CARNETS 2014


   
Résumons  Un putain d’oiseau  Arrosage  Poudre  L’Art  Recette  Le galeriste italien  Mauvais moral  Le matin  Dans l’instant  La Seine  Un pet plus tard  Tamariu  Je ne supporte plus rien  Peinture  Clouzot  PC  Rêve  Zoo  Marché  Coton  Terrible  Frontière  Casino  Quotidien  6B  La visite  Juin  Antibes  TGV  Piémont  Famas  Paris  Pluies 




Cela sentait terriblement la merde. Mais ce qui nous emmerdait c’était de ne pas savoir où nous étions ni ce que nous faisions là, et aussi cette réelle odeur de merde dans laquelle nous plongions et qui nous enduisait.

Blaise Cendrars – La main coupée


Au lieu d’armer mon bras d’un bâton ou d’une arme je l’arme d’une plume.

Jules Lafforgue




Résumons

Ca commence par des coliques néfertitiques, puis peu après on développe des extra-pistoles, ça tourne en pustules et deux mois plus tard c'est le sapin Leroy-Merlin avec poignées en supplément et remise sur les vis importées de Chine...

Depuis que je fais un régime ça va beaucoup mieux : je ne m'interdis rien, surtout pas le meilleur, ne recule pas devant un cassoulet, des huîtres, un calendos fumant et un clafoutis aux cerises.
Mais au jour le jour je suis au riz blanc et au chou.
Alors le chou j'en suis très content, avec ce truc je chie avec maestria.

Ah ! la grotte Chauvet, oui, c'est beau... quel site, ça me donne envie d'y aller, mais je suis sûr qu'une fois arrivé après un voyage éprouvant et tendu vers cette beauté, une sorte de pèlerinage, je vais découvrir un camping-car garé devant l'entrée avec deux connards buvant un pastis...


Un putain d’oiseau

Il chante merveilleusement, on dirait un rossignol, il est seul à chanter alors que le soleil monte. C'est beau ici, Dieu est content ce matin il sourit de voir que je suis content d'entendre le joli oiseau, pour une fois que je suis content.

Hier matin je m'émerveillais donc du chant de cet oiseau, si merveilleux, si sublime, si divin et me comparais, pauvre pêcheur et aussi crétin si seul et si humain, à un crapaud.

Ce chant était aussi beau que mon Bernardino Daddi !
Ce putain d'oiseau a bouleversé ma vie. Et il vient juste de fermer sa gueule, il a chanté disons... 1 minute, et encore, sans doute moins, mais son chant était si juste, si pur, si charmant, qu’est-ce qu'il envoyait le piaf, avec un timbre et une couleur très vifs, que je me sens transformé.


Arrosage

Le soir même mon père en train d'arroser, il arrose 6h par jour, un vrai tuyau, m'appelle : « Viens voir y a un putain de crapaud, énorme », un crapaud gros comme une marmite !

 J'essaie de beaucoup parler avec mon père : il en a besoin, et malgré son caractère infiniment difficile, lorsque l'on capte ce qu'il y a de meilleur en lui (la plus grande part je crois) ce sont des moments précieux, car ils sont comptés, une vie doit un jour s'achever, et la sienne se rapproche de ce moment...

Ce soir le ciel se fait de nouveau sombre comme une nappe d'encre après des pluies qui ont duré toute la nuit ainsi que la matinée. Le soleil, arrogant, joueur, s'est montré quelques heures mais a de nouveau disparu derrière les paquets qui s'accumulent.
Je crois que nous aurons une nuit d'éclairs, de fracas, de bourrasques et il fera bon se blottir sous la couverture suisse, toute de laine, dans ma petite chambre peuplée de livres et de souvenirs...


Poudre

Une belle séance de tir dans les collines du club de Mazaugues m'a apporté un grand bol d'air. De grand air, de paysages poudrés de givre, d'arbres se balançant sur les crêtes roses et ocres des plateaux du Var, sur le chemin les forêts de chênes verts, la rivière qui coule et déborde en cette saison, les combes noires, les vallées profondes, les petits cols où le froid se fait plus vif, les plaines immenses en contrebas, tout cela donne du baume au cœur.
Un mois après une date qui m'a toujours laissé indifférent, celle de mon anniversaire, je découvre pour la première fois la sensation de regarder en arrière : ma vie aura été une construction lente, avec des échecs, des victoires, mais elle se poursuit, une aventure qui vaut la peine.

La séance de danse a été aussi l'occasion de reprendre pied avec la vie sensible, rien d'intellectuel là non plus, être présent, disponible et réactif, comme au fond pour la plongée sous-marine, les voyages à moto ou le tir, l'instinct prédomine une fois le savoir acquis, cela remet les neurones dans leur circuit, ainsi, demain jeudi, je vais sans doute aller danser de nouveau au Capitole, les cavalières m'ont bien accueilli, contentes de me retrouver, ce qui flatte l'ego après des mois d'absence.


