Une certaine retenue La croisée des chemins Fontana Capitales Rouges chauds Banquet La lumière avait disparu Mon toit est percé Un beau dessin Cela ne s'arrange pas Le vieux M1 L'unique Froid piquant Industrie Le petit marcassin Les artistes Soyons bref Le chalet La gerbe Antibes Le voilier La complainte d’Arsène Lupin Les Lances Au Louvre Vous avez dit esthète Miroirs Comme Toto Sidi Bou Saïd Mercedes Divertissement Cinéma Le plaid Le moral Mon beau Jura Epuisant De plus en plus dur Faites « A… » Recherche de l'effet Hals Grand-Hôtel Les vraies richesses
Une certaine retenue...
Ce matin la lumière douce du printemps qui s’annonce filtre les
vitres du Rouquet et fait revivre le boulevard Saint-Germain. Après des mois de
silence j’éprouve à nouveau le besoin d’écrire. L’exposition des
collages d’Alberto Magnelli se tient à deux pas, chez Denise René.
Délicieux recommencement des émotions déjà anciennes devant ces
collages historiques, intacts et frais dans leurs cadres de chêne bruni par les
55 années qui nous séparent du séjour des Magnelli, Alberto et Susy, à Vence,
avec les Arp, sous cette lumière du midi qui dès l’origine a dû solariser,
impressionner les papiers, cartons ondulés et ficelles, boites d’ampoules
utilisées par sa femme, malade, leur donner cette tonalité chaude, un peu
jaunis, quelle émotion en entrant dans la galerie de recevoir ces impressions
si fortes, alors que dès 10h on y fait les vitres, on nettoie les sols, que les
percolateurs raisonnent et fument et embaument dans les cafés alentour,
passantes parfumées et pressées, apaisées par la nuit, quelle émotion de
percevoir dans ces collages réalisés en 1943 une fraîcheur toute juvénile, et
si simple, une enfance de l’Art. Bonheur… Génie de Magnelli : une certaine
retenue.
Construction puissante comme dans les fresques d’Assise, douceur
sereine comme celle des visages de Giotto. Toutes choses si rares
aujourd’hui...
On se souvient, toujours et encore, des propos d’Alexandre
Iolas, évoquant Georges Pompidou se faisant déposer très tôt devant chez lui,
ou à la galerie Denise René, pour y avoir le premier regard sur les Fontana
vibrants de couleurs, évidents, et repartir le cœur léger vers ses occupations
et sa journée de président…
Je pense, devant les cimaises claires et les tons bruns de ces
papiers admirables, à l’immédiat après-guerre, aux matins qui chantaient,
les affiches attendant d’être ravies sur les murs de la rue de l’Echaudé par
nos deux larrons, Jacques et Raymond, toujours à l’affût.
Autant d’émotions devenues rares dans nos galeries actuelles,
transformées en mastabas pour les messes obscures de l’Art contemporain, ses
turpitudes sous les masques libératoires, ses contorsions. Clarté des murs
blancs du petit espace laissé intact par Denise René, larges vitrines ouvrant
sur le boulevard, les platanes, les autos, les passants. Lumière faisant
chanter les matières, glissant sur les œuvres, si délicates. Presque rien, et
presque tout. Beauté de la journée qui commence, les peintres de Balthus
portant leurs planches. Camions des livreurs.
Alors qu’Arp et Magnelli sont réfugiés sous la lumière intense
de Vence, mon père, jeune adolescent, agit dans l’ombre, arrêté, départ pour la
déportation. Nuit et brouillard. Peu revinrent.
Je dévale ensuite la rue Saint-Guillaume, si calme à cette
heure. Guillaume, qui habitait tout en haut, photographié fumant sa pipe avec
Jacqueline, sous les toits donnant sur le magnifique hôtel occupé aujourd’hui
par les David Weil.
Voilà la paisible rue du Pré-aux-Clercs, où étudiant j’habitais
une chambre glaciale, au numéro 10, lisant Artaud, pour rejoindre la rue de
Seine et me rincer l’œil à nouveau devant des Villeglé des années 59/60, époque
de Colette Allendy. Les mois de grisaille sur la Bastille s’estompent…
Passant rue de l’Université, je me souviens maintenant de la
chambre que j’occupais, sous les toits, au numéro 8, des toits enneigés, comme
dans la toile célèbre d’Albert Marquet. Camille Bryen habitait au numéro 4, les
Debré juste en face, et Bryen, qui nous ramène à Raymond Hains, à l’exposition
en préparation au Centre Pompidou pour l’année 2000… Fraîcheur des matins.
Bonheur d’être en vie, à Paris.
La région, le Var, sont pourris, usés, vermoulus, pressés, il ne
restera rien. Demain sera radieux : services améliorés, infrastructures, TGV !
Mais nous sommes perdus sur le plan culturel et éthique. La société française
est un morceau de sucre sur lequel on verse lentement du thé à la menthe… C’est
ainsi, et la vie, énergie prodigieuse qui se traduit avant tout par la vitalité
de la natalité, la vie des peuples, elle, continue, avec son rythme propre. Le
peuple français disparaît, il s’est suicidé pour des mots, quelques grands
principes…
Il faudra bientôt modifier la constitution, renoncer, de fait, à
ces mêmes principes pour avoir voulu les appliquer à la lettre.
Liberté, égalité, fraternité, ces mots n’ont jamais été aussi
vides de sens qu’aujourd’hui. On égorgerait déjà gratis si nos institutions
fatiguées ne faisaient encore régner, pour peu de temps encore, les règles
communes. Nos morts, de toutes origines, sont morts pour rien. C’est la
fin. Montée des ethnies, des communautés.
L’Europe ne sera qu’un vaste marché, sans foi, sans croyances
communes, les droits de l’homme seront bafoués, ils le sont déjà, par ceux-là
même, que nous souhaitions protéger par paternalisme…
Inversement des situations et des valeurs. Retournements.
Pression montante des minorités, répétition dans les Balkans du scénario qui se
dessine dans nos pays.
L’Europe éprise de grands principes, de morale, incapable de
faire face aux nouvelles violences, prise à son propre piège, reculant toujours
plus, aveugle et bientôt vaincue... Partage ethnique, avec l’Allemagne comme
arbitre, régisseur du grand marché. Qu'il est difficile de comprendre cela, de
l'écrire...
Fontana...
De la foire de Bâle 99 peu de choses me restent en mémoire. Le
beau temps sur l’Alsace puis l’orage après le vernissage. Un stand somptueux
avec un one man show « Lucio Fontana » qui présentait des téatrini de petits et
moyens formats, rarement montrés, et des œuvres de toutes les époques, toutes
remarquables, classiques, importantes. Un grand format ovale rose, des bucci, semblable à celui de la collection
Montaigu, sur un autre stand (?), ainsi qu’un grand format carré, connu et
répertorié, dans les tons bruns. Je me souviens ensuite d’une remarquable
petite statue de femme, un bronze, de Picasso. Un joli, minuscule mais chargé,
Nicolas de Staël. Un Marquet très brumeux, un peu vide, pour 180000
francs suisses. C’est presque tout. Le reste valait la peine d’être vu… et
oublié.
Capitales...
Je m’épanouis dans le silence. Projet : habiter les îles
Lipari, entre volcan et mer.
Ou en Espagne. Mer et montagne. Quitter l’agitation. Vivre avec
peu. Peu de temps encore, aussi. 40 ? 30 ? Ou moins… Ne plus rien gaspiller, le
temps, l’argent, la vie, l’eau, l’air, les seins, les étoiles, le pain,
l’herbe, tout récupérer ! Récupérer…
Récupération après l’effort. Retrouver la santé, son être, son
capital, loin des capitales.
Il est curieux qu’en retravaillant mes notes prises lors
d’entretiens (monologues ?) avec Raymond Hains, et au fur et à mesure que
j’écris, que la lumière change, en ce mois de février, par la fenêtre au dessus
des toits fumants du XIe arrondissement, le soleil faisant de furtives
apparitions, curieux donc que tout en écrivant mon paysage mental soit lui
aussi changeant, mobile, riche surtout d’images, qui m’amènent, sans que je
puisse en décider, suivant le rythme des mots couchés sur le papier, qui
m’amènent dans des lieux connus, lieux de mon passé qui m’ont inspiré, sur
lesquels j’ai écrit, comme si le fait d’être concentré sur les rapports de
mots, de choses, d’êtres connus et de souvenirs évoqués par mon interlocuteur,
m’amenait sans forcer et à mon insu à me libérer d’images profondes, enfouies,
impossible à retrouver à d’autres moments, ce qui renforce mon goût pour les
mécanismes de la pensée, tout cela déjà évoqué par Claude Viallat dans son
atelier, il insistait alors sur ces phénomènes de la pensée, dictés par le
travail de l’inconscient, inconscient « qu’il faut laisser passer »,
se laisser agir par les courants qui nous traversent, nous guident.
Tout en évoquant Saint-Malo ou Venise avec Raymond Hains, la vie
en Bretagne, je me retrouve de façon superposée, en écrivant, dans certaines
rues de Toulon, de façon précise, à une certaine heure, dans une certaine
lumière de fin d’après-midi, en septembre, dans un certain état d’esprit, un
état émotionnel, et je me mets alors en rêve à voyager, avec un petit cigare et
une boisson, vers des pays d’Extrême Orient, en mer de Chine, sur une
embarcation basse caressant les eaux, glissant sur le miroir de l’eau, entre de
grandes montagnes velues, comme si Ophélie m’observait de sous la surface, les
yeux tournés vers le ciel et l’image déformée de la barque et les effets
miroitants de la lumière, myriades de bulles, de reflets colorés…
Effets colorés déclenchés par la présence de la toile brute dans
l’atelier silencieux, clair et calme, au petit matin, alors que le travail a
mûri pendant la nuit. Attaque de la toile par la matière, toile qui retiendra
ou laissera s’étendre le liquide qui alourdit la brosse, mouvement doux ou
précipité, et l’étonnement qui s’en suit, comme aux premiers jours, une enfance
de l’Art, verts amande un peu chauds, jaunes de Naples suaves, un bleu frais et
clair, un rose infini et subtil, les rouges chauds de l’Orient...
