CARNETS 2004-05


Mystère et boule de gomme   Beaucoup plus tard   Kahawa   Un pauvre roi   Presque un Debré   Entre hommes   Ami si tu tombes   L’atelier   Brasserie Lipp   Diploé   C’est curieux   Le temps perdu   Le temps retrouvé   Les toilettes de Philippe Auguste   Laurel et Hardy   Le rossignol embastillé   Hartung   Le trésor   La chienne   Privacy   Le repos   S.O.E   Tout va bien   La bécasse   Emmuré   Check Up   Candie   Ce qui brille   On nage   Gigot à volonté   Madame Chrysanthème   Choléra   Un vieux con   Fred Astaire   Longue phrase particulièrement réussie si on la relit tranquillement   Le banquier   Sombrero   Nuit de Chine   Stavelot



Mystère et boule de gomme...

Je suis en plein Marielle, trois films, géniaux, et je suis allé voir Raymond, allongé sous une montagne de couette jaune, avec livres, Sopalin, serviettes de toilettes, à nid d'abeille, en coton, de serpillières épaisses, de livres, de journaux, de petits animaux en peluche avec lesquels il dialogue, de coussins en tout genre, la tête couronnée d'un bonnet de grincheux énorme comme une cheminée, bourré de papier, bleu marine, enfoncé jusqu'aux yeux, et retombant au sommet sur le traversin jaune, la table de nuit croulant sous les stylos, les boites de chocolat, les lunettes, les bonbons des Vosges, les tubes de Pento, les carnets d'adresse, au pied de la montagne, sacs divers plein de bouteilles de jus de fruit, qui servent aussi de vase de nuit, livres empilés, bouteilles d'eau minérale, animaux en peluches, télévision servant de socle à un gratte ciel de livres et de notes, et un rempart, des murailles, des édifices de boites de dossiers de toutes couleurs, étiquetées, avec au sommet, un réveil, un canard en plastique, des piles de courrier ouvert, un parapluie, des cintres chargés de chemises rayées et de costumes bleu marine créant des rideaux pour moduler les courants d'air ou stopper les lumières de néon roses et bleus et jaunes, et qui clignotent au ré de chaussée que l'on surplombe, un sex-shop, une épicerie, le pressing qui repasse les fameuses chemises empilées dans leurs sachets de cellophane, un restaurant libanais, comme dans un tableau de Hopper...
A son chevet, les pieds pris dans des fils électriques et des sacs divers, les babouches marocaines jaunes et les chaussures du maître et chaussettes en tire-bouchon, entre deux périodes où il piquait du nez, le bonnet bleu s'abattant alors sur la colline jaune, pour un sommeil teinté de réflexion, comme on escalade ou on marche en montagne, je prenais des notes sur mes genoux, échangeant comme on escrime ou on joue aux échecs quelques répliques sur le treillis de références et de noms propres dans lequel le navire Hains avance dans un brouillard apparent mais sachant très bien la route, ne mettant en panne que pour mieux repartir, sans faute aucune, résistant sans faillir à mes ruses pour obtenir une information à laquelle il se refuse...
Celle de l'affaire Flagrant Dali, des circonstances qui ont amené Jacques Darche et Dali à emprunter de façon indélicate une de ses images pour en faire une illustration des « Mémoires » de Dali, alors que Raymond était tireur chez Roger Viollet, derrière l'Académie, entraînant un procès retentissant...
La scène se passe donc chez Raymond, l'après-midi, après-midi au cours de laquelle, comme à chaque fois en tête à tête, je prends des notes sur un petit carnet bleu : il y est habitué et semble en tirer une certaine coquetterie doublée de méfiance, de jubilation rentrée. Dehors il fait froid...
Ce jour-là, c'est de la tauromachie, un interrogatoire, au chalumeau : j'essaie une fois de plus, après tant et tant de vaines approches, sournoises pourtant, venant de loin, mais toujours déjouées par Raymond, qui se dérobe sans cesse : ce sont ces joutes qui nous unissent, ce jeu du chat et de la souris qui nous est familier, et je lui laisse l'avantage, pour mieux y revenir, et le surprendre au coin-coin de rue au moment où, peut-être, son attention et sa vigilance seront relâchées, mais il n'en est rien : il tient bon...
Quelques jours avant, au téléphone, Raymond est très fatigué, sa voix est frêle, lointaine, il a une angine et ne peut donner des nouvelles de son diploé, il m’annonce le décès de Madame Raffray, sa prof de dessin, 98 ans, André Verdet (92 ans) et Tom Wesselmann. Il évoque la vie de Madame Raffray devenue prof en 1936 à l’âge de 20 ans l’année où il est né donc. Il me dit de venir le voir car « il est très visible. »
Mais cet après-midi il s'agit de tout autre chose, et voici comment cela commence (je le laisse venir) :
La cousine Madeleine est très mal, celle qui a exposé il y a peu et vit à Guingamp (…) On appelait Madame Raffray « Mimosa », en 1938 (...) au lycée, elle nous faisait dessiner des natures mortes, torchons, théières (…) J’étais terrorisé par Pageot d’Ascouët, un copain tête brûlée, terreur des mères de famille, précurseur du dripping, nous débouchions les tubes de la boutique de mon père, et nous faisions des drippings…
Tu as vu la fille de Madame Raffray à Nantes, elle est aussi professeur… Bossuet a mis Fénelon en résidence surveillée au Cateau-Cambrésis (Château de Niort ?) car Louis XIV avait vu que Les aventures de Télémaque étaient une critique de sa politique (…) Madame de Maintenon était d’une famille protestante, son grand-père s’était battu pour Louis XIV à La Rochelle : « Il aimait le fric… » Bossuet : « Eloge funèbre de Madame Henriette. » (…) Il ne faut pas que l’on m’empêche de m’appeler Hains ni toi d’ailleurs de t’appeler Hays, tu devrais t’intéresser d’ailleurs aux courses de haies… je te vois très bien en jockey. Mornay du Mont Chevreuil est le père de Youri et chevalier de l’Ordre de Malte, il y a aussi les Mornay du Mont Lévrier (…) Jacques Charrier est en ce moment au Japon, ou en Chine… 
Les pêcheurs de Bosnie Herzégovine ont des tuyaux qui passent sous la mer et apportent de la vodka aux pêcheurs d’Istambul, ces ont des pipe-lines de vodka (…)  Wesselmann est mort en fait le 17 décembre. C’est Gérard matisse qui m’a invité à la Métisse de Matisse, comme celle de Facchetti…
J’étais l’ami de Georges Mathieu qui habitait une mansarde rue Gay-Lussac et soutenait la revue Action Française et était très ami avec Facchetti…
Lire Jérôme (Tharau ?) qui avait dit que Barrès ressemblait à un de ces rastaquouères comme on en voit à la terrasse du Café de la Paix. « Pauvre Barrès à sac et à breloques.»
J’ai connu Mathieu chez Colette Allendy, il travaillait pour les publicités des Cie Transatlantiques, au Havre, comme « advertising manager… »

Les choses se précisent, il poursuit :

C’est Jacques Darche, du Club Français du Livre, guidé par les moustaches-antennes de Dali qui a détecté mes photos chez Viollet. Madame Guillestre (Direction de Roger Viollet ?) avait caché les Fisher, des juifs, elle m’avait trouvé un boulot de tireur à la Libération, il y avait des Académies où les prix de Rome se déguisaient en empereurs romains et je tirais ces photos…

Paul Facchetti habitait avec sa femme chez ses parents rue Saint-Jacques, sa femme qui était agrégée de philosophie et se considérait comme ma compatriote du fait qu’elle était de Fougères, elle a été enchantée que Mathieu devienne membre de l’Institut. Un jour Mathieu me dit : « Facchetti va avoir une galerie » alors que ses parents n’étaient pas chauds… Il ouvre rue de Lille et expose d’abord (Hélène Shalem ?) elle faisait des gravures, plaques de métal gravées et exposées, très amie avec un noir qu'il aimait bien (Monfort de Launay ?)
Yoran Kazak qui habite rue Poulet est marié avec l’ex-femme de Gaëtan Picon, ils ne s’entendent pas, ils s’engueulent… Il habite Varengeville, son atelier est en train de s’écrouler, comme celui de Braque, le maire devrait sauver tout ça…
J’étais l’ami du petit-neveu d’Arturo Lopez. Jean Claude Riedel voulait que Germain Viatte achète les notes de Pierre Henri Rocher, l’ami de Duchamp, il a refusé préférant des photocopies venues d’universités américaines…
Riedel aimait bien Mark Brusse et Ghislain Kazak a exposé chez Gervis rue de Tournon après la rue du Bac. Claude Eric Richard me fait connaître Kazak, il a été professeur à Perpignan dont le dôme de la cathédrale est une œuvre d’Abadie. On l’appelait « La girafe » ou « Le grand-chose », il fréquentait le café Moineau… Il me présente dans une chambre de bonne de la rue Jacob un jeune homme qui s’appelait Henri Cosert, le neveu de José maria Sert, il fréquentait des librairies comme Tschann : « Nous avons eu un coup de foudre... » Je m’en suis méfié de peur de retomber dans des histoires de drogue comme au café Moineau… Il redécouvre sur les quais un livre, le livre du docteur Théodore Flournois : « Des Indes à la planète Mars.» Il arrive chez moi avec un exemplaire, 1 variante du livre de Flournois et il y reste… une semaine et demie où nous avons passé notre temps à aller au Dôme à boire et manger des huîtres (…) Je devais aller en Bretagne et lui en Suède où un collectionneur l’attendait dans une île, il m’avait prêté un agrandisseur photo, qu’il a vendu pour payer son voyage en Suède…
Une amie commune, Jeanine See, que j’aimais beaucoup, See, qui habitait rue de la Pompe et est venue me réveiller avec la voiture de sa mère pour distribuer les journaux d’André Breton, Mounier, rue Lepic (…) puis à la sortie des gares de l’Est, Saint-Lazare, pour inviter le peuple de Paris à la 1° manif’ des citoyens du monde à la salle Pleyel, j’ai conservé les macarons du service d’ordre (…) Jeanine See était donc une amie d’un ami de Lilianne Vincy qui a exposé chez elle.
Jean Claude Lange ne manquait jamais la bière de mars à Munich, sa femme lui avait donné de l’argent pour qu’il aille à Munich…
Jeanine C. See avait partagé l’atelier de Sam Szafran rue Henri Barbusse où était mort Philippe Delage. « Maudit soit qui ne maudit pas la guerre. »
J’avais passé une soirée pas loin de la tour Eiffel, boulevard de la Tour Maubourg, pas loin des Rothschild (…) Jeanine See avait eu un fils avec un jazzman à New York, qui avait travaillé au Club Saint-Germain rue Saint-Benoît : quand je me suis retrouvé ave celle et un ami de Szafran, ils étaient drogués, et riaient…
Jean-Claude Lange est parti à Munich en laissant sa femme et sa fille à Paris, la première femme de Lange savait qu’il était mythomane… Au moment de l’affaire de Suez il faisait croire qu’il y avait participé alors qu’il était alors à Paris ! Sa fille Véronique est née rue du Mont d’or.
Caputo était le marchand de tableau de la galerie de France et avait refusé de me dépanner… Je n’avais pas revu Jean-Claude depuis son mariage et j’ai eu une inspiration, alors qu’il travaillait à l’agence Méglio, chez les Napolitains, qui lui avaient présenté la femme d’un neveu de Dailhan qu’on voyait chez les parents de Klein, les Méglio vendent le Bateau-lavoir ils ont 300 immeubles dans Paris, Jean Claude travaillait chez eux rue Philippe-Auguste… Philippe Delage a conservé une médaille qui est chez Sophie… Monsieur Raffray était émerveillé par les italiens qui emballaient les pins parasols d’Erqui, chose dont les français auraient été incapables…

Je l’interroge alors d'un Uppercut verbal (jouant la surprise) sur la façon dont Jacques Darche a réussi, avec Dali, à tomber chez Viollet sur la photo qui allait entraîner l’Affaire Flagrant Dali, à 3 reprises, en lui disant qu’en ne me répondant pas il me mène en bateau, il répond :

« La barque de Saint-Pierre marchait à coups de gaffe » disait Monseigneur Duchêne, professeur de Teilhard de Chardin et de Jérôme Carcopino dont j’ai toujours aimé la lecture, entre autres : La basilique pythagoricienne de la Porte Majeure, où j’ai emmené Mimmo qui a donné un bon pourboire au gardien, porte restaurée depuis, comme la porte de Néron… »


Puis il répète :

C’est surréaliste… (…) Jean d’Ormesson et Giscard courent dans la rue en brandissant leurs épées d’Académiciens après un jeune beur qui a piqué le bicorne de Giscard… tout çà est cousu de fil blanc et à Fourvières des jeunes te diront qu’ils sont des patriotes lyonnais et qu’ils mettent des chandelles pour le pardon de Notre Dame de Fourvières…
Rémo Bianco m’avait emmené de Paris à Lyon en voiture, nous avons dormi à Mâcon et le matin j’ai pris un taxi qui m’a emmené au Sheraton Ibis à Lyon où je me suis prélassé… « Je pisse du collodion ou du bitume de Judée » (dit-il en transférant son urine brunie par le thé résiduel d’un bocal dans un autre) C’était rigolo de voir les élèves des Beaux-arts déguisés avec des draps de lit et des couvertures en empereurs romains (…) Il y avait aussi le Vivant Denon…

On peut supposer que l’image des mains a été faite chez Viollet, avec les verres cannelés, ce qui possible, mais mystère et boule de gomme sur l'affaire, il ne lâche rien… je tiens bon mais il a senti que je suis à l'affût, ce qui me fait perdre quelques millimètres de terrain, et il enchaîne :

« L’amour ne serait pas aveugle s’il portait des verres cannelés… il n’y a pas besoin d’en dire plus long ! »

Il résiste, il résiste !