L’Art

Bien chié ce matin, avec une odeur extrêmement plaisante qu'apprécierait beaucoup Yvon Lambert. J'en ai ensuite parlé avec le notaire à la retraite, un brave homme, et nous sommes tombés d'accord : chier où et comment voilà une des seules vraies questions intéressantes. Ce qui n’est jamais simple.
Il m'a ainsi rappelé une chose que je tiens pour fondamentale, les grands esprits se rencontrent, c'est l'importance du bidet pour bien se laver le cul, à proximité. 
On peut aussi se laver les pieds, ses chaussettes, tout ce que l'on veut, mais pour le cul c'est parfait.
Hors le bidet disparait peu à peu des hôtels et des demeures : une terrible régression…

Résumons : 35 ans d'études et d'efforts, de brillantes études dans la prestigieuse école des Beaux-Arts de Paris dans un atelier non moins prestigieux (6 morts) pour finir en clown sur une jeep...


Recette

Si votre tête est comme un chaudron, le remède consiste à remplir le chaudron. Pour cela se rendre :

1) Chez un menuisier pour 1 kg de sciure de bois bien sec
2) Chez un caviste pour 1 litre du meilleur rhum
3) Chez un pompiste pour 20 cl de gasoil
4) Chez un pharmacien pour 1kg d'aspirine pilée

Mélanger le tout en faisant cuire sur un feu de bois d'olivier pendant 2 heures jusqu'à ébullition totale et certifiée.
Boire, s'allonger et attendre.

Mon cerveau baigne dans le Prozac comme des cerises dans le kirch, c'est un cerveau exceptionnel, j'ai toujours été surdoué, différent, unique, d'où les souffrances terribles depuis l'enfance car on ne supporte pas les surdoués, on les aime pas, on préfère les médiocres ordinaires, pour rester entre soi, mais moi je suis le Batman suprême, je vole au dessus des forêts avant d'atterrir où bon me semble pour accomplir des merveilles, comme par exemple chier devant un sapin.


Le galeriste italien

Avec un léger côté Aldo Maccione, courtois, profond, il nous a ouvert alors que la galerie, feutrée, était déjà fermée.
Dès que j'ai vu les trésors en enfilade j'ai commencé une danse du scalp tout en me tapant le cul par terre devant un primitif sur panneau de bois d'un seul tenant taillé en chapeau sans plume vers le haut. C'est alors que le galeriste italien s’est retrouvé dans l'encadrement (très princier) d'un portique de boiseries du sol au plafond, très cossu, pour observer le manège d'un œil amusé et bienveillant : je termine illico mon rituel en lâchant quelques gouttes d'urine sur la moquette épaisse de 25 cm après brossage, sort mon carnet pour coucher le contenu du cartel dans mon Note Book et tout en écrivant au feutre bleu je lui balance comme on va à la pêche : «  Mon cher ami je suis enthousiaste, je donne 100 Jeff Koons pour ce merveilleux primitif... »
Alors, les mains dans les poches comme si j'avais enfoncé une porte ouverte à la façon d’un personnage de Tex Avery  il rétorque très florentin, presque amical : « C'est évident ! »

J’enchaine : « Ce que vous présentez ici est largement du niveau de la salle des Sept Mètres au Louvre... »

Toujours aussi courtois, quasiment amical il balance : « Euh.... c'est certain, c'est même mieux... et surtout beaucoup mieux présenté ! »

Là, j'ai marqué un léger instant d'arrêt comme un chien d’arrêt ayant laissé s’enfuir une bécasse dans un tapis de bruyère. Je ne savais plus quoi dire, à la rigueur un babillage de bon aloi et j'ai fini par lâcher, bonne fille : 

« Euh,  en effet, c'est évident, oui, évident... »


Mauvais moral

Le milieu de l'Art est un rêve à la hauteur des grands esprits, on y côtoie le sublime, dans les œuvres, parfois chez les gens, certains, mais c'est rare et c’est la vie, il faut avoir le cuir ferme et garder au fond de soi un cœur tendre pour ce et ceux qui le méritent.

Je continue mes travaux jusqu'au soir, après 8 jours de Paris non-stop de 9h du matin à 21h, de cavalcades en tous sens, de mondanités,  de nouveau totalement seul au monde devant mon travail, ce qui est effrayant mais aussi passionnant.
C’est qu’il me faut classer et surtout digérer environ 2000 images que j'ai accumulées et qui sont autant de marqueurs dans ma navigation...
Et aussi écrire (il y a beaucoup à écrire) pour retranscrire ce que j'ai vu et entendu, et aussi imaginé, mais pour cela je possède une béquille : mon pense-bête, mon fidèle Notebook dans lequel pendant la journée je couche à la hâte ce qui me semble crucial.

Je suis un homme de cuivre qui vaut de l'or.
Il fait beau ici, mais je n'aime pas ça, les gaz d'échappements et ni la vulgarité et la brutalité ambiante.


Le matin

Ce sont là les moments où je me détend vraiment, et où je suis heureux : silence, calme, fraîcheur, je vais ainsi aller boire un p'tit express, il est délicieux au Divan où j'ai mes habitudes, en lisant le Figaro, en observant les va-et-vient de la charmante petite cité de la Roquette, laborieuse, dont je connais chaque artisan, restaurateurs de tableaux, reconnais les vas et vient de l’entreprise de peinture industrielle, la librairie, écoute les nichées dans les floraisons de l'allée, sans oublier le manège des livreurs avec les grosses lettres colorées des camions, mouvements à la hâte, pièces qui tintent, cafés pris en vitesse au comptoir de cuivre en forme de S, qui serpente en cassant l'angle de la rue d'un fleuve de reflets changeants... J'aime les matins !