Réminiscence possible aussi de se retrouver tout à coup sur une
route d’Espagne, en moto, tir tendu de la machine, d’un point de la carte à un
autre, d’une ville vers une autre, fraîcheur du matin avec la fournaise qui
monte derrière les montagnes d’Aragon, au milieu des pierres et des terres
arides, vacarme du frottement de l’air… Auto-analyse préconisée par Raymond
Hains… Mécanismes de la mémoire. Mystères de la pensée, de ses superpositions
de représentations. Pliage, déploiement d’images. Circonvolutions. Poupées
russes des idées, pelures d’oignons, kaléidoscopes, miroirs déformants,
logiciels, matrices d’idées, chimie du cerveau… La vie considérée comme un
songe. Travail énorme de Proust revenant sur le passé, comme un Himalaya.
Chanson populaire anonyme du Népaul, en Mongolie occidentale
(peuple Kalmouk ?)
Oh ! Leïla !
Dans ta bouche il est trois choses :
Une rangée de perles du Bahreïn
Une gorgée de vin de Chiraz
Le parfum du musc tibétain :
Le musc du Tibet est ton haleine,
Le vin du Chiraz est ta salive,
Les perles du Bahreïn sont tes dents
Oh ! Leïla !
Oh ! Leïla !
Dans tes yeux il est trois choses :
Des diamants noirs de l’Hindoustan,
Des soies brodées de Lahore,
Des flammes de Fuji-Yama :
Les flammes du volcan sont leurs éclats,
Les soies brodées de Lahore leur velouté,
Les diamants noirs hindous leurs couleurs,
Oh ! Leïla !
Oh ! Leïla !
Dans ton cœur il est trois choses :
Tous les cobras jaunes de la Birmanie,
Tous les champignons mortels du Bengale,
Toutes les fleurs vénéneuses du Naipaul :
Les fleurs vénéneuses sont tes aveux,
Les champignons mortels tes baisés,
Et les cobras jaunes tes trahisons
Oh ! Leïla !
Avant le froid et la tombe mille fois banqueter devant le feu
crépitant, faire voler les verres, et foutre mille fois encore devant la flamme
qui danse, flamenco européen, crinières dénouées, vit au vent, femmes mille
fois montées avant le repos de la nuit profonde, le règne des esprits. Laissons
les princesses de supermarché pour les filles de salle à Naples,
seins lourds, yeux profonds et bons, aisselles odorantes, torchons noués sur
les hanches, cheveux en bataille, mains délicates, le geste vif, la caresse
prompte. Gens de Dublin. Porter Ulysse
à l’écran, pub taverne haute de plafond, lumière blême des rares abat-jour,
planchers crasseux, bières amères, tentures de velours cramoisis, jeux de
fléchettes, femmes prises sur les tables et les billards, scènes crues,
violence, coups, choppes de bière mousseuse, foutre, bagarres, putes blafardes,
vieilles, recousues et fardées…
La lumière avait disparu...
Et c’est ici que je retrouve mes esprits, peu à peu, lentement,
réveil d’une nuit sans fin, aveuglement du soleil noir. Saint-Tropez... Là,
devant le golfe (il fait très gris et doux et frais), en regardant le clapotis
de l’eau, entre les pierres au pied de la vieille tour, j’ai retrouvé l’envie
de plonger doucement dans les eaux grises : 10, 20, 30 mètres. Trente minutes à trente
mètres… Courbe idéale. Voilà. Il n’y a pas sans doute ici d’instants où le
paysage, la mer et ses nuances, ne soient admirables.
Jean-Paul Monery, conservateur de l’Annonciade, est un
hôte attentionné, et nous parlons du texte en préparation pour l’exposition
Marquet, prévue pour l’été, en buvant beaucoup de Bordeaux, ce qui est très
cohérent puisque le maître y naquit…
Fait la connaissance d’un personnage très attachant, Georges
Cotos, une sorte de colosse, roumain et chauvin, au bon sens du terme, peintre,
ayant connu Brancusi, la tuberculose, la bataille de Stalingrad, la Casa de
Vélasquez en 1956, Paris en 1945, et fait fortune en créant les célèbres glaces
« Popov » dans
les années 60.
Peintre lyrique et passionné, il n’a pas son pareil pour parler
de son pays, la Roumanie, du patrimoine des églises et des fresques, n’a de
cesse de parcourir l’Europe avec son fidèle aide et chauffeur pour défendre la
culture et le patrimoine de son pays. Sa femme est charmante, et son aide
réussit très bien les pizzas, en utilisant pour cela une pâte feuilletée très
fine, et possède le secret bien gardé d’une cuisson juste à point, cuisinier
très sensible donc, comme le maître des lieux, haut en couleurs, et chez qui
nous passons une soirée très agréable.
Mon toit est percé...
Cette nuit, alors que je dormais comme un bébé imaginant les
scènes hilarantes de futurs courts-métrages (notamment celle du dentiste et
celle du peintre qui décompense) j'ai été réveillé par un bruit mat et régulier
alors qu'il pleuvait très fort.
Eh bien c'est qu'il pleuvait aussi chez moi à grosses gouttes,
elles tombaient en faisant une marre à 1
cm du pied de mon lit. Un miracle
que je n'ai pas eu les pieds mouillés. Alors je me suis levé et j'ai trouvé un
bac à peinture pour recueillir l'eau. Cette scène très pittoresque digne d'une
image d'Épinal (je pensais à tout ça en regardant les grosses gouttes se former
comme des stalactites au plafond) est le signe évident de ma réussite dans la
vie ! 20 ans d'efforts et un succès international.
Un beau dessin...
L'image du crocodile me rappelle un souvenir d'enfance hilarant
: j'ai 5 ans (environ) et ma mère m'emmène chez un psychiatre à Toulon, le
bureau me parait immense, tout le monde est très gentil avec moi, et ce
monsieur me tend une superbe boite de crayons de couleurs et me demande de
m'asseoir et de faire un beau dessin.
Je suis aux anges : les crayons de couleurs ça me connaît et
faire des dessins je connais aussi très bien. Pas de problème ! 20 minutes plus
tard (environ) ils reviennent vers moi et regardent mon dessin, et là, le
visage du médecin se fige !
Sombre, osant à peine se prononcer. Moi : très content, j'avais
dessiné un magnifique crocodile, avec du vert, bien sûr, mais aussi plein
d'autres couleurs, et un beau paysage en arrière plan. Le pied quoi ! Après
diagnostic la situation était grave, pas de quoi rigoler du tout : le crocodile
(très beau) c'était... ma maîtresse d'école, le pouvoir, la castration. Ma mère
a payé (cher) et nous sommes repartis.
Cela ne s'arrange pas...
L’automne dans le Gard, avec les tâches noires des taureaux…
Dans le Haut Var, je découvre des paysages remarquables, ceux
décrits par Giono, encore lui, il n'est jamais bien loin, le tir et la chasse
n’étant qu'un prétexte pour circuler dans ces territoires. Ainsi il y a une longue
allée d'immenses platanes entre Tourves et la Roquebroussanne, avec des champs
labourés, et autour, des vignes, des petits bois, le cirque des montagnes, avec
leurs tâches de calcaire gris, que j’apprécie tout particulièrement...
C'est exaltant, et je ne serais pas trop lyrique ou excessif, en
disant que dans ces moments là, à cheval sur la BMW K100, puissante mais docile et douce, le froid aux joues, la
lumière rasante de l’automne entre les troncs immenses, on peut avoir
l'impression concrète, mais fugitive, de connaître vraiment ce que l'on nomme
le bonheur, la liberté, la félicité, ceux décrits par Giono précisément…
Voilà que je redeviens sentimental ! La marquise de Théus, et
son caraco, ses yeux noirs de jais, les chevauchées dans les plaines durcies
par le givre, voilà ce qui émeut au plus au point l’aventurier au cœur pur
qu'est Angélo. Décidément, ça ne s'arrange pas…
Le vieux M1...
Acquisition d’un nouveau Garand
M1, daté mars 43, « dans son
jus », fort bien conservé. Un des meilleurs fusils jamais construits (sic
Patton). Je l’aime. Et rêve de pouvoir bientôt tirer avec : sentir les odeurs
d’huile de lin et de graisse, entendre le vacarme et sentir le mouvement de
pièces, celui du léger recul, puis le « clink » final de l’éjection
de clip, comme l’entendaient ceux d’Omaha Beach ou de Bastogne.
L'Unique...
Orangés des courges, verts chauds des céleris, celui froid des
épinards, bleu du coton foncé d’encre des tabliers, éclats clairs du bois
patiné des tréteaux des étals, larges fleuves de lait des nervures des blettes
dans les vallées ondulées profondes des feuilles grasses et joufflues, j’ai
retrouvé tout cela ce matin, en buvant mon café et en lisant les nouvelles,
avec une interview de Jean-Pierre Mocky depuis son quai Voltaire. L’atelier est
à deux pas, je rentre vite retrouver mes souvenirs, l’esprit plein des
merveilles innocentes de la vie du petit peuple. Il me faut graisser et cajoler
une très jolie carabine Unique pour l’emmener à l’essai sur le pas de
tir.
Froid piquant...
Mazaugues se trouve au pied d'une grosse colline, à la lisière
d'une vaste plaine qui va jusqu'à la Sainte-Baume, et englobe les communes de
Saint-Maximin, Tourves, avec de longues allées de platanes… Une plaine que j'aime
beaucoup, faite de vignes, de vastes forêts de petits chênes et de pins, avec
de grandes pierres plates couvertes de mousses qui parsèment les terrains, tout
cela est très sauvage, cela me convient. Il y a, à la sortie du village, un pré
avec des vaches, une jolie église, des anciennes constructions en creux où
autrefois on conservait la glace, de petites, très modestes maisons de village
qui fument dans le soir : la soupe, les devoirs, les rêves. Deux cafés avec des
gens immobiles ou qui jouent aux cartes, qui parlent peu (très important ça),
le poêle, la pendule, et l'école communale avec les platanes qui perdent leurs
feuilles, la cour et les cris des enfants (pas trop d'enfants.) Mazaugues
endormie dans le soir, le froid qui pique, la lumière au fond du café, tout ça
est très joli. La route de Saint-Maximin traverse une forêt domaniale, et au
centre se trouve une immense carrière eu creux, profonde, aux falaises de
calcaire tranchant sur la terre rouge. On y descend par une rude pente en
passant devant un monument stèle : d'ici pendant la guerre on envoyait les
messages pour Londres et les alliés y ont parachuté beaucoup de matériels.
