres et consulter des catalogues, répondre au téléphone, appeler les différents correspondants, recevoir clients et visiteurs, traiter les dossiers divers (factures, commandes), aller acheter du matériel, ranger et nettoyer l’atelier (toujours exigu et donc à mettre en ordre), regarder la télévision, prendre un café avec des amis, critiques, jeunes filles, se rendre au musée, dîner au restaurant avec une belle inconnue, quel temps reste-t-il si ce n'est en pointillé entre toutes ces activités, si ce n’est uniquement et strictement le temps qu’il reste...


Des faits, des faits, des faits...

Pensée précise et perspicace de Jean-François Revel qui définit avec clarté et non sans malice ce qu’est pour lui l’homme libre, devenu rare aujourd’hui car nous hésitons tous à reconnaître des faits, des idées susceptibles de remettre en cause nos systèmes de pensée initiaux, car la société française est constituée de groupes et d’appartenances comme la société indienne se partage en castes, qui font qu’une idée est abordée par l’individu non pour sa validité mais en fonction de sa conformité avec le groupe auquel il appartient. D’où le fait que l’on cherche à discréditer la personnalité d’un individu avant même de réellement discuter de ses idées, de ses propos... Fâcheux travers d’une France qui prétend penser et souvent s’en abstient...

Ce que Montaigne appelait la « volupté maligne » et qui est la tendance naturelle de l’être humain à se réjouir du malheur des autres, et permet aux états totalitaires d’encourager la délation chez leurs sujets, un simple soupçon servant de preuve et de passeport pour la volupté...
De même que toute expérience n’est prise en compte comme réelle et effective, et n’a vertu de leçon, que lorsqu’on la vit soi-même ou à travers ses proches : lorsque l’on est directement concerné.

Ca tire vers la peinture. La couleur envahit l’espace, organise la pensée, les lignes, les directions, les tensions dictées par l’émotion.


L’atelier est un refuge. Le soir tombe, tout s’assombrit, les citadins sortent des bouches de métro, fatigués, blêmes, méchants, la rue est à cette heure comparable à un tableau de Georges Grosz : abominable. Refuge de calme, d’ordre et de travail lent et serein : l’atelier où l’on peint.


Temps gris...

Rythme des pensées négatives :
Le temps s’arrête. Nous sommes le 15 et aucunes ressources avant trois semaines. L’univers féminin et ses chaleurs torrides, ses sudations extrêmes, ses parfums envoûtants, n’est qu’un astre éloigné, hors de toute parallaxe analysable, à des distances inouïes de mon vaisseau à la dérive dans la nuit interstellaire. Je prends du poids.

Rythme des pensées positives :
Coup de fil aux aurores : mes amis collectionneurs, entre deux voyages, viendront à l’atelier. Cela signifie : 1) ils s’intéressent à moi 2) ils achèteront une pièce 3) j’organiserai un dîner 4) il sera de nouveau possible d’acheter du matériel pour réaliser les projets en souffrance et terminer les travaux de l’appartement dans la vieille ville 5) le printemps revenu je fourrerais mon nez dans la nuque de Sophie et nous ferons l’amour jusqu’au matin 6) l’avenir est une autoroute radieuse et ensoleillée 7) je maigris

Une nouvelle pièce réalisée aujourd'hui. La situation évolue peu à peu. Le travail s’organise. La copropriété de l’appartement dans la vieille ville de Toulon pose quelques problèmes qu’il faudra régler. Ne pas se décourager et redresser la situation : rendre l’immeuble plus salubre et agréable à vivre. Ne pas céder à des épisodes de dépression et agir en acceptant la dimension du temps nécessaire à l'établissement d'une harmonie. Pensé en travaillant à imbiber de couleurs primaires et du bleu de cobalt particulier aux affichages Giraudy. Aller vers la simplicité.

Le travail avance de façon satisfaisante.


Morris Louis...

Nous décrochons, détendons, roulons et démontons chez Gérald Piltzer avenue Matignon les châssis de 8 œuvres de Morris Louis des années 50 (AquaGreen ShadeSygma) pour les remettre en caisses… Très belles ! Trop belles. « Sygma » très grand format de 1961, 300 x 450 cm, ne se laisse pas faire et demande beaucoup de précautions. Superbe ! Travail émouvant... Le public lui a préféré la petite exposition des photographies de David Lynch ! Un signe des temps. Tristes…


200 000 DM...

Claude Berri quitte Paris pour Quiberon cet après-midi. Nous arrivons aussi en milieu de matinée dans le bureau baigné de soleil de la rue de Lille où l’on découvre dès l’entrée, après le petit corridor / verrière donnant sur la cour, au-dessus des Rothschild, qui occupent les étages inférieurs, et qui fait penser à celui du petit appartement de Guillaume Apollinaire donnant derrière le boulevard Saint-Germain sur la rue Saint-Guillaume et l’hôtel particulier des David Weill, nous découvrons donc deux grands Cy Twombly des années 50 et le grand Robert Ryman récent installé en automne. Partout des livres. Ambiance feutrée et raffinée, meubles art déco et tissus beiges, blancs et noirs. Dans le salon : Alberto Giacometti, Robert Ryman, Yves Klein, Jannis Kounellis. Rajan, le chauffeur de la limousine, est là, discret et souriant, et nous aidera à emballer un Twombly de 1958, « Arcadia », pour le descendre à la galerie au rez-de-chaussée, à des fins d’expertise : le tableau aurait été retouché récemment... Peu après, dans la galerie déserte, nous présentons la toile à des experts, dont Marc Blondeau, arrivés à 13 h 30 et sans doute mandatés par une maison de vente. L’œuvre est examinée en pleine lumière puis dans l’obscurité. La réunion est animée et Claude Berri nous rejoint en aparté pour nous dire que dans le doute, elle repartira en Suisse…
Le prix était de 200 000 DM. Est-ce une manœuvre pour le faire baisser ? L’après-midi s’écoule et il faut rejoindre l’appartement pour décrocher un Kounellis (acier, plomb, et feuilles de platane séchées), et le remplacer par un dessin de Fontana daté lui aussi de 58, une encre marouflée sur toile, et qui formera un ensemble élégant avec la grosse boule de terre avec bucci posée à même le sol de marbre, et qui appartient à la série exposée de son vivant chez Iris Clert ?
Il est l’heure pour monsieur Berri, dont la maîtresse de maison a préparé les bagages, de partir pour Orly, conduit par Rajan, le dévoué chauffeur, qui n’a pas son pareil pour se faufiler dans les embouteillages, destination Lorient après le vol de 17 h (...) Un coup de fil : le film « Lucie Aubrac » totalise 400 000 entrées, c’est un excellent début... qui ne suffit pas à dérider le metteur en scène car les critiques sont acerbes.
Nous transportons ensuite en taxi la tôle de Jannis Kounellis vers une charmante villa dans une allée tranquille du quartier des Buttes-Chaumont, avec lilas et glycines, chez un monsieur, Pierre G. (qui habite avec un autre monsieur), et l’installons sans difficulté dans le vestibule, sous une lumière zénithale... Le printemps s’annonce à Paris. Lundi : départ pour Maastricht, où je suis chargé d’installer le stand de la galerie Piltzer, avec un ensemble d’œuvres d’Hélion, Dix, Léger, Rodin, Maillol, Picabia...