Dans l’instant

Le fait de savoir que l'on enregistre le truc pour un jour le montrer est déjà un projet avorté, donc une souffrance, on sait parfaitement que le rendu ne sera pas à la hauteur de cet instant, ne pourra le transcrire avec l'ensemble des perceptions-émotions qu'il suscite. C'est toujours à double détente : exaltation-déception.
Le résultat est un peu décevant à chaque fois, surtout si l'on s'attache à des choses perceptibles par le regard. Si je considère un paysage des bords de Seine au printemps et le compare avec ce qu'un peintre impressionniste en a fait, il n'y a pas photo ! Signes alignés pour la transcription, touches de peinture, pixels, existent ensuite par eux-mêmes, c’est une autre dimension qui prend forme, loin de la sensation initiale.
Art, photographie, sont limités, qui renvoient au souvenir d'anciennes perceptions, déjà mortes : la poésie me satisfait davantage, elle est plus complète car les mots suggèrent avec plus de puissance.


La Seine

Elle est en général couleur merde, c'est à dire une sorte de variante allant du vert boueux au marron verdâtre, s'éclaircissant parfois, prenant des teintes grises aux beaux jours, ce flot assez tumultueux, idéal pour les suicidés romantiques, est somptueux, je l'aime beaucoup, il nous rappelle que la Seine se fout de Paris, elle n'a qu'une seule idée en tête la Seine, c'est sortir du p'tit trou où elle naît, loin d'ici, puis de courir se jeter dans la Manche à gros bouillons, comme un fauve libéré, milliards de tonnes d'eau passant devant les scories sublimes mais si minuscules que sont les décorations que les hommes jugent nécessaires à leur quotidien d'inquiets maladifs, colonnes doriques, ioniques, corinthiennes, de quoi se prendre pour des dieux, alors que pour la Seine ils restent des fourmis et même des microbes qui la rongent, la pourrissent, sans parvenir à entamer on dynamisme, sa puissance, sa majesté.
Arrivés au bord de la Seine il ne reste en général, un peu étourdis, qu'une chose à envisager, pour rester raisonnables dans la folie amoureuse si délicieuse au bord du flot, c'est se foutre au lit, au lit pour s'aimer, les suicidés romantiques ayant en général mal compris le sens du mot « se foutre au lit », ou, déçus de ne pouvoir s'y rendre, ayant éprouvé des réticences, des déceptions de chambre, choisissent bêtement, de se foutre au lit de la Seine, qui les avale... immédiatement !


Un pet plus tard

Pendant que les punks s’empiffrent, moi je travaille. Pelle à neige en pogne je fracasse, balaie au lance-flamme les empaffés en pédalos du Ministère de la Culture, je pisse du haut des remparts du fiel en fusion sur les cloportes des musées, je tend le fion sur les trottinettes du palais de Tokyo et chie du cassoulet radioactif dessus, je moule en titane ces cafards des vernissages, j'engloutis des navires entiers chargés des statues de Jeff Koons, j'autodafe à tout-va et à tire l'aligot les livres d'Art du XXème siècle communisse, et je crucifie à la chaîne tous les ministres bouffeurs de canapés aux escalopes de saumons de Caucase.



Tamariu

C’est que je me vois déjà en Espagne, à Tamariu, incognito un journal sous le bras, buvant un café ou un anis à une table, à l'ombre...
Un petit store comme Marcel Duchamp à Cadaquès, modeste et discret. Certes le soir les hurlements des touristes belges bourrés, les tams tams des migrants venus vendre des montres Rolex en plastique, les merdes des chiens des marginaux mondialistes venus passer l'hiver (et l'été), des vacanciers français hurleurs divorcés avec pétasses tatouées au téléphone, mais enfin, ce serait un petit havre de paix, tranquille, serein, l'hiver j'irais faire une petite belote avec les retraités, au café, je mangerais du poisson,  ferais de longues siestes, et me dirais : « Je suis bien ici ».

L'espagnol est très facile à apprendre, d'ailleurs je le parle déjà. Ainsi que l'anglais et l'italien et quelques mots de japonais, de russe et de grec. En allemand je connais : Ali Allô Allah, mais c’est là un autre sujet, assez long à développer…
Ces images me font rêver, c'est comme un eldorado.

Il y a aussi New-York, descendant d'un taxi pour aller visiter mon exposition dans une bonne galerie, silencieuse, avec un catalogue étayé (photos, bio, docs), donner 1 ou 2 interview à des magazines, puis aller déjeuner sur Central Park dans un bon restaurant italien avant d'aller faire une petite sieste avec la jeune milliardaire rencontrée la veille à mon vernissage. La secrétaire de la galerie me signale en chuchotant : « Madame Rosenblum voudrait vous avoir à dîner » avant de m'inviter à la rejoindre dans un grand bureau blanc et de me remettre un chèque considérable qui me permettra d'aller chasser et pêcher dans les Appalaches et aussi pour me pomper le nœud à genoux dans la moquette épaisse pendant que je relirais amoureusement le nombre à 8 zéros, et de décider en un éclair de la retourner sur le bureau pour finir le travail avec quelques « Han, han... han, han… »


Je ne supporte plus rien

La planète entière achète des camping-cars ou des billets d’avion à prix réduits pour se rendre dans les musées roter des frites industrielles devant je ne sais quoi. On appelle ça la culture pour tous...