Aujourd'hui s'y trouve le club de tir auquel j'appartiens : le plaisir du
voyage en moto pour m'y rendre est égal à celui de tirer, le bol d'air et le
dépaysement est assuré. La région est un condensé des beautés (très pures) du
centre Var, et cette carrière abandonnée avec ses gros blocs de calcaire
pourrait servir de décor à un western ou au Salaire
de la Peur tourné prés du
pont du Gard…
Ayant trop lu et relu Giono, et passant en moto dans ces sites,
je me prends pour son héros Angélo Pardi, j'ai par moment l'exquise sensation
d'être « un cœur pur », air frais, vitesse, on est traversé par des
sentiments que l'on ne contrôle plus, on s'abandonne au romanesque, dans la
solitude, les grandes étendues vierges et arides… Simple sensation...
Le fusil Garand M1,
sorti des chaînes de l'arsenal de Springfield (Massachusetts) en mars 1943 est
un chef-d’œuvre de technologie, avec ses formes parfaites comme celles
d'une machine célibataire fendant l'espace en Victoire de
Samothrace, et devant lequel je m'incline religieusement chaque soir en
récitant les prières rituelles, soit d'après le Drill des Marines : « Tu es mon fusil, il y en a des milliers comme toi, mais toi tu
es à moi, etc. » Et patati et patata... Il est
beaucoup plus beau que toutes mes œuvres, simples bricolages essayant de créer
la beauté en inventant un vocabulaire. Lui, elle, devrais-je dire, car mon
fusil est très féminin aussi (les formes parfaites, la douceur infinie du
toucher, la précision de ses intentions secrètes) est une chose aboutie,
définitive, un accomplissement, le projet conceptuel qui lui a donné le jour
est en soi un prodigieux exploit (celui d'un canadien d'origine française, John
Cantius Garand), gagnant ainsi en esprit subtil, qui a sauvé des millions de
personnes, et aujourd'hui vit sa vie de talisman technologique et mythique pour
l'éternité, en attendant, au chaud, chez moi, dans mes bras, sensuel. Il est
parfait. Il est beau. Je l'aime. Mes œuvres parviennent parfois à créer une
émotion. Ce fusil, lui, est l'émotion, il est une tautologie, un absolu de
savoir-faire, avec un faire-savoir assez... persuasif : Boches et Japs, l'ont compris
à leur dépends. Cela ne s'arrange toujours pas !
Le petit marcassin...
Parti à la chasse aux aurores dans les bois de Tourves. Paysages
magnifiques, infiniment subtils, faits de brumes shakespeariennes, de talus
boisés alternant avec de petits prés plantés de vignes, de nombreuses variétés
de plantes très odorantes, des arbres d'une élégance folle (je suis tombé raide
amoureux des trucs qui ressemblent un peu à des saules mais dont j'ai oublié le
nom), des points d'eau où stagnent des feuilles rouges, les platanes immenses,
les petits chênes bien sages bordant des bastides endormies ou abandonnées, en
tout cas fort mystérieuses et attirantes, des taillis de ronces où vont se
nicher grives et bécasses, des espaces libres d'herbes rases comme des tapis de
billard (les lièvres adorent), les « restanques » comme des estrades
de décors de théâtre gris argenté, des vols et des cris d'oiseaux qui parlent à
l'âme, si variés que la sensibilité s'aiguise jusqu'aux nuances les plus subtiles
pour les distinguer, deviner leurs petits secrets d'opérette et d'alcôves, qui
les occupent au point du jour, quand tous s'éveillent, frais et dispos pour
rejouer un nouveau jour...
Les chiens d'arrêt ont découvert un petit marcassin et l'on
stoppé, saisi, puis crocheté, et le petit, qui dormait après une nuit bien
remplie à fouiller les champs de son groin et saccager les vergers pour se
goinfrer de gourmandises enfouies, saignait d’un beau sang vermeil, non sans
avoir abîmé un museau au passage avec ses défenses pointues, j'ai bataillé pour
séparer le domestique du sauvage, saisis à bout de bras le bébé qui couinait,
sentait fort, sueurs, musc, un peu comme les taureaux qui ont courus, se
débattait en me donnant à admirer son petit ventre rose, son échine de poils
raides noirs et bruns, ses sabots de maisons de poupées sauvages…
Que ressentait-il saisi à bout de bras par un humain aussi
étonné que lui ? Je l'ai relâché et il a disparu sans bruit sous un taillis…
l’échappée belle. Il m'est resté un peu de sang sur les mains, et surtout cette
odeur forte...
Les sangliers, en surnombre depuis quelques années, sont super
sympas, cela m'a fait penser aux sangliers recherchés par Astérix dans la forêt
des Carnutes, le barde bâillonné et quelques romains bousculés au passage…
Ce matin la plaine de Mazaugues et le village endormi étaient
nappés de brouillard en forme de soucoupe, les champs et les vignes pailletées
de givre façon crèche de Noël, c'était très joli. Il faisait un froid coupant.
Un truc à geler les mauvais rêves !
Les artistes...
Hier matin, je me suis senti très bien, avec un rayon de lumière
qui avait un tout petit air de printemps, et je suis tombé sur quelques
évidences simples, à savoir que l'Art ne doit pas être un truc trop gambergé,
ça passe à travers nous, ça nous traverse, faut se laisser aller quoi, un peu
Frédéric dard devant son Underwood,
faut pas serrer du cul, se laisser porter. Ca, Olivier (Debré) l'avait pigé et
avait réussi à être très fin au final...
Un peu aussi comme les trucs de la foi, quand tu vas dans une
cathédrale ou une officine CGT sous le périph' faut pas croiser les skis et
freiner à fond, faut y aller comme une fleur, un enfant, et après t'as le
cinoche qui commence, avec les jeux d'ombres et de lumières, les vitraux,
l'espace, les odeurs d’encens et de bois ciré, tu te sens tout drôle sans
forcer...
Après, et ça rejoint le même truc, c'est qui faut être détaché
de tout et bien à l'aise dans ses idées, détaché de l'opinion des autres, de
l'Art Contemporain... enfin bref, détaché de l'idée de succès, de tout, faut
arriver à poil dans sa tronche, comme Bérurier chez une veuve encore gironde et
qui mouille son fauteuil au restau tellement elle a les escalopes qui
sifflent...
Après, une chose très importante : on doit demander un artiste
et pas le contraire. On doit apprendre indirectement son existence, par oui
dire, et se pointer chez lui pour l'implorer d'exposer ou de vendre un truc.
Tout est faussé dès le moment où tu cherches en envoyant un dossier, en léchant
le cul, ça donnes de l'importance aux critiques, aux marchands, et toi t'as
l'air d’un foireux à la ramasse. Je sais ça puisque je l'ai fait et me suis
toujours fait jeter... Donc, faut rester chez soi et qu'ils aillent tous se
faire voir, et puis qu'ils se démerdent entre eux pour savoir où sont les bons,
c'est comme les champignons, ça parle pas les champignons, eh bien ! T'as des
mecs qui savent où y se trouvent, c'est parce que ça les intéresse et y
finissent par les trouver. Pareil pour les truffes ! Alors, elles sont bien mes
idées ?
Soyons bref...
Rentré de Genève… Je suis en Suisse comme un poisson dans l’eau.
La culture du livre, de l’estampe, de l’image, y est vive et plus aiguë, bien
entendu. Sur les rivages de la Méditerranée, le soleil et le spectacle de la
mer, les reflets des eaux et les sites si exceptionnels détournent l’attention
des amateurs ! Ici la lumière est si belle… à quoi bon s’enfermer dans un
cabinet d’amateur ou même dans l’ombre des Palais pour contempler des estampes
ou des fresques ? Les rivages attirent les déchets de toute sorte comme la mer
renvoie plastiques, bois flottés, etc. très prisés par les artistes. Bref...
Le chalet...
J’en ai marre : je me lâche. Alors voilà ce que je ferais si
j’avais un peu d’oseille devant moi...
Je m’achèterais une ferme ou plutôt un chalet, avec vue sur la
vallée et les champs, dans les Alpes (suisses de préférence), les vaches qui
broutent paisiblement, les fleurs des champs, avec les montagnes au-dessus et
leurs cimes enneigées, et j’y aurais mon atelier, ma chambre, de quoi vivre et
travailler gentiment. Pour l’été, j’aurai un appartement-atelier tout simple,
pas un palais, sur la riviera italienne, genre immeuble des années soixante,
pas loin des plages et de la mer. Voilà.
Je me vois déjà dans mon chalet, nettoyant mes pinceaux, tandis qu’un fumet de pot-au-feu remonte de la cuisine, où ma bonne portugaise, belle chatte velue, officie en silence, pour ne pas déranger le Maître, et, regardant le feu qui crépite dans la cheminée, je me dis, distrait : « Tiens ! Et si j’allumais la radio ? Comme ça ! Pour voir !... » Me dégourdir les Portugaises après une après midi de travail studieux, une petite distraction avant le dîner (pantagruélique). Et là, le speaker annonce en avant-première l’inauguration de mes expositions de New York, Honolulu, Laroche-Migène et Meaux-la-Pierre-Collinet. Alors moi, décontracté, j’écoute même pas la fin, j’éteins, pensant mollement : « Tiens ? Ils n’ont pas perdu de temps !... »
Je me vois déjà dans mon chalet, nettoyant mes pinceaux, tandis qu’un fumet de pot-au-feu remonte de la cuisine, où ma bonne portugaise, belle chatte velue, officie en silence, pour ne pas déranger le Maître, et, regardant le feu qui crépite dans la cheminée, je me dis, distrait : « Tiens ! Et si j’allumais la radio ? Comme ça ! Pour voir !... » Me dégourdir les Portugaises après une après midi de travail studieux, une petite distraction avant le dîner (pantagruélique). Et là, le speaker annonce en avant-première l’inauguration de mes expositions de New York, Honolulu, Laroche-Migène et Meaux-la-Pierre-Collinet. Alors moi, décontracté, j’écoute même pas la fin, j’éteins, pensant mollement : « Tiens ? Ils n’ont pas perdu de temps !... »
Sur ce, j’enchaîne : « Pépita,
mon enfant (ma bonne s’appelle
Pépita), vous serez gentille de dresser le couvert pour 21 h ! » Puis, tout en me dirigeant, serein,
vers le dressing afin de me changer pour le dîner (il y a deux couverts de plus
car les Le-seigneur-est-mon-Schlumberger sont de passage avant
d’aller à Gratz pour une partouze dans la poudreuse, et ça fait déjà deux ans
qu’ils me supplient de leur vendre quelque chose, j’ai donc fini par céder par
pure courtoisie, un copain du Rotary ayant manœuvré sur leur recommandation
afin de me décider à enfin accepter, m’étant trop fait tirer la manche, et
l’achat risquant de leur passer sous le nez, vu la liste d’attente), ce faisant
je songe avec un certain intérêt, avant d’enfiler mon smoking en alpaga tissé
main, à la culotte de la bonne que je vais arracher d’un coup de dent après le
dîner pour ensuite la défoncer devant l’âtre, sur la peau d’ours de ma chambre
toute en lambris Leroy Merlin, et ornée des plus beaux
trophées que j’ai tirés, en particulier le magnifique élan du Canada, surpris à 300 mètres avec ma lunette Zeiss pendant qu’il chiait derrière un
sapin...