Quelque part en Hollande…

Départ d'abord pour Bruxelles sous un ciel bas. Dans le petit jour froid et bleuté de la gare du Nord (7h du mat') Elisabeth Guigou descend du Thalys, nos regards se croisent un instant (qui se prolonge) et remonte le quai d’un pas alerte...
Bruxelles Midi est grise et traversée par un courant d’air glacial. Le train qui nous emporte vers Maastricht traverse les paysages mornes des tableaux de Mondrian, Maastricht qui a quelque chose de Delft et où je rejoins l’Holiday Inn au bord de la Meuse. Ambiances feutrées des pays du Nord.
La foire (TEFAAF  Maastricht) se situe à l’extérieur de la ville dans un vaste espace entouré d’ensembles modernes et froids. Il apparaît d’emblée avant son ouverture que les stands seront magnifiques et d’un haut niveau de qualité, grâce en partie à une organisation efficace qui ne laisse rien au hasard.
Comme c’est le cas à Bâle, Cologne ou Paris les galeries Waddington et Krugier s’imposent avec les stands les plus prestigieux, et c’est le cas aussi ici à Maastricht.
Je suis impressionné par tout ce que je découvre au détour des allées, notamment par la richesse des pièces de mobilier. Morgan Piltzer arrive de Paris avec son enfant dans la Porsche Carrera bleue, intérieur rouge, de Gérald et nous partons dîner en voiture dans une brasserie, celle de l’hôtel Beaumont, où la cuisine est à peu près honorable, dîner accompagné d’un excellent bourgogne Nuits Saint-Georges de 1992.
En rentrant l’hôtel est surchauffé mais la suite que je partage avec un assistant de la galerie est confortable. Le lendemain, après un solide petit déjeuner pris au bord de la Meuse, nous nous rendons à la foire en taxi, ayant en vain essayé de faire démarrer la Porsche. Il y a tout à faire. Je commence par accrocher les œuvres les plus grandes et les plus lourdes, dont on décide vite de l’emplacement, afin d’avancer le plus possible. A midi, au restaurant, nous apprenons que la nurse d’Emilie, la petite fille, vient de faire tomber l’enfant, nous accourons pour la prendre en charge et je trouve vite la direction de l’hôpital le plus proche, où j’accompagne la mère, qui est un peu paniquée. A mon retour, Morgan Piltzer absente, il faut terminer l’accrochage à deux, avec l’assistant, jeune et inexpérimenté, ainsi que la pose des cartels et la préparation des dossiers destinés au comité de sélection de la foire, je prends cela sous ma responsabilité. J’accroche ainsi une très belle huile sur carton de Francis Picabia, datée de 1940, et qui semble inspirée par Greta Garbo, et un de ses dessins aquarellé, de 1928, très beau lui aussi et qui comporte au dos des notes écrites par l’artiste.
Viennent ensuite 3 grands Jean Hélion d’époques et de styles différents (abstractions et figurations), dont un format vertical sur toile non préparée, ce qui est rare chez Hélion, et une figure de femme que j’installe à côté de celle peinte par Picabia. Malgré la tension soudaine crée par l’incident de ce midi, ce sera un réel plaisir d’accrocher une gouache du meilleur d’Otto Dix, une encre précoce et sublime de Matisse, « Le baiser », une œuvre majeure de Dubuffet de 1943 (6 MF), un petit John Constable de 1811, une aquarelle et une encre de Maxime Descamps et de présenter sur leurs socles un plâtre d’Antoine Bourdelle, le buste de Beethoven, un petit bronze d’Auguste Rodin et deux autres, d’Aristide Maillol. Sans oublier un petit paysage pointilliste, par Edmond Cros, et qui pourrait être confondu avec une œuvre post-impressionniste de Picabia. Le stand est près à temps, et la petite Emilie étant hors de danger, Morgan Piltzer est satisfaite de l’accrochage : mission accomplie ! La foire peut enfin commencer…


La lumière...

Je suis frappé par le génie d'André Courrèges : forte émotion, ressentie en visitant l'exposition rétrospective qui se tient au Carrousel du Louvre. Courrèges a compris accompli à merveille, de façon transcendante, la leçon de Mies Van der Rohe, « Dieu est dans les détails », a su inventer une nouvelle Eve jaune, bleue, rose, verte, rouge, blanche... La ligne n’a guère changé, je la crois éternelle. Aujourd’hui il crée le Café blanc rue François 1°. Homme du sud, sensuel, subtil et solaire. Intelligent et lisible par tous, tout entier tourné vers la lumière.
Le futur et le présent, il insuffle la vie même à tout ce qu’il touche. Le mode sur lequel évolue la mode actuelle est pâle et triste au regard d’un Courrèges ou d’un Saint-Laurent.

Très belle journée passée aux Tuileries avec Catherine F., dans les jardins du Palais-Royal, sur l’esplanade du Louvre, au Café Français place de la Bastille. Promesse d’instants heureux.


Mises en caisse...

Chez Chenue, transporteur d’Art depuis 1760. Visite du petit Musée de l’Art de mettre en caisse... de la momie de Ramsès aux lustres de plusieurs tonnes. Ici les œuvres ce sont aussi les caisses exposées ou en partance. De toutes tailles, elles sont fraîches, parfaites, embaumant le sapin, prêtes et pimpantes pour voyager par le train, en avion cargo, par bateau, et pour toutes les destinations : Moscou, Rome, Cincinnati ou Honolulu. Les sarcophages de mousse, faits sur mesure, peuvent épouser toutes les formes. Chenue est une grosse entreprise !
Venir chez Chenue et découvrir son univers, ses savoir-faire, c’est porter ensuite un autre regard sur les œuvres d’Art et sans Chenue le monde de l’Art s’arrêterait de tourner !


La chair...

Amour cet après-midi avec Catherine F.

Raymond Hains revient du Portugal où il n’a cessé de pleuvoir pendant tout son séjour, une semaine passée à Porto et Lisbonne, à consommer des nids de pies (algues et mollusques), de la morue et du Vino Verde ainsi que du Porto, qui se boit en fin de repas. La Biennale de Lyon l’invite cette année puis, ce sera Münster, Vallauris, qui organise une exposition consacrée aux affichistes, et Kassel pour la Documenta. Souffrant encore d’une bronchite il me dit travailler dans une certaine confusion. La vente d’une œuvre lui a permis de régler les loyers de ses entrepôts de Sainte Geneviève-des-Bois et il pense toujours à se rendre à Nice, à changer d’air...
Nous parlons de Maastricht, d’Hélion, dont il a lu avec un grand intérêt la correspondance avec Raymond Queneau.


Le bonheur…

Une chemise propre
Un peu d’eau de toilette
Un cigare frais
Une fille à son bras
Une côte de bœuf
Une valse musette
Les lilas dans l’allée
Le soir qui tombe
L’amour qui vient
La promesse de l’aube...

Théâtre des matins
Livreurs
Liqueur des yeux endormis
Lumière irisée
Chaleur qui monte sur Rome
Globules rouges et globules blancs en éveil
Térébenthine et drapeaux rue de l’Observatoire
Aisselles des boulangères
Embrasement à Fréjus sous les jupes des pins



 Grève à Orly...

Je cours déjeuner au Train Bleu avec Catherine. Dans le TGV pour Montpellier je rencontre Delphine et en suis un peu étourdi, nous parlons devant le paysage qui défile de Kessel, Cézanne, et Spinoza. Il fait chaud et beau au sortir de la gare où je suis attendu. Vespa. Dans les garrigues et les ponts sur la voie ferrée qui mène à Sète le vent couche les herbes. Le bleu du ciel envahit tout. Le mas est tout près de la ville, comme devait l’être la demeure de Joseph Delteil, la Tuilerie de Massane, avec ses toits, ses cuves, ses chiens, son four à pain dans la salle commune voûtée en losanges.
Dans les hangars des réserves du Frac Languedoc-Roussillon une « pièce » de la collection Devautour m'attend, pièce que nous avions réalisée ensemble chez Roger Pailhas, et qu’il faut déjà restaurer avant son départ pour une exposition en Europe de l’Est. Son mauvais état est dû au fait d’avoir été mal stockée et je suis surpris et attristé de constater les mauvaises conditions de conservation des œuvres, du peu d’égard dont elles bénéficient ici... Les campagnes autour de la ville sont bien jolies.


Il savait...