En ce qui me concerne, l'exaltation est toujours en déficit par rapport à la dépression : je suis rarement heureux de ce que je fais, je n'arrive pas à compenser la puissance de mes émotions avec l'Art, mais le fait d'essayer me donne un répit, une illusion qui détourne, occupe l'esprit, lui fait oublier le paradis perdu de la perception.

Avec une fille dans son lit on vit 1000 vies, 1000 voyages, et lorsque l'on écrit un poème, fait un dessin pour continuer le voyage, le faire accoucher d'autre chose, une création  parallèle à la vie,  et l’on se dit : « Tiens c'est autre chose, je ne retrouve pas ce même bonheur, mais c'est pas mal. »


Peinture

En revenant à la peinture  j'arriverais à calmer un peu mieux ce sentiment de perte : la photographie est assez ingrate, elle laisse pantois, déçu, ce n'est qu'un artifice mécanique.

Réveillé à 6H30 par des hurlements gutturaux et animaux de sortie de boites, j'ai sauté de mon lit comme un ressort, ouvert la fenêtre en furie et gueulé dans le petit matin : « Vous pouvez pas fermer un peu vos sales gueules de sauvages et arrêter de nous casser les couilles ? »
Les ombres gesticulant ont redoublés de hurlements en m'insultant et en me demandant de descendre pour en découdre, ce à quoi j'ai répondu en hurlant depuis ma fenêtre comme Mussolini au Palais du Quirinal un dimanche matin : « Bandes de cons je ne pourrais jamais descendre aussi bas que vous. »
Après quelques injures et menaces allant crescendo j’ai balancé un dernier : « Là c’est magnifique, vous êtes vraiment vous-même, c'est-à-dire de la merde »
Tout cela, ce théâtre improvisé, un dimanche matin de printemps, du plus bel effet, vous met dans une joie indicible pour la journée…

Une des ombres a du comprendre qu'ils avaient vaguement tort et a susurré un : « On est désolés ». Ils se sont barré un peu plus loin pour continuer à s'engueuler, cette fois-ci pour savoir s'il fallait me tuer ou non, ce qui semblait sans solution, n'aboutissant à aucun consensus, et même à un début de bagarre en interne tant les avis étaient partagés...
J'ai bien entendu appelé les flics pour leur faire part du zoo matinal et dénoncé aussi une bagnole garée devant notre porte. Je suis la balance Roberval du quartier, je donne le poids exact.



Clouzot

Cela fait longtemps que je me déplace au musée comme l'inspecteur Clouzot de la Panthère rose : en diagonales furtives, démarche à l'égyptienne, de biais, regardant à gauche puis à droite si dans une salle il n'y a pas la grosse connasse parlant fort, le chiard insupportable, la meute de veaux et le guide vociférant.
Ma vie est désormais ainsi faite, je passe mon temps en évitements, changeant plusieurs fois de place au cinéma, au café. Mais la récompense parfois est là : quelques minutes de contemplation solitaire et studieuse, quelques moments de lecture bien menée et de notes précises.
Les meilleures choses ont un prix.

Pour ce qui concerne les « jeunes », mes actions à base de seaux d'eau, de boules puantes sont par trop artisanales, rien ne peut en venir à bout. Quelques ultra-sons peut-être ?
Ces pourritures vivantes ne s'intéressent plus à l'artisanat, ils aiment la technologie et le numérique, tous équipés d’un Smartphone à 700 euros dans lequel ils hurlent de pathétiques litanies…


PC

Ce que je fais vaut de l'or, et personne ou presque ne s'en rend encore vraiment compte. C'est absolument certain si on est un tant soit peu objectif, alors on verra bien, soit j'arriverais à rencontrer ceux qui me feront connaitre, soit je crèverais avant, j'en ai plus rien à foutre, je mettrais un slip propre, si j'y arrive, et je demanderais à Dieu pardon pour toutes les saloperies que j'aurais faites dans ma putain de vie, je veux pas jouer les cadors à ce moment là, j'essaierais d'être à la hauteur même à l’horizontale, je lui demanderais pardon pour mes délires et attendrais en priant avec confiance et même une forme de sérénité. Tout sera alors en ordre, je serais prêt…


Rêve

Une soirée interlope, parisienne, européenne, je dois essayer d’établir des planches découpées grossièrement, sortes de portiques, sur des tourniquets dans lesquels on introduit un ticket pour pénétrer dans les lieux, et cela avec Michel Houellebecq, assez sympathique, mais très âgé, un vieillard, les planches sont mal ajustées et nous avons du mal, sur les murs qui tiennent l’entrée du lieu, à hauteur de passage, se trouvent des concrétions comme au bord des fontaines en Provence, mais blanches en leur centre et certains invités lèchent ces cristaux blancs qui sont faits de cocaïne, l’ambiance est plutôt joyeuse mais je suis oppressé de sentir autour de moi ces cafards mondains qualifiés désormais de « bobos ».
Un peu plus loin dans le rêve mais dans le même contexte je me retrouve immergé dans des eaux noires, épaisses, sous un gigantesque hall de béton aussi vaste qu’une base sous-marine, il forme un angle droit et j’essaie de nager vers une lumière naturelle qui fait scintiller les immenses parois rouges d’une coque de navire formant un des côtés de ce hall étrange qui m’oppresse aussi, comme lorsque en plongée j’explorais les cales des épaves, sentiment de froid, difficulté à progresser malgré l’aisance dans l’eau, les capacités aquatiques : ces parois sont faites de grandes bosses, comme des rochers polis par les pluies, elles forment un gigantesque vagin naturel dont une des faces serait de béton, convexes et l’autre d’immenses tôles rouges boursouflées et concaves, le fond est incertain, je ne connais pas la profondeur ni ce qui peut surgir sous moi et je suis seul et remonte dans les remous d’une eau trouble, le son de mes mouvements et de mon souffle est décuplé en se répercutant contre les parois gigantesques et le plafond de béton.
Je ne distingue pas vraiment le plafond, trop sombre, mais fixe en nageant les parois rouges sur ma droite : à la fois surfaces minérales et métal recouvert de peinture anticorrosion, teintes orangées, bistres par endroit, ocre rouge, bruns dans les creux, longues suites ondulées des lignes de rivets comme des boutons sur une robe géante, sortes de rochers Daliniens, coque concave pliée à angle droit, caverne, grotte aux proportions d’une nef de cathédrale.