« Je t’ai dit aussi que si le fil de la vierge est un fil conducteur, le voile de la mariée est cousu de fil blanc… je ne t’en dirais pas plus mon pauvre ami… »

Ensuite, pour bien brouiller les pistes et en forme de pied de nez :

« Hommage à Mireille Mathieu est un tableau de Georges Mathieu... Regardes un peu, veux-tu, les consignes d’eau de Chateldon… »

Je n'ai rien obtenu, malgré les tours et détours que nous avons empruntés, la partie est nulle, j'ai fait chou blanc ! L'affaire Flagrant Dali conserve tout son mystère...
Je ne savais plus si je m'adressais à un fantôme, un fou, à Paul Léautaud ressuscité tant la ressemblance apparaît maintenant évidente (lunettes demi-rondes et barbe drue de trois jours, sourcils en balais de porte) mais certain d'assister aux moments rares d'une vie qui s'éteint, celle d'un grand personnage c'est certain.
J'en ai profité pour dessiner sur mon carnet cette sculpture endormie dan un moment d'accalmie...
Mais cela s'est corsé quand Denise Kito, la veuve du peintre et la « fiancée » de Raymond, un p'tit oiseau digne d'un Degas, avec fourrure et chapeau-chapka de panthère (fausse), maquillage approximatif mais bonté à toute heure et langue bien pendue s'est pointée, nous sommes allés acheter au Dôme des huîtres, du Muscadet, du pain de seigle et du beurre, avec le sac à roulettes bleu marine, et alors, là, la montagne jaune s'est augmentée d'un pavement de plateaux d'huîtres belons, fines claires, plates, creuses, (je ne suis pas un spécialiste), tâchant ici et là un journal, un livre sur Rome, et la soirée a pu se dérouler comme une cérémonie, Denise et Didier côte à côte, la fenêtre ouverte et le plafond reflétant les roses et bleus subtils des néons du sex-shop (0 degrés extérieurs)… Quelques paroles échangées entre amis occupés à aspirer les huîtres et à trinquer...


Beaucoup plus tard...

Nous avons marché ensuite avec Denise Kito au pied de la Tour Montparnasse, il faisait très froid. J'ai recueilli là des confidences fondamentales pour la rédaction de mon livre, notes prises dans l'autobus qui me ramenait dans la nuit vers la Bastille. J'ai pu terminer le livre de Rousset « Les jours de notre mort » allongé comme un moine sous ma couverture militaire vert bronze, regardant mes sculptures alignées sur le mur...


Kahawa...

Nous sommes des êtres sensoriels. Alors il nous faut toucher, sentir, caresser, renifler, se rappeler sans cesse que l'on est au monde par ce moyen et ne pas rompre le lien. Les écrivains adorent les talismans, les grigris, les objets signaux autour d'eux. La plupart. Giono avait un bureau parsemé d'objets chinois, (il a appris le chinois à partir de 70 ans), de pierres. Malraux avait les siens. Vieux ringards ? Peut-être. Mais la question reste intacte lorsque l’on passe 23h sur 24h les yeux comme des soucoupes devant un écran… Nécessité des supports visuels et tactiles pour distraire l'attention ou relancer les idées, se réconforter.
Les primitifs sont encore plus attachés à leurs objets et en général les transportent sur eux, en ornements ou même incrustés sous l'épiderme, et leur vouent un vrai culte. Le gri-gri est concerné, tout comme le komboloï crétois. Il me semble que leur présence et les effets sur le toucher et la vision réconforte et entraîne à nouveau le cours des pensées dans la bonne direction, comme des panneaux indicateurs sur les routes de l'esprit, et redonne un signal de plaisir pour garder confiance. Car il est bien question de plaisir. Écrire, sans entrer dans le domaine freudien, répond à une économie de plaisir, pas seulement mais en partie. Plaisir d'écrire, surtout, recherche de plaisirs par l'esprit, course au plaisir dont nous sommes insatiables, souvent frustrés, et recherche d'une nouvelle cohérence dans l'écheveau des souvenirs des plaisirs passés, ou à venir... Écrire (pour mon cas) est une excitation, il y a quelque chose de jubilatoire, l'esprit cours après son plaisir en essayant de le rattraper... La pièce écrite par Picasso : « Le désir attrapé par la queue. » Il faut dire qu'il savait tout ou presque des désirs humains, en bon catholique transgressif, il en connaissait les tours et détours, la violence aussi, et n'aura cessé de les mettre à mal, en scène, de les montrer jusqu'à l'obscène et au sublime se confondant) ou en essayant de recoller les morceaux des plaisirs déjà vécus, restés épars dans la mémoire, mais actifs, passés mais encore actifs voire intacts, même et y compris bien sûr de façon inconsciente (il est gonflant ce Freud, toujours là quelque part pour mettre son grain de sel sur la queue du vautour de Léonard.)
Bon, le plaisir d'écrire sur le plaisir d'écrire ce matin va succéder au déplaisir de la toilette, la torture du rasage, pour vite retrouver ensuite la pure jouissance des bruits atténués de la brasserie le matin, le percolateur qui fume et chante, les passants endormis, les pages du journal que l'on caresse lentement, plaisir de lire en « fumottant » (expression de Giono, toujours) sa pipe, même des sottises, mais c'est que les faits divers et les meurtres découverts le matin (travesti retrouvé récemment découpé en rondelles, tête humaine trouvée sur un chemin, on est déjà dans la thématique d' Un Roi sans divertissement : à relire d'urgence car polar métaphysique de haut vol, où le seul plaisir dans un paysage désolé par six mois d'hiver est de voir du sang sur la neige) sont aussi un pur plaisir digne d'un roman de Patricia Cornwell : on tremble, on frissonne, on a peur ou on s'indigne, tout en sirotant un goût amer de moka, le « kahawa », dont Caf' Tor* fût le meilleur ambassadeur en terre autrefois chrétienne, et dont les derniers mots furent, il me plaît de le penser : « Je meurs pour le kahawa, vive la France ! » Atchoum.

Ben moi ça va, j'écris pas rasé, sale, brumeux, les yeux bouffis, pas présentable, ou alors parfumé cravaté, pomponné, à tout moment. Seule me guide l'inspirâtion. Toutes proportions gardées, j'ai l'impression de ressembler (dans le ridicule romantique) au personnage que joue J.P. Belmondo dans Le Magnifique, avec Jacqueline Bisset. Il n’a pas un rond, vit en robe de chambre et mules, pas rasé, perturbé, un peu allumé, à la ramasse, raté à point, mais il écrit, et sublime sa vie par l'invention : tout ce qui lui passe par la tête, des romans à deux sous, des histoires invraisemblables. Je crois me souvenir que F. Dard disait être un peu dans cet état dès qu'il se mettait devant son Underwood. Je me sens vraiment dans la peau de ce personnage burlesque, drôle, pathétique, ridicule, passant par tous les états d’âmes, versatile aussi, qui écrit avec avidité, hilarité parfois. C'est ce qui m'arrive quand je réponds à un courrier, que le fil des images entraîne toutes sortes de commentaires... ou quand l'idée d'un sketch me vient.
            
* Caf’ Tor, dont le nom véritable était Antoine Broggi, avait une torréfaction dégustation de café de toutes provenances dans la vieille ville de Toulon. C’était une figure, amateur passionné de mécanique et de motos nous avons partagé cette passion pendant des années, avant tout départ au long cours vers l’Italie, l’Espagne ou la Suisse, un rituel superstitieux m’imposait de prendre un dernier kahawa chez lui, de commenter les étapes, cela me rassurait et je quittais la ville brûlée de soleil avec une merveilleuse amertume en bouche, de bonnes sensations propices à un pilotage serein. Sa boutique ne désemplissait pas, les maghrébins étaient des fidèles de son nectar, vendu 1 euro, je m’asseyais parmi eux en fumant ma pipe, en lisant les nouvelles, car très amateurs de résultats des courses, ces derniers lisent beaucoup la presse, et Caf’ Tor avait compris cela et achetait au moins cinq exemplaires du canard local, « Var Matin » (et menteur). On me demandait parfois de lire tel ou tel paragraphe (certains orientaux âgés sont encore illettrés), surtout les mentions concernant les résultats du tiercé. Les commentaires allaient bon train entre ces hommes mûrs et plutôt calmes, des revendeuses du marché tout proche venaient aussi, avec leurs tabliers bleus et leurs doigts engourdis. C’était vivant et chaleureux. Nous avons souvent bien ri et toutes sortes d’images sont restées gravées. Sur négatifs, car j’ai beaucoup photographié dans ce périmètre, mais surtout dans la mémoire, ce qui au fond est encore mieux. Disons-le : ce fut une époque de ma vie…


M. P. doit occuper mon studio atelier du passage Thiéré dans quelques jours. Elle connaît les lieux et y a ses habitudes. Je lui dis que je suis bien content car elle va se frotter un peu à tous les objets, chambranles, chaises, et bien sûr le lit, laissant ainsi nombre d’hormones femelles, qui agiront d’autant sur mes phéromones lorsque je reprendrais possession de l’atelier. Comme un sanglier je sentirais dans l’instant le passage d’une femelle, ce qui aura des effets bénéfiques sur mon état d’esprit… Elle a beaucoup ri.


Un pauvre roi...

Encore une journée laborieuse, avec quand même une station au soleil sur le port avec monsieur Rénato / Vu à TF1 (je ne me lasse pas de ce prénom, qui se situe entre La cage aux folles et Du rififi à Paname), qui m'a raconté des tas d'anecdotes, entre autres un déjeuner avec Burt Lancaster, des conversations à bâtons rompus avec Alain Delon, sa rencontre avec Sophia Loren, ses dialogues avec Mastroianni, Audiard qui habitait le Georges V à l'année, y pénétrait en vélo dans l'ascenseur, lui-même y résidant aussi, sa fuite en pleine nuit d'un palais du roi du Maroc, dont un des ministres (homme) lui écrivait des mots d'amour et voulait conclure, d'où un départ en catastrophe pour ne pas passer à la casserole et entraîner de fâcheux problèmes diplomatiques... L'amitié de 40 ans avec François Marcantoni, qui publie son troisième livre : Strass et voyous, en évitant de parler de Monsieur R. afin de ne pas froisser son épouse en évoquant ses frasques, des anecdotes à l'infini...
Ou encore un périple dans des régions de Colombie, pour la DEA, où après des jours de pénétration sur des sentiers cahotants, dans des montagnes éloignées de toute civilisation, on arrive dans un bar rempli de têtes patibulaires dignes d'une pub pour une marque de café, avec les mouches qui volent, les cigares, les armes, et ce panneau : « Ici nous prenons la carte American Express... » J'en passe et des meilleures. De quoi en faire un livre, ou plusieurs... Un pauvre roi très divertissant. On est presque, là aussi, chez Philippe de Broca. Sauf que tout (ou presque) est vrai. Faudra que j'enregistre ces récits, on doit pouvoir en faire quelque chose... Et l'animal semble intarissable. Il est en confiance. J’ai mon diplôme d’ami…

Le temps gris est souvent plus pénible à Toulon que dans le Nord. On a alors une seule envie : lire, voire alité, et lire, lire...
Mais je ne lis pas, j'écris, tout en peignant, ponçant, clouant, siliconant, farfouillant, classant, déplaçant, bidouillant, tournant en cercles concentriques, observant, empilant, dépilant, collant, décollant, surtout décollant. Ce qui fait que tant bien que mal l’article sur Le Minor est presque sorti du four, et je me demande si j'aurai encore l'honneur et le privilège de sa correction ? J’écris une fois de plus pas rasé, en peignoir, le cheveux en pétard, l'haleine fétide, le regard torve, la chaussette en accordéon, écrire devrait exiger une belle chemise empesée, avec faux col, cravate italienne, veste de drap noir à brandebourgs de soie, culottes de cheval à larges bandes rouges, bottes en tuyau de poêle avec éperons d'argent, sabre de cavalerie et ses dragonnes, slip Petit Bateau, gants gris souris, moustache luisante, parfum anglais, bicorne à plumes, cigare espagnol, médaille de grand-croix de Malte, monocle, badine de cuir fauve...
Tout compte fait un complet rayé avec gilet, chaîne de montre or, feutre mou à large ruban de soie, cravate rayée, chaussures en chevreau bicolores, pochette et cigares feront l'affaire. Je ne prends aucunes nouvelles de Raymond, le sachant entouré et choyé. Je redoute sa disparition. Jeannette a laissé un message charmant sur mon répondeur, je suis aux anges. 


Presque un Debré...

Ce matin dans la boite aux lettres j’ai reconnu sur une belle enveloppe l’écriture légère de Claude Viallat, et le tampon de la poste de Nîmes. J’ai monté les 5 étages à la hâte, et j’ai ouvert l’enveloppe. Coulures délavées bleues, presque un Debré... Quelques mots touchants pour la nouvelle année. Je suis toujours aussi heureux de connaître et d’apprécier Viallat, cela ne change pas.


Entre hommes...

Déjeuner à L’Ile Rousse, le grand hôtel de Bandol, avec M. C., Corse d’origine, notaire retraité, et de René R., aventurier retraité, et votre serviteur, artiste pas encore retraité. Ciel gris mer calme. Vins et cuisine excellente, cigares, amitié. Il est bon de souffler de temps en temps.