La cérémonie donnée mercredi dans la chapelle de l’école en la mémoire de Georges Jeanclos était très digne, étaient réunis amis, professeurs, et élèves : Olivier Debré, pressé, ému, Bioulès couvert de son feutre mou et bosselé et son sourire aimable, Albérola au regard lunaire en boules de billard et son imperméable fripé, Amor, myope sensible et affectueux, Paul-Armand Gette immense et discret, Christian Boltanski en bonze précieux, Claude Viseux, Alfred Pacquement voûté sur le secret, Duffo (dit Carbone), aux yeux de bon chien et fleur mauve à la boutonnière, et Damien Cabanes, affecté.
Ce matin les funérailles au Père Lachaise se sont déroulées par beau temps, cortège nombreux des connaissances qui remontent les allées vers les monuments à la Déportation. Oraison funèbre devant le triangle de granit des morts de Dachau. Chants en hébreu. Vu Lionel Jospin et son épouse, Francis Lemarque très attristé, les marchands Loeb et Trigano, Jacques Villeglé, Amor, Olivier Debré (qui ne peut rester) Caron etc. Beaucoup d’émotion. Trouées de lumière sous les ombrages. Gorges serrées. Georges Jeanclos a rejoint ses « dormeurs », pour un temps infini, enfin apaisé... Mémoire, déjà, de son regard intense il y a peu : il savait…



Joyeuse...

J’ai des matins radieux. Le travail avance de façon satisfaisante : trop ? Mes amours avec Catherine se poursuivent. Est-ce un décompte ?
Mon père est à l’hôpital : j’aime cet homme.
Partir à la pêche. Commencer de grandes toiles : des marines à l’échelle 1, entre Marquet et Baboulène. Il faut réserver une bonne table à l’Ambassade d’Auvergne.
Après être passé par le petit, le très petit, le minuscule, je retournerais au très grand, au monumental, à des toiles qui tiennent les murs, et non l’inverse.
Vu samedi au musée du Louvre l’épée des sacres de France dite « de Charlemagne » ou « Joyeuse. »
Vendre, vendre, vendre. Ainsi pouvoir acquérir ensuite une automobile, des meubles, des livres, et un coin de campagne. La vie à l’état pur…


Santé... 

Marc Deschamps m’a appelé hier de Londres. Il a été sensible à mon film vidéo « Gina » et décide de choisir un collage sur papier, pour 2000 francs, tout de suite, et il viendra de Saint-Tropez cet été, choisir une grande pièce dans l’atelier de la rue Jean Jaurès. Sa femme Caroline est attirée par la sculpture murale « Santé » et lui aimerait acquérir la nature morte anachronique peinte en 86, et dont je demande 15000 francs. Tout cela me comble car je n’ai jamais vendu d’aussi grandes pièces. De surcroît, l’idée de les voir figurer dans une grande maison londonienne aux murs blancs et aux meubles noirs m’enchante : le contexte est excellent. Je ressens un sentiment d’apaisement et de calme, celui d’être récompensé pour mes efforts et des œuvres dans lesquelles j’ai mis beaucoup de moi-même, réalisées à perte dans une grande solitude, l’angoisse parfois, comme autant de bouteilles à la mer...
Gianni Bertini m’appelle ensuite et nous parlons de son exposition avec Rotella en février, puis de Milan, de ses difficultés actuelles, de sa femme dont le cas semble désespéré... J’irais le voir bientôt. J’appelle Raymond Hains, qui attend des journalistes d’Arte pour un reportage complet, et notre entretien se poursuit le lendemain pendant 2 heures au cours desquelles je prends de nombreuses notes.
 Il a convaincu M. J de me faire exposer à La Villette, ce qui est une très bonne nouvelle car un catalogue édité par Actes Sud est prévu. Je joins aussi Roberto Peccolo à Livourne et il me demande de lui envoyer des photos d’œuvres récentes, ce qu’il fait depuis 3 ans à chaque fois que l’on se parle, mais je doute de ses intentions de m’exposer ne sachant d’ailleurs pas si cela est dû aux difficultés que traverse la galerie ou à un manque d’intérêt véritable de sa part pour mon travail... Il fait chaud.
Les « estampes » sur lesquelles je travaille en ce moment sont assez belles, et me permettent de ressusciter des images qui seraient restées à l’état de simples tirages photographiques, ce qui ne m’a jamais satisfait, d’où leur purgatoire dans les tiroirs de l’atelier... Fascination pour le temps qui passe. J’aime ainsi voir vieillir mes travaux, revivre des années après les moments toujours intenses vécus lors des prises de vues.


L'obscène...

La pluie boulevard Voltaire : tonalités de gris, ombres / tâches sous les marronniers. Milliers de fleurs blanches jonchant le sol de la place de l'Alma avant le passage des balayeurs noirs et verts. Vu Georges Noël et Daniel Buren à l'institut Franco-Polonais. Le film Nuit et brouillard est programmé vendredi à... 0 h 10 !

Les transferts d’images anciennes, réalisées ces dernières années, sur papier Arche, et les effets qui en résultent, me surprennent et créent des ouvertures inattendues. Plaisir de découvrir, au cours du travail, de nouveaux possibles, de nouvelles portes.
Les thèmes se répartissent entre les natures mortes, étalages, légumes, les portraits de paysans et autres, les « séductions », la plage, les paysages.

Vu à la télévision l’œuvre bouleversante de Maurice Pialat « Sous le soleil de Satan. » Le travail avance. Il n’y a pas de miracle : avancer, coûte que coûte, ne rien s’interdire, dépasser les effets faciles, recommencer, travailler !


Le turbo oubli...

TGV. Paris Lyon Lausanne Zurich. Défilent à ma gauche les deux tours romanes de la cathédrale de Dijon, sa flèche aiguë et ses tuiles vernissées, damier peau de serpent vert et jaune luisant sous le soleil de mai. Paris hier après-midi. Le chantier est immense, la terre en friche. Le champ pétrolifère non-exploité. La perte énorme.
C’est ainsi que se définit Raymond Hains, désolé de voir et de constater un peu plus chaque jour et arrivé au terme de sa vie, dont il estime l’itinéraire bien rempli du point de vue sentimental, des amitiés et des aventures vécues, mais à l’état de catastrophe sur le plan de l’œuvre, tant ses projets divers et variés ne peuvent aboutir, paralysés par l’entropie ambiante, la gabegie des finances de la Culture, l’incurie des responsables, le désert du marché français, l’inexistence de vrais collectionneurs, seuls susceptibles de rendre possibles de vraies réalisations, une œuvre à l’état de catastrophe donc, propos tenus alors que nous sommes attablés au Hägen Dass des Champs-Élysées, cela aussi à cause de l’incompréhension des commissaires d’exposition et de commanditaires qui font appel à lui pour participer à des expositions, mais sans jamais lui donner les moyens matériels et financiers pour développer ses vraies intentions, et donner libre cours, alors qu’à 72 ans passés le temps lui est compté, donner libre cours donc à une œuvre qui se déploie et s’étend bien au delà de la simple répétition et redite des jalons archi-ressassés que sont les affiches, les allumettes ou les palissades.
Il présente ainsi comme demi-échecs ses interventions chez Cartier malgré la bonne volonté d’Hervé Chandez ou celle de Robert Fleck, sa participation à la Documenta, à l’exposition de Münster. Documenta pour laquelle Catherine David lui demande de faire des choses dont il n’a pas vraiment envie et ressent au fond de lui comme des corvées. Il serait préférable, me dit-il, de lui donner de l’argent pour payer ses fournisseurs, les laboratoires, ses loyers, plutôt que de l’inviter à exposer dans de mauvaises conditions, lui permettre de souffler, de se rendre à Nice pour réfléchir et chercher de nouvelles voies... et s’accomplir enfin alors que les fonds pour l’Art, en France en particulier, sont en général consacré inutilement à l’achat d’œuvres étrangères coûteuses et souvent de faible intérêt, pour des raisons obscures liées au marché, aux goûts du moment, à la mode, et surtout un oubli systématique des périodes de notre histoire récente sur lesquelles la société française est passée trop vite, tant nous sommes obnubilés par l’Art américain et germanique, et en état d’infériorité volontaire. La France, comme l’église, ne reconnaît pas les meilleurs de ses fils... Il en va de même, poursuit-il, du livre de Catherine Francblin paraissant à la fin de ce mois, et qui prétend expliquer le mouvement des nouveaux réalistes avec des confusions, des erreurs, une caricature des faits réels, sans avoir pris le soin de bien interroger les véritables acteurs, de considérer les données objectives, les sources précises...
Amère déception envers le milieu des galeries françaises, avec lesquelles il a décidé une fois pour toutes de ne plus parler d’argent, quitte d’ailleurs à rester sans le sou. Et qui se soucie vraiment de l’ampleur de l’œuvre d’Hélion ou Dewasme aujourd’hui ? Il s’agirait ici de ce que Paul Virilio appelle le « turbo oubli » ?
En écoutant Raymond Hains je suis attristé par les accents de lassitude et de découragement dans sa voix, de voir cet artiste et cet esprit (chose rare) de grande envergure, si précieux pour notre société française, laissé dans le besoin, à l’écart, réduit à la case trop étroite pour lui de l’appartenance au Nouveau Réalisme...