Zoo

Comme chaque après-midi, en tout cas souvent, dès que j'ai le bourdon et qu'il fait trop froid dans ma minuscule cagna sans fauteuil, ce qui arrive très souvent, je vais au bar tabac, où il y a des sièges confortables, du chauffage, de l'espace, de l'ambiance, là, je lis avec passion, je dessine, j'annote, les deux en même temps.
C'est merveilleux : de gigantesques abrutis, somme toute assez sympathiques parce qu'ils offrent un flan énorme à la caricature, buveurs, hurleurs, écran géant où défilent les matchs de foot, de rugby, les courses, et sur le comptoir interminable un alignement carnaquien de verres de pastis et de whisky.
Je suis dans ce zoo, ce vacarme, comme sur une île : dans ma bulle, figé sur mon ouvrage, on ne prête pas attention à moi, je fais partie des meubles comme un pot de fleurs.
Jusqu'à cet après-midi où je suis devenu populaire et enfin connu.
A la table me faisant face de jeunes crétins très sympathiques alignaient des canettes de bière pour oublier l'approche de la troisième guerre mondiale, et moi, me tenant coït je réponds à un appel sur mon portable démodé, ils me reluquaient depuis un moment car un type qui lit est toujours étrange à leurs yeux, et, ce faisant, je soulève la moitié de mon gros pantalon de velours noir taille haute dans un mouvement sans équivoque qui ne leur a pas échappé et je lâche un pet tonitruant dans leur direction qui leur coupe le sifflet instantanément, suivit d'un silence bref puis d'une gerbe d 'éclats de rires : je suis devenu star en une seconde.
J'ai confirmé l'essai en répliquant jouasse : « Ce n'est pas moi, c'est dans le téléphone ! »
La célébrité ça ne tient qu’à un fil.

J'ai remarqué dans mon quartier de jeunes cadres chez Canal +, c'est le Brunch du dimanche, bourrés de schnouf et d'alcool ils se réveillent vers midi puis on les voit arriver les yeux globuleux vers 13h se donnant des airs importants, profondément préoccupés par l'avenir du monde, surtout les noirs, qu'ils adorent, de loin, se prenant très au sérieux, avec des habits à la mode, pas rasés, faisant la gueule, et alors ils commandent un brunch : un truc qui coûte le prix d'une côte de bœuf, mais qui est un tas d'omelette avec des toasts, une montagne de salade verte, des saucisses de pédales grillées avec une giclée de ketchup, et ils sont les rois du monde, l'impression d'être vraiment une élite et que tous les autres sont des fachos ou des vieux cons, ce qui facilite énormément leur digestion.


Marché

Ce truc ressemble en fait à un cambriolage de haut vol place Vendôme par une équipe d'Ukrainiens anciens spetsnaz ni vu ni connu. Le final c'est le bouquet de roses : tout ce beau monde s'encule à Megève et à Saint-Trop', en se félicitant d'avoir palpé autant de pognon !

J'ai très péniblement atteint la soirée. J'ai bien cru ne pas y arriver. Vers 15h tout était compromis, égaré dans un supermarché farci de chômeurs désœuvrés, par une lumière blême, l'idée même que le soir viendrait m'a semblée improbable. Ce fût douloureux. Vers 16h, cassé sur ma chaise au bar tabac dans lequel je me réfugie en général, un sursaut eu lieu contre toute attente : des reflets et ombres sur les volets du dentiste, surexposés par un soleil d'hiver déprimant, m'ont permis de réaliser quelques images de bon aloi avant de replonger dans la lecture et le temps immobile.
On ne sait jamais de quoi sera fait l'avenir. Et ce soir la nuit est revenue alors que j'avais cessé d'espérer.
La nuit c'est la perspective du coucher, du repos, des rêves. La parenthèse suprême, le répit.
Au fond, ce sont un peu mes seules joies : le café du matin, les oiseaux, le ciel. Une soupe très chaude, quelques morceaux de pain jetés dedans et au lit.


Coton

Assez content de mes slips achetés à prix d'or chez Monoprix en coton blanc à poche kangourou en 2 tailles XL et XXL, 5 de chaque, mais quel entretien ! Le résultat des loufes est désastreux, faut que je les attaque à la brosse dure et savon de Marseille-eau bouillante, et encore...