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Invité à dîner hier soir ! Champagne, grands Bordeaux et whisky
: ce matin j’ai des pierres et des clous dans la tronche, une épave ! Peut à
peine marcher tellement la casquette est enfoncée ! Je crois que c’est la faute
au champagne qui ne s’entend pas avec le rouge. J’ai du picoler une boutanche de Champ’ avant de passer à table. Après, le fait d’enchaîner avec les
Bordeaux, dont j’ai pas arrêté de me resservir, étant chargé d’une moitié de
table pour cela, a été un terrible travail de sape pour mon pauvre système
nerveux fatigué, un peu comme les boches creusant un long boyau dans le bois
des Caures pour aboutir sous une cagna de poilus, genre poste de secours, avant
de faire péter une charge énorme après avoir allumé un foutu cordon Bickford et s’être cassés dans leurs
boyaux à eux, ce qui a pour effet de pulvériser tout, absolument tout chez les
poilus, projetant hommes et matériels dans un gigantesque gerbe (pour moi ça va
pas tarder) de métal, de bois, de terre, de membres humains, de rats surpris en
train de grignoter la tronche d’un macchabée, de tripes, de pierres, et de
casques criblés d’éclats.
Antibes...
8h du matin. Je me sens bien, et, à deux pas de la maison de
Nicolas de Staël, je désire plus que tout reprendre la peinture dont
l’aspiration est si forte ! Comme le bruit et l’odeur de la mer pour un vieux
marin exilé dans les Vosges ! Le bar est bourré de jeunes britanniques employés
à bord des yachts, bourrés eux aussi, tous parlent ou plutôt vocifèrent un
anglais des faubourgs. Et je rêve et peins dans ma tête comme on rêve de
batailles ou de voyages, une photo en noir et blanc dans le Figaro posé
à côté du verre de Porto sur la table de bois verni me fait penser à un tableau
d’Alberto Burri (elle illustre un article sur la Palestine), montrant un mur
défoncé, et des plans faits de tissus visibles au travers des bucci de la muraille…
Ici, le mieux c’est d’avoir un voilier Béneteau des années 70, de 6 m 53,
baptisé « My way »,
la coque bien jaunie, mal entretenu, et de venir souvent dessus avec des amis,
très bizarres, en hiver, pour pic et niquer, boire du passetisse, et puis se promener
ensuite, de bar en bar, le regard vitreux, pour se taper des whiskies, avec
l’air vieux loup de mer couperosé virant sur le violet, des pat' d'eff
élimées, une casquette de marin, et une bobonne, vague maîtresse décolorée,
ronde comme un tonneau, sur-maquillée, avec des collants en acrylique à fausses
tâches de panthère, et repartir à la nuit tombée, à bord d’une vieille
décapotable cabossée, sale, la capote tenant grâce à de larges bandes de scotch
de plombier, le cendrier intérieur plein, et des tâches d’essence durcies
autour du réservoir...
La complainte d’Arsène Lupin...
J’arrive chez Madame (…) pour lui dérober ses valeurs
A peine débarqué, je la découvre en pleurs
Son mari venait de la quitter pour une querelle d’idées !
Sans hésiter, je m’emparais des fleurs qui ornaient la
demeure
Pour lui tendre un bouquet…
Quel ne fut pas mon émoi quand elle tomba dans mes bras
Alors que l’heure, elle, tournait !
Sans la blesser ni montrer ma stupeur Je décidais alors
afin d’écourter mon forfait
De lui avouer que j’étais là… pour le Marquet !
Eh bien ! Me
croirez-vous lorsque je vous dirais
Qu’à ce point, des larmes au rire la rombière fût
transportée !
C’est qu’il fut à son tour le moment d’avouer
Dans un sanglot par le rire bientôt étouffé
Que son mari lui-même hier déjà, le dérobait…
Dans un hôtel du faubourg Saint-Honoré !
Mon sang ne fit qu’un tour
De la dame énamourée délaissant les atours
Par la fenêtre ouverte et sans me retourner
Le Marquet sous le bras
D’un seul bond je sautais dans la cour…
Renonçant à l’amour !
Les lances...
Occupé à taper mes carnets de notes et impressions accumulées
depuis des années, où j’écris ici même, et ajoutant des strates à ce
mille-feuilles, à cette tour de Babel de réflexions, de désirs fugaces,
incandescences, visions, et dont le sommet menace de s’effondrer, mon esprit
ressemble à la cabine du paquebot d’Une nuit à l’Opéra ! C’est
drôle, c’est pathétique aussi, c’est un défi.
Et je reprends mon travail matinal, le meilleur, après avoir
fait mes emplettes le long des rues fraîches dans le petit matin, acheté des
dahlias pour une certaine MJ, que je courtise, et plus encore, bu le café avec
MD, qui possède une délicieuse petite galerie peinte d’un joli vert de vieille
amande et aux lettres d’or : La Palette. Et je reçois de nouveau
de plein fouet le choc des couleurs, celles si fines des étalages dressés par
les paysans « à la Raymond Mason », vêtus de bleus, de tissus à
carreaux, au teints halés et aux mains calleuses et aux regards clairs, les
femmes aux poitrines opulentes, comme des épouses étrusques ou de la Rome
antique, toute une archéologie, là, à portée de main, à portée de cœur, à fleur
de peau, et une fois de plus je m’émerveille, et suis vaincu par la simplicité
diabolique de leur présentation, fort théâtrale au demeurant : fleurs fraîches
coupées du matin ou de la veille, réunies par un lien de simple ficelle,
légumes magnifiques, ça et là, en piles imbriquées, œufs, herbes aromatiques,
tous ces produits issus de leur lopin de terre, et cultivés l’après-midi, au
jour le jour.
L’envie naît alors, très forte, de saisir l’instant, de
dessiner, de peindre sur le motif, et de reprendre inlassablement les séances
de photos. Ce
désir, ces sensations, sont un trésor, imperméable aux soucis de la vie, et je
sens monter en moi une sève puissante : travailler sur le motif, oui, c’est
bien cela, et oublier les turpitudes technologiques et idéologiques de la
modernité, utiliser sa propre sensation, sans prothèses ou intermédiaires,
comme l’impose la momie maléfique de l’Art contemporain… et ses mots d’ordre.
Chemin faisant je pense tout à coup aux Ardennes, aux
collectionneurs américains, à Goering et sa passion possessive et avide pour la
peinture, aux Flandres, aux grands oriflammes des Lances de Vélasquez, aux plaines des Flandres
battues par le vent du Nord, aux nuages charriés par les ciels lourds et
plombés, ceux de Van Ruysdael notamment, aux armées de Patton et Montgomery
déployant leurs forces pour envahir pas à pas les terres d’Arnhem, et Bastogne,
avec l’enjeu suprême du corridor d’Anvers jeté sur la table des
cartes d’Etat-major, la maison de Rubens aux chaises de cuir repoussé et
clouté, ces Flandres si espagnoles, si chargées d’histoire, théâtre de tant de
batailles, histoire de l’humanisme dont un long chapitre s’écrit ici, celui de
la grande peinture. Combien
de vies La leçon d’Anatomie a-t-elle coûté aux Gis ? Puissance et volonté de
l’Amérique, du nouveau monde, et de ses collections. Les ateliers de
préparation des toiles pour Rubens, les couleurs patiemment broyées dans les
éclairages blêmes des courtes après-midi d’hiver, sans lumière électrique.
Patton. Jazz. Chocolat. Tonnes de matériels,
péniblement acheminés pour lutter contre l’hiver. Amours dans les hôtels
désuets et tristes des Ardennes, amours volés aux combats, à la guerre, cette
abstraction si présente. Les Renoir mis en caisses sur ordre de
Goering pour être envoyés vers l’Allemagne, les américains dans Paris,
Colt 45 à la hanche, standards de Glenn Miller, parties de poker dans les lambris des bars des grands hôtels, les robes légères sous les platanes des boulevards au mois d’août, la joie retrouvée des filles, souvent offertes : une danse, un baiser, l’amour enfin, après le vacarme des véhicules chenillés, le fracas terrible des détonations répétées des Garand, le sang, la peur, comme un cancer. Et la peinture, toujours, Picasso, rue des Grands-Augustins, l’atelier aux larges tomettes visité à son tour par les Américains à Paris… sous le regard du chien Uzbek...
Colt 45 à la hanche, standards de Glenn Miller, parties de poker dans les lambris des bars des grands hôtels, les robes légères sous les platanes des boulevards au mois d’août, la joie retrouvée des filles, souvent offertes : une danse, un baiser, l’amour enfin, après le vacarme des véhicules chenillés, le fracas terrible des détonations répétées des Garand, le sang, la peur, comme un cancer. Et la peinture, toujours, Picasso, rue des Grands-Augustins, l’atelier aux larges tomettes visité à son tour par les Américains à Paris… sous le regard du chien Uzbek...
Enfin ! La
matinée est belle pour aller voir, voir et revoir la grande peinture après des
mois passés en plein désert. Ah
! Ce Degas au
coloris si délicat, chute de rein sur le tub ! Mais oh ! Voici enfin le Cécil B.
DeMille du 17e siècle : Philippe de Champaigne ! Son Apparition de Saint-Gervais et de
Saint-Protais à Saint-Amboise le
rapproche de la perfection ! Et
revoici les Le Nain, et La
pêche miraculeuse de Jean
Jouvenet que j’aime tant, grand par ses manques autant que par ses prouesses.
Il sait engager les choses lui ! Et ça n’attend pas, et ça tient le mur :
enlevé !
