CARNETS 1999-03


Une certaine retenue   La croisée des chemins   Fontana   Capitales   Rouges chauds   Banquet   La lumière avait disparu   Mon toit est percé   Un beau dessin   Cela ne s'arrange pas   Le vieux M1   L'unique   Froid piquant   Industrie   Le petit marcassin   Les artistes   Soyons bref   Le chalet   La gerbe   Antibes   Le voilier   La complainte d’Arsène Lupin   Les Lances   Au Louvre   Vous avez dit esthète   Miroirs   Comme Toto   Sidi Bou Saïd   Mercedes   Divertissement   Cinéma   Le plaid   Le moral   Mon beau Jura   Epuisant   De plus en plus dur   Faites « A… »   Recherche de l'effet   Hals   Grand-Hôtel   Les vraies richesses





Une certaine retenue...

Ce matin la lumière douce du printemps qui s’annonce filtre les vitres du Rouquet et fait revivre le boulevard Saint-Germain. Après des mois de silence j’éprouve à nouveau le besoin d’écrire. L’exposition des collages d’Alberto Magnelli se tient à deux pas, chez Denise René.
Délicieux recommencement des émotions déjà anciennes devant ces collages historiques, intacts et frais dans leurs cadres de chêne bruni par les 55 années qui nous séparent du séjour des Magnelli, Alberto et Susy, à Vence, avec les Arp, sous cette lumière du midi qui dès l’origine a dû solariser, impressionner les papiers, cartons ondulés et ficelles, boites d’ampoules utilisées par sa femme, malade, leur donner cette tonalité chaude, un peu jaunis, quelle émotion en entrant dans la galerie de recevoir ces impressions si fortes, alors que dès 10h on y fait les vitres, on nettoie les sols, que les percolateurs raisonnent et fument et embaument dans les cafés alentour, passantes parfumées et pressées, apaisées par la nuit, quelle émotion de percevoir dans ces collages réalisés en 1943 une fraîcheur toute juvénile, et si simple, une enfance de l’Art. Bonheur… Génie de Magnelli : une certaine retenue.
Construction puissante comme dans les fresques d’Assise, douceur sereine comme celle des visages de Giotto. Toutes choses si rares aujourd’hui...
On se souvient, toujours et encore, des propos d’Alexandre Iolas, évoquant Georges Pompidou se faisant déposer très tôt devant chez lui, ou à la galerie Denise René, pour y avoir le premier regard sur les Fontana vibrants de couleurs, évidents, et repartir le cœur léger vers ses occupations et sa journée de président…
Je pense, devant les cimaises claires et les tons bruns de ces papiers admirables, à l’immédiat après-guerre, aux matins qui chantaient, les affiches attendant d’être ravies sur les murs de la rue de l’Echaudé par nos deux larrons, Jacques et Raymond, toujours à l’affût.
Autant d’émotions devenues rares dans nos galeries actuelles, transformées en mastabas pour les messes obscures de l’Art contemporain, ses turpitudes sous les masques libératoires, ses contorsions. Clarté des murs blancs du petit espace laissé intact par Denise René, larges vitrines ouvrant sur le boulevard, les platanes, les autos, les passants. Lumière faisant chanter les matières, glissant sur les œuvres, si délicates. Presque rien, et presque tout. Beauté de la journée qui commence, les peintres de Balthus portant leurs planches. Camions des livreurs.
Alors qu’Arp et Magnelli sont réfugiés sous la lumière intense de Vence, mon père, jeune adolescent, agit dans l’ombre, arrêté, départ pour la déportation. Nuit et brouillard. Peu revinrent.
Je dévale ensuite la rue Saint-Guillaume, si calme à cette heure. Guillaume, qui habitait tout en haut, photographié fumant sa pipe avec Jacqueline, sous les toits donnant sur le magnifique hôtel occupé aujourd’hui par les David Weil.
Voilà la paisible rue du Pré-aux-Clercs, où étudiant j’habitais une chambre glaciale, au numéro 10, lisant Artaud, pour rejoindre la rue de Seine et me rincer l’œil à nouveau devant des Villeglé des années 59/60, époque de Colette Allendy. Les mois de grisaille sur la Bastille s’estompent…
Passant rue de l’Université, je me souviens maintenant de la chambre que j’occupais, sous les toits, au numéro 8, des toits enneigés, comme dans la toile célèbre d’Albert Marquet. Camille Bryen habitait au numéro 4, les Debré juste en face, et Bryen, qui nous ramène à Raymond Hains, à l’exposition en préparation au Centre Pompidou pour l’année 2000… Fraîcheur des matins. Bonheur d’être en vie, à Paris.



La croisée des chemins...

La région, le Var, sont pourris, usés, vermoulus, pressés, il ne restera rien. Demain sera radieux : services améliorés, infrastructures, TGV ! Mais nous sommes perdus sur le plan culturel et éthique. La société française est un morceau de sucre sur lequel on verse lentement du thé à la menthe… C’est ainsi, et la vie, énergie prodigieuse qui se traduit avant tout par la vitalité de la natalité, la vie des peuples, elle, continue, avec son rythme propre. Le peuple français disparaît, il s’est suicidé pour des mots, quelques grands principes…
Il faudra bientôt modifier la constitution, renoncer, de fait, à ces mêmes principes pour avoir voulu les appliquer à la lettre.
Liberté, égalité, fraternité, ces mots n’ont jamais été aussi vides de sens qu’aujourd’hui. On égorgerait déjà gratis si nos institutions fatiguées ne faisaient encore régner, pour peu de temps encore, les règles communes. Nos morts, de toutes origines,  sont morts pour rien. C’est la fin. Montée des ethnies, des communautés.
L’Europe ne sera qu’un vaste marché, sans foi, sans croyances communes, les droits de l’homme seront bafoués, ils le sont déjà, par ceux-là même, que nous souhaitions protéger par paternalisme…
Inversement des situations et des valeurs. Retournements. Pression montante des minorités, répétition dans les Balkans du scénario qui se dessine dans nos pays.
L’Europe éprise de grands principes, de morale, incapable de faire face aux nouvelles violences, prise à son propre piège, reculant toujours plus, aveugle et bientôt vaincue... Partage ethnique, avec l’Allemagne comme arbitre, régisseur du grand marché. Qu'il est difficile de comprendre cela, de l'écrire...


Fontana...

De la foire de Bâle 99 peu de choses me restent en mémoire. Le beau temps sur l’Alsace puis l’orage après le vernissage. Un stand somptueux avec un one man show « Lucio Fontana » qui présentait des téatrini de petits et moyens formats, rarement montrés, et des œuvres de toutes les époques, toutes remarquables, classiques, importantes. Un grand format ovale rose, des bucci, semblable à celui de la collection Montaigu, sur un autre stand (?), ainsi qu’un grand format carré, connu et répertorié, dans les tons bruns. Je me souviens ensuite d’une remarquable petite statue de femme, un bronze, de Picasso. Un joli, minuscule mais chargé, Nicolas de Staël. Un Marquet très brumeux, un peu vide, pour 180000 francs suisses. C’est presque tout. Le reste valait la peine d’être vu… et oublié.


Capitales...

Je m’épanouis dans le silence. Projet : habiter les îles Lipari, entre volcan et mer.
Ou en Espagne. Mer et montagne. Quitter l’agitation. Vivre avec peu. Peu de temps encore, aussi. 40 ? 30 ? Ou moins… Ne plus rien gaspiller, le temps, l’argent, la vie, l’eau, l’air, les seins, les étoiles, le pain, l’herbe, tout récupérer ! Récupérer…
Récupération après l’effort. Retrouver la santé, son être, son capital, loin des capitales.




Rouges chauds...

Il est curieux qu’en retravaillant mes notes prises lors d’entretiens (monologues ?) avec Raymond Hains, et au fur et à mesure que j’écris, que la lumière change, en ce mois de février, par la fenêtre au dessus des toits fumants du XIe arrondissement, le soleil faisant de furtives apparitions, curieux donc que tout en écrivant mon paysage mental soit lui aussi changeant, mobile, riche surtout d’images, qui m’amènent, sans que je puisse en décider, suivant le rythme des mots couchés sur le papier, qui m’amènent dans des lieux connus, lieux de mon passé qui m’ont inspiré, sur lesquels j’ai écrit, comme si le fait d’être concentré sur les rapports de mots, de choses, d’êtres connus et de souvenirs évoqués par mon interlocuteur, m’amenait sans forcer et à mon insu à me libérer d’images profondes, enfouies, impossible à retrouver à d’autres moments, ce qui renforce mon goût pour les mécanismes de la pensée, tout cela déjà évoqué par Claude Viallat dans son atelier, il insistait alors sur ces phénomènes de la pensée, dictés par le travail de l’inconscient, inconscient « qu’il faut laisser passer », se laisser agir par les courants qui nous traversent, nous guident.
Tout en évoquant Saint-Malo ou Venise avec Raymond Hains, la vie en Bretagne, je me retrouve de façon superposée, en écrivant, dans certaines rues de Toulon, de façon précise, à une certaine heure, dans une certaine lumière de fin d’après-midi, en septembre, dans un certain état d’esprit, un état émotionnel, et je me mets alors en rêve à voyager, avec un petit cigare et une boisson, vers des pays d’Extrême Orient, en mer de Chine, sur une embarcation basse caressant les eaux, glissant sur le miroir de l’eau, entre de grandes montagnes velues, comme si Ophélie m’observait de sous la surface, les yeux tournés vers le ciel et l’image déformée de la barque et les effets miroitants de la lumière, myriades de bulles, de reflets colorés…
Effets colorés déclenchés par la présence de la toile brute dans l’atelier silencieux, clair et calme, au petit matin, alors que le travail a mûri pendant la nuit. Attaque de la toile par la matière, toile qui retiendra ou laissera s’étendre le liquide qui alourdit la brosse, mouvement doux ou précipité, et l’étonnement qui s’en suit, comme aux premiers jours, une enfance de l’Art, verts amande un peu chauds, jaunes de Naples suaves, un bleu frais et clair, un rose infini et subtil, les rouges chauds de l’Orient...
Réminiscence possible aussi de se retrouver tout à coup sur une route d’Espagne, en moto, tir tendu de la machine, d’un point de la carte à un autre, d’une ville vers une autre, fraîcheur du matin avec la fournaise qui monte derrière les montagnes d’Aragon, au milieu des pierres et des terres arides, vacarme du frottement de l’air… Auto-analyse préconisée par Raymond Hains… Mécanismes de la mémoire. Mystères de la pensée, de ses superpositions de représentations. Pliage, déploiement d’images. Circonvolutions. Poupées russes des idées, pelures d’oignons, kaléidoscopes, miroirs déformants, logiciels, matrices d’idées, chimie du cerveau… La vie considérée comme un songe. Travail énorme de Proust revenant sur le passé, comme un Himalaya.