Sentir avec force, à la tombée de la nuit, que je vais quitter la ville, ce que je fais depuis 30 ans, avec toujours à cette heure de la journée une tristesse, celle de quitter ces rues que j'aime, et que maintenant j'aime moins, mais qui restent toujours les miennes en quelque sorte, ce sentiment s'augmente lorsque je quitte une personne chère à cet instant douloureusement suprême...
Modiano a Paris, j'ai Toulon, ma modestie dû-t-elle en souffrir. Et Paris, Madrid, Lugano ou Barcelone...
Mais Toulon est chargée de trop de choses obscures pour n'être pas comparable à cette obsession qui lie Modiano à Paris. Et aux êtres qui lui sont chers, et tout est là précisément. Tout cela se mêle, se croise, s'enchevêtre ! Les êtres et les lieux, le tout teinté d'affection et d'amour. Ne croyez pas que je m'éloigne de notre sujet.


Ami si tu tombes...
(Texte paru dans le Journal Le Déporté)

La librairie du Mémorial de la Shoah, récemment inauguré, présente un ensemble complet d’ouvrages consacrés à la Shoah et aux déportations et exterminations pour raisons raciales. En tant que fils de résistant-déporté c’est avec un grand intérêt que j’y ai remarqué l’ouvrage de M. Jean-Marc Dreyfus (éd. Perrin), une synthèse précise et claire de la situation et des statuts des déportés résistants depuis 1945 jusqu’à la période actuelle où les langues se délient et beaucoup de livres paraissent à l’occasion des commémorations du 60° anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, qui est d'ailleurs loin de résumer à lui seul l'Univers Concentrationnaire. Ce bilan global n’oublie pas les familles et le caractère ambigu de la façon dont ce que l’on nomme désormais le travail de mémoire s’opère ou pas, au sein des familles de cette catégorie de déportés. La médiatisation parfois exagérée de la Shoah en cette période ayant tendance à créer un amalgame réducteur entre anciens déportés résistants, politiques et raciaux, n’a pas, selon M. Dreyfus, que des effets négatifs. Elle permet aussi d’examiner le passé avec plus d’attention et aider ainsi le travail des historiens qui disposent d’archives plus nombreuses, de moyens et de méthodes nouvelles pour les exploiter.
Un avantage non négligeable est celui du recul par rapport aux évènements, avec à terme, l’apport considérable des archives russes lorsque les effets de la guerre froide se seront estompés, et qui devrait être proportionnel à la bonne volonté des autorités russes pour les rendre accessibles.

Dans cet ouvrage figurent des photographies inédites, comme celles prises lors de la poignante messe célébrée par le père Riquet au Trocadéro le 7 juillet 1945, et sur laquelle on voit un cortège de déportés en tenue rayée descendant les marches du palais en portant une gigantesque croix : comment ne pas ressentir une forte émotion devant ces images faites à chaud, où, le temps d’une cérémonie, la fraternité des revenants n’était pas encore brouillée par les considérations politiques ?
L’après guerre aura été la période où la déportation était avant tout présentée comme un symbole du martyr des patriotes combattants et où l’on n’avait pas encore mis l’accent sur les aspects politiques et raciaux de l’univers concentrationnaire, les informations et les enjeux évoluant avec le temps.
Il faudra attendre des décennies pour que le mot Shoah fasse son apparition avec un film américain au succès retentissant, puis le film de Claude Lanzmann, pour arriver à notre actualité où la dimension raciale de ce phénomène unique dans l’histoire prend le pas, en tout cas dans les médias, sur le martyr des déportés résistants...
Toutes polémiques sur le sujet seraient obscènes. Le brillant exposé de M. Dreyfus nous éclaire sur la condition singulière des déportés résistants, que ce soit du point de vue de leur statut administratif, des pensions, de leur état de santé ou de leur vie de famille. Selon M. Dreyfus, les effets de la sur-médiatisation due aux commémorations actuelles rendent le travail de mémoire plus aisé pour les déportés raciaux et leurs familles, au regard de l’ampleur même de la Shoah, alors que la situation psychologique au sein des familles des déportés résistants demeure plus délicate.
L’accent est porté sur les difficultés qu’ont pu éprouver les déportés résistants avec leurs enfants pour s’exprimer et témoigner alors que les témoignages sont désormais facilités par leurs interventions dans les écoles et par-là même, auprès de leurs petits enfants et des jeunes générations. Autant de phénomènes qui ne sont pas irréversibles mais le temps est compté car les rangs des anciens s’éclaircissent d’années en années…
Un des intérêts de ce livre est aussi de présenter les rares images faites à l’hôtel Lutétia, peu montrées jusqu’à présent, émouvantes car faites à chaud. L’aspect physique des déportés et les expressions des visages émaciés nous informent beaucoup par les émotions contenues alors que sont en général privilégiées les images d’archives anglaises et américaines montrant les charniers. Les regards sont particulièrement poignants. Pupilles exorbitées, visages hagards de revenants en état de choc. Le livre comporte aussi un bilan exhaustif des travaux des médecins depuis 1945, souvent anciens déportés eux-mêmes, pour déterminer la nature particulière des pathologies inhérentes à la déportation, travaux utiles, entre autres, pour l’évaluation des taux d’invalidité et des pensions.
Ces travaux furent d’abord initiés par des médecins de l’Armée Américaine afin d’étudier les pathologies liées à la faim et aux conséquences psychiatriques liées à ces conditions particulières de détention, puis relayés avec brio par des français en 1954, les médecins Charles Richet et Antonin Mans (ancien déporté), avec la parution de leur somme Pathologie de la Déportation.
Espérons et souhaitons que cet ouvrage dont l’actualité est cruciale fasse bientôt l’objet d’une nouvelle publication ?
On notera au passage l’avance prise alors par les chercheurs américains qui ont vite compris l’importance capitale des connaissances qu’apportaient ces travaux pour les conflits et les catastrophes à venir. Retenons que si 70% des déportés survivants parmi ceux qui sont revenus, dont le taux de mortalité dans les années qui suivirent leur libération a été de 45%, soit la moitié des rapatriés, ont retrouvé une santé satisfaisante, les 30% restant ont tous un taux d’invalidité physique ou psychique important, qui s’accentue avec l’âge. Ceci en guise de conclusion, alors que le travail des historiens se poursuit, et pour appeler les familles de déportés résistants à la vigilance, à renforcer nos liens de fraternité. On ne peut donc que recommander la lecture du livre de Jean-Marc Dreyfus, qui en ce sens est un outil remarquable.


L’atelier…

La bise est ici revenue, coupante et sèche. Mais cela ne me déplaît pas. Installé à mon bureau, je travaille. Le lieu de mon atelier est le résumé de toute ma vie adulte et d'artiste. J'y ai tant et tant œuvré, tout a été fait dans ces 20 m2 ! Y compris les grandes sculptures. Il a subi plusieurs métamorphoses...
Lorsque j'y pénétrais pour la première fois, en 1984, un homme âgé y était mort. La saleté s'était solidifiée, la puanteur était bien réelle, le lit encore défait montrait l'obscénité de l'intimité du défunt. Reliefs de repas pétrifiés jaunes d’œufs collés comme un Spoerri poussiéreux. Des insectes douteux avaient élu domicile dans les lieux pour y faire bon ménage et créer leur colonie. Des hommes en blancs, masqués, sont venus, et ont désinfecté le lieu.
Je l'ai ensuite désossé entièrement pour le peindre de blanc, faire ressortir le rouge des tomettes datant du début 19° et rendre les fenêtres et la porte praticables.
En deux mois ce fut fait et je me suis mis au travail, jusqu'à aujourd'hui. Les seules interruptions furent celles de mon absence de conscience (et de présence) lors de mon épisode dépressif en 93, puis lors de l'enlisement toulonnais en 2002.
Le lieu ressemble désormais à un cabinet de travail plutôt cosy bien que spartiate, destiné à l'estampe, les petits objets et le travail de bureau, après avoir été un vrai atelier de peintre, plein comme une chaudière de cartons, de toiles, d'outils et d’œuvres de grands formats passant mal la porte. J'y suis bien.


Brasserie Lipp…

Ce matin, dans la rue, j'ai croisé Georges Noël, 81 ans ! Toujours pote. Il pense tout comme nous. Il en a marre des français : « Tu sais cela n'a pas changé depuis Louis 13 qui a inventé la Cour... » Une ambiance toute différente aux USA et surtout en Allemagne et en Suisse où sa cote est énorme... sauf ici, où il a juste un atelier. Immense. Il a un autre atelier à New York depuis 40 ans, donc les USA... il connaît !
Georges est lucide sur le marché français, il a connu Yves Klein très tôt, et sa notoriété s’est faite ensuite chez les Américains et les Allemands alors qu'ici on l'ignore à 100 %. Ce désamour avec la France (pour laquelle il a risqué sa vie en 1944) ne l’ont pas empêché pourtant de revenir y vivre ses dernières années. Ca m'a ému de voir Georges Noël ! Il est né un 25 décembre et moi un 27. Quand je le vois, avec sa gueule burinée je me vois moi plus tard. On se ressemble, y compris physiquement. Fraternité au-delà des âges...
Je me rends chez Jeannette Z dans l’après-midi, à deux pas de la brasserie Lipp. Appartement sous les toits, Jeannette est délicieuse. Elle m’expose ses travaux sur le paysage anthropomorphique, qui feront l’objet d’une exposition à Lille en mai. Elle apprécie beaucoup le pétale séché mauve que je lui offre, aussi séché que mon cœur dégouline… Attablé ensuite aux Deux-Magots où je relis Le paysan de Paris arrivent Maggy Wallace et Jacques Villeglé. La lumière est belle, je fais quelques clichés qui s’avèreront réussis. Discussion chaleureuse à bâtons rompus. Jacques est content. Il est (enfin) au MOMA. Nous évoquons Raymond, Roberto Peccolo, Georges Noël, l’éternelle frilosité et les erreurs répétées des français avec leurs artistes, nous plaisantons. Bientôt ce sera l’exposition de François Dufrêne à Brest… Maggy est en forme et tout à fait ravissante. 


Diploé…

Merveilleuse journée avant la torture cubaine des bars de nuit. Ils ne perdent rien pour attendre ! Le Louvre, le Palais-Royal (ces mots semblent surréalistes), le Nemours, le bar du Meurice, les Tuileries désertes sous la pluie fine, visite chez Raymond qui ressemble à Léautaud allongé dans son lit bonnet de laine de schtroumpf sur le crâne protégeant son fragile diploé. Je le lui dis, on se marre, puis on boit du Perrier, à son chevet je retrouve, dans l’intimité de la chambrette, le Raymond que j’aime, le compagnon, le complice, toujours plus comédien et facétieux au fur et à mesure que sa santé décline et le tient alité. Au Louvre je passe une journée de bonheur : celui d’apprendre et d’admirer. Les maîtres. Je songe aux futurs tags et graffitis sur le marbre de Carrare d’Alexandre et Diogène de Pierre Puget. Et je suis sûr que lorsqu’on en sera arrivé là, des hommes (politiques) diront : « Pourquoi-pas, au fond ? » Ils en sont capables...
Ainsi Hercule combattant Achéloüs transformé en serpent, du baron Bosio, ferait un merveilleux étendoir à linge…

Le NemoursA l’OrientalLa Civette, tous ces lieux m’aident à travailler, à me retrouver et oublier Cuba : soyons plutôt Cohiba ?
Bonheur à nouveau de ces instants où la lumière grisée si fine par temps de pluie imprègne nos pupilles, nos cellules, le fond de notre œil, notre cerveau, notre mémoire visuelle, tous nos pores, notre âme ouverte et soumise à la sensibilité de la lumière du monde. Cela nous ramène à Stieglitz, à ses images de New York sous la neige, si fines, les nus faits en 1918…
Le bar de l’hôtel Meurice, encore intact avant d’être calciné par les combats qui feront rage dans les grandes capitales occidentales d’ici peu, est un lieu d’une exquise sérénité, où plane l’ombre géniale de Dali, dans des raffinements qui eux aussi sont menacés de n’être plus que des spectres dans notre mémoire. L’adjoint au chef barman, Frédéric Despins, est d’une grande courtoisie. Il me recommande de revenir pour pouvoir photographier en paix sans compromettre la discrétion des clients du bar.


C’est curieux...

Ayant été éboueur (mon premier emploi) dans les années 1977 j’en conserve de forts souvenirs et notamment celui des odeurs de bennes, qui finissaient par s’imprégner dans nos vêtements, notre peau, même après la douche, odeur comme un moule, un cocon, un sarcophage. C’était l’été, puis ce fut l’automne. Cette odeur est identique et commune à toutes les ordures domestiques où que l’on se rende sur une décharge, mer d’ordures à ciel ouvert jusqu’à l’horizon, aux vagues de plusieurs mètres de haut, stratifiées, attaquées par des escadrilles de mouettes. Cette odeur je la retrouve à Paris en croisant les bennes d’éboueurs dans les petites rues... Les bennes se sont modernisées, soulever les bacs est mécanisé, les « ripeurs » sont habillés d’uniformes vert fluo, mais l’odeur est la même. Il doit en être de même pour celle des charniers, du fond des lieux et des âges.


Le temps perdu…

A ne pas enregistrer sa voix et ses propres commentaires devant les œuvres du Louvre et d’ailleurs depuis 30 ans. A ne pas dessiner 4h par jour devant les œuvres des Maîtres et les Antiques. A ne pas retravailler à l’atelier les notes prises, les croquis et les enregistrements. A ne pas modeler dans la glaise chaque jour pendant 10 ans d’après les Maîtres français du 17° et les Antiques.


Le temps retrouvé...

Avoir compris à l’approche de la 50° année de vie le peu de temps qu’il reste pour accomplir tout cela et récupérer chaque geste comme un grain d’or, chaque seconde comme un gramme d’or.