On devrait traiter les peintres comme les militaires, ce que faisait d'ailleurs Napoléon, ceux qui méritent, sont bons, on les décore, médailles, tout, et les autres ont leur donne un coup de pied au cul et on les envoie nettoyer les chiottes : mieux, on les fusille.


Terrible

Une victoire totale. Tel le léopard rampant dans la savane les moustaches derrière les herbes hautes, scrutant le paysage, auquel rien n'échappe, pas même le vire voltage hasardeux d'une mouche Tsé Tsé cherchant un abri pour la sieste, je suis arrivé dans la pénombre du Capitole où François 1er officiait déjà, aux fourneaux, engagé dans un Cha-Cha endiablé avec une drôlesse en lamé, j'ai bondi subitement sur mes proies comme une fusée, enfin comme un léopard-fusée, aucune n'a résisté, j'ai même éprouvé une demi-seconde une certaine pitié pour mes adversaires écrasés par tant de talent, seconde aussitôt oubliée par le tunnel infernal des séries enlacées, boléro par-ci, tango par là, il est passé par ici, il repassera par là, java-vache, madison sidéral, boston, force centrifuge, puis centripète, la tarentelle en cinq-sec, le charleston sur les mains, pas un seul whisky, aucun gri-gri, rien, que le malin génie du léopard en furie, énergie pure, partenaires caténaires, rigodon, carmagnole. Le léopard est reparti en bagnole. Les belles derrière lui faisaient « cui-cui ».


Frontière

Arrivé dans les bois, marchant péniblement en short et en baskets, presque mort de froid malgré les vieilles garnitures cramoisies récupérées sur les sièges d'une Citroën volée par des jeunes issus de l’immigration de la banlieue Lyonnaise, à moitié cramée, tu as pu découper avec tes dents les sièges en tissu synthétique pleins de vers et de chiures de mouches, et t'enrouler dedans, en bourrant ensuite avec la mousse synthétique jaunâtre puant la clope et le vomi, ce qui t'apporte un nombre appréciable de calories, puis tu t'es arrêté un instant pour souffler, haletant, appuyé contre un sapin anémié vu la pollution énorme du secteur, l'idée a germé : « La Suisse n'est pas loin, putain si j'arrive a marcher quelques heures encore, je peux demander l'asile politique. »
Alors, l'ancien marin a surgi au milieu des bois, s’est réveillé soudain, même les écureuils cancéreux ont admiré le changement, la neige s'est aplatie, les arbres ramollis pour t'aider à passer en Suisse.  A quelques kilomètres tu pressais le pas, épuisé mais content : « Ils me donneront des vêtements propres et chauds »
Et puis, à force de godiller entre les rocades, les terrains vagues, les sous bois pleins de détritus, tu as même commencé à jubiler et à parler tout seul, un glaçon en forme de stalactite au bout du nez : « Putain, une soupe chaude, ils vont m'interroger,  je vais tout balancer, la SNCF, tout, et surtout les impôts,  dans 3 mois, je fais venir ma famille, on aura un appart’ prêté par la Confédération et le Canton de Genève, et une fois requinqué après ma triple pneumonie dans un p'tit hosto de la Croix-Rouge, je fais débloquer mon pognon, je le fourgue à Lausanne dans une Banque bien tranquille, et je commence une nouvelle vie. »
Peu de temps après cet arrêt subit en rase campagne, tu habites un quartier tranquille de Lausanne, et tu te mets en cheville avec un marchand de Zurich qui finit par te foutre sous les spots à Bâle l'année d'après. Et là, tes madone sont si inattendues, si nouvelles, si fraîches et au fond subversives, allant à contre-courant que tu fais exploser les ventes, le mec vend tout, et il obtiens pour toi dans la foulée 2 expositions aux USA et une à Londres, avant Berlin, qui te propulseront carrément en tête de gondole dans les magazines artistiques à la mode. Les Français ont d'abord rigolé. Mais créant la polémique indispensable à toute vraie publicité, faisant monter la sauce et élargir le cercle des collectionneurs le tout Down-Town s’est entiché.


Casino

Assez déçu par le cassoulet Casino. Je la sens pas cette marque. Ca vaut pas Roquelaure et Maury, c'est un truc cher et suspect Casino, j'espérais une belle pétarade : et puis rien.

A 10h je suis encore fumant comme un veau sorti de l'étable dans les prés couverts de givre. Je dois me raser parce que le matin je travaille dur, et pour bien travailler il faut être rasé de près, avec un slip propre, une tenue décente et une giclée (en tout bien tout honneur) de Monsieur de Givenchy sous les burnes.
C'est très important, la fin du monde risque fort de se produire à cause de notre négligé, celle de l'Art a eu lieu à cause de cela. Depuis, on titube, le disque est rayé. Seul Jeff Koons arbore une cravate, c’est tout dire…
Et puis la danse est un accomplissement, c’est Fred Astaire qui a gagné la guerre.