Chanson populaire anonyme du Népaul, en Mongolie occidentale (peuple Kalmouk ?)

Oh ! Leïla !

Dans ta bouche il est trois choses :
Une rangée de perles du Bahreïn
Une gorgée de vin de Chiraz
Le parfum du musc tibétain :
Le musc du Tibet est ton haleine,
Le vin du Chiraz est ta salive,
Les perles du Bahreïn sont tes dents
Oh ! Leïla !

Oh ! Leïla !

Dans tes yeux il est trois choses :
Des diamants noirs de l’Hindoustan,
Des soies brodées de Lahore,
Des flammes de Fuji-Yama :
Les flammes du volcan sont leurs éclats,
Les soies brodées de Lahore leur velouté,
Les diamants noirs hindous leurs couleurs,
Oh ! Leïla !

Oh ! Leïla !

Dans ton cœur il est trois choses :
Tous les cobras jaunes de la Birmanie,
Tous les champignons mortels du Bengale,
Toutes les fleurs vénéneuses du Naipaul :
Les fleurs vénéneuses sont tes aveux,
Les champignons mortels tes baisés,
Et les cobras jaunes tes trahisons
Oh ! Leïla !



Banquet...

Avant le froid et la tombe mille fois banqueter devant le feu crépitant, faire voler les verres, et foutre mille fois encore devant la flamme qui danse, flamenco européen, crinières dénouées, vit au vent, femmes mille fois montées avant le repos de la nuit profonde, le règne des esprits. Laissons les princesses de supermarché pour les filles de salle à Naples, seins lourds, yeux profonds et bons, aisselles odorantes, torchons noués sur les hanches, cheveux en bataille, mains délicates, le geste vif, la caresse prompte. Gens de Dublin. Porter Ulysse à l’écran, pub taverne haute de plafond, lumière blême des rares abat-jour, planchers crasseux, bières amères, tentures de velours cramoisis, jeux de fléchettes, femmes prises sur les tables et les billards, scènes crues, violence, coups, choppes de bière mousseuse, foutre, bagarres, putes blafardes, vieilles, recousues et fardées…


La lumière avait disparu... 

Et c’est ici que je retrouve mes esprits, peu à peu, lentement, réveil d’une nuit sans fin, aveuglement du soleil noir. Saint-Tropez... Là, devant le golfe (il fait très gris et doux et frais), en regardant le clapotis de l’eau, entre les pierres au pied de la vieille tour, j’ai retrouvé l’envie de plonger doucement dans les eaux grises : 10, 20, 30 mètres. Trente minutes à trente mètres… Courbe idéale. Voilà. Il n’y a pas sans doute ici d’instants où le paysage, la mer et ses nuances, ne soient admirables.
Jean-Paul Monery, conservateur de l’Annonciade, est un hôte attentionné, et nous parlons du texte en préparation pour l’exposition Marquet, prévue pour l’été, en buvant beaucoup de Bordeaux, ce qui est très cohérent puisque le maître y naquit…
Fait la connaissance d’un personnage très attachant, Georges Cotos, une sorte de colosse, roumain et chauvin, au bon sens du terme, peintre, ayant connu Brancusi, la tuberculose, la bataille de Stalingrad, la Casa de Vélasquez en 1956, Paris en 1945, et fait fortune en créant les célèbres glaces « Popov » dans les années 60.
Peintre lyrique et passionné, il n’a pas son pareil pour parler de son pays, la Roumanie, du patrimoine des églises et des fresques, n’a de cesse de parcourir l’Europe avec son fidèle aide et chauffeur pour défendre la culture et le patrimoine de son pays. Sa femme est charmante, et son aide réussit très bien les pizzas, en utilisant pour cela une pâte feuilletée très fine, et possède le secret bien gardé d’une cuisson juste à point, cuisinier très sensible donc, comme le maître des lieux, haut en couleurs, et chez qui nous passons une soirée très agréable.


Mon toit est percé...

Cette nuit, alors que je dormais comme un bébé imaginant les scènes hilarantes de futurs courts-métrages (notamment celle du dentiste et celle du peintre qui décompense) j'ai été réveillé par un bruit mat et régulier alors qu'il pleuvait très fort.
Eh bien c'est qu'il pleuvait aussi chez moi à grosses gouttes, elles tombaient en faisant une marre à 1 cm du pied de mon lit. Un miracle que je n'ai pas eu les pieds mouillés. Alors je me suis levé et j'ai trouvé un bac à peinture pour recueillir l'eau. Cette scène très pittoresque digne d'une image d'Épinal (je pensais à tout ça en regardant les grosses gouttes se former comme des stalactites au plafond) est le signe évident de ma réussite dans la vie ! 20 ans d'efforts et un succès international.


Un beau dessin...

L'image du crocodile me rappelle un souvenir d'enfance hilarant : j'ai 5 ans (environ) et ma mère m'emmène chez un psychiatre à Toulon, le bureau me parait immense, tout le monde est très gentil avec moi, et ce monsieur me tend une superbe boite de crayons de couleurs et me demande de m'asseoir et de faire un beau dessin.
Je suis aux anges : les crayons de couleurs ça me connaît et faire des dessins je connais aussi très bien. Pas de problème ! 20 minutes plus tard (environ) ils reviennent vers moi et regardent mon dessin, et là, le visage du médecin se fige !
Sombre, osant à peine se prononcer. Moi : très content, j'avais dessiné un magnifique crocodile, avec du vert, bien sûr, mais aussi plein d'autres couleurs, et un beau paysage en arrière plan. Le pied quoi ! Après diagnostic la situation était grave, pas de quoi rigoler du tout : le crocodile (très beau) c'était... ma maîtresse d'école, le pouvoir, la castration. Ma mère a payé (cher) et nous sommes repartis.


Cela ne s'arrange pas...

L’automne dans le Gard, avec les tâches noires des taureaux…
Dans le Haut Var, je découvre des paysages remarquables, ceux décrits par Giono, encore lui, il n'est jamais bien loin, le tir et la chasse n’étant qu'un prétexte pour circuler dans ces territoires. Ainsi il y a une longue allée d'immenses platanes entre Tourves et la Roquebroussanne, avec des champs labourés, et autour, des vignes, des petits bois, le cirque des montagnes, avec leurs tâches de calcaire gris, que j’apprécie tout particulièrement...
C'est exaltant, et je ne serais pas trop lyrique ou excessif, en disant que dans ces moments là, à cheval sur la BMW K100, puissante mais docile et douce, le froid aux joues, la lumière rasante de l’automne entre les troncs immenses, on peut avoir l'impression concrète, mais fugitive, de connaître vraiment ce que l'on nomme le bonheur, la liberté, la félicité, ceux décrits par Giono précisément…
Voilà que je redeviens sentimental ! La marquise de Théus, et son caraco, ses yeux noirs de jais, les chevauchées dans les plaines durcies par le givre, voilà ce qui émeut au plus au point l’aventurier au cœur pur qu'est Angélo. Décidément, ça ne s'arrange pas…


Le vieux M1...

Acquisition d’un nouveau Garand M1, daté mars 43, « dans son jus », fort bien conservé. Un des meilleurs fusils jamais construits (sic Patton). Je l’aime. Et rêve de pouvoir bientôt tirer avec : sentir les odeurs d’huile de lin et de graisse, entendre le vacarme et sentir le mouvement de pièces, celui du léger recul, puis le « clink » final de l’éjection de clip, comme l’entendaient ceux d’Omaha Beach ou de Bastogne.


L'Unique...

Orangés des courges, verts chauds des céleris, celui froid des épinards, bleu du coton foncé d’encre des tabliers, éclats clairs du bois patiné des tréteaux des étals, larges fleuves de lait des nervures des blettes dans les vallées ondulées profondes des feuilles grasses et joufflues, j’ai retrouvé tout cela ce matin, en buvant mon café et en lisant les nouvelles, avec une interview de Jean-Pierre Mocky depuis son quai Voltaire. L’atelier est à deux pas, je rentre vite retrouver mes souvenirs, l’esprit plein des merveilles innocentes de la vie du petit peuple. Il me faut graisser et cajoler une très jolie carabine Unique pour l’emmener à l’essai sur le pas de tir.


Froid piquant...