Hier le Louvre. De nouveau la peinture française. Pierre Puget, Jean de Goullons, Jean Dubois, Valentin de Boulogne, Franz Snyders, Joseph Lieferinxe (écoles du Nord), Joseph Vernet (ah ! Vernet), Le Brun, le grand Le Brun, Jean Jouvenet.
Photographié l’Annonciation de Bernardo Daddi, mon œuvre préférée depuis longtemps ainsi que La pêche miraculeuse de Jouvenet. Des éclairs de lumière dorée trouant des hernies de nuages gris zébrés de bleu outremer m’ont permis, parmi les touristes, de capter deux magnifiques vues de la cité et des eaux boueuses depuis le pont du Carrousel. Les dieux avaient créé l’éclairage !

Récupéré un catalogue des dessins de Marquet à la galerie Laurentin quai Voltaire où je trouve chez un bouquiniste les « Souvenirs sans fin » de ce cher André Salmon. En dévalant la rue du Bac dans les bourrasques et un ciel gris à la Philippe de Champaigne j’entre chez Fournier où sont présentées les premières œuvres d’Hantaï, Degottex. Jean Fournier est assis comme une statue étrusque à sa petite table de plastique, qui l’accompagne depuis les débuts de la galerie, face à Elodie, la grâce incarnée, ses nouvelles formes callipyges et ses petits escarpins lui vont si bien que j’en ressens un vertige, tous deux sont si studieux et charmants, dialoguant à voix basse dans le prieuré de la peinture. Ce sentiment me poursuit depuis des années, j'aime Elodie et n'ai jamais pu ou osé lui déclarer...




Je suis ému par Jean Fournier avec le sentiment de voir pour peut-être la dernière fois un des grands marchands du siècle dernier. Visage émacié, regard perdu et triste semblant voir l’au-delà. Il semble me reconnaître et en tout cas se lève pour me saluer, poignée de main douce et affaiblie, présence digne d’un grand de l’Eglise de l'Art, et je perçois au passage la récompense et la dîme d’un sourire éclatant d’Elodie, si jolie avec ses cheveux courts, heureuse avec naturel de me voir. C’est que nous jouons au chat et à la souris depuis si longtemps. Titubant pour retrouver la sortie sur l’épais coco je remonte vers les quais en marchant sur des œufs, le cœur chaviré, ivre comme un fauve en hiver carburant au calva entre deux croquis. En plus, je ne bois pas.


Les toilettes de Philippe Auguste…

Il y a un problème de taille dans la muséographie française. J’écarterais dans l’instant celui des choix architecturaux faits à Orsay ou au Louvre. Trop à dire et à médire. Il faut traiter le sujet des sanitaires, des aérations et des odeurs, de manière générale...  Je dirais aujourd’hui que le Louvre sent les pieds, le pet, les aisselles des milliers de badauds demi-abrutis qui sont là afin que l'Etat récupère leurs dix euros avec pour prétexte génial « la culture pour tous », ça, fallait y penser, il sent surtout les haleines fétides car les millions dépensés en ventilation sont insuffisants, c’est clair comme de l’eau de roche bien pure jaillissant d’une source des Pyrénées. Je me suis rendu (on y arrive!) deux jours de suite au pissoir à côté des vestiaires côté Richelieu, à quelques mètres de l'enceinte de Philippe Auguste. Un lieu de fort passage. 25 m2 maxi, en marbre datant des années 70 où tout est à l'avenant : panneaux crasseux, fers rouillés sous les lavabos et avec une panne ou une absence d'aération notoire faisant régner une odeur de merde comprimée (comme on peut faire de l'air comprimé) faisant penser aux chiottes d'un transport de troupes juste avant la bataille de Guadalcanal par 40° extérieurs et 50° dans le bateau chauffé à blanc ou celles d'un U-Boot devant Malte en plongée depuis 48 heures après que tout l'équipage ai eu la chiasse due à des conserves pas fraîches et impossibilité de faire surface à cause des mines anglaises ou encore l’atmosphère du fort de Vaux après une semaine d’enfermement pour des centaines d’hommes, vivants et morts, dans la promiscuité, l’obscurité, la misère. Acharnement aussi des nazis à laisser les déportés et parmi la multitude surtout les musulmans (déportés en phase terminale, se vidant entièrement avant de mourir, figés) patauger dans leur merde, sur place, afin de plonger l'humain dans le néant en le rendant à sa condition purement organique.
Sur 4 pissoirs seulement, alors que défile ici une foule considérable, 2 étaient hors-service 2 jours d'affilée. Aération nulle, on entre là dedans saisi à la gorge par une odeur qui pétrifie, l'accumulation des heures d'utilisation intensive aidant on est à saturation. Pourquoi un espace aussi restreint ? Aucune réponse.

Les chiottes d'un bâtiment comme le Louvre, au niveau réception sous la pyramide, avec un cahier des charges (et des décharges) aussi lourd, ça devrait être, au minimum, une batterie de 100 pissoirs alignés, propres, avec autant de cabines, bien éclairés, aérés, sans se bousculer avec ceux qui entrent et sortent. Eh bien non. Les Français ne savent pas faire... Manque d’espace ? Sans doute pas. D’argent ? Pas si sûr. Problème culturel plutôt. Au Prado, on pisse en sifflotant, aéré, clair, propre, normal. Pareil à Berlin, à Londres. A Paris non. Dégueulasse, pas entretenu, surtout défectueux. Je ne comprends pas.
Et à côté de ça des milliards pour des lampadaires en métal brossé, design, pour faire riche, des mises en scène grandiloquentes, du « Wilmotte » et du « Putman » en veux-tu-en-voilà. Manies de nouveaux riches. Je ressors du Louvre avec des hallucinations, des vertiges d'odeurs d'haleines, d'odeurs corporelles, et de chiottes dégueulasses.
Lorsque l’on emprunte la galerie de la peinture française au 3° étage, qui cerne la cours carrée, arrivé vers le début du 19° siècle, Ingres, David, après des centaines de mètres d’un dispositif se voulant ceci, se voulant cela, si l’on veut se soulager, il y a, comme partout dans le Louvre, des toilettes. Minuscules ! Non refaites ou mal refaites, peu pratiques, contrastant par leur dispositif médiocre avec le côté « m’as-tu vu » du Louvre actuel.
La vérité de tout ce phénomène ampoulé est là : dans les chiottes, soviétiques, délaissées, car l’on pense d’abord à paraître. Administration boursouflée, lourde, ayant perdu le sens des choses élémentaires et incapable de créer des conditions d’utilisation des locaux qui lui sont confiés de façon rationnelle. Usine à gaz, avec ou sans jeu de mot. Le pays des Droits de l'Homme, celui qui fait la leçon au monde entier ! Qui choisira un jour l’efficacité, la simplicité, l’hygiène, pour ensuite contempler et étudier les œuvres l’esprit clair et les entrailles soulagées sans interférences dues à un manque total d’esprit pratique ? Comme si l’on ne savait faire que compliqué, cher, sophistiqué mais peu pratique. Est-il si difficile de concevoir des sanitaires et des espaces de repos ou de restauration qui soient u.t.i.l.e.s en toute simplicité, ni plus ni moins ?
Seule la cafétéria, bien que pathétiquement sous dimensionnée, située à la mezzanine de la pyramide, semble remplir ces conditions : nourriture saine et de qualité, un bon éclairage, aucun délire décoratif, de la sobriété, pour aller ensuite dans les salles l’esprit clair et non pas bousillé par des odeurs de cantines et des WC qui empestent !
Ce n’est pas à Paris que l’on trouve cela à Madrid, New York, Londres, Berlin, Athènes, Pékin, Rome, partout ailleurs qu’à Paris, cela est possible. Ce n’est pas de M. Wilmotte dont nous avons besoin mais d’un type à l’esprit avant tout pratique.


Laurel et Hardy...

J’achève un article sur une charmante boutique de Montmartre tenue par une charmante personne. Cette même charmante personne souhaite que l’on retire la métaphore employant le terme « chevelure de sirène » à son propos tout en reconnaissant la grande qualité et les éloges sincères du même article. Le prétexte, suscité par l’ignorance, est que les sirènes seraient des prostituées de la mer, et donc l’expression entraîne chez l’intéressée (sic) : « un malaise profond. » Au fond je crois que l'on affronte mieux les vrais défis, où l'on doit mobiliser courage et ténacité pour des causes sérieuses, que les conneries totales produites par certaines personnes, qui sont sans importance, mais tellement agaçantes et aux conséquences incalculables, les imbéciles comme les enfants pouvant en effet déclencher des réactions en chaîne d'une proportion colossale, ce qui fait d'ailleurs le ressort du comique basé sur la logique de l'absurde, Stan Laurel et Oliver Hardy ont poussé très loin cela, Laurel, avec grand naturel, pouvant arriver dans une pièce et s'asseoir sur une chaise, désœuvré, et déclencher par paliers progressifs, à partir d'un minime détail, la destruction totale de la maison, voire du quartier, et n'en laisser que des ruines fumantes...
Chose qui s'est produite deux fois au 3, rue des Riaux, où j’ai mon atelier, l'immeuble ayant brûlé à deux reprises grâce aux abîmes insondables d'irresponsabilité des habitants de type cas sociaux, d'où mon extrême prudence désormais et mes activités de gendarme, d'ailleurs reconnues et acceptées par la majorité des locataires, n'ayant aucune envie de retrouver mes livres autographes et manuscrits en tas de cendres fumantes... Tout cela n'est rien face aux glaciers des Alpes, au saucisson à l'ail avec un verre de Côte du Rhône ou à la mer éternelle, celle de Baudelaire, avec ou sans sirènes, qu'on ne me parle plus de sirènes !



Le rossignol embastillé…

Quartier auquel je me suis habitué par obligation au point d'en aimer certains aspects, ceux au fond du vieux Paris, de l'Ancien Régime aux années 30, mais où je ne serais jamais chez moi, ce chez moi fantasmé se situant à Saint-Germain-des-Prés, que j'ai longtemps habité, et dont je me sentirais toujours exilé. Mais l'exil a du bon. Il permet de fantasmer justement, plaisir extraordinaire, et même de créer en réinventant les lieux (ou les personnes) en se les réappropriant par l'écriture, le prisme de la mémoire, le charbon de la chaudière qui réside sous le crâne des écrivains. Il fait un froid à couper au couteau, et le ciel est pur au-dessus des toits, un temps à trotter dans les paysages d'Ardèche ou les hauts plateaux de Valensole comme le capitaine Langlois, fontes pleines de cartouches et de petits cigares piémontais, le regard au loin sur les cimes enneigées et les épaules rentrées sous l'épais manteau noir réglementaire, une chapka de lapin noir sur la tête et les parements rouges des culottes marquant la silhouette. Ah, il fait un temps à lire au coin du feu, avec une vieille tourbe et du tabac !
17h. L'heure pour le capitaine Langlois, couvert de givre, son cheval au pas ployant l'échine sous les tourbillons de neige, de mettre le cap sur la lointaine mèche fumante d'un relais de poste, où retirer ses bottes devant l'âtre, et fumer un de ces petits cigares piémontais avec un grog brûlant en pensant pupilles dilatées à une certaine comtesse Pauline de Théus...


Hartung…

La tragédie sous-tend l’histoire de l’Art au XX° siècle. Hartung blessé et perdant une jambe devant Strasbourg, lui qui aimait tant observer les astres, la contemplation. Les Otages de Fautrier. Zoràn Music à Venise dessinant des fantômes rayés et leurs dépouilles, ceux de Dachau. L’abstraction qui relaie l’impossibilité de représenter, affronte le vide métaphysique. Sam Francis, Roy Lichtenstein, Samuel Fuller, fantassins ou médecins de l’US Army en Europe ou dans le Pacifique.
Chez les anciens, Masson marqué à vie par les tranchées, Braque gazé, Léger bien abîmé, Céline, Giono, Genevoix, Jünger, et tant d’autres pour qui il y aura un avant et un après, comme un arrêt de l’histoire, qui va déterminer la teneur des œuvres.
Il n’est rien de comparable dans la condition de fils de déporté avec celle des principaux intéressés dont on ne connaît qu'une partie des expériences, qui sont incommunicables.
Je songe à mon père, bien sûr, mais à tous ses camarades disparus depuis, que j'ai eu la chance de connaître, et qui pour certains avaient été encore plus marqués.
Je pense aussi à certains personnages du film de Claude Lanzmann, déportés raciaux, dont les témoignages sont un patrimoine inestimable, et surtout, à Esteban Téruel, le meilleur ami de mon père, un anarchiste espagnol, qui a été Sonderkommando.
Je l'ai connu. Et sa mémoire me guide et me remet sur les rails.
Il y a dans le milieu des déportés, toutes origines confondues, une fraternité de la misère qui est ésotérique et imperméable aux profanes que nous sommes, comme un secret impénétrable. Donc à chacun sa croix, sa conscience, et l'épreuve sera toujours d'être ce que l'on est, ni plus, mais pas moins. Je l'éprouve sans cesse plus dans ma vie d'adulte, de l'être en silence, en sachant que l'on ne sera pas compris, que certains engagements seront toujours mal compris. Il faut l’assumer. La véritable leçon de Madame Simone Veil, souvent interrogée en sa qualité de Présidente du Mémorial de la Shoah, n'est pas d'être une victime car elle n'a pas choisi de l'être. Sa grandeur c'est d'accepter et de choisir en conscience de traverser le miroir de l'ignorance et de l'incompréhension et de rester droite. C'est le cas pour tous ceux qui ont souffert, la liste est longue parmi les anciens combattants, au-delà des déportés, dont on ignore souvent la vraie nature des épreuves, et qui ne font que continuer après, dans la communication justement. On pourrait ajouter que les Narcht und Nebel et les résistants déportés, eux, avaient choisi leurs risques et les avaient assumés...