Mais la grande salle des Le Brun nous réserve elle aussi ses
merveilles, avec le Passage du
Granique dans lequel il y a
tout, absolument tout ce qui fait la grande peinture, et du technicolor s’il
vous plaît, avec la vigueur de Rubens, un sens du mouvement qui laisse
Delacroix loin derrière, des coloris dignes du Véronèse, la maestria de Rubens, pas moins, et
rebelote, pour la composition, l’aisance dans le format, quatre mètres par
douze, le sens de l’anecdote, du détail, les scènes en gros plan qui nous
distraient un instant de la puissante vision d’ensemble, des centaines de
personnages, milliers de signes, d’informations, encore mieux, beaucoup mieux
que Gladiator !
Quelle ambition ! Générosité, absolu don de soi au projet, à un grand dessein !
Ah ! Sacrés Le Brun et De Champaigne !
Vous avez dit esthète...
Au musée Cognacq-Jay ce matin. Les pastels de Quentin de la Tour
annoncent Renoir en droite ligne ! Effets, expressions, recherche du bonheur…
De la Tour est étonnant par la fraîcheur et l’autorité certaine
de sa technique, guère égalée, et la présence d’un grand esprit passe dans ses
pastels. Les minuscules Guardi achetés par Cognacq-Jay sont remarquables aussi.
Des photographies nous montrent le philanthrope dans ses bonnes œuvres, entouré
de « ses » enfants, ceux des orphelinats, lui qui ne pouvait en
avoir, et lui-même orphelin… Philanthrope et esthète donc : son visage est
souriant, une leçon de vie transparaît dans ces quelques images, sans doute
adressée en plein Marais à nos modernes corbeaux vêtus de noir, prenant la
pause, donnant leurs leçons d’un ton docte sur Arte, et roulant sur les pistes
cyclables de la capitale avec des airs de princesses en exil…
Sortant du musée, chargé de plexiglas acheté chez Weber,
à deux pas, ce qui m’a permis au passage d’aller voir les récents Baselitz chez
Thadeus Ropac, j’ai l’idée subite et comme une certitude révélée qu’après avoir
travaillé des années avec des matériaux pauvres il me faudrait désormais
travailler avec des matériaux précieux, utiliser de nouveaux savoir-faire,
allier le noble et le pauvre : bronze doré, finesse d’exécution des ciseaux des
orfèvres, or, porphyre, granit, marbre, aluminium poli, métaux chromés, cuirs
(pourquoi pas), bois précieux, plexiglas affinés, ambre, ivoire, etc.
Miroirs...
13h. Café Le
Nemours. Assis après quelques pas dans les jardins, à l’ombre des colonnes
du Conseil d’Etat et leurs grands stores rayés, dans le courant d’air si
rafraîchissant (la canicule écrase à cette heure les Tuileries, le Palais
Royal, le zinc galbé en demi coque de navire des toits de l’hôtel Concorde)
et tout en fumant ma pipe, et en parcourant Paris-Match, qui annonce
en couverture le rétablissement de Jean-Paul Belmondo, un de nos derniers
monstres sacrés, j’observe, rassuré et paisible, le grand bronze sphérique doré
d’Arnoldo Pomodoro, les platanes aux feuilles d’un vert très chaud qui se
détachent sur fond de ciel très pur azur à peine zébré de légères traînées
blanches, et la pierre blonde des corniches de la Comédie-Française. La Civette est fermée
: tant pis pour les havanes ! La vue est parfaite, comme un Boudin ou un Monet,
et devant ce spectacle paisible, dans cette architecture accomplie et ce cadre
idéal, je me demande ce qui a bien pu amener la France, mère des Arts et des
Lettres, fille aînée de l’église romaine, la France latine, si civilisée, la
France de l’Empire et ses ors, qu’est ce qui a bien pu l’amener à la défaite de
Sedan, à celle de 40, au sacrifice de Dien Bien Phu, aux accords d’Evian, au
sabordage, au renoncement et à la perdition actuelle ?
Descendant dans le métro il y a affichée sur le quai la
reproduction (commentée par Jean-Marie Périer) de l’Autoportrait au
pastel de Maurice Quentin de la Tour, ironique et libre, rayonnant de bonheur…
devant son miroir.
Comme Toto...
J’aime Lugano. C’est que j’y ai mes habitudes. Comme Toto, qui y
finit ses jours. C’est que je retrouve ici tout ce qui m’est familier et à quoi
je suis sensible. Le charme désuet des anciennes demeures néo-palladiennes et
leurs jardins luxuriants, les sempiternels palmiers trônant devant les façades
peintes, les tonnelles chargées de vignes claires aux terrasses des cafés de
quartier où artisans et employés se retrouvent pour commenter les pages du Corriere dello Sport et jouer aux cartes en buvant du
merlot. J’y aime aussi le luxe des architectures futuristes des banques
d’affaires, les Ferrari et autres Porsche qui roulent doucement le long du lac,
et découvre avec passion la tradition horlogère ! Le Tessin est jaloux de son
histoire comme Saint-Tropez maintient la sienne avec la bravade. Les habitants
sont des gens simples parlant un dialecte très chantant qui se rapproche du
Piémontais, la plupart sont des paysans. C’est un pays de vin et de cuisine
simple et raffinée à la fois. Cette simplicité, cette douceur de vivre et les
paysages grandioses des montagnes entourant le lac, ont du inspirer Hermann
Hesse et le conduire à s’installer ici dans les années 30, pour y travailler en
paix, et peindre aussi de fort jolies aquarelles. Une image le montre à flan de
coteaux, en chemisette, le crayon en main, tout entier concentré sur son carnet
à dessin. Une image sereine, juste avant le grand suicide de l’Europe…
Une chose est sûre, je me sens désormais plus ici chez moi que
dans ma région d’origine, qui a perdu son âme, et éloigné du monde de l’Art,
qui se survit à lui-même dans des errements pathétiques. On peut ici
s’autoriser rêverie et nostalgie, celle des années 30 notamment, du 19e siècle
aussi, celle des anciens lieux de villégiature, dans le prolongement du
romantisme, des traditions inchangées, d’avant la dépression des années 30 donc,
et la fureur grandissante de l’Allemagne dont Hesse souhaitait s’éloigner…
Sidi Bou Saïd...
La galerie Hopkins Thomas, en constante progression, s’est
installée Avenue Matignon dans des locaux prestigieux, sur deux étages.
Arrivant sous la pluie par le rond-point des Champs-Élysées, sous mes chers
marronniers, j’y admire un dessin aquarellé de Pissarro, une encre de Marquet
exceptionnelle, rehaussée de couleurs, et un très beau Vuillard. Reçu avec une
extrême délicatesse par Christine Fournier nous allons vers le bureau de
Monsieur Custot pour voir des pages de carnets de Marquet récemment acquises
par la galerie. Nous posons un à un les dessins sur le bureau, et je découvre
des merveilles ! Marquet, toujours lui, nous donne beaucoup, avec une grande
économie de moyens. Un dessin de 5
cm par 5 cm, la silhouette d’un
chien en mouvement, à la pierre noire, avec le monogramme « a m » en bas à droite. Deux personnages
ensuite, toujours à la pierre noire, très aboutis, un portrait de sa mère, une
vue panoramique de Sidi Bou Saïd, la mer et les montagnes au loin… Tous sont
accessibles !
J’aime Brigitte. Brigitte est mariée… Cela est très joli, et
nous mènera où ?
Mercedes...
Vezia, où j’expose, près de Lugano, et travaille à la
fabrication de vitrines pour mes sculptures, dans l’ancien garage de Fernando
Corti. Etabli, outils…
Ma BMW K100 est
garée dehors et j’aperçois les montagnes sous le soleil par la fenêtre entre
ouverte.
Une magnifique Mercedes
280 SE des années 60 est garée près de moi, odeurs de graisse et de bois,
qui me rappellent l’atelier de menuiserie du cousin Giovanni à Cairo
Montenotte, dans le Piémont…
Divertissement...
Cela fait 3 jours que je m'entraîne au pas de tir dans le Haut
Var et j’en suis un peu groggy car c'est très bruyant, malgré le casque, mais
gratifiant lorsqu'on arrive à bien grouper ses coups. En fait j'aime beaucoup
me rendre dans ces paysages du Var, autant que la pratique des armes,
excellente détente.
C'est que parcourant les collines (toits qui fument) boisées et
les plaines de terres rouges et de vignes jaunes (c'est l'automne) à cheval sur
ma moto, le fusil sur le dos, la caresse de l'air vif sur les joues, je me
prendrais presque pour le capitaine de gendarmerie des Récits de la demi-brigade ou le capitaine Langlois d'Un Roi sans divertissement,
le film de François Leterrier, d’après Giono, qui se passe dans la neige sur
les hauts plateaux des Cévennes, avec comme ponctuation... des tâches de sang.
On se souvient du grand manteau noir du capitaine, des plateaux blancs de
neige, des souches de chênes, du sang sur la neige, des flambées de bois sec
dans l'âtre du juge, joué par Charles Vanel. Tout Giono est là. Métaphysique…
Cinéma...
Les armes, dès qu'on les touche et les utilise, vous apprennent
très vite vos limites, leur dangerosité lors de mauvaise manipulation, et
démythifient très vite tous les fantasmes imaginables à leur égard notamment
ceux véhiculés par le cinéma. Elles calment vite les énervés, les impuissants
qui penseraient (à tort) avoir trouvé un remède. Le terme employé est : servir
une arme. Mieux vaut alors avoir les pieds sur terre. Le tir est vraiment un
sport, où très peu se distinguent, (il faut plus de concentration et de qualités
optiques qu'une seule personne en contient), et les meilleurs ne peuvent être
que de piètres assassins : les situations de combat ne ressemblent que rarement
au contexte calme et dédramatisé nécessaire pour ce sport. Mais il est normal
de fantasmer sur les armes, les enfants le font, films et romans sont là pour
maintenir l'illusion. Pour se débarrasser d’un rival ou l'être détesté plus que
tout, approché dans la vie de tous les jours, la guerre maintenant à distance
des ennemis que l'on ne déteste pas vraiment, il semble que le meilleur
instrument soit le marteau, façon Trotski, ou... les mots ! Les Chinois,
confucéens, ne pratiquent guère la polémique. Pour eux une idée n'est valable
qu'en fonction du contexte. Sinon, mots et idées sont considérés comme pas
moins que des armes de guerre : voir Sun Tzu.