Mazaugues se trouve au pied d'une grosse colline, à la lisière d'une vaste plaine qui va jusqu'à la Sainte-Baume, et englobe les communes de Saint-Maximin, Tourves, avec de longues allées de platanes… Une plaine que j'aime beaucoup, faite de vignes, de vastes forêts de petits chênes et de pins, avec de grandes pierres plates couvertes de mousses qui parsèment les terrains, tout cela est très sauvage, cela me convient. Il y a, à la sortie du village, un pré avec des vaches, une jolie église, des anciennes constructions en creux où autrefois on conservait la glace, de petites, très modestes maisons de village qui fument dans le soir : la soupe, les devoirs, les rêves. Deux cafés avec des gens immobiles ou qui jouent aux cartes, qui parlent peu (très important ça), le poêle, la pendule, et l'école communale avec les platanes qui perdent leurs feuilles, la cour et les cris des enfants (pas trop d'enfants.) Mazaugues endormie dans le soir, le froid qui pique, la lumière au fond du café, tout ça est très joli. La route de Saint-Maximin traverse une forêt domaniale, et au centre se trouve une immense carrière eu creux, profonde, aux falaises de calcaire tranchant sur la terre rouge. On y descend par une rude pente en passant devant un monument stèle : d'ici pendant la guerre on envoyait les messages pour Londres et les alliés y ont parachuté beaucoup de matériels. Aujourd'hui s'y trouve le club de tir auquel j'appartiens : le plaisir du voyage en moto pour m'y rendre est égal à celui de tirer, le bol d'air et le dépaysement est assuré. La région est un condensé des beautés (très pures) du centre Var, et cette carrière abandonnée avec ses gros blocs de calcaire pourrait servir de décor à un western ou au Salaire de la Peur tourné prés du pont du Gard…
Ayant trop lu et relu Giono, et passant en moto dans ces sites, je me prends pour son héros Angélo Pardi, j'ai par moment l'exquise sensation d'être « un cœur pur », air frais, vitesse, on est traversé par des sentiments que l'on ne contrôle plus, on s'abandonne au romanesque, dans la solitude, les grandes étendues vierges et arides… Simple sensation...




Industrie…

Le fusil Garand M1, sorti des chaînes de l'arsenal de Springfield (Massachusetts) en mars 1943 est un chef-d’œuvre de technologie, avec ses formes parfaites comme celles d'une machine célibataire fendant l'espace en Victoire de Samothrace, et devant lequel je m'incline religieusement chaque soir en récitant les prières rituelles, soit d'après le Drill des Marines : « Tu es mon fusil, il y en a des milliers comme toi, mais toi tu es à moi, etc. » Et patati et patata... Il est beaucoup plus beau que toutes mes œuvres, simples bricolages essayant de créer la beauté en inventant un vocabulaire. Lui, elle, devrais-je dire, car mon fusil est très féminin aussi (les formes parfaites, la douceur infinie du toucher, la précision de ses intentions secrètes) est une chose aboutie, définitive, un accomplissement, le projet conceptuel qui lui a donné le jour est en soi un prodigieux exploit (celui d'un canadien d'origine française, John Cantius Garand), gagnant ainsi en esprit subtil, qui a sauvé des millions de personnes, et aujourd'hui vit sa vie de talisman technologique et mythique pour l'éternité, en attendant, au chaud, chez moi, dans mes bras, sensuel. Il est parfait. Il est beau. Je l'aime. Mes œuvres parviennent parfois à créer une émotion. Ce fusil, lui, est l'émotion, il est une tautologie, un absolu de savoir-faire, avec un faire-savoir assez... persuasif : Boches et Japs, l'ont compris à leur dépends. Cela ne s'arrange toujours pas !


Le petit marcassin...

Parti à la chasse aux aurores dans les bois de Tourves. Paysages magnifiques, infiniment subtils, faits de brumes shakespeariennes, de talus boisés alternant avec de petits prés plantés de vignes, de nombreuses variétés de plantes très odorantes, des arbres d'une élégance folle (je suis tombé raide amoureux des trucs qui ressemblent un peu à des saules mais dont j'ai oublié le nom), des points d'eau où stagnent des feuilles rouges, les platanes immenses, les petits chênes bien sages bordant des bastides endormies ou abandonnées, en tout cas fort mystérieuses et attirantes, des taillis de ronces où vont se nicher grives et bécasses, des espaces libres d'herbes rases comme des tapis de billard (les lièvres adorent), les « restanques » comme des estrades de décors de théâtre gris argenté, des vols et des cris d'oiseaux qui parlent à l'âme, si variés que la sensibilité s'aiguise jusqu'aux nuances les plus subtiles pour les distinguer, deviner leurs petits secrets d'opérette et d'alcôves, qui les occupent au point du jour, quand tous s'éveillent, frais et dispos pour rejouer un nouveau jour...
Les chiens d'arrêt ont découvert un petit marcassin et l'on stoppé, saisi, puis crocheté, et le petit, qui dormait après une nuit bien remplie à fouiller les champs de son groin et saccager les vergers pour se goinfrer de gourmandises enfouies, saignait d’un beau sang vermeil, non sans avoir abîmé un museau au passage avec ses défenses pointues, j'ai bataillé pour séparer le domestique du sauvage, saisis à bout de bras le bébé qui couinait, sentait fort, sueurs, musc, un peu comme les taureaux qui ont courus, se débattait en me donnant à admirer son petit ventre rose, son échine de poils raides noirs et bruns, ses sabots de maisons de poupées sauvages…
Que ressentait-il saisi à bout de bras par un humain aussi étonné que lui ? Je l'ai relâché et il a disparu sans bruit sous un taillis… l’échappée belle. Il m'est resté un peu de sang sur les mains, et surtout cette odeur forte...
Les sangliers, en surnombre depuis quelques années, sont super sympas, cela m'a fait penser aux sangliers recherchés par Astérix dans la forêt des Carnutes, le barde bâillonné et quelques romains bousculés au passage…
Ce matin la plaine de Mazaugues et le village endormi étaient nappés de brouillard en forme de soucoupe, les champs et les vignes pailletées de givre façon crèche de Noël, c'était très joli. Il faisait un froid coupant. Un truc à geler les mauvais rêves !


Les artistes...

Hier matin, je me suis senti très bien, avec un rayon de lumière qui avait un tout petit air de printemps, et je suis tombé sur quelques évidences simples, à savoir que l'Art ne doit pas être un truc trop gambergé, ça passe à travers nous, ça nous traverse, faut se laisser aller quoi, un peu Frédéric dard devant son Underwood, faut pas serrer du cul, se laisser porter. Ca, Olivier (Debré) l'avait pigé et avait réussi à être très fin au final...
Un peu aussi comme les trucs de la foi, quand tu vas dans une cathédrale ou une officine CGT sous le périph' faut pas croiser les skis et freiner à fond, faut y aller comme une fleur, un enfant, et après t'as le cinoche qui commence, avec les jeux d'ombres et de lumières, les vitraux, l'espace, les odeurs d’encens et de bois ciré, tu te sens tout drôle sans forcer...
Après, et ça rejoint le même truc, c'est qui faut être détaché de tout et bien à l'aise dans ses idées, détaché de l'opinion des autres, de l'Art Contemporain... enfin bref, détaché de l'idée de succès, de tout, faut arriver à poil dans sa tronche, comme Bérurier chez une veuve encore gironde et qui mouille son fauteuil au restau tellement elle a les escalopes qui sifflent...
Après, une chose très importante : on doit demander un artiste et pas le contraire. On doit apprendre indirectement son existence, par oui dire, et se pointer chez lui pour l'implorer d'exposer ou de vendre un truc. Tout est faussé dès le moment où tu cherches en envoyant un dossier, en léchant le cul, ça donnes de l'importance aux critiques, aux marchands, et toi t'as l'air d’un foireux à la ramasse. Je sais ça puisque je l'ai fait et me suis toujours fait jeter... Donc, faut rester chez soi et qu'ils aillent tous se faire voir, et puis qu'ils se démerdent entre eux pour savoir où sont les bons, c'est comme les champignons, ça parle pas les champignons, eh bien ! T'as des mecs qui savent où y se trouvent, c'est parce que ça les intéresse et y finissent par les trouver. Pareil pour les truffes ! Alors, elles sont bien mes idées ?


Soyons bref...

Rentré de Genève… Je suis en Suisse comme un poisson dans l’eau. La culture du livre, de l’estampe, de l’image, y est vive et plus aiguë, bien entendu. Sur les rivages de la Méditerranée, le soleil et le spectacle de la mer, les reflets des eaux et les sites si exceptionnels détournent l’attention des amateurs ! Ici la lumière est si belle… à quoi bon s’enfermer dans un cabinet d’amateur ou même dans l’ombre des Palais pour contempler des estampes ou des fresques ? Les rivages attirent les déchets de toute sorte comme la mer renvoie plastiques, bois flottés, etc. très prisés par les artistes. Bref...


Le chalet...