Primo Levi, lui, n'aura pas supporté cette épreuve. Elle a été au-dessus de ses forces.
Il ne doit pas être un exemple car il a eu tort en partie au regard de l’immense succès posthume de ses livres. Paix à son âme. Mais par un curieux retournement de situation qu'il était loin d'avoir anticipé, et encore moins prémédité, dans son cas il serait indigne de le supposer, sa disparition a ajouté un aspect dramatique et sacrificiel qui a participé à la construction du mythe qu'il incarne désormais : une référence internationale, une icône. Le destin des hommes est curieux. C’est qu’ils n'en sont pas complètement maîtres...
Mettre l'accent sur toutes les subtilités de notre propre parcours avec justesse, c'est en cela que l'on devient adulte. En ce qui me concerne, j'ai fait mes comptes, je suis et demeure un fils de déporté, à vie. Mais cette condition, avec la part de pathologie qu'elle comporte (sujet complexe), j'ai décidé de l'assumer pleinement, et de braver le ridicule, aux yeux de certains, en devenant un simple petit soldat de la mémoire, un simple porte drapeau, ma façon de dire à ceux qui restent et qui se savent condamnés par l'âge : « Ami, si tombes... » Une contribution qui peut sembler facile mais qui s'accompagne d'autres gestes, plus discrets bien sûr. Car la représentation, l'image, ce que l'on appelle avec toute la vulgarité de notre temps la « communication », est un terrain de combat, en acceptant de faire cette chose visible par tous, médiatique, et même assez théâtrale, on marque un signe fort et sans équivoque.
Le ridicule ne tue pas, contrairement à ce que pensent nos contemporains soucieux de paraître, soucieux d'image positive, de politiquement correct, toujours du côté des bien pensants, au chaud. Pas très bien vu chez les jeunes, et les moins jeunes, de porter un drapeau bleu, blanc, rouge. On a longtemps préféré, sans le dire bien sûr, un drapeau rouge tout court. Ce n'est pas mon cas. Au fond c'est tout simple ! Il faut être soi-même, à condition de savoir ce que l'on est. Et en faire la démonstration dans ses actes.


Le trésor…

Voilà 10 ans que dans mes cartons où dorment les trésors utiles pour construire de petites sculptures un morceau de plâtre se trouvait là, en forme de quart de voûte carrée. Pendant toutes ces années cet objet devait trouver sa destination mais c’est en vain que je l’ai, des centaines de fois, manipulé, observé, essayé de lui adapter un bout de ficelle, de bois, une crotte de lapin, tentatives inlassables mais vaines. L’objet avait toutes les qualités pour créer un signe fort, il contenait dans sa forme et sa matière les éléments qui me conviennent en général pour parvenir à force d’essais et de réflexion à ajuster une sculpture dotée de sens et d’équilibre. Mais c’est que pendant toutes ces années je voulais à tout prix, ignorant et aveugle, habiter, occuper le dessous de la voûte, comme pour marquer la notion d’abri, et je m’entêtais donc dans mon échec.
C’est hier, après des manipulations diverses sur l’armée des petites sculptures qui prolifèrent dans mon studio, que la solution est venue. Je touchais et caressais sans conviction ce débris en me disant que la chose était tentante mais qu’il faudrait pourtant renoncer, car insoluble.

Puis l’idée est venue, en douceur : pourquoi ne pas poser un objet, une boule de papier, mâché de grisaille, sur le rebord supérieur de la voûte, en équilibre ?
J’avais trouvé. Au lieu d’occuper le centre, l’abri protecteur, je m’étais mis en danger au bord du toit de l’abri, mais j’avais haussé ma vue, et donc mon esprit. Un modeste morceau de chêne, tenon récupéré dans une charpente du 18ème, simplement posé comme un outil abandonné sur une des parois intérieures de la « grotte » béante a suffit à animer un peu cet habitacle et parachever l’équilibre général. J’en tire la leçon qu’il faut du temps pour comprendre les choses les plus simples et qu’il est toujours utile d’élever sa vue, et 10 ans était la durée nécessaire pour accomplir ce geste, consistant à déplacer un morceau de papier de 4 cm. Juste un peu plus haut…
Ce matin en me réveillant, la récompense était là, l’objet était posé sur la banque où je travaille, semblant me dire : « je n’ai plus besoin de toi, j’existe maintenant, et ne me regarde pas de cet air de benêt étonné, va plutôt préparer ton petit-déjeuner ! »


La chienne…

Je suis bouleversé car les choses se bousculent dans mon esprit. Je viens de raccrocher mon téléphone après avoir échangé quelques paroles brèves avec papa, hospitalisé dans le service de psychiatrie de l’hôpital militaire Sainte Anne à Toulon, paroles brèves mais précises et chaleureuses et aimantes.
Cet appel fait suite au visionnage de La chienne de Jean Renoir en cette fin d’après-midi et d’après guerre. Le temps est froid et il neige un peu. La chienne est un chef-d’œuvre. Fenêtre dans la fenêtre, rapports étroits entre peinture et cinéma. Les cadrages, la lumière, sont parfaits, le son de même. Le jeu des acteurs est juste comme l’on dit d’un orchestre ou d’un piano qu’il est juste. La mise au point de la photo oscille entre des effets subtils et simples à la fois avec par moments de légères approximations qui ne rendent le résultat que plus touchant.
Et je songeais en regardant ce film à ce livre si beau, Mon père, toujours de Jean Renoir. Ce père dont on aperçoit une toile à la fin du film dans la vitrine d’un grand marchand alors que Michel Simon voit s’embarquer dans la voiture d’un collectionneur son propre autoportrait, qui le renvoie au passé, lorsqu’il était encore quelqu’un sans jamais avoir été lui-même…
Film troublant sur l’identité, le double, où se concentre aussi la critique sociale et la recherche de l’homme à l’état nu. Nudité de l’homme dans sa condition et l’abîme qu’il porte en lui, et dont l’idée qu’il se fait de lui-même va dépendre de l’histoire, de la broyeuse qu’est la guerre. Jean Renoir, lieutenant de cavalerie en 1914, était invalide d’une jambe, avec une légère claudication. Ce sens du cadrage, des arrières plans, des détails, comme cette mouche qui se balade sur le mur au moment où Michel Simon ouvre une porte sur le spectacle de sa maîtresse au lit avec son mac. Filtres de la pluie, des échafaudages, des contre-plongées, perspectives d’escaliers, de rues en pente.
Marquet est là tout comme Doisneau ou Brassaï. Géraniums aux fenêtres, linge bien plié dans l’armoire conjugale, oiseau picorant des miettes, guitariste bien cadré dans la scène de la Chanson des rues, un titre interprété par Jean Sablon, plus tard. Toutes ces émotions se superposent comme un trop plein.
Et ce film me ronge comme un venin opiacé, le sentiment aigu de la beauté, avec comme ressort souterrain l’obsession de la peinture, comme dans un rêve d’orient, une volute de fumée, fumées de cigarettes qui montent au ciel, « Dans la baie de Saigon… » Les paroles de la chanson Opium composée par Charlys, si bien photographiées dans ce film, ce qui ne nous éloigne guère d’Etienne jules Marey et ses chronophotographies de fumées précisément.
Renoir est aux confins de tout cela lorsqu’il met Michel Simon en scène tout comme Marquet savait d’un coup de pinceau et d’encre de Chine régler son compte à un passant, Bubu de Montparnasse par exemple ou à une passagère de la pluie courant après un autobus pour aller retrouver son amant ?


Privacy...

Une amie me précise avoir toujours appris les limites à ne pas dépasser à ses enfants en bas âge. Ses enfants non seulement ne doivent pas lui en vouloir mais doivent lui en être profondément reconnaissants au fond d'eux-mêmes et doivent agir de même avec les leur. Cela s'appelle l'Education. Et cela est valable avec tous les humains, grands et petits, toutes cultures confondues, le respect avant tout, et la discipline et les devoirs envers les autres ne sont pas des agressions injustes comme on veut nous le faire croire par démagogie, avec les résultats qui ravagent notre société de façon sournoise et insidieuse ou carrément horrible parfois, et dont hélas nous n'avons pas encore vu tous les effets, dont certains sont (et seront à moyen terme) d'une violence inouïe... Mais on a ce que l'on mérite.
Concernant la justice, il me semble que l'état de droit que nous vivons la préserve de trop d'indépendance et d'outrecuidance malgré, ça et là, quelques excès, notamment pour inculper certains politiques de façon lourde, comme pour les remettre à leur place ! Le problème, comme celui de l'administration, est politique, au sens strict et non pas commun ou vulgaire. Le droit et les institutions étant soumis aux processus politiques (en démocratie parlementaire tout au moins, sinon tout est soumis au bon vouloir du grand sachem... ou de l'Ayatollah) la déliquescence de notre V° république, paumée, de nos institutions, vivant sur leurs acquis (depuis 46 et 58), font que le problème est insoluble pour le moment, sans changement, ce qui ne peut se faire d'un coup de baguette magique ni en faisant une énième révolution, la pire des choses.
Et n'ayant pas fait Sciences-Po, je ne risque pas d'avoir la solution ! Je ne vous cache pas que de voir une famille où les adultes se taisent devant des enfants de 5 ans, me désole, et fait que je perds un peu de mon estime pour ces mêmes adultes, car ils se mettent à nu en montrant là des faiblesses pour lesquelles j'ai peu d'indulgence. Toujours est-il que c'est très embêtant. Ma retraite à la campagne n'est pas toujours si idéale que je veux bien le montrer dans mes mises en scènes bouffonnes et autres jolis paysages…


Le repos…

Mentir, inventer des raisons pour se dérober lorsque l’on est chez des personnes où la promiscuité et l’absence de privacy vous rend la vie insupportable. Et oui, ça je sais faire, je mens comme un arracheur de dents ! Comme tout le monde. Avec toujours (comme tout le monde ?) le goût amer du sentiment de mal faire, un malaise. Le problème c'est quand il faut tenir encore quelques jours (pour x raisons) sans pouvoir quitter les lieux tout de suite. Alors là, il faut des nerfs solides. Si cela se passe sur un bateau minuscule, que l'un a besoin de calme et que l'autre fait un bruit permanent, si l'un apprécie l'ordre et l'autre laisse traîner ses chaussettes sur les casseroles et entame le grand air du trouvère au moment où l'autre se plonge dans les pensées de Schopenhauer, eh bien ça finit par un bon coup de hache d'abordage dans le crâne, avec dépeçage du corps, soit pour le manger, soit pour en faire cadeau avec délice aux goélands et autres oiseaux criards qui virevoltent toujours autours des rafiots. Il y a pire dans la vie ! Mais je donnerais cher ici pour un peu de calme. Ce que je fais en général puisque ma vie de célibataire, vieille tante, artiste raté, ours mal léché lunatique et jaloux, toujours de sa privacy, me coûte très très cher : le calme et la solitude d'un bureau se paient au prix fort : carences affectives, frustrations diverses et variées, sentiment d'inutilité...

Le pire c'est que même là, le calme semble être un luxe impossible à atteindre, avec des voisins qui considèrent que leurs voisins (les Autres) n'existent pas et s'ils existent qu'ils n'ont qu'à s'écraser... quand ce n'est pas de leur part de la provocation pure et simple, par bêtise congénitale, par médiocrité. Sonos, hurlements, ivrogneries, bagarres, tout y passe. Vaste problème. « De quoi envahir la Pologne » dirait Wood Allen...
Bon je retourne à mon martyr domestique, les hurlements de ces adorables bambins auxquels rien n'est interdit font que je ne m'entends plus taper sur mon clavier...


S.O.E

Je rentre d'une grande vadrouille dans les chemins creux devant l'île de Bréhat. La tête bien aérée toute l'après-midi par les grands vents de la Manche et du Golf Stream, mais aussi par des pensées une fois de plus dirigées vers le passé, celui des années de guerre. J'aime approfondir les choses. De fil en aiguille et au fil de l'épée, un fil d'Ariane entre réalité et rêve, entre réalité et le monde trouble de l'inconscient, mes pensées s'organisent...
Lorsque l'on évoque le réseau Notre-Dame et le B.C.R.A (service dépendant des britanniques et leur S.O.E), lorsque l'on se remémore le personnage de Paul Meurisse dans L'armée des ombres (Kessel, Melville), lorsque l'on parcourt les entretiens sur le Général entre son fils Philippe, l'amiral, et Paul Tauriac, s'impose un nom : celui de Rémy.
Prénom plutôt, choisi par celui dont la pierre tombale, dans le minuscule cimetière de Kermouster, un rude bloc de granit, porte gravé celui de son véritable état civil : Gilbert Renault. Mais... s'agit-il bien de lui ? Modiano en ferait un best-seller si l'histoire n'était insaisissable, jamais totalement écrite, tout comme le mystérieux nom de Rémy (alias WatteauRaymondMorinBeauceRoulierJean-Luc, etc.) fut toute sa vie indéchiffrable pour l'ennemi, inavouable même (et surtout) pour les compagnons de combat, puis ensuite sans cesse et inlassablement obscur pour les faiseurs d'histoires. Justement... Un homme de l'ombre, maurrassien, membre de la Confrérie Notre-Dame (et producteur de cinéma avant-guerre), une des toute 1° organisation de résistance, qui a par son action et sa fidélité à la France Libre, infléchit le cours des évènements. Grandeur de l'anonymat ! Après m'être recueilli sur sa tombe quelques instants je suis allé ensuite voir la maison où il a finit ses jours et qui est aujourd'hui la propriété de Jean-François Revel, la villa Gwennva à Lanmodez, face à Bréhat. Là aussi on peut entrer dans la fiction : il y a-t-il eu un rapport entre Rémy et Revel, lequel, cela eut-il à voir avec les affaires de la France ? Poupées russes des interprétations possibles...