Alors que le train chemine dans les profondes vallées des Alpes Suisses en direction de Locarno, dont les sommets se perdent dans les brumes, sous les sapins sombres et inquiétants, les torrents qui dévalent des sillons des montagnes aux pentes grasses battues par la pluie et les toits fumants des chalets endormis, je pense à la bonne idée qu’a eu Frédéric Dard de venir s’installer ici, dans une solide maison où ne résonne que le staccato de sa machine à écrire. Vivre en Suisse... comme Dard, comme Balthus, et travailler à son aise !


Les bacs du Rhin s'en vont et viennent...

Lorsque l’on prend le bac qui traverse le Rhin et mène au musée et à la vieille ville de Bâle, on ne peut que songer à ce vers d’Apollinaire. Il fait très chaud sur l’eau, où le courant est violent, et si frais et tendre ensuite sous les marronniers des berges…
La Foire, où nous croisons entre autres Claude Berri, Georges Noël, Roberto Peccolo, nous a permis de voir cette année un Picasso étonnant et drôle, atypique et enlevé, mais Picasso fait mouche à chaque fois, il semble inépuisable et on y revient toujours; un Derain sublime, petite nature morte au bouquet de fleur si discret, traité « à la Manet », et qui emporte largement la partie !
Albert Marquet (toujours lui !) est là où on ne l’attendait pas, avec un remarquable « Pont-Neuf » daté de 1906, 4,5 MF, un des plus beaux sans doute, tout comme Dufy avec un palmier très frontal séparant l’espace de la toile par le milieu. Voilà tout ! Et c’est déjà beaucoup !


Sandy...

Lu, relu, exploré les « Illuminations », diamant (éternel) de l’écriture qui résiste à toutes les définitions, épuise tous les adjectifs... Parution du texte sans fin, tellurique, myriade de bulles en plongée et crevant la surface des eaux : « Finnegan’s Wake. » Fait l’amour avec Sandy... Les toiles de l’hiver seront belles ?

Prendre le train pour Strasbourg. La nuit. Vitraux. Puis Francfort.
Relire alors Aragon :

Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda


L’espagnol…

La vie d’Estéban Téruel enfant, puis adolescent. Enfance miséreuse des paysans et des routiers dans l’Espagne pauvre des années 30. Voyages à pied. Travaux de peine sur les chantiers des docks de Barcelone et la construction d’un barrage. Déchargement du charbon. Puis les combats de Barcelone. Ceux de la place de Catalogne dont parle aussi Tapiès. Exécution d’otages civils dans la nuit catalane à la lumière de phares de voitures en représailles d’actions franquistes. L’évêque paniqué qui implore qu’on lui laisse la vie sauve. Un père qui serre son fils adolescent contre lui et le protège de sa cape : regard de l'enfant qui, silencieux, nomme ses exécuteurs avec dans ses yeux l’inscription « Assassins. » Estéban ne le supporte pas et refuse de participer au peloton, pour toujours.
La rencontre avec des russes et des français sur un terrain d’aviation : il sera mitrailleur à bord d’un bombardier dans le ciel de Catalogne et des Baléares. Les combats contre les avions allemands et italiens. L’avion est abattu. Grave blessure à la jambe qui le laisse boiteux à vie. Convalescence à l’hôpital de Sablé, dans la Sarthe. Souvenirs, déjà, des blessés et des morts de la guerre civile, qu’il faut porter, évacuer. Rejeté alors par les habitants et désigné comme étant « l’Espagnol. »
Mariage avec son infirmière. Il reprend les actions clandestines quand les Allemands envahissent les deux zones : trafics d’armes, sabotages, renseignement, parachutages, récupération d’aviateurs alliés. Dénoncé, condamné, déporté à Bergen Belsen. Condamné à mort. Sursis très provisoire comme Sonderkommando (manœuvre aux fours crématoires). Les corps encore. Le travail de manutention pour en alimenter les fours… La fin prochaine. Ne pas plier : tenir. Survivre. Et se battre encore. Ici le combat consiste à fabriquer des outils tranchants à partir de bouts de métaux récupérés, pour aider un médecin à opérer ceux qui vont mourir, le docteur Hansen, qui vit aujourd’hui à St-Brieuc (Christian Bernadac / Les médecins de l’impossible). Puis c’est la liquidation du camp. Exécutions au son du violon. Il y échappe mais passe une semaine enfouit sous un charnier, parmi les morts, la putréfaction. Le corps et l’âme cassés. Revenir. Vivre. Salut à toi « l’Espagnol » ! Je t’ai connu. Et j’ai vu cette flamme : elle était dans tes yeux !


Déjeuner de bolognaise...

Achat d'une pellicule. Attroupement sur le quai Voltaire devant la Caisse des Dépôts où se tient l’exposition Raymond Hains, on attend la Géante Iris Clert, qui doit franchir la Seine pour aller jusqu’au Jeu de Paume rendre visite à Daniel Abadie, Daniel Abadie est là bien sûr, et Claire Burrus, Christian Boltanski, Yves Jamet, Annette Messager, Neiman, Martine Laydet etc. Ginette Dufrêne se tient tout au long du parcours auprès de Raymond Hains, qui toujours élégant arbore son beau pardessus de chevrons.
Tout en prenant pas mal de photographies, je joue avec les enfants de Yoonja Devautour qui profitent bien de l’occasion pour jeter des volées de confettis.
L’évènement est réussi, la poupée superbe, et la fanfare des Beaux-Arts anime la marche dans une ambiance de récréation et de kermesse. Arrivés au Carrousel du Louvre, je n’ai plus de pellicule et nous allons prendre le thé chez Yoonja et Paul sous les toits de l’Ecole des Beaux-Arts, au 15 du quai Malaquais. Le couple est enchanté de son séjour à New York où il aimerait s’installer, et Paul m’explique les démêlées avec Roger Pailhas pour répondre à la proposition de Chantal Crousel qui souhaite les faire exposer en mars. Il est un peu dépité par le marché de l’Art et reconnaît qu’il est à peu près impossible de vivre de la vente de ses œuvres. Yoonja quant à elle me fait part de son émotion d’habiter l’Ecole des Beaux-Arts, où nous étions étudiants il y a déjà vingt ans (Vingt ans après…), trois étages plus bas, chez Gustave Singier, dans l’ancien atelier de Gustave Moreau où Matisse fît un passage.
Un sentiment que je comprends étant aussi très attaché à ce lieu, à ce qu’il représente : l’hiver, la neige, le Cours Yvon, et la lumière du Nord sur la chair du modèle.
Je flâne ensuite chez les bouquinistes du Pont des Arts, et rue des Beaux-Arts où Louis Cane a ouvert une galerie, non sans panache, en narguant l’institution. Les meubles qu’il réalise avec deux jeunes ébénistes sont superbes ! Plus bas dans la rue j’admire chez un libraire un exemplaire (rare) de la revue OH, réalisé par Gianni Bertini, un objet magnifique, et celui-ci entre soudain pour s’étonner avec moi du prix faramineux que ses objets atteignent aujourd’hui !
J’assiste ensuite au vernissage de l’exposition Jean Arp, chez Lucie Weil Seligman, et prend le métro pour aller dans le XVIIe arrondissement à la signature par Gianni de la dernière livraison de son « Diurnal.» Il est en forme, bon pied bon œil, et si gentil et attentionné avec chacun, mais un peu triste quand même de voir que les gens ne s’y pressent pas…
Neiman, toujours fidèle, est là et boit du Kir. La nostalgie et en tout cas le plaisir d’être au contact d’artistes comme Gianni renforcent mon peu d’enthousiasme pour la bigoterie, le côté « fonctionnaire », conventionnel et triste des jeunes galeries et revues d’Art… Rester libre avant tout.