J’en ai marre : je me lâche. Alors voilà ce que je ferais si j’avais un peu d’oseille devant moi...
Je m’achèterais une ferme ou plutôt un chalet, avec vue sur la vallée et les champs, dans les Alpes (suisses de préférence), les vaches qui broutent paisiblement, les fleurs des champs, avec les montagnes au-dessus et leurs cimes enneigées, et j’y aurais mon atelier, ma chambre, de quoi vivre et travailler gentiment. Pour l’été, j’aurai un appartement-atelier tout simple, pas un palais, sur la riviera italienne, genre immeuble des années soixante, pas loin des plages et de la mer. Voilà.
Je me vois déjà dans mon chalet, nettoyant mes pinceaux, tandis qu’un fumet de pot-au-feu remonte de la cuisine, où ma bonne portugaise, belle chatte velue, officie en silence, pour ne pas déranger le Maître, et, regardant le feu qui crépite dans la cheminée, je me dis, distrait : « Tiens ! Et si j’allumais la radio ? Comme ça ! Pour voir !... » Me dégourdir les Portugaises après une après midi de travail studieux, une petite distraction avant le dîner (pantagruélique). Et là, le speaker annonce en avant-première l’inauguration de mes expositions de New York, Honolulu, Laroche-Migène et Meaux-la-Pierre-Collinet. Alors moi, décontracté, j’écoute même pas la fin, j’éteins, pensant mollement : « Tiens ? Ils n’ont pas perdu de temps !... »
Sur ce, j’enchaîne : « Pépita, mon enfant (ma bonne s’appelle Pépita), vous serez gentille de dresser le couvert pour 21 h ! » Puis, tout en me dirigeant, serein, vers le dressing afin de me changer pour le dîner (il y a deux couverts de plus car les Le-seigneur-est-mon-Schlumberger sont de passage avant d’aller à Gratz pour une partouze dans la poudreuse, et ça fait déjà deux ans qu’ils me supplient de leur vendre quelque chose, j’ai donc fini par céder par pure courtoisie, un copain du Rotary ayant manœuvré sur leur recommandation afin de me décider à enfin accepter, m’étant trop fait tirer la manche, et l’achat risquant de leur passer sous le nez, vu la liste d’attente), ce faisant je songe avec un certain intérêt, avant d’enfiler mon smoking en alpaga tissé main, à la culotte de la bonne que je vais arracher d’un coup de dent après le dîner pour ensuite la défoncer devant l’âtre, sur la peau d’ours de ma chambre toute en lambris Leroy Merlin, et ornée des plus beaux trophées que j’ai tirés, en particulier le magnifique élan du Canada, surpris à 300 mètres avec ma lunette Zeiss pendant qu’il chiait derrière un sapin...




La gerbe...

Invité à dîner hier soir ! Champagne, grands Bordeaux et whisky : ce matin j’ai des pierres et des clous dans la tronche, une épave ! Peut à peine marcher tellement la casquette est enfoncée ! Je crois que c’est la faute au champagne qui ne s’entend pas avec le rouge. J’ai du picoler une boutanche de Champ’ avant de passer à table. Après, le fait d’enchaîner avec les Bordeaux, dont j’ai pas arrêté de me resservir, étant chargé d’une moitié de table pour cela, a été un terrible travail de sape pour mon pauvre système nerveux fatigué, un peu comme les boches creusant un long boyau dans le bois des Caures pour aboutir sous une cagna de poilus, genre poste de secours, avant de faire péter une charge énorme après avoir allumé un foutu cordon Bickford et s’être cassés dans leurs boyaux à eux, ce qui a pour effet de pulvériser tout, absolument tout chez les poilus, projetant hommes et matériels dans un gigantesque gerbe (pour moi ça va pas tarder) de métal, de bois, de terre, de membres humains, de rats surpris en train de grignoter la tronche d’un macchabée, de tripes, de pierres, et de casques criblés d’éclats.


Antibes...

8h du matin. Je me sens bien, et, à deux pas de la maison de Nicolas de Staël, je désire plus que tout reprendre la peinture dont l’aspiration est si forte ! Comme le bruit et l’odeur de la mer pour un vieux marin exilé dans les Vosges ! Le bar est bourré de jeunes britanniques employés à bord des yachts, bourrés eux aussi, tous parlent ou plutôt vocifèrent un anglais des faubourgs. Et je rêve et peins dans ma tête comme on rêve de batailles ou de voyages, une photo en noir et blanc dans le Figaro posé à côté du verre de Porto sur la table de bois verni me fait penser à un tableau d’Alberto Burri (elle illustre un article sur la Palestine), montrant un mur défoncé, et des plans faits de tissus visibles au travers des bucci de la muraille…



Le voilier...

Ici, le mieux c’est d’avoir un voilier Béneteau des années 70, de 6 m 53, baptisé « My way », la coque bien jaunie, mal entretenu, et de venir souvent dessus avec des amis, très bizarres, en hiver, pour pic et niquer, boire du passetisse, et puis se promener ensuite, de bar en bar, le regard vitreux, pour se taper des whiskies, avec l’air vieux loup de mer couperosé virant sur le violet, des pat' d'eff élimées, une casquette de marin, et une bobonne, vague maîtresse décolorée, ronde comme un tonneau, sur-maquillée, avec des collants en acrylique à fausses tâches de panthère, et repartir à la nuit tombée, à bord d’une vieille décapotable cabossée, sale, la capote tenant grâce à de larges bandes de scotch de plombier, le cendrier intérieur plein, et des tâches d’essence durcies autour du réservoir...

 

La complainte d’Arsène Lupin...

J’arrive chez Madame (…) pour lui dérober ses valeurs
A peine débarqué, je la découvre en pleurs
Son mari venait de la quitter pour une querelle d’idées !
Sans hésiter, je m’emparais des fleurs qui ornaient la demeure 
Pour lui tendre un bouquet…
Quel ne fut pas mon émoi quand elle tomba dans mes bras
Alors que l’heure, elle, tournait !
Sans la blesser ni montrer ma stupeur Je décidais alors afin d’écourter mon forfait
De lui avouer que j’étais là… pour le Marquet !
Eh bien ! Me croirez-vous lorsque je vous dirais
Qu’à ce point, des larmes au rire la rombière fût transportée !
C’est qu’il fut à son tour le moment d’avouer
Dans un sanglot par le rire bientôt étouffé
Que son mari lui-même hier déjà, le dérobait…
Dans un hôtel du faubourg Saint-Honoré !
Mon sang ne fit qu’un tour
De la dame énamourée délaissant les atours
Par la fenêtre ouverte et sans me retourner
Le Marquet sous le bras
D’un seul bond je sautais dans la cour…
Renonçant à l’amour !


Les lances...

Occupé à taper mes carnets de notes et impressions accumulées depuis des années, où j’écris ici même, et ajoutant des strates à ce mille-feuilles, à cette tour de Babel de réflexions, de désirs fugaces, incandescences, visions, et dont le sommet menace de s’effondrer, mon esprit ressemble à la cabine du paquebot d’Une nuit à l’Opéra ! C’est drôle, c’est pathétique aussi, c’est un défi.
Et je reprends mon travail matinal, le meilleur, après avoir fait mes emplettes le long des rues fraîches dans le petit matin, acheté des dahlias pour une certaine MJ, que je courtise, et plus encore, bu le café avec MD, qui possède une délicieuse petite galerie peinte d’un joli vert de vieille amande et aux lettres d’or : La Palette. Et je reçois de nouveau de plein fouet le choc des couleurs, celles si fines des étalages dressés par les paysans « à la Raymond Mason », vêtus de bleus, de tissus à carreaux, au teints halés et aux mains calleuses et aux regards clairs, les femmes aux poitrines opulentes, comme des épouses étrusques ou de la Rome antique, toute une archéologie, là, à portée de main, à portée de cœur, à fleur de peau, et une fois de plus je m’émerveille, et suis vaincu par la simplicité diabolique de leur présentation, fort théâtrale au demeurant : fleurs fraîches coupées du matin ou de la veille, réunies par un lien de simple ficelle, légumes magnifiques, ça et là, en piles imbriquées, œufs, herbes aromatiques, tous ces produits issus de leur lopin de terre, et cultivés l’après-midi, au jour le jour.
L’envie naît alors, très forte, de saisir l’instant, de dessiner, de peindre sur le motif, et de reprendre inlassablement les séances de photos. Ce désir, ces sensations, sont un trésor, imperméable aux soucis de la vie, et je sens monter en moi une sève puissante : travailler sur le motif, oui, c’est bien cela, et oublier les turpitudes technologiques et idéologiques de la modernité, utiliser sa propre sensation, sans prothèses ou intermédiaires, comme l’impose la momie maléfique de l’Art contemporain… et ses mots d’ordre.
Chemin faisant je pense tout à coup aux Ardennes, aux collectionneurs américains, à Goering et sa passion possessive et avide pour la peinture, aux Flandres, aux grands oriflammes des Lances de Vélasquez, aux plaines des Flandres battues par le vent du Nord, aux nuages charriés par les ciels lourds et plombés, ceux de Van Ruysdael notamment, aux armées de Patton et Montgomery déployant leurs forces pour envahir pas à pas les terres d’Arnhem, et Bastogne, avec l’enjeu suprême du corridor d’Anvers jeté sur la table des cartes d’Etat-major, la maison de Rubens aux chaises de cuir repoussé et clouté, ces Flandres si espagnoles, si chargées d’histoire, théâtre de tant de batailles, histoire de l’humanisme dont un long chapitre s’écrit ici, celui de la grande peinture. Combien de vies La leçon d’Anatomie a-t-elle coûté aux Gis ? Puissance et volonté de l’Amérique, du nouveau monde, et de ses collections. Les ateliers de préparation des toiles pour Rubens, les couleurs patiemment broyées dans les éclairages blêmes des courtes après-midi d’hiver, sans lumière électrique. Patton. Jazz. Chocolat. Tonnes de matériels, péniblement acheminés pour lutter contre l’hiver. Amours dans les hôtels désuets et tristes des Ardennes, amours volés aux combats, à la guerre, cette abstraction si présente. Les Renoir mis en caisses sur ordre de Goering pour être envoyés vers l’Allemagne, les américains dans Paris,
Colt 45 à la hanche, standards de Glenn Miller, parties de poker dans les lambris des bars des grands hôtels, les robes légères sous les platanes des boulevards au mois d’août, la joie retrouvée des filles, souvent offertes : une danse, un baiser, l’amour enfin, après le vacarme des véhicules chenillés, le fracas terrible des détonations répétées des Garand, le sang, la peur, comme un cancer. Et la peinture, toujours, Picasso, rue des Grands-Augustins, l’atelier aux larges tomettes visité à son tour par les Américains à Paris… sous le regard du chien Uzbek...



Au Louvre...