En tout cas, pour compléter cet examen, je vais lire ses mémoires, publiées en 47, tout en sachant qu'un personnage de cette trempe ne raconte que ce qu'il veut bien raconter... Pour vous dire aussi que les paysages sont magnifiques ici, on a envie de s'y installer ! On y trouve le calme, chose plus difficile à s'offrir dans le midi.
Le livre de Philippe de Gaulle regorge ainsi d'informations et de révélations sur toute sorte de gens et d'évènements. Bien que partial, venant d'un fils aimant son père jusqu'à la vénération, il mérite d'être lu, ma curiosité est satisfaite sur un certain nombre de détails, qui n'en sont pas en fait, sur la logistique, les conditions de vie et d'action au jour le jour en Angleterre et à Alger entre 1940 et 1944, sans compter la suite de l'épopée. On n'en ressort pas gaulliste, disons gaullien, car le personnage était fascinant, et bon écrivain.

Vincent D. a fait un rêve cette nuit dont j’étais le protagoniste. Il me le communique par téléphone. Je possède une tour miniature de 10 étages de style années 30, Bauhaus, avec escaliers extérieurs et baies vitrées sur chaque étage, un par fonction, atelier, studio spartiate, cellule de moine, atelier d’estampe, bureaux, archives etc. Il observe avec sa femme et sa fille, Diane, la tour qui décolle légèrement d’abord puis se met à léviter assez haut. A ce moment là je dis : « Faut que je fasse de l’essence ! » et la tour se repose doucement…


Tout va bien…

Réveillé à 5 h j'ai un peu travaillé, avalé deux tartines et me suis recouché, la tête lourde, encore besoin de plonger dans le sommeil... jusqu'à 10 h. Mauvais ça. Cela provient des troubles de voisinages récents (et anciens), pour lesquels j'ai écrit au Procureur... Carrément. Convocation ensuite dans un commissariat soviétoïde et reçu par un gentil policier, doux, attentionné, un peu apeuré (c'est la nouvelle génération) qui s'est caché comme un caniche derrière une montagne de dossiers remplissant les 4 mètres carrés d’un pseudo bureau et je devais me lever pour apercevoir ses yeux timides. Il devait manquer de sommeil car il piquait du nez. Visage bouffi et yeux rouges, une pâte, mais qui avait sans doute abusé du bambou (à mon avis, rapport aux yeux rouges aux pupilles un peu dilatées), ce qui se fait beaucoup chez les flics.
Après un entretien d'une courtoisie évasive comme la fumée sortant des toits du Vatican, il m'a raccompagné et affirmé que des enquêtes seraient faites mais que cela allait prendre beaucoup de temps. Moi, en pensant que cela prendrait 1000 ans au minimum, je lui ai répondu que je m'en doutais, et on s'est quittés presque amis, comme si en filigrane chacun souhaitait remercier l'autre de ce cours moment d'humanité dans un merdier généralisé. Je le plains.
Ce que je vis est difficile, avec mes maigres seaux d'eau pour calmer les sauvages, mais ce qu'il voit et entend doit l'être oh ! Combien davantage. Il doit gagner péniblement à peine plus de 1000 euros... Les dealers, eux, se promènent sous ses fenêtres dans des voitures de sport sono (raï ou reggae, au choix) à fond. De quoi rester philosophe, au fond. Et ce petit bureau saturé de dossiers comme dans une pièce de Tchékov. Il m'a presque fait de la peine... Quel destin aura ce type ?
En parlant de peine, je suis littéralement scié par la langue de Pierre Loti et sa façon d'avancer à pas lents mais sûrs dans des zones de notre esprit, de nos affects, avec un style fulgurant, sûr de son fait, de ce qu'il a à dire, en toute simplicité. Bouleversant par moments. Je veux parler du Livre de la pitié et de la mort. Il me faut la fameuse biographie sortie récemment. Visiter sa maison sera un plaisir mais devoir se limiter à 5000 caractères pour en rendre compte, un supplice chinois.

Je me vois très bien tressant des paniers dans un Carmel. J'ai toujours rêvé d'une vie monastique contemplative et à 20 ans j'avais la fibre très mystique. Sans en parler jamais je conserve cela au fond de moi. Je pêche depuis comme un cochon, un mécréant, un pauvre ère, et je trahis si souvent la parole divine… La volupté ! Ceci dit les saints ont tous étés d'abord de terribles pêcheurs, des débauchés, des paumés, qui au bout de cette route on trouvé une autre issue. Tous. Voir les illustrations que Pasolini en a données.


La bécasse...

Ma cheftaine en chef s'est pointée ce matin avec la photographe, mal fagotée, toujours cet air pas fini, pas sûr de soi, un peu puéril, voire lycéenne attardée, et a fait un petit cinéma sur des corrections à apporter à un article dont il ne ressortait aucun argument valable, juste pour marquer le ton du chef. C'était attendrissant, je la voyais venir de très loin, façon western quand le mec fait semblant de somnoler mais devine les malfaisants qui s’approchent. Question d’instinct. D’instinct animal...
Je suis resté calme, courtois, sombre et profond (Julio avant un concert), attentif, ne laissant rien montrer de mon léger agacement en acquiesçant à sa requête : j'observais. Cela n’est pas grave, mais confirme ce que je pense, cette fille se débat entre séduction et pouvoir mal assumé sur une patinoire de coups tordus, de vacheries et de vraies saloperies. Je la devine appréciant beaucoup mes textes mais étant par-là même gênée et entre deux sentiments : le montrer et perdre de l'autorité ou s'en éloigner et renoncer à l'attraction qui semble l'animer. Un vrai coup tordu. Ma solution : rester à distance, répondre oui à ses demandes, ne pas entrer dans le jeu.

Le problème c'est qu'elle guette mes regards pour voir si je suis attiré ou en tout cas sensible à son charme, et donc je dois faire des efforts hypocrites pour y répondre juste un peu, l’œil bienveillant, mais pas trop, afin de ne pas lui laisser croire que je suis chauffé à blanc. Voilà les pièges féminins !
Moins délicat que la chasse à la bécasse, qui, maligne, vole en zig zag (sentant les cimes des pins, hum que c'est bon) et que l'on doit prendre par anticipation, mais tordu quand même. Des histoires et des imbroglios par camions, leur gasoil, leur carburant, leur vice... Il faut que je reste à ma place, sans plus, et m'impliquer le moins possible.
A condition qu'elles (avec la photographe, même style baba immature et arrogant) ne considèrent pas, comme les enfants, que si on ne joue pas avec eux c'est que l'on est contre eux ! Ces filles babas attardées et qui veulent se montrer libérées, émancipées en apparence, en apparence seulement, m'ennuient, toutes divorcées à 30 ans avec un enfant, elles me font penser à ce qu'elles redoutent et détestent le plus : de vieilles bigotes ou des concierges au fond coincées... Sortes de perroquets femelles radotant, aux idées éculées...


Emmuré

C’est simple il faut inventer sa vie, formidable liberté qui nous est possible, même au fin d'un trou. La vraie vie n'étant pas dans les contraintes et l'ordre social mais dans la conscience de cette liberté. C'est le cas des poètes, artistes, et mystiques. Ils ne peuvent s'ennuyer, le temps paraît trop court pour arriver à juguler, canaliser tout ce qu'il y a à faire pour être à l'unisson avec la beauté du seul fait d'être en vie ! Et de le célébrer leur façon... Même (surtout) Maximilien Kolbe (il est là, tapi dans ma conscience) est libre, super libre et créatif lorsqu'il dit en substance en agissant : je prends sa place, je meurs à sa place, pour mourir emmuré. Mystère ! Ne pas savoir cela équivaut à croupir dans l'ennui, à se traîner jusqu'à la fin, sans joie véritable, insatisfait. Au fond c'est fastoche. En réalité ça ne l'est pas car nous sommes limités par nos corps, nos maux, la pesante machine de notre être qui chaque jour nous dit : j'en ai marre, j'ai mal là, je suis triste, c'est trop dur.


Check Up

Je n'ai rien à dire. Absolument rien. La ville et les villois m'insupportent, la Crète m'obsède parce que j'y ai ressenti un bien être que j'ignorais depuis longtemps, pas si éloigné de ce que l'on ressent en haut du Mont Caume, seul, en hiver, comme Angelo Pardi sur son cheval courbant l'échine dans les bourrasques, et la seule idée à laquelle je me raccroche c'est de me remettre à faire mes trucs artistiques, et notamment la peinture, toujours remise à plus tard, ce qui me torture et devient obsédant. Mais l'incertitude du lendemain domine tout, j'ai ainsi appris ce matin que j'étais interdit bancaire pour un écart de 3 jours pour l'encaissement d'un chèque...


J'ai réussi à déclencher des contres mesures qui devraient m'en faire sortir d'ici peu, ce qui me chagrine le plus c'est la lourdeur teintée de grossièreté de la directrice d'agence avec son accent du midi bien vulgaire et ses attaques hypocrites pour avouer finalement qu'ils auraient pu me prévenir par un coup de fil au lieu de me traiter comme un criminel. Leur vie avec piscine, enfants drogués, 4x4 et cuisine à frises pseudo provençales cul-cul et barbecue avec machins trucs me donne envie de dégueuler. Je conchie les Toulonnais... Je voudrais arriver à atteindre l'impossible dans l'immédiat : vivre des rentes que me laisseraient les galeries après avoir fourgué mes machins (ils ne laissent que des miettes mais ça fait rien) et me planquer pour travailler dans une bicoque de Crète ou des Baléares comme certains peintres qui eux se portent mieux. Me barrer quoi, au calme. Mais ne soyons pas chagrin, il faut faire avec tout ça...
Descartes a fait un songe qui lui a indiqué la voie de ses idées lorsqu'il était quelque part en Hollande ? Hum... il faudrait vérifier ça, Raymond Hains connaît ça par cœur mais je n'ai pas envie de l'appeler, il me fait peur maintenant, Cet homme est dangereux (titre d'un décollage des années 60 ) et puis ayant entrepris un check-up (je suis quasi-sûr de mourir d'une crise cardiaque ou d'un cancer déclenchés par mon fort taux de stress, alors je cours les médecins, les radios, les collos, les écos, les biolos, etc.) les 1° examens ont montré que j'avais trop de cholestérol et qu’il fallait arrêter les gâteaux, les alcools, tout ce qui est bon, voire très très bon, hyper bon, et dont j'ai abusé avec tant de volupté, depuis tant d'années. Il faut dire que j'ai bien profité de la vie mais que j'aimerais bien vivre encore et encore et en jouir encore et encore et que donc il faudrait penser à se calmer, et marcher, et faire du sport, et donc calmer aussi les repas pantagruéliques et les virées avec Raymond Hains me font peur désormais, je le soupçonne de m'avoir coulé à force de vin blanc, de nuitées au restaurant, de foie gras et j'en deviens parano, ce qui me tue c'est d'avoir peur de mourir, alors fini la tortore, le gras double, les cailles à la crème sur canapé, les milles feuilles, et : doucement sur les cigares et le tabac (m'a dit ce bon toubib breton aux yeux de chien perdu), faut maigrir, vous êtes limite obèse, ce qui n'est pas encore alarmant mais pourrait le devenir au 1° petit-salé-huîtres-lardons-Coulommiers-Meursault-profiteroles, alors attention à pas finir au bd des allongés... Je ! Je ! Je ! Notre ego est lassant...


Candie

La contemplation n'est valable que lorsqu'elle est inscrite dans le temps, la lenteur, l'étirement du temps, sans idée de spectacle ponctuel et attendu, le corps vivant à son rythme sans que les idées de performance s'en mêlent, ce qui nous rend agités et donc nous met en danger. Chut ! Ne bougons plus, arrêtons tout, le rythme infernal et les remords et les désirs de châteaux en Espagne et les fantasmes, laissons aller, au mieux un air de Sirtaki ou une complainte de Billy Holiday, comme celle qui montait d'une boutique de bijoux de La Canée, l'ancienne Candie... Une Crétoise ou un Crétois ne se posent pas la question comme ça : ils s'assoient sur une chaise et ils regardent passer les voitures, à l'ombre. Subtiles et mystérieuses vertus de la contemplation. Ils bavardent un peu avec l'un ou l'une, car il est important d'être socialisé un minimum, et voilà. Ils mangent bien, dorment très bien, tout leur soûl, et regardent le paysage.
S’asseoir sur une chaise devant chez soi, sous un parasol, et attendre, en regardant qui passe, mais il faut que de temps en temps une voisine ou un voisin fasse de même et que vous causiez un peu pour rompre la monotonie de vos pensées, de toute façon l'idée même de monotonie est absente.
Se demander pourquoi on vit est bizarre, on vit, pour continuer à voir le paysage, si beau, magnifique, écouter les grillons le soir, regarder passer les autres ou les chèvres, boire un verre d'ouzo glacé, contempler ses chaussures, regarder voler une mouche, et comme thérapie : faire tourner son komboloï, c'est à dire une sorte de très joli chapelet qui fait un bruit mat, avec pompon, ce qui rend la contemplation élégante et non-inerte.
Si on ajoute à cela l'action de préparer ses repas, l'entretien courant de sa personne et de sa maison : voilà, le compte est bon ! Ca suffit amplement et c'est déjà énorme. Un gros avantage : les crétois ne se doutent pas de l'existence de Freud, Jean-Paul Sartre, Jacques Lacan, Achille Zavatta, ni même Groucho Marx. Car ce n'est pas indispensable. Ces réflexions sont sottes ? Peut-être, mais bon, ça a l'air de marcher, et à chaque fois que je retrouve l'équilibre et le vide de l'esprit, vide des mauvaises pensées et prêt à s'emplir de la respiration du monde, ouvert sur le monde, eh bien cet état ressemble à cela...
Une inquiétude : pas si facile d'y parvenir, plus difficile que cela en a l'air, et cela m'arrive moins souvent qu'auparavant, alors que c'est dans cet état de vide et de contemplation et d'observation, d'abandon de soi mêlé de vigilance sur le monde malgré des moments de somnolences inévitables, que l'inspiration prend naissance comme une érection mentale.