Le labyrinthe...

Visite ce matin de la cathédrale de Chartres sous un ciel bas, un vent ample soufflant sur la Beauce venant de l’Atlantique. Les pierres polies par les siècles, le labyrinthe. Puissance de la verticalité. Douceur infinie des visages sculptés. Puis, à la galerie Templon, l’exposition Gérard Traquandi, qui devient un vrai peintre, avec une belle œuvre. On peut dire que c’est fait : Daniel Templon est en train de regrouper autour de lui parmi les meilleurs artistes du moment. Hains l’a rejoint, il y a 5 ans environ, aujourd’hui c’est Traquandi, puis Viallat, au printemps, après 30 ans passés chez Jean Fournier. Rue Bonaparte les meubles dessinés par Louis Cane sont magnifiques. Le temps polit les choses, les œuvres fortes restent.


Des millions...

Le marché de l’Art est curieux. Certains dépensent des millions. Mais on trouve sur les quais, chez les bons marchands, des estampes signées Marquet, Camoin, Segonzac ou Spoerri, Jacquet, pour très peu d’argent. Pour qui s’en donne la peine, les bonnes galeries, comme la galerie Hopkins-Thomas-Custot, conservent à la demande dans leurs tiroirs des encres, des dessins de maîtres tout à fait accessibles… Il en va de même dans les ventes publiques, où on peut trouver beaucoup en dépensant souvent peu. Prendre donc les chemins de traverse, plutôt que les autoroutes fléchées de l’Art.
Les cotes, elles, sont souvent incompréhensibles, soumises à de simples fluctuations de valeurs, comme celles des cotations en bourse.
Vu Mathias Fels à La Hune, qui fut un grand marchand à sa façon, un peu poivrot, un peu dandy, avec une allure bonhomme et la moustache de Savignac. Une époque bien finie…
Mais il serait par trop hasardeux de tirer un trait sur le passé récent, disons celui de l’après-guerre, période qui peu à peu trouve son ordre, se sédimente en un processus lent, qui prendra encore de nombreuses années. Les historiens travaillent, chacun réfléchit, les mots d’ordre et les modes s’estompent pour laisser place avec le recul à une vision plus sereine et juste de la valeur de tel ou tel artiste, de tel ou tel courant.
Cette évolution ne peut se faire aussi qu’avec l’émancipation progressive des esprits par rapport aux grands courants idéologiques et politiques qui ont « plombé » la vie intellectuelle, l’Europe vivant sur les restes d’un cadavre encore chaud : celui de l’Union Soviétique. Discernement et ténacité dans la lecture de l’histoire donc.
Gianni Bertini m’a écrit...
Il a la rage, car quelques ténors se partagent le marché, comme Arman, très sur évalué, et laissent peu de chance aux autres. Pour un jeune artiste, l’observation du comportement d’un Bertini est aussi importante que de s’étourdir avec les revues d’Art qui ressassent, matraquent Arman ou Botero, tous deux des artistes très respectables au demeurant ou encore Closky et Parreno comme les étoiles montantes...
Selon lui, le marché est malade car il se montre à terme autodestructeur. Toujours ce constat, celui d’une vieille Europe assujettie aux Etats-Unis, en proie aux turpitudes et au manque de confiance. Les affaires continuent sur le second marché mais l’Art évolue dans un climat plutôt délétère : les prix atteints par Picasso ou Andy Warhol cachent l’absence de vrais amateurs pour l’Art vivant.
Découvert à La Hune l’œuvre du photographe Breitenbach, un grand photographe : ses nus ont un rapport avec ceux de Raoul Haussmann, tout de retenue, de tenue. Impression assez rare de découvrir un artiste dont on se sent tout proche…


Confettis...

En cuisine une chose est sûre : le meilleur se trouve dans le four à pain ! Quand le pain est chaud et que la pièce embaume, est chaude aussi comme un gros four, eh ! bien c’est le moment de sortir la fonte noire et parfumée de thym où mijotent la daube, les tripes et les pommes de terre rôties à la crème, blottie pendant des heures sous un coin de brique, près de la cuisson des pâtes blondes qui croustillent… Des confettis jonchent les grosses tomettes fatiguées de ma mansarde depuis une semaine, j’en avais plein les poches depuis que nous avons suivi la poupée Iris Clert jusqu’au Carrousel du Louvre…


My heart belongs to “Daddi…”

Vu aujourd’hui au Louvre les nouvelles salles consacrées au Primitifs et suis toujours plus fasciné par Fra Angelico et Bernardo Daddi, ainsi que par les petits formats peints sur bois, qui à eux seuls prennent le pas sur des pans entiers de l’histoire picturale : à toutes les époques un certain de degré de sympathie émane des plus belles œuvres.
Cette sympathie indéfinissable - Joseph Beuys en a parlé avec des mots justes - va bien au-delà de la peinture, elle vient du caractère même du peintre, de sa qualité intérieure, de sa volonté de « faire » sans lourdeur, sans se rendre prisonnier du tableau, volonté de maîtriser la pratique et de la dépasser…
Ainsi Filippo Lippi s’embourbe souvent, mal à l’aise dans le format, les lignes de fuite, la forme, l’expression. Il est lourd, insiste trop. Angelico a lui un projet et une vision claire. Il assujettit jusqu’au bout la technique, la plie pour rendre cette vision claire initiale. Le résultat est simple et évident. De même pour Picasso et Giacometti. Casser, éliminer si « ça ne va pas » (sic Picasso dans le film de Clouzot), tant que l’on n’a pas rejoint ce sentiment intérieur très simple, la qualité d’intention qui précède la réalisation.
Réalisé ces jours derniers à l’atelier plusieurs micro sculptures qui me donnent satisfaction. Je les organise sans efforts, elles se construisent seules et tombent juste. Les éléments qui les composent étaient dans mes boites depuis 2 ans en vain. Les tentatives précédentes avaient toutes échouées, beaucoup d’essais pour un résultat nul. Le temps a passé et après décantation tout se met en place et me permet de passer à autre chose, et d’aller plus loin ! Le temps donne la mesure...

C’est curieux mais en rentrant dans l’atelier je suis content.

Anke part à Amsterdam : je suis soulagé. Elle commençait à me fatiguer.


L'œuvre...

Vu, entrevu, dans le bureau de la galerie Gianna Sistu, rue de l’Université, un si beau Daumier que tout le corridor devenait un Daumier, comme une œuvre totale.

Vu Chantal D., avec qui je déjeune, ainsi que son fils Alex, de retour de Bali. Chantal D., qui se remet d’une grave maladie, est pleine d’attention pour moi, me réconforte et me rassure sur mes déboires amoureux. J’aime sa vision de la vie et des rapports entre hommes et femmes, qui doivent, selon elle, être menés sur un mode réconcilié et dans un respect mutuel…
Je me dirige ensuite vers le musée Nissim de Camondo tout proche où la moyenne d’âge des visiteurs est de 85 ans et je découvre un exemple parfait du goût des anciens collectionneurs français pour le XVIIIe siècle, le mobilier.