Enfin ! La matinée est belle pour aller voir, voir et revoir la grande peinture après des mois passés en plein désert. Ah ! Ce Degas au coloris si délicat, chute de rein sur le tub ! Mais oh ! Voici enfin le Cécil B. DeMille du 17e siècle : Philippe de Champaigne ! Son Apparition de Saint-Gervais et de Saint-Protais à Saint-Amboise le rapproche de la perfection ! Et revoici les Le Nain, et La pêche miraculeuse de Jean Jouvenet que j’aime tant, grand par ses manques autant que par ses prouesses. Il sait engager les choses lui ! Et ça n’attend pas, et ça tient le mur : enlevé !
Mais la grande salle des Le Brun nous réserve elle aussi ses merveilles, avec le Passage du Granique dans lequel il y a tout, absolument tout ce qui fait la grande peinture, et du technicolor s’il vous plaît, avec la vigueur de Rubens, un sens du mouvement qui laisse Delacroix loin derrière, des coloris dignes du Véronèse, la maestria de Rubens, pas moins, et rebelote, pour la composition, l’aisance dans le format, quatre mètres par douze, le sens de l’anecdote, du détail, les scènes en gros plan qui nous distraient un instant de la puissante vision d’ensemble, des centaines de personnages, milliers de signes, d’informations, encore mieux, beaucoup mieux que Gladiator ! Quelle ambition ! Générosité, absolu don de soi au projet, à un grand dessein ! Ah ! Sacrés Le Brun et De Champaigne !


Vous avez dit esthète...

Au musée Cognacq-Jay ce matin. Les pastels de Quentin de la Tour annoncent Renoir en droite ligne ! Effets, expressions, recherche du bonheur…
De la Tour est étonnant par la fraîcheur et l’autorité certaine de sa technique, guère égalée, et la présence d’un grand esprit passe dans ses pastels. Les minuscules Guardi achetés par Cognacq-Jay sont remarquables aussi. Des photographies nous montrent le philanthrope dans ses bonnes œuvres, entouré de « ses » enfants, ceux des orphelinats, lui qui ne pouvait en avoir, et lui-même orphelin… Philanthrope et esthète donc : son visage est souriant, une leçon de vie transparaît dans ces quelques images, sans doute adressée en plein Marais à nos modernes corbeaux vêtus de noir, prenant la pause, donnant leurs leçons d’un ton docte sur Arte, et roulant sur les pistes cyclables de la capitale avec des airs de princesses en exil…
Sortant du musée, chargé de plexiglas acheté chez Weber, à deux pas, ce qui m’a permis au passage d’aller voir les récents Baselitz chez Thadeus Ropac, j’ai l’idée subite et comme une certitude révélée qu’après avoir travaillé des années avec des matériaux pauvres il me faudrait désormais travailler avec des matériaux précieux, utiliser de nouveaux savoir-faire, allier le noble et le pauvre : bronze doré, finesse d’exécution des ciseaux des orfèvres, or, porphyre, granit, marbre, aluminium poli, métaux chromés, cuirs (pourquoi pas), bois précieux, plexiglas affinés, ambre, ivoire, etc.


Miroirs...

13h. Café Le Nemours. Assis après quelques pas dans les jardins, à l’ombre des colonnes du Conseil d’Etat et leurs grands stores rayés, dans le courant d’air si rafraîchissant (la canicule écrase à cette heure les Tuileries, le Palais Royal, le zinc galbé en demi coque de navire des toits de l’hôtel Concorde) et tout en fumant ma pipe, et en parcourant Paris-Match, qui annonce en couverture le rétablissement de Jean-Paul Belmondo, un de nos derniers monstres sacrés, j’observe, rassuré et paisible, le grand bronze sphérique doré d’Arnoldo Pomodoro, les platanes aux feuilles d’un vert très chaud qui se détachent sur fond de ciel très pur azur à peine zébré de légères traînées blanches, et la pierre blonde des corniches de la Comédie-Française. La Civette est fermée : tant pis pour les havanes ! La vue est parfaite, comme un Boudin ou un Monet, et devant ce spectacle paisible, dans cette architecture accomplie et ce cadre idéal, je me demande ce qui a bien pu amener la France, mère des Arts et des Lettres, fille aînée de l’église romaine, la France latine, si civilisée, la France de l’Empire et ses ors, qu’est ce qui a bien pu l’amener à la défaite de Sedan, à celle de 40, au sacrifice de Dien Bien Phu, aux accords d’Evian, au sabordage, au renoncement et à la perdition actuelle ?
Descendant dans le métro il y a affichée sur le quai la reproduction (commentée par Jean-Marie Périer) de l’Autoportrait au pastel de Maurice Quentin de la Tour, ironique et libre, rayonnant de bonheur… devant son miroir.


Comme Toto...

J’aime Lugano. C’est que j’y ai mes habitudes. Comme Toto, qui y finit ses jours. C’est que je retrouve ici tout ce qui m’est familier et à quoi je suis sensible. Le charme désuet des anciennes demeures néo-palladiennes et leurs jardins luxuriants, les sempiternels palmiers trônant devant les façades peintes, les tonnelles chargées de vignes claires aux terrasses des cafés de quartier où artisans et employés se retrouvent pour commenter les pages du Corriere dello Sport et jouer aux cartes en buvant du merlot. J’y aime aussi le luxe des architectures futuristes des banques d’affaires, les Ferrari et autres Porsche qui roulent doucement le long du lac, et découvre avec passion la tradition horlogère ! Le Tessin est jaloux de son histoire comme Saint-Tropez maintient la sienne avec la bravade. Les habitants sont des gens simples parlant un dialecte très chantant qui se rapproche du Piémontais, la plupart sont des paysans. C’est un pays de vin et de cuisine simple et raffinée à la fois. Cette simplicité, cette douceur de vivre et les paysages grandioses des montagnes entourant le lac, ont du inspirer Hermann Hesse et le conduire à s’installer ici dans les années 30, pour y travailler en paix, et peindre aussi de fort jolies aquarelles. Une image le montre à flan de coteaux, en chemisette, le crayon en main, tout entier concentré sur son carnet à dessin. Une image sereine, juste avant le grand suicide de l’Europe…
Une chose est sûre, je me sens désormais plus ici chez moi que dans ma région d’origine, qui a perdu son âme, et éloigné du monde de l’Art, qui se survit à lui-même dans des errements pathétiques. On peut ici s’autoriser rêverie et nostalgie, celle des années 30 notamment, du 19e siècle aussi, celle des anciens lieux de villégiature, dans le prolongement du romantisme, des traditions inchangées, d’avant la dépression des années 30 donc, et la fureur grandissante de l’Allemagne dont Hesse souhaitait s’éloigner…


Sidi Bou Saïd...

La galerie Hopkins Thomas, en constante progression, s’est installée Avenue Matignon dans des locaux prestigieux, sur deux étages. Arrivant sous la pluie par le rond-point des Champs-Élysées, sous mes chers marronniers, j’y admire un dessin aquarellé de Pissarro, une encre de Marquet exceptionnelle, rehaussée de couleurs, et un très beau Vuillard. Reçu avec une extrême délicatesse par Christine Fournier nous allons vers le bureau de Monsieur Custot pour voir des pages de carnets de Marquet récemment acquises par la galerie. Nous posons un à un les dessins sur le bureau, et je découvre des merveilles ! Marquet, toujours lui, nous donne beaucoup, avec une grande économie de moyens. Un dessin de 5 cm par 5 cm, la silhouette d’un chien en mouvement, à la pierre noire, avec le monogramme « a m » en bas à droite. Deux personnages ensuite, toujours à la pierre noire, très aboutis, un portrait de sa mère, une vue panoramique de Sidi Bou Saïd, la mer et les montagnes au loin… Tous sont accessibles !

J’aime Brigitte. Brigitte est mariée… Cela est très joli, et nous mènera où ?


Mercedes...

Vezia, où j’expose, près de Lugano, et travaille à la fabrication de vitrines pour mes sculptures, dans l’ancien garage de Fernando Corti. Etabli, outils…
Ma BMW K100 est garée dehors et j’aperçois les montagnes sous le soleil par la fenêtre entre ouverte.
Une magnifique Mercedes 280 SE des années 60 est garée près de moi, odeurs de graisse et de bois, qui me rappellent l’atelier de menuiserie du cousin Giovanni à Cairo Montenotte, dans le Piémont…


Divertissement...

Cela fait 3 jours que je m'entraîne au pas de tir dans le Haut Var et j’en suis un peu groggy car c'est très bruyant, malgré le casque, mais gratifiant lorsqu'on arrive à bien grouper ses coups. En fait j'aime beaucoup me rendre dans ces paysages du Var, autant que la pratique des armes, excellente détente.
C'est que parcourant les collines (toits qui fument) boisées et les plaines de terres rouges et de vignes jaunes (c'est l'automne) à cheval sur ma moto, le fusil sur le dos, la caresse de l'air vif sur les joues, je me prendrais presque pour le capitaine de gendarmerie des Récits de la demi-brigade ou le capitaine Langlois d'Un Roi sans divertissement, le film de François Leterrier, d’après Giono, qui se passe dans la neige sur les hauts plateaux des Cévennes, avec comme ponctuation... des tâches de sang. On se souvient du grand manteau noir du capitaine, des plateaux blancs de neige, des souches de chênes, du sang sur la neige, des flambées de bois sec dans l'âtre du juge, joué par Charles Vanel. Tout Giono est là. Métaphysique…


Cinéma...