Ce qui brille

Je suis nulle part, ou plutôt incapable de donner ma position. Je bricole avec un ami, rien de notoire, j'essaie de passer entre les gouttes. J'essaie de retrouver le Colosse de Maroussis, un bon livre, mais en Poche la couverture n'est pas jolie, alors... Dire que j'avais une édition ancienne revendue bêtement pour boucher un trou comme tant et tant d'autres livres que je regrette bien sûr. Non, rien, vraiment... Les idées d'autodépréciation, de culpabilité, de vacuité, et tout le pack qui va avec, bref la petite musique du dépressif borderline, sont largement compensées par l'obsession majeure : mes travaux artistiques et un refuge possible en Crète. Les choses artistiques travaillent sur l'émotion, une chose très subtile, que même la photo, assez froide, et le cinéma, qui sont des techniques froides, essayent de transcrire sans jamais rivaliser vraiment avec le langage parlé, la peinture, le dessin, l'écriture, la musique et la chanson en direct, en live. L'émotion ! Voilà ce qui nous rend étrangers aux autres, tous les autres, qui restent de l'autre côté, qui vivent les émotions mais ne savent pas y toucher, les travailler, oser affiner ça, bricoler ça.
Céline en parle très bien dans « Les entretiens avec le Professeur Y. » D'où la solitude existentielle et douloureuse de l'écrivain, de l'artiste de manière générale. Ce qui fait que souvent ça tourne au tragique... Parler de soi provoque au bout d'un moment l'écœurement...
Je reste sur mon rêve, mon Espagne à moi : essayer de reprendre, de poursuivre mon travail même si la vie, actuellement, ne me laisse d'autre choix que les petits boulots. Ainsi de prochains travaux prévus à Ramatuelle.
Ce matin nous allons faire estimer chez Christie's une œuvre d'Appel, j'emmènerais un petit Sylvie Fleury, coqueluche de l'Art Contemporain snob-international-mondain-people-jet set que j'avais connue à ses débuts quand elle a commencé à sortir avec Armleder, héritier de l'hôtel Richemond à Genève, nous intervenions alors sur la Foire de Bâle, finissant le boulot dans les boites où croisait le gratin, et moi, pauvre con, qui m'intéressais à tout ce qui brille... au point d'acquérir un multiple de Sylvie Fleury pour le revendre ensuite chez Artcurial. Mais faut que j'y aille : ouille !


On nage...

Le regard fier du marchand de journaux Ali Akbar, lorsque je lui ai demandé de faire un portrait de lui. Dans la seconde il s'est tendu, tendu devant les autres, devant l’œil, comme on se tend et on insulte un peloton d'exécution. C'est un personnage ! Venu du Pakistan il y a 32 ans, il vend Le Monde depuis tout ce temps, exclusivement et dès sa sortie, à la terrasse des cafés de Saint-Germain-des-Prés. Je l'ai vu dès mon arrivée à Paris il y a... 30 ans. Et depuis, il est toujours là, dynamique, avec un style inimitable pour lancer à la cantonade « Le Monde, Le Monde », une énergie inchangée. Il a plutôt bien réussi puisqu'il a famille, pavillon en banlieue et jouit d'un certain confort désormais, il fait partie intégrante de ce carré intello chic qu'est Saint-Germain. Mais il est triste. Le monde l'attriste...
Et il l'a écrit puisque ses aventures quotidiennes dans le quartier lui ont permis de trouver un éditeur (ils sont tous là, à lui acheter leur canard). Quelle dégaine et quelle énergie ! Triste, mais fier, et j'ai aimé son regard tendu, comme celui d'un combattant. C'est la 1e fois que je lui parlais en 30 ans, et stoppé pour un cliché.
10 h du matin.
La chaleur est déjà intense au-dessus des toits, il fera 30 et plus tout à l'heure, alors j'en profite pour écrire toutes fenêtres ouvertes, encore groggy par les travaux d'hier et les hurlements des jeunes qui viennent se saouler au bar en bas, futurs chômeurs, déjà très cons (vociférations des portables), et dépenser le fric des parents.
Canicule ! Giono, au début du Hussard sur le toit décrit bien cette curiosité de la nature, le soleil haut, de feu, de plâtre, la suffocation, l'impossibilité de se rafraîchir vraiment, une ambiance dramatique, qu'il utilise pour créer une réflexion métaphysique. Camus agit ainsi aussi ?
Hier, en déambulant (toujours dans Saint-Germain) j'ai acheté un livre d'A.D.G, enfin, c'est rare d'en trouver, on dirait qu'il est censuré. Ce n'est pas impossible, car on sait bien qu'il suffit de faire semblant de ne plus avoir un livre alors qu'on a, en fait, décidé de ne pas le vendre, bel exemple de tolérance. Ca s'appelle : « Pour venger pépère », et ça n'a pas l'air mal, pas génial, mais avec de belles figures de style, et parfois des trouvailles, des phrases qui sont des bijoux. Je suis en nage. Ne plus bouger !

Ah ! Que j'aimerais naviguer sur les eaux de la rade dans le soir qui tombe et les reflets vermeils sur les coques ! Paris sent les pieds et les rats. Ah ! La brise si douce sur les joues de la bien-aimée ! Ici règnent les shorts. Ah ! Les monts embrumés par la chaleur, près à s'embraser ! Ici les tôles des bagnoles achetées à crédit rentrent dans les chairs putrides. Ah ! Ici et là le roulis chavire nos cœurs sur une mer de Chine ! Les voitures du métro roulent des yeux de poissons morts...


Gigot à volonté

Raymond veut me voir, ainsi « les choses vont avancer », et puis « on ira au Gigot à volonté. » Le bougre sait comment m’appâter, mais bon, où est le piège ? L’amitié est un long chemin dont il faut cultiver les abords, jeter les mauvaises herbes, sinon le chemin disparaît, on se retrouve seul au milieu des ronces. Alors cultivons.


Madame Chrysanthème

Je ne sais pas pourquoi, mais revenant de Crète et aimant le maquis méditerranéen, je reviens toujours en rêve aux fins d’après-midi en mer de Chine, allongé sur la natte de l’entrepont d’une jonque, reflets dorés qui miroitent en suivant le clapotis de l’eau sur les coques alentour, scintillent sur les parois des compartiments de bois du plafond, et cela me ramène sans cesse aux meubles de bois bruns et aux dragons de cuivre dans l’appartement de mon parrain, tout un bric à braque très élégant et mystérieux issu de la Chine des Empereurs (les photographies de têtes coupées m’impressionnaient beaucoup), du sac du palais d’été, ramenés dans une malle de métal laqué noir aux ferrures de cuivre achetée à New York pendant la Grande Guerre et dont j’ai hérité, parrain étant saxophone ténor dans l’orchestre de la flotte et accompagnant les amiraux et autres ambassadeurs jusqu’au fin fond de la Chine ; ambiances qui ont été mises en scène dans La canonnière du Yang Tsé Kyang, ou alors à un film vu enfant à la télévision (alors en noir et blanc), où il était question d’autres enfants partant pour la Chine sur un tapis volant pour atterrir en douceur au bord de la cité interdite, là aussi dans une lumière de miel et la douceur du soir, les ombres projetées par les toits laqués rouges et dorés, il suffit pour cela que j’entrouvre la première page de Madame Chrysanthème, assis ou accoudé au comptoir de cuivre du café ou la préface d’Antoine Blondin aux Poèmes de Verlaine où la perfection du style cisèle l’esprit même de Verlaine comme l’ivoire est ciselée par l'artisan...
Toujours ces reflets dorés qui dansent, la lumière pénétrant par les stores et zébrant les parois du berceau d’un enfant qui joue avec ses mains, le monde étant pour lui limité aux effets de lumière de la chambre où il est né ; adulte, cette émotion est toujours la même lorsque le soleil est oblique sur les darses où dorment abruties de chaleur les coques grises des grands navires de guerre…



Choléra

La soi-disant fête de la musique… L’enfer de Lang ! La banlieue est descendue, au bord de l'émeute, façon tribune de supporters de foot, avec trompettes, rap et techno bas de gamme diffusés sonos à fond, hurlements hystériques, jets de bouteilles, j'ai dû me faufiler vers 1h du matin pour atteindre ma porte dans les odeurs d'aisselles des blacks hirsutes haineux en survêt nylon, regards hallucinés, dans un brouillard de shit, j'ai vu cette nuit là, comme l'an dernier, le visage de la barbarie moderne, et tremblé à ce que cette émeute pourrait donner lorsque la guerre civile éclatera.


Un vieux con

C'est fou comme l'Opéra et le Classique élèvent l'âme et emplissent le cœur de joie et l'esprit de lumière. Lumières ! Si en plus l'on contemple les étoiles par une nuit dégagée, notre passage sur terre est à son comble. Je me réjouis d'autant plus que je suis depuis trop longtemps crucifié jusqu'à l'os (malgré mes Quiès et mon casque de tir) par les charmes nocturnes des tam-tams (en matière d'exotisme j'ai une prédilection pour le centre Europe et la musique tyrolienne, si possible interprétée par Miles Davis), « bom-boum-baba-boum, bom-boum-baba-boum, bom-boum-baba-boum », accompagnés de cris gutturaux (ce sont des formes d’expression plus proches du massacre du tympan que du sacre du printemps : Eric Satie avait-il le début d'une idée de ce que la modernité allait nous réserver ?) qui mettent mes nerfs à vifs et mon moral à zéro devant la mélasse contemporaine. J'allais oublier les milliers de : « Allo... t'es où ? » qui résument, sous mes fenêtres, le paysage mental de ce que l'on nomme pudiquement les jeunes, catégorie à laquelle je me réjouis chaque seconde de ne pas appartenir, préférant, et de loin, me ranger peu à peu mais sûrement dans celle des vieux cons, ce que j'assume bien volontiers avec joie et soulagement par contraste, par hygiène.
Une chose connue : être comblé par la musique et l'immensité de la voûte céleste. Harmonie ! Au sens propre et figuré ! Ah ! Les marronniers du Luxembourg ! Ah ! Ordre et harmonie de Delphes, l'esprit transcendant la maââtière ! Ah ! Bach ! Ah ! Môôzârt ! Ah ! Ah ! Macarons et rubans en ribambelles, belles dans les jardins, colin-maillard au printemps dans les bosquets, jambon à l'os sur robes de satin étendues sous les frondaisons de la Malmaison, sabres posés dans l'herbe grasse avant de trousser bien à fond la jouvencelle. Musique de chambre ! Plein air ! Fenêtres ouvertes sur les plans d'eau des jardins à la française ! Ah ! Génie classique ! Amours ! Un papillon se pose sur une épaule ! Vins fins ! Et c'est le papillon qui s'envole ! Que la belle est jolie ! Délires.
Mais c'est que je m'ennuie tant et tant, rongé par le cafard noir embastillé par les tam-tams, cerveau vrillé par les frites écrasées et les « T'as pas cent balles », glissant sur les crachats entre deux « Je vais niquer la meuf. » C'est décidé ! Je dois m'évader ! Fuir, partir, pour mieux retrouver mes esprits ! Palais Royal ! Tuileries ? Mirage...
La robe d’un colibri. Décidément cela ne s’arrange pas… Un vieux con je vous dis.


Fred Astaire

Il se trouve que ce matin, bourré de médicaments, je suis allé faire ma lessive et j'ai rencontré Georges Noël, toujours et encore, le peintre, né en 1924, et il m'a invité dans ses immenses ateliers (3 niveaux). On est des vrais amis et on parle le même langage. Lui aussi a vécu, son épouse est Margit Rowell, conservatrice au MOMA. Ils ont eût 2 filles, mariées, plusieurs petits enfants, etc. Il est comblé.
Mais il vit seul, sans être pour autant isolé et travaille comme un fou, semble rajeunir de jours en jour et me donne à chaque fois une leçon de vie et de courage. Je l'aime ! Nous avons commenté le passé, ses débuts chez Facchetti en 57, la guerre, les femmes (il a été parfaitement opérationnel sur le plan sexuel jusqu'à 75 ans me révèle-t-il avec fierté), regardé sa collection d'objets eskimos et africains. Avons parlé de Fred Astaire et notre goût commun pour la danse.
Bref, c'était épatant, je ressors à chaque fois ragaillardi de mes visite chez Georges, on se marre, on parle peinture, métaphysique, solitude, destin, tout y passe. Et pourtant il est à la fin de sa vie. Et puis, il m'a offert un tableau. Je suis resté sans voix. Il m'a dit : « Toi, tu le mérites. » Alors je lui ai donné mon couteau suisse (c'est un pyrénéen, ils aiment les couteaux car ils sont tous un peu bergers sur les bords), et lui, alors il m'a donné un ancien couteau portugais, très effilé, sans doute du 19°...