Le beau 69...

La galerie Hopkins Thomas reste fermée pendant l’accrochage Henri Moore. On me permet de voir quand même une aquarelle d’Albert Marquet, avec une barque bleue barrant l’espace, dans les eaux calmes devant Porquerolles, où il a séjourné en 1939, ainsi qu’un dessin du maître où « Deux amies » font un magnifique 69 !
L’exposition Alex Katz chez Thadeus Ropac est superbe et je ressens une vraie émotion devant son grand paysage panoramique jaune et bleu (colchiques ?).
Martin Guénet, à la galerie Karsten Grève, est très aimable et nous parlons des dessins de Tony Cragg qui ont beaucoup de succès.
Je me dirige ensuite vers la rue Louise Weiss où l’ambiance est très « clinique », j’y rencontre Ami Barak venu visiter certains contacts parisiens. Une des assistantes de Jennifer Flay déploie au sol de grands tirages photographiques et me montre ainsi ses reins si doux, son épiderme, la frange dentelée blanche de sa culotte barrant le noir profond du pantalon de velours noir. Tout cela me plaît. A. Barak ayant rendez-vous à la Closerie nous prenons un taxi, où l’on évoque les élections en Languedoc-Roussillon, difficiles, et l’appel indirect de Jean Blanc au Front National, questions cruciales…
Peu après, le vernissage d’Olivier Debré et ses élèves a lieu dans la Chapelle de la Pitié Salpetrière, en présence de Lise et Jacques Toubon.




Huit secondes...

L’équarrissage continue en Algérie, où l’on tue encore de façon artisanale, selon les anciennes coutumes, à l’arme blanche. Corps découpés, mutilés. Le sang. La mort est désormais souvent occultée par nos sociétés et se pense de manière virtuelle, la télévision la montre de façon abstraite et nous n’avons pas les vraies images de ces massacres car elles seraient trop insoutenables. Souvent ce sont les mots plus que les images qui rendent compte de l’horreur, les mots si durs à prononcer alors des rescapés…
Il en va différemment de signer un bordereau d’envoi vers les camps pour un fonctionnaire zélé que de mettre « la main à la pâte », les SS eux-mêmes ayant toujours délégué le plus possible la basse besogne. Les meurtres de l’Algérie actuelle sont un rappel à la réalité, aux archaïsmes.
Et l’Art d’aujourd’hui se concentre sur les formes d’aliénation des sociétés post-modernes mais ne plonge pas assez dans la réflexion sur la mort et l’ouverture sur la métaphysique qu’elle impose. Malraux l’a fait, tout comme le retable d’Issenheim…
Le virtuel est la grande affaire. Mais comment imaginer, et penser en soi, et pour l’autre, le bruit des portes des wagons à bestiaux qui se referment, la promiscuité, les déjections, le tressaillement des épidermes, la sueur, la folie qui s’empare des plus faibles, la mort pour tous ? C’est toujours l’autre qui meurt… Et si c’était moi ?
Il sera bientôt possible, dans un avenir qui se rapproche, d’organiser des meurtres en direct sur le Web, à distance, où des unités d’assassins engagés pour quelques heures seulement, vite dissoutes ensuite, mettront à mort une ou plusieurs personnes pour fournir un spectacle à des amateurs qui auront « cliqué » pour cela, dans un niveau de responsabilité très virtuel : si 1000 amateurs cliquent en même temps, la part qui en revient à chacun est minime…
Au Rwanda, aucun état ni aucun satellites n’ont pu empêcher le massacre, artisanal, mais à grande échelle. Les services savaient, mais le droit faisait défaut pour intervenir alors.
La réflexion sur l’absolu pouvoir, à contrario, de la technique, nous est fournie par un capitaine de frégate anglaise, coulée pendant la guerre des Malouines : Le missile (de fabrication française) qui allait arriver dans huit secondes sur son bateau était imparable, ses instruments de riposte ayant un temps de réaction supérieur de quelques secondes. Huit secondes interminables, à attendre la catastrophe… qui eu lieu !


Mémorial...

Raymond Hains s’épanche au téléphone, en temps réel, entre passé, présent et futur, m’invite à Nantes. Force des liens qui l’unissent à ses amis anciens et récents, à la mémoire des disparus, mémoire affective… Je repense à La chambre verte de François Truffaut.
Cette insistance sur les liens affectifs et la mémoire marque une grande différence – mais est-elle perceptible à son entourage ? – avec les comportements dans le milieu de l’Art actuel où affects, nostalgie, sentiments, semblent vouloir être écartés, le sexe ayant remplacé tout cela. Je suis par contraste attaché aux souvenirs, aime lire les mémorialistes…


Plus d’énergie…

Anke me manque. Menace de panique. Mauvais temps. Tout est à refaire. C’est la chute de Berlin. Un champ de ruines. Du déblaiement pour des mois, des années. Pourquoi ce vide qui succède à ce plein d’émotions, d’effusions, de projets, de bonheur entrevu, vécu en acompte. Effondrement des marchés. Dépression. Théâtre d’ombre des amours déchues…
Don Juan en proie aux affres, aux tourments, cocufié par la mort qui rode, les femmes qui passent comme des secondes… La plus parfaite morbidité plane sur l’Art actuel, sous-jacente aux œuvres de Paul Mac-Carthy, Mike Kelley, Andrea Serrano ou des frères Chapman, univers clinique, délectation pour l’étrange, ce qu’il y a de pathologique en nous. Résistons en approfondissant sans retenue et dans un plaisir total le parcours de Vuillard, celui de Bonnard, tout ce que la modernité cherche à nier, à évacuer.
Plus tard… Anke me fait savoir par une amie commune qu’elle ne souhaite plus me voir bien qu’étant à Paris. C’est un choc terrible, ma vie vacille. Je l’aime tendrement. Chaque seconde me pèse. Son image et son épiderme m’obsèdent. Il y a quelques mois encore j’aimais la solitude, le silence de cette pièce que j’habite, au milieu des livres et des souvenirs… déjà. A cet instant cette solitude et ce lit froid et désert sont une torture, l’impression d’être en cellule, que chaque minute est un bloc opaque et froid, son absence me fait détester ce qui m’entoure, objets familiers, tout paraît sans nécessité, comme un vide à l’infini…

Vu ce soir dans la vitrine d’un antiquaire du quai Voltaire, dans le soir bleuté sur le Louvre, un joli Boucher un peu maladroit mais fort tendre, petit format sur fond gris, jeune fille de trois quarts, au visage un peu écrasé, dans des tonalités exquises de chair, d’étoffes claires, avec un très solide sens de la composition.
Dans la boutique, le buste d’un Bourgeois de Calais, en terre, a suffit à me redonner le sens de la grandeur et de la simplicité, de la densité propre qu’une sculpture doit posséder, dans son être, sa nature même. C’est le printemps…


Je me souviens ces derniers jours de Raymond Hains déclamant de mémoire au téléphone un long poème de Max Jacob jonglant avec les mots :
« manèges », « ménages », « ménages qui déménagent », « manège des ménages qui déménagent », etc.