Les armes, dès qu'on les touche et les utilise, vous apprennent très vite vos limites, leur dangerosité lors de mauvaise manipulation, et démythifient très vite tous les fantasmes imaginables à leur égard notamment ceux véhiculés par le cinéma. Elles calment vite les énervés, les impuissants qui penseraient (à tort) avoir trouvé un remède. Le terme employé est : servir une arme. Mieux vaut alors avoir les pieds sur terre. Le tir est vraiment un sport, où très peu se distinguent, (il faut plus de concentration et de qualités optiques qu'une seule personne en contient), et les meilleurs ne peuvent être que de piètres assassins : les situations de combat ne ressemblent que rarement au contexte calme et dédramatisé nécessaire pour ce sport. Mais il est normal de fantasmer sur les armes, les enfants le font, films et romans sont là pour maintenir l'illusion. Pour se débarrasser d’un rival ou l'être détesté plus que tout, approché dans la vie de tous les jours, la guerre maintenant à distance des ennemis que l'on ne déteste pas vraiment, il semble que le meilleur instrument soit le marteau, façon Trotski, ou... les mots ! Les Chinois, confucéens, ne pratiquent guère la polémique. Pour eux une idée n'est valable qu'en fonction du contexte. Sinon, mots et idées sont considérés comme pas moins que des armes de guerre : voir Sun Tzu.
Paradoxe : la pratique des armes nous enseigne une discipline suprême, et une forme de non-violence, contenue dans les Arts-martiaux, alors que leur prohibition ou son contraire, leur diffusion sans contrôle, déclenche les pires drames et bien sûr la délinquance… Ce que les Russes, dans l’ancienne Union Soviétique avaient très bien compris, enseignant le tir dès la petite école et préparant ainsi au passage garçons et filles à servir plus tard dans l’armée rouge, ce qui est une autre histoire, plus idéologique, à moins que l’on ne soit au cœur du sujet, leurs services encourageant dans le même temps nos étudiants sur les voies du pacifisme et du désarmement par le biais d’une redoutable propagande…


Le plaid...

Le seul truc positif en ce moment, j'écris sur ma chaise roulante, mon plaid à carreaux sur les genoux, avec mes mitaines et mes lunettes noires, pendant que mon infirmière hairy-pussy me promène dans le jardin où les drogués vont faire chier leurs clébards, je disais donc, que le seul point vraiment positif, c'est que je coule des bronzes parfaitement moulés, on dirait que ça sort de chez Landowski ou carrément de l'Art contemporain ! C'est du net, du sans bavures. D'ailleurs faut que j'y retourne...


Le moral...

De mon côté, j'ai le moral d'un poilu qui avec 39 de fièvre et la colique, et doit, au coup de sifflé, approvisionner son Lebel, mettre « Rosalie » au canon, escalader le parapet boueux de sa cagna et courir dans la boue en évitant les morts des jours derniers dévorés par les rats, sur quelques mètres seulement, pour s'écrouler enfin comme une merde, une rotule explosée par une ogive en plomb chemisée cuivre de 7,92 Mauser fabriquée dans la Ruhr, le nez dans la terre détrempée, avant de s’évanouir dans un râle en prononçant des mots incompréhensibles et inaudibles tout en mâchouillant un peu de terre au goût fade et un gros lombric qui lui se trouvait là tout à fait par hasard et se retrouver dans une église à moitié détruite transformée en hôpital, allongé sous une couverture pleine de poux, à côté d'un mec qui vient de canner en pleurant, implorant et bavant.



Mon beau Jura...

Je rentre ce soir de Genève, à pied, comme Jean-Jacques Rousseau, par le col de la Faucille. Crevé mais content, tel Napoléon franchissant le Saint-Bernard, luttant contre les éléments et contre soi-même, l’œil noir, la mèche au vent (ah non, j'ai un chapeau puisque je suis un Alguazil), j'y suis allé... et j'ai vaincu, connu un triomphe ! Les 24h prévues se sont transformées en 3 jours, et j'ai bien failli y rester, enfin, y séjourner, quoiqu’être enterré et se reposer au bord du lac Léman soit un beau projet. Mon génie organisationnel n'a pas échappé au président de la BSI (Banca della Svizzera Italiana), pour laquelle j’ai recruté Jacques-Olivier B. comme conférencier sur « Napoléon l’Européen » et notre grosse tête venue de Paris s'est bien plu à Genève, la soirée, très mondaine, a été animée, la bonne société s'était déplacée, la conférence fut passionnante en tous points, de nombreuses questions furent posées, et votre serviteur, chauffant un peu la salle n'a pas hésité à intervenir sur des points aussi cruciaux que l'importance de la Maçonnerie dans les cadres de la Grande Armée...
Intervention très remarquée par certains, qui m'a transformé en protagoniste essentiel de la communication de la BSI, banque de gestion de fortune depuis 1863. J'en ai la tête tellement enflée que j'ai du mal à me déplacer... Cocktail, dîner, tout fut une réussite. Hébergé à l'hôtel du Midi, un vrai quatre étoiles, j'ai retrouvé le confort qui sied à mon rang de grand organisateur, et qui m'a révélé à nouveau cette vérité première : je suis fait pour le luxe et non pour les souris. Genève était baignée de soleil, il faisait doux, les cygnes n'en revenaient pas de ce printemps précoce. Etourdi par un tel succès, je me suis réveillé le lendemain pour un petit-déjeuner de travail avec mon correspondant, Luca V., de la BSI, et Paola Dambrine, l'assistante, chargée entre autres de me payer. Moment toujours crucial...
Après avoir englouti 6 croissants, 20 tranches de viande des grisons, 3 pots de confiture d'abricots, 2 de miel, une tour de Babel de tartines, et un litre et demi de café, j'ai obtenu de retenir comme projet à débattre l'opportunité pour la BSI de m'inviter tout simplement à Venise au mois de mai, pour assister aux agapes officielles du consulat à l'occasion de l'exposition « Dada à Zurich », pour laquelle j'avais prodigué le conseil purement génial d'inviter Mimmo Rotella et de l'exposer en compagnie d'un De Chirico de 1914, ainsi que de lui proposer faire une de ses fameuses performances post-dadaïstes à base de borborygmes et d'onomatopées, domaine dans lequel il excelle depuis 50 ans. Idée retenue et mise en œuvre, puisque le De Chirico a été trouvé dans un musée suisse, et l'artiste, invité illico malgré son grand âge.
Mais ce n'est pas tout : Luca m'a trouvé une mission d'accrochage de 30 Rotella, chez un richissime avocat d'affaires de Lugano, Lucio Velo, qui vient de les acquérir à prix d’or, travail pour lequel je devrais percevoir de confortables honoraires.
Fort de ces bonnes nouvelles, je me suis rendu chez mes amis Chantal et Philippe L., au bord du lac, avec vue sur les crêtes enneigées, où j'étais attendu pour accrocher une œuvre de Christian Boltanski. Philippe est en état de transe professionnelle 364 jours par an environ, il petit-déjeune le lendemain matin à Paris avec M. Chrétien, 1e ministre du Canada, dont il est un des conseiller, et doit assister le soir même à Genève un dîner officiel à l'Ambassade du Canada, ayant à peine le temps de sauter d'un avion à l'autre, son épouse hésitant entre admiration et consternation devant un stress aussi permanent et la tentation d'ubiquité de son mari, capable de prendre au même moment un rendez-vous d'affaire à Paris et à Genève...