Quotidien

On caille ici. Je viens d'engloutir une grosse boite de Corned Beef Hereford, dans sa superbe boite dorée à étiquette rouge, avec de belles lettres jaunes, grâce à la petite clé pour ouvrir le ruban de métal prédécoupé, avec des cornichons et un gros morceau de pain.
Maintenant je vais me faire un bon café, ainsi j'aurais bouffé à peu près le menu d'un G.I. du côté de la Butte de Montsec en 1917, à la même saison, juste avant une petite charge à la baïonnette à découvert, au trot rapide, en courant même, et juste avant de tomber la tronche dans la boue en giclant du sang, déchiré par les balles d'une mitrailleuse Hotchkiss servie par Saxon un peu lourdaud aux joues rougies par le givre et dont la bobonne,  à cet instant, est en train de se faire tringler par un facteur réformé, pantalons baissés, après lui avoir apporté la lettre énamourée de son mari au front.


6B

La seule chose que je désire avant de crever c'est ça : l'odeur de la gomme, du taille crayon, le choix méticuleux du B, du 4B, du 6B, parfois d'un H, le grain de la feuille de dessin... Et ça ne coûte pas cher. Le reste ne m'intéresse plus.


La visite

J'ai du me rendre dans un autrefois sublime village du centre Var pour y faire réparer mon véhicule, un village avec une immense place peuplée de platanes non moins immenses, une étape vers l'Italie, un lieu peuplé autrefois de paysans, de chasseurs, souvent les mêmes, de routiers, de petits artisans, et c'est avec émotion que je revois le petit café où mon père tenait à s'arrêter au lever du jour lorsqu'il nous emmenait en vacances en Italie. L'ambiance était épique, paysans roublards, éclats de voix, toute une culture, un pays profond.
Ce matin j'espérais revoir, ressentir à nouveau ce je-ne-sais-quoi qui fait que l'on est de quelque part,  j'étais impatient et nostalgique.
Je marchais seul dans la grande rue déserte, écrasée par un soleil de plâtre, et par la fenêtre entre-ouverte d'une maison enfin encore habitée est monté un vacarme de musique arabe provenant d'une sono.
Arrivé sur la grand place, majestueuse, elle l'est toujours car les frondaisons hautaines et le monument aux morts, hiératique,  sont inchangés, j'ai instantanément photographié la scène : un énorme kébab a ouvert sur cette place, bariolé, assez vulgaire, au sens exact du terme, mais efficace, le café où nous avions coutume de nous arrêter pour observer la comédie locale est désormais quasi-désert, quelques arabes l'œil mauvais, j’insiste, accueillent les gens de passage en silence comme des agents de surveillance, et la patronne est une sorte d'allemande improbable rescapée d'un camp de hippies.
Sur cette place survivent des déclassés, beaucoup de volets clos, une boutique de toilettage pour chiens, bref, un tableau pitoyable, changement de population sur fond de dépeuplement et de misère économique.
Prenant un café j'observais les visages incrédules d'un couple de passage, parisiens aisés à leur mise, cherchant en vain le pittoresque, l'âme du lieu, ils étaient dépités.
Je suis ensuite allé à pied vers la gare, un somptueux édifice fin19e : elle est fermée, murée et taguée. Cette visite estivale m'a glacé.


Juin

Sans bouger de chez moi, préparant mes tableaux, je regarde les photos faites à Munich, Grenoble et Lyon, 3 musées à se taper le cul par terre jusqu'à en saigner.
Je sélectionne ce qui me fait le plus vibrer, les détails, les ambiances, au fond il n'y a pas tant de choses, toujours les mêmes, un chardon par ci, une main par là, un ciel, une botte de poireaux, une autre main, le pli d'un drapé, un fond d'or, un vert, un rose tendre, tout se met en place, je n'ai plus qu'à pomper, enfin… essayer.
C'est que mes tableaux se font en amont, je tiens mes sujets par la bride, mes couleurs sont prêtes, les motifs éclatent par leur évidente simplicité.
Faut dire aussi que les virées à Fontenay ou à Cluny auront été la dernière couche d'enduit, l'exploration minutieuse de Vézelay la charpente, et les hivers passés dans la salle des Sept mètres la poutre maitresse, et puis de toute façon je m'en fous, les jeux sont faits. Comme dans un Téniers le ténia va sortir, la mélasse, le bitume, les vermillons et les jaunes de Naples mijotent, les Véronèse fument déjà, j'y suis, c'est la Khyber Pass, Roncevaux, le Saint-Gothard pictural, le Brenner fleuri, choux, roses, tentures pourpres, il ne manquera rien, tout sera dit, jeté, à en claquer.


Antibes

Je suis mal, pourtant, je lis avidement la vie de Saint Louis. Je ne suis pas né en 1957, ma mère m'y a enfanté certes et je l'en remercie à genoux, mais véritablement au 13e siècle, c'est pour cela que j'ai mal partout : l’armure me donne des courbatures

On est allé se baigner dans la pisse des milliers de touristes sur la plage d'Antibes, devant ce spectacle pathétique, le ciel, les parasols multicolores, mes couilles flottant dans l'eau tiède, je ne ressentais rien, rien. Je suis rentré, lire la vie de Saint Louis.

Je me souviens pourtant des étés d'autrefois, où j'avais encore du plaisir à vivre, à voir la mer, où l'été était une parenthèse, où on reprenait des forces, de l'espoir.
Maintenant, putain... le creuset de l'enfer, je ne vois plus que la chaleur dégagée par les millions de voitures aux carrosseries étincelantes, la poubelle humaine étalée sur le sable, les viandes au soleil, les éructations de voix gutturales dans les téléphones, les Belphégor et leurs dizaines d’enfants non éduqués, mais dressés au saccage, je ne peux plus.