Paradoxe : la pratique des armes nous enseigne une
discipline suprême, et une forme de non-violence, contenue dans les
Arts-martiaux, alors que leur prohibition ou son contraire, leur diffusion sans
contrôle, déclenche les pires drames et bien sûr la délinquance… Ce que les
Russes, dans l’ancienne Union Soviétique avaient très bien compris, enseignant
le tir dès la petite école et préparant ainsi au passage garçons et filles à
servir plus tard dans l’armée rouge, ce qui est une autre histoire, plus
idéologique, à moins que l’on ne soit au cœur du sujet, leurs services encourageant dans le même temps nos
étudiants sur les voies du pacifisme et du désarmement par le biais d’une
redoutable propagande…
Le plaid...
Le seul truc positif en ce moment, j'écris sur ma chaise
roulante, mon plaid à carreaux sur les genoux, avec mes mitaines et mes
lunettes noires, pendant que mon infirmière hairy-pussy
me promène dans le jardin où les drogués vont faire chier leurs clébards, je
disais donc, que le seul point vraiment positif, c'est que je coule des bronzes
parfaitement moulés, on dirait que ça sort de chez Landowski ou carrément de l'Art contemporain ! C'est du net, du
sans bavures. D'ailleurs faut que j'y retourne...
Le moral...
De mon côté, j'ai le moral d'un poilu qui avec 39 de fièvre et
la colique, et doit, au coup de sifflé, approvisionner son Lebel, mettre « Rosalie » au canon, escalader le parapet boueux
de sa cagna et courir dans la boue en évitant les morts des jours derniers
dévorés par les rats, sur quelques mètres seulement, pour s'écrouler enfin
comme une merde, une rotule explosée par une ogive en plomb chemisée cuivre de 7,92 Mauser fabriquée dans la Ruhr, le
nez dans la terre détrempée, avant de s’évanouir dans un râle en prononçant des
mots incompréhensibles et inaudibles tout en mâchouillant un peu de terre au
goût fade et un gros lombric qui lui se trouvait là tout à fait par hasard et
se retrouver dans une église à moitié détruite transformée en hôpital, allongé
sous une couverture pleine de poux, à côté d'un mec qui vient de canner en
pleurant, implorant et bavant.
Mon beau Jura...
Je rentre ce soir de Genève, à pied, comme Jean-Jacques
Rousseau, par le col de la Faucille. Crevé mais content, tel Napoléon
franchissant le Saint-Bernard, luttant contre les éléments et contre soi-même,
l’œil noir, la mèche au vent (ah non, j'ai un chapeau puisque je suis un Alguazil), j'y suis allé... et j'ai
vaincu, connu un triomphe ! Les 24h prévues se sont transformées en 3 jours, et
j'ai bien failli y rester, enfin, y séjourner, quoiqu’être enterré et se
reposer au bord du lac Léman soit un beau projet. Mon génie organisationnel n'a
pas échappé au président de la BSI
(Banca della Svizzera Italiana), pour laquelle j’ai recruté
Jacques-Olivier B. comme conférencier sur « Napoléon
l’Européen » et
notre grosse tête venue de Paris s'est bien plu à Genève, la soirée,
très mondaine, a été animée, la bonne société s'était déplacée, la conférence
fut passionnante en tous points, de nombreuses questions furent posées, et
votre serviteur, chauffant un peu la salle n'a pas hésité à intervenir sur des
points aussi cruciaux que l'importance de la Maçonnerie dans les cadres de la Grande Armée...
Intervention très remarquée par certains, qui m'a transformé en
protagoniste essentiel de la communication de la BSI, banque de gestion de
fortune depuis 1863. J'en ai la tête tellement enflée que j'ai du mal à me
déplacer... Cocktail, dîner, tout fut une réussite. Hébergé à l'hôtel du Midi, un vrai quatre étoiles,
j'ai retrouvé le confort qui sied à mon rang de grand organisateur, et qui m'a
révélé à nouveau cette vérité première : je suis fait pour le luxe et non pour
les souris. Genève était baignée de soleil, il faisait doux, les cygnes n'en
revenaient pas de ce printemps précoce. Etourdi par un tel succès, je me suis
réveillé le lendemain pour un petit-déjeuner de travail avec mon correspondant,
Luca V., de la BSI, et Paola Dambrine, l'assistante, chargée entre autres
de me payer. Moment toujours crucial...
Après avoir englouti 6 croissants, 20 tranches de viande des
grisons, 3 pots de confiture d'abricots, 2 de miel, une tour de Babel de
tartines, et un litre et demi de café, j'ai obtenu de retenir comme projet à
débattre l'opportunité pour la BSI de
m'inviter tout simplement à Venise au mois de mai, pour assister aux agapes
officielles du consulat à l'occasion de l'exposition « Dada à Zurich »,
pour laquelle j'avais prodigué le conseil purement génial d'inviter Mimmo
Rotella et de l'exposer en compagnie d'un De Chirico de 1914, ainsi que de lui
proposer faire une de ses fameuses performances post-dadaïstes à base de
borborygmes et d'onomatopées, domaine dans lequel il excelle depuis 50 ans.
Idée retenue et mise en œuvre, puisque le De Chirico a été trouvé dans un musée
suisse, et l'artiste, invité illico malgré son grand âge.
Mais ce n'est pas tout : Luca m'a trouvé une mission
d'accrochage de 30 Rotella, chez un richissime avocat d'affaires de Lugano,
Lucio Velo, qui vient de les acquérir à prix d’or, travail pour lequel je
devrais percevoir de confortables honoraires.
Fort de ces bonnes nouvelles, je me suis rendu chez mes amis Chantal et Philippe L., au bord du lac, avec vue sur les crêtes enneigées, où j'étais attendu pour accrocher une œuvre de Christian Boltanski. Philippe est en état de transe professionnelle 364 jours par an environ, il petit-déjeune le lendemain matin à Paris avec M. Chrétien, 1e ministre du Canada, dont il est un des conseiller, et doit assister le soir même à Genève un dîner officiel à l'Ambassade du Canada, ayant à peine le temps de sauter d'un avion à l'autre, son épouse hésitant entre admiration et consternation devant un stress aussi permanent et la tentation d'ubiquité de son mari, capable de prendre au même moment un rendez-vous d'affaire à Paris et à Genève...
Fort de ces bonnes nouvelles, je me suis rendu chez mes amis Chantal et Philippe L., au bord du lac, avec vue sur les crêtes enneigées, où j'étais attendu pour accrocher une œuvre de Christian Boltanski. Philippe est en état de transe professionnelle 364 jours par an environ, il petit-déjeune le lendemain matin à Paris avec M. Chrétien, 1e ministre du Canada, dont il est un des conseiller, et doit assister le soir même à Genève un dîner officiel à l'Ambassade du Canada, ayant à peine le temps de sauter d'un avion à l'autre, son épouse hésitant entre admiration et consternation devant un stress aussi permanent et la tentation d'ubiquité de son mari, capable de prendre au même moment un rendez-vous d'affaire à Paris et à Genève...
Cela me laisse songeur sur la qualité de vie de nos décideurs, passant leur temps à courir 20h sur 24 ou presque. Une promenade dans la vieille ville m'a permis l'après-midi de m'adonner à mon occupation favorite en voyage : la flânerie. Genève regorge d'antiquaires et de libraires d'anciens, j'ai été étonné de découvrir dans la vitrine de l'un d'eux, un petit ouvrage publié dans la clandestinité par les éditions de Minuit en 1942, éditions qui publièrent à peu près à cette même date le fameux Silence de la mer, à Alger, court récit ayant pour titre : « Toulon. » Un officier supérieur de la marine ayant regagné Alger pour y continuer la lutte y raconte « à chaud », avec photos à l'appui, le désastre du sabordage. Seul le prix, en francs suisses de cet ouvrage m'a retenu...
Je suis retourné sur les lieux que j'affectionne : la Grand-Rue,
l'Hôtel de Ville et ses vieux canons, la galerie Krugier, en face de laquelle
se trouve la maison autrefois occupée par Jorge-Luis Borgès, puis, Chantal, en
mal de détente, m'a rejoint au fameux Café
Lyrique, pour un dîner fort agréable, afin de décompresser un peu...
La journée du lendemain s'est passée sur les routes, par le col
de la Faucille, dans des paysages grandioses, de bois, de plaines vallonnées
avec de grands tapis de neige, de profondes vallées, un ciel dégagé et pur,
avec dans certaines stations des skieurs occupés à dévaler les pentes. Le
déjeuner, dans un routier de montagne, a été un grand moment, déjeuner
pantagruélique de 10 euros, avec marmottes empaillées aux murs, poème encadré
titré « Mon beau Jura »,
clients calmes et paisibles, au teint couperosé par le grand air autant que par
le délicieux Chasselas blanc que l'on déguste ici à tout moment.
Les habitants de la région sont profondément paisibles, gentils
et accueillants, ce qui m'a laissé de nouveau songeur sur les mérites de vivre
en montagne, pauvre citadin en proie aux nuisances diverses des grandes
métropoles des bords de la Méditerranée...
Venus pour acheter des meubles à Salins-les-Bains, en vain, nous
avons fait un détour par le Casino, où j'ai gagné la somme de huit euros aux
machines à sous, ce qui m'a fait comprendre que l’on gagne mieux sa vie en
travaillant qu'en jouant au Casino. Instruit de tant de pensées profondes, et
conduisant avec maestria une grosse
berline, j'ai appuyé sur le champignon pour repasser les cols à la nuit tombée
et rejoindre Genève par Ferney-Voltaire, car nous étions attendus pour un dîner
privé chez le président du CCI (commerce international) et sa charmante épouse,
en compagnie de l'Ambassadeur du Canada auprès du Saint-Siège, au Vatican, et
son épouse tout aussi charmante, tous amis très proches de Chantal et Philippe.
Rotella m'ayant enseigné qu'il faut en toutes circonstances être
si possible « à la hauteur de la situation », je n'ai pas reculé
devant l'obstacle, n'ayant guère l'habitude d'être invité dans l'intimité de
personnages aussi illustres, et hésitant (sans toutefois le montrer) entre creuser
un trou dans le jardin de la résidence pour disparaître, et m'enfuir en courant
pour regagner Toulon, et la rue de la Glacière. Mais la gentillesse profonde de
nos hôtes et leur grande simplicité a eu raison de mes scrupules et de mes
complexes : la soirée fut très détendue, chaleureuse, Madame B., l'épouse du
président du CCI ayant préparé une délicieuse fondue accompagnée avec justesse
d'un excellent vin blanc...