Sa mémoire est phénoménale, ainsi pas un nom, pas une référence précise ne lui échappe, la « machine célibataire » Hains est un défit permanent et vivant aux Macintosh ! Il projette, pour l’exposition prochaine des artistes français à New York, au Guggenheim, et dans l’idée des fenêtres (windows), souvent présentes dans les tableaux de Matisse, d’envoyer un intitulé : « De Matisse aux Macintosh. »
Projet également de faire voyager la « géante » Iris Clert jusqu’à Nantes où elle pourrait rendre visite à Gaston Chaissac, artiste qui fit partie de la galerie. L’ouverture prochaine du nouveau musée de Porto se fera aussi avec Raymond Hains, et cela sera sûrement l’occasion d’un nouveau voyage ?
Le travail à l’atelier avance à tâtons, à petits pas, la confiance revient peu à peu, mais les doutes sont toujours aussi forts. Je vis dans la peur, la peur de perdre Anke, si ce n’est déjà fait. Me répondra-t-elle ? Je ne sais. Raymond, qui la connaît, nous étions descendus dans le même hôtel à Montpellier, et à qui je fais part de mes difficultés, m’encourage, malicieux, à profiter du printemps, du renouveau, de nouvelles rencontres, des jeunes filles en fleurs. Il ne se doute nullement de nos corps à corps, nos étreintes, nos amours. Les souvenirs sont peu communicables, il faut les porter seul. Je préfèrerais à cette douleur monter à la Bonne Mère avec des poix chiches dans les souliers.


Sarah...

Appelé Raymond qui attend de l’argent du Frac de Nantes et n’arrive pas à payer ses loyers. Il se plaint de tous ceux qui se sucrent au passage, des intermédiaires, parasites actifs affaiblissant l’artiste en bout de chaîne. Il se rasait, projette de venir à Nice, attend Jean-François Taddei qui lui apporte un chèque ? Les dessous de l’Art ne sont pas de la dentelle.
Vu, entrevu Anke, avec l’évidence perçue que je continue d’habiter ses pensées, ce qui m’a redonné force et assurance. Elle n’a pas cédé, fidèle à sa ligne : la dureté.
Poignante cérémonie et veillée ce soir au Mémorial de la Déportation, à Toulon, avec mes parents et quelques rescapés. Je parle photo avec le sénateur T., que j’apprécie.
Les visages des anciens déportés pendant la minute de silence autour de l’urne contenant des cendres sont saisissants. Dans le courrier je trouve le soir même une gentille lettre de Michel Butor qui souhaite visiter mon atelier de Paris à son passage via Bruxelles, dans la matinée du 5 mai. Le ton est vif et chaleureux, il curieux de voir mes « choses tridimensionnelles. » Cette perspective m'enchante, comme un baume sur mes tourments actuels. Est arrivée aussi l’invitation pour l’exposition Viallat à la galerie Templon, et qui s’annonce très belle. Mes amis S. et C. m’annoncent la naissance d’une petite fille nommée Sarah, j’en suis heureux comme si cela m’arrivait…

Journée délicieuse hier dimanche en présence de Marie-Ange et son fameux Saint-Emilion. Léger flirt, effusions. Impossible de joindre Sophie, qui me laisse ce matin un message me disant qu’elle est partie dans le Verdon plus tôt que prévu. Tendre Sophie, si jeune, et dont le cœur est comme de la pâte à modeler. J’envisage avec sérénité mon séjour à la Casa de Vélasquez, et je prépare mes « vues », celles que j’espère réaliser sur place.
Reçu un appel de Michel Butor et un autre de Marc Deschamps qui m’annonce l’envoi du solde de l’assemblage qu’il avait réservé l’été dernier, payé en partie seulement, et qui sera installé dans une belle demeure du XVe siècle, place de la cathédrale, à Strasbourg.

Retour à Paris dans le mai frileux. L’entrevue avec Marie-Ange a été revigorante, et l’appartement de la vieille ville de Toulon agréable à vivre. Vu hier Sophie avec qui j’avais rendez-vous sous la pluie place du théâtre. Retrouvailles simples et directes. Malicieuse et délicieusement intelligente, petite chatte aimante et gentille. Ses traits se sont affinés, sa volonté s’affirme, et sa constance envers moi me touche beaucoup.

Très bonne entrevue avec Michel Butor hier ! Viallat, chez Templon, parfait son système, se libère dans une apparence de répétition, avec cette fois-ci des tissus orientaux brodés d’or, qui induisent un sens nouveau et inattendu. Il tape fort et juste. Où ira-t-il ensuite ? N’est-il pas au bout du rouleau ? Je crois en sa peinture, qui est LA peinture. Je bavarde avec l’assistant qui retire une œuvre du mur et l’aide à la plier de la meilleure façon, selon les pliures originales. Le toucher est agréable. Là aussi, on est encore dans la peinture : en la manipulant.

Appelé Gianni Bertini ce matin qui semble très fatigué, et nous parlons en vieux copains de la vie et de la solitude. Le clown est triste après le spectacle…
Chantal D. doit passer cette semaine à l’atelier, achètera-t-elle ? Gette, ensuite, est toujours égal au bout du fil, revient de Grèce, et se propose de venir me voir mardi. La vie continue. Bonne séance de travail ce matin. Le voyage en Espagne pourrait être positif si j’y développe avec assurance les grands formats que je projette en vain depuis pas mal de temps. La peinture me travaille au corps.

Visite de Paul-Armand Gette à l’atelier. Il regarde attentivement mes travaux. Il expose à Sète, puis en Alsace, et revient de Thessalonique. Son œil sûr et sans concessions m’est utile pour avancer. Il me félicite à plusieurs reprises sur mes estampes par procédé thermoplastique d’impression, travail qu’il juge vraiment bon et devant être montré. Nous parlons de la politique culturelle et sommes en accord sur le fait d’occuper le terrain, de ne pas pratiquer la politique de la chaise vide qui laisserait le champ libre au Front National.

Visite à Georges Noël, dans l’atelier de la rue Sedaine. Il m’explique longuement ses techniques, et ce qui le travaille, ce qui le fait agir, dans la solitude, contre tous, entre vide et plein, surface et profondeur, entre le moment difficile où tout est prêt dans l’atelier pour commencer, mais où l’on se sent vide, où l’on doute de tout, et le moment où l’on se jette dans la bataille, tête baissée comme au rugby, travaillant sans savoir où l’on va, dans la dépense et la perte. C’est un artiste proche de l’essentiel, des origines préhistoriques de la peinture, des premiers gestes, tout comme Viallat. Compagnon de Wols et d’Hartung, je vis à chaque visite des moments précieux, nous nous comprenons bien, au-delà des mots, comme des frères en peinture. Moments précieux qui se prolongeront longtemps par la mémoire lorsqu’il aura disparu. Chaîne humaine… Bons moments passés avec Raymond Hains cet après-midi au bar du Théâtre Montparnasse, rue de la Gaîté, nous étions très en verve, avec l’aide des Coteaux d’Aix en Provence...

Déjeuné avec Bertini à La Palette, il était en forme. Nous allons ensuite dans une librairie rue de Buci : Gianni est un bibliophile récidiviste. Vu ensuite Chantal D., qui doit venir à l’atelier. Je me rends du Crillon au Jeu de Paume, où je rencontre Noël Dolla à l’exposition Support Surface, assez belle, mais le catalogue est raté. Légère sensation de malaise cependant : Claude Viallat est là, mais semble distant.


Le cycle de la nature...