Cela me laisse songeur sur la qualité de vie de nos décideurs, passant leur temps à courir 20h sur 24 ou presque. Une promenade dans la vieille ville m'a permis l'après-midi de m'adonner à mon occupation favorite en voyage : la flânerie. Genève regorge d'antiquaires et de libraires d'anciens, j'ai été étonné de découvrir dans la vitrine de l'un d'eux, un petit ouvrage publié dans la clandestinité par les éditions de Minuit en 1942, éditions qui publièrent à peu près à cette même date le fameux Silence de la mer, à Alger, court récit ayant pour titre : « Toulon. » Un officier supérieur de la marine ayant regagné Alger pour y continuer la lutte y raconte « à chaud », avec photos à l'appui, le désastre du sabordage. Seul le prix, en francs suisses de cet ouvrage m'a retenu...
Je suis retourné sur les lieux que j'affectionne : la Grand-Rue, l'Hôtel de Ville et ses vieux canons, la galerie Krugier, en face de laquelle se trouve la maison autrefois occupée par Jorge-Luis Borgès, puis, Chantal, en mal de détente, m'a rejoint au fameux Café Lyrique, pour un dîner fort agréable, afin de décompresser un peu...
La journée du lendemain s'est passée sur les routes, par le col de la Faucille, dans des paysages grandioses, de bois, de plaines vallonnées avec de grands tapis de neige, de profondes vallées, un ciel dégagé et pur, avec dans certaines stations des skieurs occupés à dévaler les pentes. Le déjeuner, dans un routier de montagne, a été un grand moment, déjeuner pantagruélique de 10 euros, avec marmottes empaillées aux murs, poème encadré titré « Mon beau Jura », clients calmes et paisibles, au teint couperosé par le grand air autant que par le délicieux Chasselas blanc que l'on déguste ici à tout moment.
Les habitants de la région sont profondément paisibles, gentils et accueillants, ce qui m'a laissé de nouveau songeur sur les mérites de vivre en montagne, pauvre citadin en proie aux nuisances diverses des grandes métropoles des bords de la Méditerranée...
Venus pour acheter des meubles à Salins-les-Bains, en vain, nous avons fait un détour par le Casino, où j'ai gagné la somme de huit euros aux machines à sous, ce qui m'a fait comprendre que l’on gagne mieux sa vie en travaillant qu'en jouant au Casino. Instruit de tant de pensées profondes, et conduisant avec maestria une grosse berline, j'ai appuyé sur le champignon pour repasser les cols à la nuit tombée et rejoindre Genève par Ferney-Voltaire, car nous étions attendus pour un dîner privé chez le président du CCI (commerce international) et sa charmante épouse, en compagnie de l'Ambassadeur du Canada auprès du Saint-Siège, au Vatican, et son épouse tout aussi charmante, tous amis très proches de Chantal et Philippe.
Rotella m'ayant enseigné qu'il faut en toutes circonstances être si possible « à la hauteur de la situation », je n'ai pas reculé devant l'obstacle, n'ayant guère l'habitude d'être invité dans l'intimité de personnages aussi illustres, et hésitant (sans toutefois le montrer) entre creuser un trou dans le jardin de la résidence pour disparaître, et m'enfuir en courant pour regagner Toulon, et la rue de la Glacière. Mais la gentillesse profonde de nos hôtes et leur grande simplicité a eu raison de mes scrupules et de mes complexes : la soirée fut très détendue, chaleureuse, Madame B., l'épouse du président du CCI ayant préparé une délicieuse fondue accompagnée avec justesse d'un excellent vin blanc...
La conversation était très intéressante et j'ai réussi la prouesse historique d'être unanimement apprécié : questionné sur mes activités de sculpteur et d'écrivain, j'ai prudemment évité d'aborder de douloureux détails comme mes difficultés chroniques à payer mon loyer et mes notes d'électricité, le président du CCI étant habitué à gérer la dette endémique de continents entiers, je n'aurais guère fait preuve d'originalité, et j'ai exposé avec brio, avec des mots précis et très mesurés, ma démarche pour réaliser la sculpture (le chef-d’œuvre) de Lugano, et mes principes esthétiques en ce qui concerne l'architecture et la sculpture dans un environnement, gardant un silence réservé lorsqu'il était question des mérites du golf et de sa pratique en fonction des différents postes d'Ambassade à travers le monde, sujet sur lequel je suis moins bon. Etant assis en face de l'épouse de l'Ambassadeur du Canada au Vatican, nous avons parlé du Bramante, du Bernin, de la Via Appia, du Forum, et j'ai avancé l'hypothèse qu’étant donné les hautes fonctions de son époux (très déconneur) ils avaient certainement eu l'occasion de visiter le palais de l'Ordre de Malte, un des plus beaux palais avec le palais Farnèse, siège de l'Ambassade de France, un lieu impossible à visiter si l’on appartient pas au corps diplomatique. J'avais visé juste, et l'on m'a proposé illico de me rendre à Rome prochainement, ce que je ne manquerais pas de faire, pour avoir le privilège de visiter à mon tour l'illustre et mystérieux palais, guidé par Madame l'Ambassadrice. A cet instant là, le roi des Belges était presque mon cousin... et j'entendais mes cheveux pousser.
J'ai ensuite entamé une conversation avec M. B. sur la mémoire, la prise de notes lorsque l'on est confronté à des missions diplomatiques importantes, faisant état du fait, répondant ainsi à la curiosité de chacun sur mon travail d'écrivain, qu’en ce qui me concerne, je n'écris que dans l'urgence, afin de fixer des émotions trop fortes, toujours guidé en général par un sentiment de beauté, de sublime, ainsi que le besoin de mettre à nu ces mêmes sentiments. Un écrivain sentimental en quelque sorte ! Cela a eu un certain effet, et M. B. a décidé de déboucher sur-le-champ une bouteille de vin jaune, un vin rare (et cher), ayant lui-même souvent l'occasion de s'émouvoir lorsque conduisant son tracteur dans sa propriété du Canada, un « corps » (tas) de bois ou une jolie fleur méritaient d'être fixés par sa caméra vidéo, qui ne le quitte jamais. Les anecdotes sur la vie au Vatican étaient chouettes, et j'ai eu droit au récit de la visite la bibliothèque, un des lieux les plus secrets du monde. Un peu éméchés, notre soirée s'est achevée par un échange de cartes de visites, et la promesse de se voir bientôt à Rome, comme promis, ce qui va de soi, en apparence seulement, les séjours à Rome n'étant pas susceptibles de réjouir ma banquière, pourtant très compréhensive.
Le soleil a continué à briller jusqu'à mon départ, et la pluie était battante à l'arrivée à Paris, ce qui m'a convaincu du fait que la Suisse me réussit très bien et réciproquement, et que je ferais bien de m'y installer, les quatre étoiles étant sans conteste très confortables dans ce pays, où je ne rencontre que des ambassadeurs, et des présidents de banque, alors qu'en France je suis injustement toujours au bord de l'interdit bancaire, curieux paradoxe qui m'a donné à réfléchir en voyant s'éloigner la chaîne des Alpes, une fois à bord du TGV, pour lequel j'avais pris le soin d'échanger mon billet de première classe, réglé par la BSI, pour un billet de seconde, empochant au passage la différence. Il n'y a pas de petit profit...
Le lendemain, c'est à dire aujourd'hui, Chantal m'apprenait que la soirée avait été très réussie et que nos hôtes avaient beaucoup apprécié le sculpteur en question...
Ce matin j'écris la tête enveloppée dans un turban de serviettes éponges chargé de glaçons car j'attribue à l'air des montagnes le fait que ma tête soit considérablement enflée depuis mon retour. J'étais content de trouver cependant mon 1 pièce avec WC sur le palier, me disant que parcourir 250 mètres de couloir dans les palais du Vatican sous le regard étonné des gardes suisses pour satisfaire ses besoins devait parfois être bien pénible. Mais il est temps pour moi d'ouvrir une merveilleuse boite de conserve pour mon dîner, enfin seul, et lassé de la cuisine gastronomique des palaces. Ma simplicité légendaire a repris le dessus...


Ah ! J’'allais oublier : mes amis étant désireux d'acquérir un Raymond Hains de bonne facture et bien daté, je suis chargé de mener à bien la négociation… et de récupérer au passage une partie du montant de la transaction... Un métier. Une tâche qui n'est simple qu'en apparence, les rapports avec Raymond Hains se soldant en principe par la tournée des restaurants, des heures de palabres, et l'augmentation en flèche du taux de cholestérol, réduisant la durée et les chinoiseries des discussions du Conseil de Sécurité de L'ONU, au niveau de banales conversations de café du Commerce. Mais je n'ai pas le choix, ayant une banquière exigeante et pointilleuse sur tout.


Epuisant...

Ben oui, c'est ça, je reprends du poids, et aussi la tournée des bars, des galeries, et... le restaurant. Faut suivre. Et avoir du coffre. Passé la soirée avec Ben, Lara Vincy, Raymond Hains, avec qui les retrouvailles se sont bien passées, à La Palette : 2 demis et un Marc de Bourgogne à mon actif, puis Le Caméléon, à Montparnasse, avec Raymond et Patrick A., très dévoué et discret, devenu à la fois coach, chauffeur, officier d’ordonnance, secrétaire et bien d’autres choses encore, où nous dînons de queue de bœuf sauce gribiche, de morue à l'aïoli, de saucisse grillée et purée maison, de baba au rhum, arrosés de deux boutanches de Bourgueil. Du carré. Du classique. Faut dire que j'essaie de trouver le moyen de faire vendre une œuvre à Raymond, qui s'en branle totalement, et donc ce n’est pas du gâteau, enfin... je me comprends.


De plus en plus dur...

Je suis mal réveillé car hier les agapes ont continué, comme un marathon, passé au Dôme, à Montparnasse, où j'ai englouti 12 oursins, 12 huîtres, des crevettes grises, du rizotto aux truffes et noix de Saint-Jacques, des asperges, des fraises des bois et des framboises fraîches, le tout arrosé d'un Vouvray très printanier, et ce avec Raymond Hains, et Aurélie, une assistante parachutée sur le théâtre des opérations Hainsiennes, véritable sable mouvant avec malaria et crocodiles, et ce de 13 h jusqu'à 19 h, pour aller acheter ensuite une montagne de livres, et se rendre dans la foulée, après avoir pris un Perrier devant le Champollion, à un dîner chez Leïla G. sous la conduite du fidèle Patrick A., où se trouvait Orlan, très sympathique, avec des implants dorés sous la peau de part et d'autre du visage, monopolisant la parole avec sa langue, ce qui est très corporel, et l'éditeur Jean-Michel Place, très rigolo, ainsi que d'autres personnes...
Cela m'a amené vers deux heures du matin. Ce métier est vraiment très dur...
Derrière tout cela : les coups fourrés, les rancœurs et les intrigues vermoulues, auxquels je suis désormais peut-être un peu plus aguerri.


Faites « A… »

... me dit le médecin. Mais la bouche vaguement ouverte comme un seau de plâtre à fond rouge aucun son ne parvenait à sortir. Angine rouge. Antibiotiques et traitement de cheval. Assommé l'Alguazil, jambes lourdes, œil torve, frissons, douleurs en déglutissant. Daniel's ou côtes de bœuf, rien ne passe. Enfin, ça va mieux, rentré à Paris pour bricoler un avenir, un devenir, avancer, sans horizon, mais avancer, comme Dante sur une mer de brume, d'Annunzio sur le lac de Côme (ou en exil à Arcachon) un Alguazil avec chapeau à plume pédalant sur la gigantesque masse de yaourt rance du milieu de l’Art avec des fantômes aux palmes et plumes terrifiantes surplombant son cheminement dans le brouillard, coupant les perspectives, faisant surgir de grandes têtes de grands guignols. Banques, factures, échéances, prêts, ghettos...