La conversation était très intéressante et j'ai réussi la
prouesse historique d'être unanimement apprécié : questionné sur mes activités
de sculpteur et d'écrivain, j'ai prudemment évité d'aborder de douloureux
détails comme mes difficultés chroniques à payer mon loyer et mes notes
d'électricité, le président du CCI étant habitué à gérer la dette endémique de
continents entiers, je n'aurais guère fait preuve d'originalité, et j'ai exposé
avec brio, avec des mots précis et très mesurés, ma démarche pour réaliser la
sculpture (le chef-d’œuvre) de Lugano, et mes principes esthétiques en ce qui concerne
l'architecture et la sculpture dans un environnement, gardant un silence
réservé lorsqu'il était question des mérites du golf et de sa pratique en
fonction des différents postes d'Ambassade à travers le monde, sujet sur lequel
je suis moins bon. Etant assis en face de l'épouse de l'Ambassadeur du Canada
au Vatican, nous avons parlé du Bramante, du Bernin, de la Via Appia, du Forum,
et j'ai avancé l'hypothèse qu’étant donné les hautes fonctions de son époux
(très déconneur) ils avaient certainement eu l'occasion de visiter le palais de
l'Ordre de Malte, un des plus beaux palais avec le palais Farnèse, siège de
l'Ambassade de France, un lieu impossible à visiter si l’on appartient pas au
corps diplomatique. J'avais visé juste, et l'on m'a proposé illico de me rendre
à Rome prochainement, ce que je ne manquerais pas de faire, pour avoir le
privilège de visiter à mon tour l'illustre et mystérieux palais, guidé par
Madame l'Ambassadrice. A cet instant là, le roi des Belges était presque mon
cousin... et j'entendais mes cheveux pousser.
J'ai ensuite entamé une conversation avec M. B. sur la mémoire,
la prise de notes lorsque l'on est confronté à des missions diplomatiques
importantes, faisant état du fait, répondant ainsi à la curiosité de chacun sur
mon travail d'écrivain, qu’en ce qui me concerne, je n'écris que dans
l'urgence, afin de fixer des émotions trop fortes, toujours guidé en général
par un sentiment de beauté, de sublime, ainsi que le besoin de mettre à nu ces
mêmes sentiments. Un écrivain sentimental en quelque sorte ! Cela a eu un
certain effet, et M. B. a décidé de déboucher sur-le-champ une bouteille de vin
jaune, un vin rare (et cher), ayant lui-même souvent l'occasion de s'émouvoir
lorsque conduisant son tracteur dans sa propriété du Canada, un
« corps » (tas) de bois ou une jolie fleur méritaient d'être fixés
par sa caméra vidéo, qui ne le quitte jamais. Les anecdotes sur la vie au
Vatican étaient chouettes, et j'ai eu droit au récit de la visite la
bibliothèque, un des lieux les plus secrets du monde. Un peu éméchés, notre
soirée s'est achevée par un échange de cartes de visites, et la promesse de se
voir bientôt à Rome, comme promis, ce qui va de soi, en apparence seulement,
les séjours à Rome n'étant pas susceptibles de réjouir ma banquière, pourtant
très compréhensive.
Le soleil a continué à briller jusqu'à mon départ, et la pluie
était battante à l'arrivée à Paris, ce qui m'a convaincu du fait que la Suisse
me réussit très bien et réciproquement, et que je ferais bien de m'y installer,
les quatre étoiles étant sans conteste très confortables dans ce pays, où je ne
rencontre que des ambassadeurs, et des présidents de banque, alors qu'en France
je suis injustement toujours au bord de l'interdit bancaire, curieux paradoxe
qui m'a donné à réfléchir en voyant s'éloigner la chaîne des Alpes, une fois à
bord du TGV, pour lequel j'avais pris le soin d'échanger mon billet de première
classe, réglé par la BSI, pour un billet de seconde, empochant au passage
la différence. Il n'y a pas de petit profit...
Le lendemain, c'est à dire aujourd'hui, Chantal m'apprenait que
la soirée avait été très réussie et que nos hôtes avaient beaucoup apprécié le
sculpteur en question...
Ce matin j'écris la tête enveloppée dans un turban de serviettes éponges chargé de glaçons car j'attribue à l'air des montagnes le fait que ma tête soit considérablement enflée depuis mon retour. J'étais content de trouver cependant mon 1 pièce avec WC sur le palier, me disant que parcourir 250 mètres de couloir dans les palais du Vatican sous le regard étonné des gardes suisses pour satisfaire ses besoins devait parfois être bien pénible. Mais il est temps pour moi d'ouvrir une merveilleuse boite de conserve pour mon dîner, enfin seul, et lassé de la cuisine gastronomique des palaces. Ma simplicité légendaire a repris le dessus...
Ah ! J’'allais oublier : mes amis étant désireux d'acquérir un Raymond Hains de bonne facture et bien daté, je suis chargé de mener à bien la négociation… et de récupérer au passage une partie du montant de la transaction... Un métier. Une tâche qui n'est simple qu'en apparence, les rapports avec Raymond Hains se soldant en principe par la tournée des restaurants, des heures de palabres, et l'augmentation en flèche du taux de cholestérol, réduisant la durée et les chinoiseries des discussions du Conseil de Sécurité de L'ONU, au niveau de banales conversations de café du Commerce. Mais je n'ai pas le choix, ayant une banquière exigeante et pointilleuse sur tout.
Ce matin j'écris la tête enveloppée dans un turban de serviettes éponges chargé de glaçons car j'attribue à l'air des montagnes le fait que ma tête soit considérablement enflée depuis mon retour. J'étais content de trouver cependant mon 1 pièce avec WC sur le palier, me disant que parcourir 250 mètres de couloir dans les palais du Vatican sous le regard étonné des gardes suisses pour satisfaire ses besoins devait parfois être bien pénible. Mais il est temps pour moi d'ouvrir une merveilleuse boite de conserve pour mon dîner, enfin seul, et lassé de la cuisine gastronomique des palaces. Ma simplicité légendaire a repris le dessus...
Ah ! J’'allais oublier : mes amis étant désireux d'acquérir un Raymond Hains de bonne facture et bien daté, je suis chargé de mener à bien la négociation… et de récupérer au passage une partie du montant de la transaction... Un métier. Une tâche qui n'est simple qu'en apparence, les rapports avec Raymond Hains se soldant en principe par la tournée des restaurants, des heures de palabres, et l'augmentation en flèche du taux de cholestérol, réduisant la durée et les chinoiseries des discussions du Conseil de Sécurité de L'ONU, au niveau de banales conversations de café du Commerce. Mais je n'ai pas le choix, ayant une banquière exigeante et pointilleuse sur tout.
Epuisant...
Ben oui, c'est ça, je reprends du poids, et aussi la tournée des
bars, des galeries, et... le restaurant. Faut suivre. Et avoir du coffre. Passé
la soirée avec Ben, Lara Vincy, Raymond Hains, avec qui les retrouvailles se
sont bien passées, à La
Palette : 2 demis et un Marc
de Bourgogne à mon actif, puis Le
Caméléon, à Montparnasse, avec Raymond et Patrick A., très dévoué et
discret, devenu à la fois coach, chauffeur, officier d’ordonnance, secrétaire
et bien d’autres choses encore, où nous dînons de queue de bœuf sauce gribiche,
de morue à l'aïoli, de saucisse grillée et purée maison, de baba au rhum,
arrosés de deux boutanches de Bourgueil. Du carré. Du classique. Faut dire que
j'essaie de trouver le moyen de faire vendre une œuvre à Raymond, qui s'en
branle totalement, et donc ce n’est pas du gâteau, enfin... je me comprends.
De plus en plus dur...
Je suis mal réveillé car hier les agapes ont continué, comme un
marathon, passé au Dôme, à
Montparnasse, où j'ai englouti 12 oursins, 12 huîtres, des crevettes grises, du
rizotto aux truffes et noix de Saint-Jacques, des asperges, des fraises des
bois et des framboises fraîches, le tout arrosé d'un Vouvray très printanier,
et ce avec Raymond Hains, et Aurélie, une assistante parachutée sur le théâtre
des opérations Hainsiennes, véritable
sable mouvant avec malaria et crocodiles, et ce de 13 h jusqu'à 19 h, pour
aller acheter ensuite une montagne de livres, et se rendre dans la foulée,
après avoir pris un Perrier devant le Champollion,
à un dîner chez Leïla G. sous la conduite du fidèle Patrick A., où se trouvait
Orlan, très sympathique, avec des implants dorés sous la peau de part et
d'autre du visage, monopolisant la parole avec sa langue, ce qui est très
corporel, et l'éditeur Jean-Michel Place, très rigolo, ainsi que d'autres
personnes...
Cela m'a amené vers deux heures du matin. Ce métier est vraiment
très dur...
Derrière tout cela : les coups fourrés, les rancœurs et les intrigues vermoulues, auxquels je suis désormais peut-être un peu plus aguerri.
Derrière tout cela : les coups fourrés, les rancœurs et les intrigues vermoulues, auxquels je suis désormais peut-être un peu plus aguerri.
Faites « A… »
... me dit le médecin. Mais la bouche vaguement ouverte comme un seau de plâtre à
fond rouge aucun son ne parvenait à sortir. Angine rouge. Antibiotiques et
traitement de cheval. Assommé l'Alguazil,
jambes lourdes, œil torve, frissons, douleurs en déglutissant. Daniel's ou côtes de bœuf, rien ne
passe. Enfin, ça va mieux, rentré à Paris pour bricoler un avenir, un devenir,
avancer, sans horizon, mais avancer, comme Dante sur une mer de brume,
d'Annunzio sur le lac de Côme (ou en exil à Arcachon) un Alguazil avec chapeau à plume pédalant sur la gigantesque masse de
yaourt rance du milieu de l’Art avec des fantômes aux palmes et plumes
terrifiantes surplombant son cheminement dans le brouillard, coupant les
perspectives, faisant surgir de grandes têtes de grands guignols. Banques,
factures, échéances, prêts, ghettos...