Passant hier en moto sur le boulevard de Strasbourg et alors que j’attendais au feu rouge de la place de la Liberté, en direction de Nice, en regardant les ombrages de la grande place donc, les platanes filtrant de façon un peu impressionniste la lumière de plâtre de nos débuts d’après-midi, m’est apparu comme un instantané, à la fois visuel et conceptuel, le fait que au fond tout mon travail et ce qui le motive, et bien des fois l’entreprise de toute une vie de peintre, ne repose peut-être que sur une légère sensation colorée, où plutôt ce que Cézanne a défini comme la conjonction fugitive des formes dans un certaine lumière, très peu de choses, liées à la perception, mais si difficiles à saisir.
Et il en va de même, par certains côtés, lorsque Claude Viallat déclare ressasser, répéter pour mieux découvrir dans un parcours en spirale l’essence même de ses intentions, dispositif d’affects, de sensations, relance permanente du désir par la peinture.
Et nous sommes loin de la peinture de ces deux décennies, dominées par les pays du Nord, l’Amérique du Nord, dans l’ensemble d’inspiration expressionniste, baroque ou formaliste. Il m’apparaît que le strict domaine de la peinture a aussi pour but, de Corot à Matisse, d’être tourné vers la lumière, l’extérieur, la célébration du monde. Seuls quelque uns comme Eric Fischl et Alex Katz s’ouvrent sur l’extérieur, mais en utilisant le biais de la photo ou de l’extrême stylisation.
Il n’y a pas de comptes à régler ou de guerre stérile à mener, juste redéfinir un nouvel espace de pensée et d’action en retrouvant une « assiette », au regard d’un passé bien compris et qui pourrait nous permettre de sortir de beaucoup d’impasses. L’aspect polémique est maintenu par les critiques, des pseudo théoriciens et des marchands, pour des raisons souvent idéologiques, relayés en France par les institutions, dont le peintre, libre, n’a que faire, trop occupé par la chose elle-même, la confrontation à un ensemble de sensations et d’idées qu’Internet non plus ne peux résumer.
Le monde reste à découvrir !
Il y a une interrogation qui porte sur le fait que les espaces virtuels peuvent se substituer à la peinture et aux modes d’expressions liés à la perception directe, et peuvent ainsi étendre les limites de notre imaginaire, découvrir d’autres espaces et d’autres mondes. Mais notre cerveau lui-même reste inconnu et inexploré à 99 %. L’aventure réside donc dans le fait de mieux connaître le cerveau, ce kilo et demi de matière qui nous anime et pour lequel Gilles Deleuze employait la métaphore d’une pâte à pain déployant ses plis et replis comme une gigantesque peau…
Les heures et le temps de travail : chaque heure de la journée n’est pas propice au travail. J’aime surtout les premières heures de la journée, propices à la lecture, pour écrire et peindre, répondre au courrier. Rythme évoqué par Tapiès, passant dans son atelier de Barcelone d'un ouvrage sur l'enluminure aux matières en attente, sous la mezzanine, dans la cage cernée de briques...
Problèmes posés par la grille des heures dans le domaine scolaire, où beaucoup d’enfants sont défavorisés, fatigués par un rythme inadapté… Rythme aussi imposé par les conditions climatiques, en Orient, en Afrique...
Ou encore dans la vie militaire et ses servitudes, dont parle Apollinaire, résigné, patriote, acceptant cependant sa condition non sans plaisir, mais qui devient synonyme d’absurde métaphysique dans « Le désert de Tartares. » Horaires qui définissent l’homme social, réglé dans son travail et son rythme biologique.
Cézanne, lui, trouvait son bonheur à l’aube, aux premières heures du jour, le regard frais devant la lumière montante. Picasso, travailleur infatigable, peignait en revanche beaucoup la nuit. Rythme aussi des grandes métropoles, très différent de celui de la vie en province… Je conserve comme référence le rythme des paysans, levés tôt, suivant la lumière, le cycle de la nature.

Beaucoup de choses faites aujourd’hui. D’abord, de nombreux coups de fils. A Olivier Debré qui était à Amboise, en pleine forme, et s’apprêtait à partir pour Paris, à Chantal D., aux Petits Beurres Lu à Ris Orangis, aux affaires juridiques, à Caroline Serfass, à la Casa de Vélasquez à Madrid.
Pendant ce temps là, Dominique, mon aide, faisait les vitres. Daniel, le plombier, viendra demain matin. Je suis allé ensuite boire un café chez Caf’tor et j’ai pu réaliser sur le trajet au moins quatre photographies de madame Olga, la vendeuse d’œufs et de fleurs, qui m’attribue beaucoup de conquêtes féminines et me parle de la pilule « Viarga » ! On a l’âge de ses artères…
Tante Jacqueline me surprend sur le fait et nous parlons de mon travail. Je me rend ensuite chez le coiffeur pour une légère retouche, ce qui m’amène à passer dans l’îlot des Riaux, où je récupère dans des décombres un volet d’un beau vert tendre, patiné à souhait, que j’apporte illico à Dominique pour le faire devenir porte de placard. J’en profite pour faire au passage quelques photos des ruines de la vieille ville, tout en regardant le derrière des filles. Je croise les yeux mystérieux d’une jolie et curieuse ristourneuse marocaine. Il fait beau. Je me précipite ensuite à la droguerie pour y prendre de l’eau minérale, un litre d’Ajax, et des lames de rasoir Sensor. A nouveaux huit clichés sur le trajet, qui devraient être superbes. Retour chez Caf’tor après une halte chez le brocanteur de la place, qui possède, une superbe tête d’homme de bois peint, au nez cassé. Origine inconnue.
Caf’tor me prépare deux paquets de ses meilleurs mélanges. Lecture rapide des nouvelles, si étonnantes et surréalistes ! On y rit et pleure tour à tour dans la seconde. La poésie est dans les faits divers… Déjeuner ensuite avec Christiane et Philippe, et café avec un fusilier marin sympathique. Mais il est l’heure d’enfourcher la BMW sous un soleil de plomb. Les hautes herbes en sont jaunes, cramées.

Il faut ensuite vite retrouver Dominique qui risque de passer l’après midi à jouer aux cartes au lieu de terminer ses travaux, et me rendre chez Roland, avocat et ami, pour y installer 5 estampes sur ses murs. Je les y apporte en cheminant dans les rues de la haute ville, carton à dessin sous le bras, découvrant de nouvelles choses à chaque pas. A cette heure, tout m’est plaisir… Achat plus tard dans un magasin du port d’un projecteur de diapositives pour projeter mes images sur toile, en Espagne.


Retour vers la place Saint-Vincent, ses ombrages et le bruit continu de l’écoulement de l’eau au canon de l’ancien lavoir. Dominique est à l’œuvre, nous avons bien mérité un demi de bière fraîche, que nous prenons à la terrasse du bar tabac situé à l’angle du grand et du petit cours Lafayette, qui à cette heure de la journée (le printemps est chaud cette année) est balayé d’un délicieux courant d’air. Une ville d’or, d’or et d’ordures. Tout en plaisantant nous terminons l’installation et je fonce dîner de riz blanc au restaurant thaï de la rue Fernand Pelloutier, avec une vue en enfilade sur la rue Félix Pyat et la Bourse du Travail, endormie, avec ses portes et ouvertures condamnées, et pourtant si majestueuse. Que deviendra ce si beau bâtiment ?
Les hirondelles virevoltent et crient, tournoient dans le ciel au-dessus des toits, zébrant le ciel encore bleu à cette heure, alors que sur la place Puget, toute proche, Maurice, le célèbre et charismatique garçon de la brasserie Le Chantilly, empile les chaises, jusqu’au lendemain, où il faudra tout re-déballer...
Le soir tombe peu à peu et je me souviens que les fleurs de la maison de mon enfance, La Fabidou, doivent attendre l’heure de l’arrosage, après les longues heures de chaleur. La BMW m’y amène, sur les pentes du Baou. Le jardin est calme et frais et je sature les bordures de géraniums et de roses, les jarres si pleines de couleurs, d’une onde réparatrice, et difficile à maîtriser, car les embouts d’arrosage sont si sophistiqués qu’ils pourraient casser les fleurs au lieu de les caresser comme il se doit. Il est encore temps de retrouver la rue Alézard, de prendre connaissance du maigre courrier, et acheter le pain spécial préparé par notre génial boulanger, voisin de l’herboriste et de l’horloger, tous deux du meilleur niveau.
Appel vers Raymond Hains, recevant quelqu’un qui arrive de Porto : je l’informe des nouvelles obtenues avec la société Lu puis je repeins le volet vert récupéré le matin, dont la croûte s’effrite, et consolide les pans du placard comme je peux.

Passé 23h le sommeil est là et j’envoie mon corps au repos après avoir écrit quelques lignes égotistes, ce qui demande bien trois quarts d’heures d’une écriture hâtive mais sûre. Les pages du Monde de la veille me tombent des mains…




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