Revu le petit appartement convoité : petit mais coquet, il faudra du temps pour l'aménager. Mais si les voisins ne sont pas trop insupportables, il sera peut-être vivable, et joli, et confortable, et accueillant, pour enfin travailler. Après examen, je constate que les murs sont en cartons, qu'il faut changer les robinets, qu'il faut renforcer la porte et les volets (à cause des cambriolages, qui sont mon lot depuis des années), construire des étagères. L'Alguazil ronge son frein. Après deux ans passés en galères, il est sonné, mais il s'en est sorti, pas facilement, mais il s'en est sorti. Pas intact, non, sonné, abîmé, mais vivant bordel de merde ! Notre Alguazil n'a qu'un désir, qu'une envie, comme un feu qui le brûle depuis son enfance : peindre, sculpter, reprendre son travail, pour lequel il est au monde. Après ce temps passé à croupir bloqué, perdu, dans son trou creusé par une bombe anglaise, ancienne brûlerie de café puis entrepôt de papier de la rue Alézard, il sort enfin, s'ébroue, réalise que peut-être les ennuis s'achèvent... un peu. Envie de peindre, travailler, accomplir sa tâche. Et il n’a pas très envie de travailler pour gagner ses deniers, mais il lui faudra pourtant le faire, et pas plus tard que très bientôt.

« Exit » écrit avec ou sans c me fait penser à ma bonne espagnole (j'épargne les détails), un plat de macaronis, une épaule d'agneau avec des champignons et un bon Saint-Emilion, une Aston-Martin, un Campari orange, un bon tailleur, les meilleurs cigares, un petit Chardin, un beau fusil, les petits chênes et les pins givrés de la campagne de Mazaugues au cœur de l'hiver, une omelette en rentrant au feu de l'âtre, la bonne espagnole (là c'est un adjectif), le chant des oiseaux au petit matin au printemps, le vent dans les pins, une rose offerte ou rester allongé sur le dos dans le cœur de la cathédrale de Chartres, et à des tas d'autres trucs encore...
Et un bon canapé pour continuer la liste s'impose en effet, avec cigare et bourbon, plaid, livres et musique baroque en sourdine (ou plutôt Misty d'Errol Garner) et beaucoup de temps. Bon, je redescends sur terre, dois me raser au couteau de plongée, avaler un substitut de café et dévaler l'escalier...


Recherche de l'effet...

Les petites sculptures avancent et m'apportent beaucoup de plaisir, me divertissent, m'amusent, me charment, me distraient de la solitude. J'ai ramassé dans la rue un très beau pétale de rose, avec des teintes subtiles, orangées et jaunes, roses, je vais essayer de voir s’il conservera en séchant son aspect délicat et charmant comme un vase de Gallé en pâte de verre aux motifs floraux, j'aimerais qu'il reste intact, mais ce n'est pas dans l'ordre des choses. S'il tient le coup je le collerais sur une colonne blanche en bois, assez brut, peinte de blanc mat et peindrais ensuite à sa base une sorte de buisson ardent, comme un pubis... Cela sera du plus bel effet. Eh ! Merci l'ami ! Elles sont au poil ! Quelle époque ! Je verse une larme sur ce passé révolu ! Quand Blaise s'embarquait à Marseille pour le Brésil, revenant avec une cargaison d'oiseaux de couleurs après un périple en Amazonie avec armes, essence et bagages, au volant de l'énorme Alfa à roues pleines, pas mal de péripéties, re-débarquant à Marseille pour des agapes interminables chez la mère machin, gueuletons inénarrables, pour finir dans l'isolement à La Redonne, sur la voie de Carry-le-Rouet, jouant à la pétanque avec les pêcheurs, buvant le passetisse, loin des mondanités des grands hôtels parisiens et des salons, tapant d'une main pendant des nuits entières la clope au bec, dans la « maison du pendu », sur les hauteurs de la calanque. Lorsque je m'y suis rendu à moto il y a déjà quelques années, en parlant avec le patron de l'unique café-tabac, et évoquant une ancienne « maison du pendu » où aurait vécu un écrivain avant guerre, il s'était souvenu en effet ainsi qu'un vieux qui sirotait sa bière qu'un écrivain parisien n avait bel et bien passé quelque temps à La Redonne, le bled étant si petit et enfoui sous la voie ferrée, que les aissetrangés qui y sont passés, on s'en souvient forcément...
Et puis cela nous ramène aux années 30, à l'affaire Stavisky, lorsque Marseille vibrait à la musique de jazz et des bordels contrôlés par le déjà puissant Jo Attia... Avant-guerre où le jazz s'était déjà installé en France, sa meilleure terre d'accueil ! Ah ! Quelle époque ! La traite des blanches. Pépé le Moko, le Chabanais



Hals...

Je fuis la conférence sur Ingres, pourtant brillante, pour me réfugier au bar Le Méditerranée devant un panaché, une pipe de tabac brun et Les heures d'Espagne de Léonardo Sciascia. Je songe à l'atelier qui m'attend, un peu plus bas, tout près. Ses hauts murs et hauts plafonds que j'espère blanchir au plus tôt. C'est que je préfère à la conférence de Jean-Roger S. et son public de vieilles dames à l'haleine fétide les bruits de juke-box trop forts, les exclamations bruyantes des matelots, les portes qui claquent, la gaieté enjouée et primesautière du garçon du bar, en bref la vie de ce port militaire où l'on séjourne plus souvent que l'on ne s'y installe... La vie. Ses bruits et ses odeurs. Odeurs de sexes de femmes, âcres, de tabacs salivés, de poissons salés en tonneaux, de sardines grillées, d'aisselles de femmes dans les soirs d'été où l'on s'embrasse à s'étouffer. Tout ce qui vit et ne se contemple pas, ce qui vit dans l'instant, fixer l'instant dans sa mémoire comme un Franz Hals : fumée de pipe et joues rougies, poitrines opulentes et frémissantes...
Sciascia est né en 21. J'espère laisser quelques belles choses aussi avant de disparaître à mon tour... Mon âme vagabonde, la brume doit envahir Paris à cette heure... Aimer encore et encore avant de disparaître...


Grand-hôtel...

- Eh bien ! Imaginez donc à vôtre guise mon cher âââmi très cher, de l'imagination naissent les belles ôôôeuvres, je vous livre dans un email voisin de celui-ci les débordements, bien pudiques, que l'image de ces dames m'inspirent, ils ne sont qu'émotion, bouffées d'images, d'actions possibles, de romans qui restent à écrire, milliers d'images de cet entre-deux guerres dont on épuisera jamais l'immense potentiel !
- Merci, merci à vous, quel bonheur en effet de se retrouver, chapeau mou, cigare, poches bourrées de bank-notes, eau de toilette, taxi sur la Canebière pour descendre au Grand-Hôtel et aller écouter la musique de Jazz, monter avec les filles ou boire du Gin avec elles au bar, en devisant de voyages, de rêves d'opium, d'aventures vécues ou fantasmées, rendre compte en écrivant le soir dans l'immense chambre feutrée, ivre de musique, de filles, d'insouciance... La vie portée à sa dimension épique celle de L'AVENTURE, chose impossible aujourd'hui…
 

Grand recueillement cet après-midi devant la tombe de Guillaume et Jacqueline Apollinaire, au cimetière du Père-Lachaise. De facture récente et constituée d’une pièce de granit vertical, elle n’a cependant aucun charme particulier. Gravés en lettres rouges les noms et les dates figurent avec un poème tiré de Calligrammes : Mon cœur est en forme de flamme retournée. Oui, beaucoup d’émotion…


Choc terrible devant la magnificence du Musée Jacquemard-André, une des plus belles choses qui soit au monde. Entrant dans la pièce où se trouve la Vierge à l’enfant de Botticelli je sens tout de suite en moi un trouble profond qui montait depuis le double escalier en spirale et la fresque de Tiépolo. L’émotion est telle que toute ma vie passée jusqu’à aujourd’hui me paraît être un préambule d’une seconde à ce qui sera désormais le seul et unique but des quelques années d’existence qui peuvent me rester à vivre : accomplir ma vocation de peintre et de sculpteur avec honnêteté et tout lui sacrifier, richesse, plaisir, honneurs, justifiant ainsi ma présence sur terre et rendant grâce à Dieu des talents qu’il a bien voulu m’accorder à ma naissance et dont je sens, arrivé dans ma quarante-sixième année, le devoir d’aller le plus loin possible dans ma recherche artistique, me consacrer au beau et au bien, sentiment, émotion, trouble, que j’analyse en toute lucidité comme très proche du sentiment religieux, savoir pour quoi l’on est fait, et accomplir jusqu’au bout ce pour quoi l’on est fait. Ainsi soit-il...
Pour cela seront nécessaires la force, le courage et l’audace, tous trois soumis au courage suprême : la joie constante d’être en vie et de célébrer la beauté du monde.


Les vraies richesses...

D’abord le Parmesan. Un très gros morceau de Parmesan. Ensuite le vin, de bonnes bouteilles de vin, sain, qui éveille l’âme et la purifie. Puis, de bons cigares, aux odeurs de pubis. Enfin, un bon livre : La légende dorée. Le Louvre. Pour s’en distraire : de beaux seins et une croupe fraîche et odorante, ans doute liés dans le souvenir à un pétale de rose tombé dans le hall de marbre blanc d’un grand hôtel après le passage d’une belle au parfum persistant… L’écriture prompte et vive d’un poème. Un bon fusil pour l’escarmouche. Rêver des jours entiers devant un paysage hollandais, puis partir dès l’hiver en voyage en Italie voir les brumes de l’Arno dans une voiture anglaise. Passer le Saint-Gothard à cheval et arriver à Vienne au crépuscule…


Etre en sursis
Sursauter
Etre poète
S’émerveiller
Dans la lumière des matins
L’œil frais
Comme la toute première fois
Voir et être nu devant ce que l’on voit
Sentiment, et émotion, intuition colorée
L’esprit teinté de mélancolie devant la beauté
La rose atteint sa vraie splendeur avant de se faner
Vif sens de la brièveté de la sensation
Vision fugace imprimant sa trace colorée
Accord de tons subtils
Lumière des matins !
Dans un rêve de fumée…


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