Revu le petit appartement convoité : petit mais coquet, il
faudra du temps pour l'aménager. Mais si les voisins ne sont pas trop
insupportables, il sera peut-être vivable, et joli, et confortable, et
accueillant, pour enfin travailler. Après examen, je constate que les murs sont
en cartons, qu'il faut changer les robinets, qu'il faut renforcer la porte et
les volets (à cause des cambriolages, qui sont mon lot depuis des années),
construire des étagères. L'Alguazil
ronge son frein. Après deux ans passés en galères, il est sonné, mais il s'en
est sorti, pas facilement, mais il s'en est sorti. Pas intact, non, sonné,
abîmé, mais vivant bordel de merde ! Notre Alguazil
n'a qu'un désir, qu'une envie, comme un feu qui le brûle depuis son enfance :
peindre, sculpter, reprendre son travail, pour lequel il est au monde. Après ce
temps passé à croupir bloqué, perdu, dans son trou creusé par une bombe
anglaise, ancienne brûlerie de café puis entrepôt de papier de la rue Alézard,
il sort enfin, s'ébroue, réalise que peut-être les ennuis s'achèvent... un peu.
Envie de peindre, travailler, accomplir sa tâche. Et il n’a pas très envie de travailler
pour gagner ses deniers, mais il lui faudra pourtant le faire, et pas plus tard
que très bientôt.
« Exit » écrit avec ou sans c me
fait penser à ma bonne espagnole (j'épargne les détails), un plat de macaronis,
une épaule d'agneau avec des champignons et un bon Saint-Emilion, une Aston-Martin,
un Campari orange, un
bon tailleur, les meilleurs cigares, un petit Chardin, un beau fusil, les
petits chênes et les pins givrés de la campagne de Mazaugues au cœur de
l'hiver, une omelette en rentrant au feu de l'âtre, la bonne espagnole (là
c'est un adjectif), le chant des oiseaux au petit matin au printemps, le vent
dans les pins, une rose offerte ou rester allongé sur le dos dans le cœur de la
cathédrale de Chartres, et à des tas d'autres trucs encore...
Et un bon canapé pour continuer la liste s'impose en effet, avec
cigare et bourbon, plaid, livres et musique baroque en sourdine (ou plutôt Misty d'Errol Garner) et
beaucoup de temps. Bon, je redescends sur terre, dois me raser au couteau de
plongée, avaler un substitut de café et dévaler l'escalier...
Recherche de l'effet...
Les petites sculptures avancent et m'apportent beaucoup de
plaisir, me divertissent, m'amusent, me charment, me distraient de la solitude.
J'ai ramassé dans la rue un très beau pétale de rose, avec des teintes
subtiles, orangées et jaunes, roses, je vais essayer de voir s’il conservera en
séchant son aspect délicat et charmant comme un vase de Gallé en pâte de verre
aux motifs floraux, j'aimerais qu'il reste intact, mais ce n'est pas dans
l'ordre des choses. S'il tient le coup je le collerais sur une colonne blanche
en bois, assez brut, peinte de blanc mat et peindrais ensuite à sa base une
sorte de buisson ardent, comme un pubis... Cela sera du plus bel effet. Eh !
Merci l'ami ! Elles sont au poil ! Quelle époque ! Je verse une larme sur ce
passé révolu ! Quand Blaise s'embarquait à Marseille pour le Brésil, revenant
avec une cargaison d'oiseaux de couleurs après un périple en Amazonie avec
armes, essence et bagages, au volant de l'énorme Alfa à roues
pleines, pas mal de péripéties, re-débarquant à Marseille pour des agapes
interminables chez la mère machin, gueuletons inénarrables, pour finir dans
l'isolement à La Redonne, sur la voie de Carry-le-Rouet, jouant à la pétanque avec
les pêcheurs, buvant le passetisse,
loin des mondanités des grands hôtels parisiens et des salons, tapant d'une
main pendant des nuits entières la clope au bec, dans la « maison du
pendu », sur les hauteurs de la calanque. Lorsque je m'y suis rendu à moto
il y a déjà quelques années, en parlant avec le patron de l'unique café-tabac,
et évoquant une ancienne « maison du pendu » où aurait vécu un
écrivain avant guerre, il s'était souvenu en effet ainsi qu'un vieux qui
sirotait sa bière qu'un écrivain parisien n avait bel et bien passé quelque
temps à La Redonne, le bled étant si petit et enfoui sous la voie ferrée, que
les aissetrangés qui y sont passés, on s'en souvient
forcément...
Et puis cela nous ramène aux années 30, à l'affaire Stavisky, lorsque Marseille vibrait à la musique de jazz
et des bordels contrôlés par le déjà puissant Jo Attia... Avant-guerre où le
jazz s'était déjà installé en France, sa meilleure terre d'accueil ! Ah !
Quelle époque ! La traite des blanches. Pépé le Moko, le Chabanais…
Je fuis la conférence sur Ingres, pourtant brillante, pour me
réfugier au bar Le Méditerranée devant
un panaché, une pipe de tabac brun et Les heures d'Espagne de
Léonardo Sciascia. Je songe à l'atelier qui m'attend, un peu plus bas, tout
près. Ses hauts murs et hauts plafonds que j'espère blanchir au plus tôt. C'est
que je préfère à la conférence de Jean-Roger S. et son public de vieilles dames
à l'haleine fétide les bruits de juke-box trop forts, les exclamations
bruyantes des matelots, les portes qui claquent, la gaieté enjouée et
primesautière du garçon du bar, en bref la vie de ce port militaire où l'on
séjourne plus souvent que l'on ne s'y installe... La vie. Ses bruits et ses
odeurs. Odeurs de sexes de femmes, âcres, de tabacs salivés, de poissons salés
en tonneaux, de sardines grillées, d'aisselles de femmes dans les soirs d'été
où l'on s'embrasse à s'étouffer. Tout ce qui vit et ne se contemple pas, ce qui
vit dans l'instant, fixer l'instant dans sa mémoire comme un Franz Hals : fumée
de pipe et joues rougies, poitrines opulentes et frémissantes...
Sciascia est né en 21. J'espère laisser quelques belles choses
aussi avant de disparaître à mon tour... Mon âme vagabonde, la brume doit
envahir Paris à cette heure... Aimer encore et encore avant de disparaître...
Grand-hôtel...
- Eh bien ! Imaginez donc à vôtre guise mon cher âââmi
très cher, de l'imagination naissent les belles ôôôeuvres, je vous livre dans
un email voisin de celui-ci les débordements, bien pudiques, que l'image de ces
dames m'inspirent, ils ne sont qu'émotion, bouffées d'images, d'actions
possibles, de romans qui restent à écrire, milliers d'images de cet entre-deux
guerres dont on épuisera jamais l'immense potentiel !
- Merci, merci à vous, quel bonheur en effet de se
retrouver, chapeau mou, cigare, poches bourrées de bank-notes, eau de toilette,
taxi sur la Canebière pour descendre au Grand-Hôtel et aller écouter la musique
de Jazz, monter avec les filles ou boire du Gin avec elles au bar, en devisant
de voyages, de rêves d'opium, d'aventures vécues ou fantasmées, rendre compte
en écrivant le soir dans l'immense chambre feutrée, ivre de musique, de filles,
d'insouciance... La vie portée à sa dimension épique celle de L'AVENTURE, chose
impossible aujourd'hui…
Grand recueillement cet après-midi devant la tombe de Guillaume
et Jacqueline Apollinaire, au cimetière du Père-Lachaise. De facture récente et
constituée d’une pièce de granit vertical, elle n’a cependant aucun charme
particulier. Gravés en lettres rouges les noms et les dates figurent avec un
poème tiré de Calligrammes : Mon
cœur est en forme de flamme retournée. Oui, beaucoup d’émotion…
Choc terrible devant la magnificence du Musée Jacquemard-André,
une des plus belles choses qui soit au monde. Entrant dans la pièce où se
trouve la Vierge à l’enfant de Botticelli je sens tout de suite en
moi un trouble profond qui montait depuis le double escalier en spirale et la
fresque de Tiépolo. L’émotion est telle que toute ma vie passée jusqu’à
aujourd’hui me paraît être un préambule d’une seconde à ce qui sera désormais
le seul et unique but des quelques années d’existence qui peuvent me rester à
vivre : accomplir ma vocation de peintre et de sculpteur avec honnêteté et tout
lui sacrifier, richesse, plaisir, honneurs, justifiant ainsi ma présence sur
terre et rendant grâce à Dieu des talents qu’il a bien voulu m’accorder à ma
naissance et dont je sens, arrivé dans ma quarante-sixième année, le devoir
d’aller le plus loin possible dans ma recherche artistique, me consacrer au
beau et au bien, sentiment, émotion, trouble, que j’analyse en toute lucidité
comme très proche du sentiment religieux, savoir pour quoi l’on est fait, et
accomplir jusqu’au bout ce pour quoi l’on est fait. Ainsi soit-il...
Pour cela seront nécessaires la force, le courage et l’audace,
tous trois soumis au courage suprême : la joie constante d’être en vie et de
célébrer la beauté du monde.
Les vraies richesses...
D’abord le Parmesan. Un très gros morceau de Parmesan. Ensuite
le vin, de bonnes bouteilles de vin, sain, qui éveille l’âme et la purifie.
Puis, de bons cigares, aux odeurs de pubis. Enfin, un bon livre : La
légende dorée. Le Louvre. Pour s’en distraire : de beaux seins et une
croupe fraîche et odorante, ans doute liés dans le souvenir à un pétale de rose
tombé dans le hall de marbre blanc d’un grand hôtel après le passage d’une
belle au parfum persistant… L’écriture prompte et vive d’un poème. Un bon fusil
pour l’escarmouche. Rêver des jours entiers devant un paysage hollandais, puis
partir dès l’hiver en voyage en Italie voir les brumes de l’Arno dans une
voiture anglaise. Passer le Saint-Gothard à cheval et arriver à Vienne au
crépuscule…
Etre en sursis
Sursauter
Etre poète
Etre poète
S’émerveiller
Dans la lumière des matins
L’œil frais
Comme la toute première fois
Voir et être nu devant ce que l’on voit
Sentiment, et émotion, intuition colorée
L’esprit teinté de mélancolie devant la beauté
La rose atteint sa vraie splendeur avant de se faner
Vif sens de la brièveté de la sensation
Vision fugace imprimant sa trace colorée
Accord de tons subtils
Lumière des matins !
Dans un rêve de fumée…