Ce matin, à peu près rassuré par un fragile silence (ils ont explosé le quartier hier avec la techno parade et sont donc bourrés comme des coins et drogués à mort) je suis sorti de chez moi comme un petit retraité peureux et inquiet et je suis allé lire Thomas Merton, dans le calme et l'idée de lire en terrasse m'a séduit d'autant plus que je peux y fumer la pipe. C’est assez voluptueux, mais dans la seconde qui a suivi un chinetoque sapé dernier cri est venu s'asseoir et vociférer dans sa langue comme un malade mental et c'est devenu invivable.


TGV

Arrivé à Lyon en train l'après midi je suis cueilli par une famille de 10 romanichels hurlant comme des putois à l'arrêt d'autobus, les décrire serait impossible tant sur le plan sonore que visuel, à ceci s'ajoute la vieille connasse qui téléphonait en hurlant dans le wagon de 1ère classe, l'autre qui pétait en douce, et tu comprendras la journée que j'ai passée, je suis arrivé à Lyon en quasi-dépression. Non, je ne peux plus, nous vivons dans un monde entièrement gluant de connerie.


Piémont

Gênes, Gênes ! Contreforts du Piémont ! Murailles immenses de la gare ! Mer lie de vin ! Immeubles ! Foule ! Commerces, commerces de Formose et d’Ispahan ! Soirs mordorés ! Castels de briques ocre au milieu des foins, champ de maïs, granges immenses, aisselles et pubis des paysannes en sueur ! Polenta, champignons ! Tarentelles ! Mortadelles ! Belles à en mourir ! Roses ! Bleus des plafonds de stuc, vie des saints ! Jacques de Voragine ! Hôtels désuets ! Epinards, pesto, vins liquoreux !



Famas

J’essaie depuis trois mois, à temps perdu, de dessiner de mémoire le fusil Famas sans jamais y parvenir vraiment.
Les proportions exactes m’échappent, puis les détails, qui n’en sont pas, révélateurs même de fonctions essentielles qui peuvent faire confondre la partie et le tout : le monde de la technique appliqué à l’armement est complexe, avec ensuite un objet qui a le caractère de l’évidence, d’une fausse simplicité. Beaucoup de recherche pour obtenir un résultat compact, ergonomique, à partir de contraintes rigoureuses. Il faut alors se référer au modèle initial, regarder pas mal de photographies, revenir vers l’original lorsque l’on peut en observer un. Toute erreur entraine la faillite du projet, on ne peut suggérer, il faut décrire.

Observer, photographier, dessiner, écouter, chercher l’ombre, puis le soleil, ne rien laisser au hasard, rester tendu et souple à la fois, saisir un timbre de voix, un geste, le mouvement du monde, son chant, son rythme, ses spasmes.

Woody Allen : « On a jamais vu un aveugle dans un camp de nudistes. »

Ernst Jünger, Paris, 1943 : « En étant fiévreux, malade, les idées viennent, des formes et des projets apparaissentcinq glaïeuls dans un vase… au milieu de la canaille on se sent exilé… (Russie) Splendide fille russe nue, morte, plantée dans la neige, pour indiquer une direction, pour la joie de soldats… puissance et pouvoir salutaire de la prière… les vers de Boèce, si beaux… (Allemands) une cruauté qui relève de la zoologie… au mur un éclat de plâtre aux formes de la Sicile… (Guerre) une activité abstraite dans un immense espace… ravages de l’activité sexuelle à outrance… je lis au lit, il pleut… la fleur de pêcher (rose)… matrice des madrépores… Aloxe-Corton… grand glossaire de la langue latine… la Fritillaire Impériale (fleur)… la Tentyria… un geai, mort et sublime… Vesses-de-loups… Verlaine aux Batignolles… les Dadaïstes : des mollusques… le Fattysalam devant Coromandel… »


Paris

Tout ici est froid, cassant, bruyant, contondant, sombre, pâle, très sale, dégradé, visqueux, puant, défiguré, abâtardi, dévoyé, fané, et pourtant ça et là, un visage, femme, homme, jeune, vieux, une carnation fine, une attitude, un instant de grâce. Si rare.


Pluies

Fines ou torrentielles elles inondent la Ligurie, rideaux gris et noirs, ciels de plomb, nappes colorées, rues désertes sous les trombes, lectures, chambre d’hôtel, biscuits aux amandes, vin blanc demi-sec, roseaux bordant de minces ruisseaux charriant des alluvions, effets bleutés des galets trempés, vermillon chaud du Campari, noir de bitume du Fernet-Branca, mousse ocre du café stretto.
C’est que rien n’y fait, rien n’égale jamais le luxe inouï, sans mesure, des journaux, du tabac et du café du matin.
A quoi sert de courir ? Si l’on est bien attaché à ses travaux, ses pensées, une fenêtre suffit, une chaise, inutile de changer de lieu. L’idée même de divertissement devient obsolète, obscène.

Maçonnerie : « Qui frappe à la porte ? »

Un choc hier en regardant à la télévision un reportage sur Hartung, le grand blessé, qui aimait tant les astres. Mes colifichets faits de collages, de vues plaisantes, d’images douces-amères, du temps qui passe, des ombres que nous croisons, l’idée même de représentation m’ont semblé un instant bien futiles devant ce maître de l’abstraction. Et pourtant…






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