Longue phrase particulièrement réussie si on la relit tranquillement
A Luca Venturi. Ta mission : achever cet ouvrage éternel et le dédier à la mémoire de Mimmo, dans une formidable apothéose publicitaire dont il aurait éjaculé de joie, gravant dans le marbre son œuvre érotique sulfureuse (sans être scrofuleuse), chaque goutte de semence de l'or liquide du Maître devant être fondue dans le bronze comme un glaive ou l'aile Art Nouveau d'un bouchon de réservoir de Rolls, Victoire de Samothrace de l'ego de Mimmo, petit enfant de Calabre rageur, rêveur et pudique, errant à Midi le juste dans les rues de Catanzaro noyées par un soleil de plomb fondu, cachant son âme d'Annunzienne délicate comme un pistil de Lalique ou la jarretelle d'une pute hongroise fumant des Chesterfield au bar du Lutétia, les lèvres humides de Bloody Mary, et amené à accomplir un jour la légende, le destin d'un précoce Empereur de l'art Contemporain, véritable Bucéphale pulvérisant sur les abeilles de la moquette-tatami du Negresco les médiocres pasticheurs du passé comme des ectoplasmes, pissant d'un jet puissant sur la gueule des critiques pâmés devant son génie dans les escaliers de l'hôtel Chelsea, et, mangeant en grand seigneur des spaghettis à la tomate De Monte, dans un p'tit hôtel de Cortina d'Ampezzo tel Buster Keaton bouffant la chatte de Marylin sans sourciller, le regard lointain et ramenant sa mèche sur le côté comme un coiffeur romain, un doigt enfoncé dans son cul (celui de Marylin) au son de la mandoline des bersaglieris de la besogne picturale : il dirige il ordonne, il décide, il exige dans l'urgence et le calme Olympien des vrais chefs (tel Karayan conduisant d'un doigt sa Spider rouge aux chevaux rugissants sous le capot), lui, le capo du décollage et de la baise mondaine et champêtre, rejoignant dans la gloire son maître et éternel ami, piazza di Spagna, lieu où il fût rattrapé par les gendarmes à bicornes noirs pour être foutu en taule à Regina Coeli avec le grand Mario Gallone, rejoignant donc, disais-je, son maître et ami, je veux parler, une fois de plus, comment en douter une seule milliseconde, du grand : Giorgio de Chirico.
A la chasse, le fauve est seul devant son destin, le danger et le risque. Mais dans le temple du génie, les maîtres sont réunis !


Le banquier

Eh! Doucement... ne crions pas victoire. Pas du tout. Le banquier m'a reçu pendant une heure, assez adouci par l'appel du cabinet d'avocats L. & P., Montréal, Toronto, Paris, Genève, il ne doit pas comprendre qui est ce mec qui arrive à trouver de tels appuis. Il a fait des calculs très pointus, et étudié comment sortir de la merde. Car rien n'est gagné. Disons pour le paraphraser que l' « on revient de loin. » Pendant ce temps là, moi, j'étudiais son visage car les chiffres ne m'ont jamais intéressé...

Il n'est pas méchant, pour sûr, il me l'a même dit. Chose qu'il n'aurait jamais cru bon de préciser sans l'appel sibyllin de la charmante voix émanant du mystérieux mais puissant cabinet L. & P. Sa tête est ronde et charnue comme une tête de cochon sur un plateau à la vitrine d'un charcutier, dans la grisaille des corons, dans les années trente, par un jour de pluie bien froid, où la femme tuberculeuse et enceinte d'un mineur, ouvre la porte sous le bruit caractéristique du grelot, pour venir acheter un peu de mou pour le chat, et de bœuf bouilli pour accommoder les patates quotidiennes, déjà chargée de lourdes bouteilles de vin rouge grossissant son filet à provision mal raccommodé, tête exposée en majesté sur un plateau donc, avec un peu de sang séché autour, un brin de persil fané et une mouche qui virevolte.
Simenon est là, sur le trottoir, de l'autre côté de la rue, il sort de l'estaminet tout proche où il s'est requinqué avec un Quinquina, il bourre sa pipe sans quitter des yeux la pauvre femme aux mains rougies par les lessives, essaye de chasser de son esprit toutes les Amazonies et les forêts vierges et les mirages et les fêtes foraines de chair et de dentelles et d'aisselles, sans compter les gros seins chauds de Nina la blonde que sa visite à La lanterne Rouge, dans quelque instant lui procurera. Non, il se concentre. La lumière blafarde dans la charcuterie et la légère buée sur la vitrine : il sait. Dans quelques minutes, une heure au plus tard, la femme sera morte, le mari anéanti, la police plus que perplexe…
Il tient là son prochain roman. Cela mérite et justifie La lanterne Rouge, et puis juste après un bon bock Chez Dédé, peut-être une carbonade flamande bien chaude, en suçotant sa pipe : inutile de prendre des notes, tout se construit déjà dans sa tête, là, sur ce trottoir détrempé, il relève le col de son manteau en chevron de laine, lisse le bord de son chapeau. Plus loin luit une lanterne...
Eh ! bien sa tête ressemble à celle du cochon. De larges lèvres boursouflées, propret, précis, courtois, un grand dadais pas bête, et qui a plutôt bien réussi, bien noté, à coup sûr. Grand, costaud, lourdaud plutôt, avec une sorte d'expression précieuse un peu en dessous : j'aperçois l'espace d'un instant le poitrail musclé d'une statue de centaure de la Grèce ancienne ornant un angle de son écran d'ordinateur, et je me dis qu'après tout mon grand dadais qui se défend si bien serait peut-être bien adepte des jeux de cache-cache dans les jardins publics...
Un bon garçon, intraitable, sans état d'âme si ce n'est celui de poursuivre son avancement dans la perspective délicieusement jouissive des petites joies sado-masochistes que procure à l'infini le jeu du chat et de la souris avec le client un peu sournois, cherchant à duper son sens aigu de l'avancement, du résultat, de la gestion suprême : la carrière. Je l'aimais. Là, à sa merci, je décidais de l'aimer. Cette tête de veau, lisse, raie sur le côté, je décidais de l'adopter, de me fondre dans sa logique, suivant les moindres méandres de ses raisonnements chiffrés, prospectives de budget, résultats sur échéances, possibilité d'amortissements, carré de l'hypoténuse, peu importe, tout me va. Ce faisant, à la fin de ce long et pesant entretien sur un fil aiguisé, sans filet, à terrain découvert, pelé même, de plus en plus mielleux et charmeur, il m'a brillamment exposé les avantages procurés par le fait de contracter une assurance contre les doigts pris dans une porte, les préjudices moraux, le rhume mal guéri, les moindres interstices de risques non pris en charge par la concurrence...
Je compris immédiatement avec mon cerveau reptilien doué d'une intuition sans faille combien mon acquiescement serait pour la chimie de ce cerveau numérisé mais sexué une micro jouissance de plus, comme un goût de victoire, ayant bouclé la panoplie des petites humiliations qu'il me distille maintenant depuis le jour où il tombé sur moi comme une mouche sur un camembert : le bon client, fragilisé, hors norme, aussi curieux pour cet esprit banlieusard et inculte que les parties génitales d'une grenouille sous le microscope de Jean Rostand, ou un germe de pourriture de mie de pain dans un bocal du laboratoire de Pasteur, avec de la neige sur Paris au dehors, pour créer l'ambiance.
Je quittais la moquette de mauvais goût, le métal brossé, les plastiques crasseux et les panneaux obscènes vantant les mérites des taux d'emprunts pour l'achat d'une Citroën de l'agence Saint-Germain pour retrouver la fraîcheur du boulevard, passer devant la demeure de Guillaume Apollinaire, et aller fumer ma pipe au Rouquet, en regardant les passants, et les ellipses décrites par la chute des feuilles mortes. « Il pleut dans mon cœur comme il pleut sur la ville... »
J'avais gagné. La tête de veau, sans me le montrer un seul instant, avait cependant pris en pleine poire l'appel courtois mais ferme du prestigieux cabinet L. & P., et se tenait à cette heure, à n'en pas douter, dans ses petits souliers (en solde), se disant qu'après tout ce Didier Hays méritait bien un peu de clémence, de patience, un peu d'attention.





Sombrero...

Une vraie romance à la Joël Séria. Kitch, dérisoire et bandante. Je viens juste de quitter mon sombrero, mon fouet, et mes bottes de vacher avec éperons qui piquent. C'est qu'elle en veut cette grosse vache. Je l’ai rencontrée au Chantilly où il y avait la fête des 100 ans de l'établissement. Je fumais ma pipe, circonspect, attablé avec quelques connaissances et elle et sa copine, une merveilleuse garce blonde, que je préfère de beaucoup d'ailleurs, se sont assises à côté de nous et ont peu à peu participé aux bavardages en dessous de la ceinture et plaisanteries de corps de garde, ce qui les a diverties.
Elle, me regardait, je faisais mine d'être un peu ailleurs, très classe, façon grand d'Espagne en villégiature en ne me mêlant que très peu aux légèretés : sérieux, juste une pointe de malice dans l'œil. Puis l'orchestre a redoublé d'énergie avec des blues et autre boogie-woogie et deux autres volatiles bien dodues sont arrivées. J'ai invité les 4, très prince en exil, à boire quelque chose sur les banquettes. Et là, je m'assoie à côté d'elle, et… PAF ! Elle me révèle ses origines espagnoles : je m'engouffre ! Je lui parle dans un Castillan impeccable d'une voix de crooner andalou sur le retour des nuits de Madrid, des palais qui ont abrité mon génie. Et puis elles se taillent, charmées par l'hidalgo et je lui dis avec détachement que je lui enverrais l'article de presse dans lequel j'apparais puisque j'expose au Casino de Saint-Raph’ (en précisant qu'il ne s'agit pas du supermarché), toujours détaché, portant beau. Ce que je fais le lendemain avec un mot doux… PAF ! Elle me rappelle, câline, pour me dire qu'elle a apprécié la rencontre, l'article (elle sait donc lire) et qu'elle ira voir l'expo avec sa fidèle Zora, la blonde que je préfère.
J'attends une semaine à Paris, cassé par un lumbago terrible, quasi-grabataire, et là, de nouveau : re-PAF ! Elle m'appelle pour me dire qu'elle a adoré l'expo. Bon. Je rentre à Toulon, le dos cassé, et bien content de retrouver ma cabane, et surtout ma fidèle solitude et mon PC et ma collection de jouets, et mes albums de hairy pussies. Et puis re-re-PAF ! Elle m'appelle, et là, je sors le grand jeu : le restaurant sur le port de Toulon, carrément. Fruits de mers, loup grillé, vin de qualité (cher), accueil haddock, et note salée. Je casque sans broncher alors que je viens de laisser à ces Jean foutre 6 mois de subsistance. La suite est fort simple, promenade au clair de lune et farfouillage sous la carrosserie pour vérifier l'état du véhicule…
Dans la plus pure tradition elle refuse au dernier moment l'estocade dans mon gourbi frankistanais pour me rappeler le lendemain et annoncer qu'elle vient vers 20h30. Petit dîner aux chandelles (cochon à la moutarde et fraises au vin) et re-PAF ! Le plumard, direct, et plein de trucs très cochons (elle serait plus camion que trottinette), on lime, on lime, et on re-lime. Quel tempérament ! Je tiens la route jusqu'au bout avant de la noyer vers 1h du mat dans une piscine de foutre qui la laisse cassée, pantoise. On ronfle un peu et vers 6h du matin et : re-re-PAF ! Je réattaque par la face nord, j'introduis, je ramone, elle en redemande, elle se perd en mots cochons, elle s'éclate la chienne ! Moi, je sens ma tension qui descend vers 6, je vire loque humaine, mais jusqu'au dernier moment je reste raide comme le dernier défenseur de l'Alcazar de Tolède, j'enfonce, je défonce (sic : « Défonces-moi bien, etc. ») et j'emporte la partie en beauté : la belle est comblée et repart à son salon de coiffure faire ses permanentes.


Nuit de Chine

En fait je n’ai pas l'énergie surhumaine nécessaire pour raconter cette histoire.
Je me contenterais donc de rappeler les faits.
Un soir Madame Y me téléphone, on se téléphone souvent même si l’on n’est pas loin. Elle me dit : « Didier ? Vous voulez prendre un verre sur la terrasse ? » Alors moi, très touché, je dis : « Oui, j'arrive. »

Sur ce, je prends une douche, je me rase, j'enfile un vêtement léger et seyant avec des mocassins en vachette cousus main bien cirés, je m'asperge d'eau de Cologne British sous les burnes, vérifie les dents, la mèche, j'inspire à fond et je sors après avoir donné un bon tour de clef : « CLAC-CLAC » vu que ma porte est blindée anti-tout...

Je fais 4 à 5 pas en glissant quasiment sur le dallage rapport à mes supers mocassins et : « DING... DONG, DING… DONG » je sonne, décontracté, souriant, italo-british, calme. Elle m'ouvre dans un splendide déshabillé Léonard, tout fait de voiles superposés avec de grands dahlias et toute une forêt vierge hyper-kitsch imprimée de couleurs flamboyantes. Je suis le filet de parfum léger et les courbes callipyges jusqu'au salon, et elle me dit : « Asseyez-vous, j'arrive… » tout en me montrant 2 sièges cannés en faux Louis XV sur la terrasse en demi-cercle disposés de part et d'autre d'une nappe brodée sous un store Buren rayé vert et blanc.
Beaucoup de géraniums, musique douce, et la voilà qui se pointe avec le seau à glace et 3 marques de grands whiskies, des biscuits à la cul hier, etc.
Je bourre ma pipe, regarde les lumières de la ville en silence, puis, tout en vrillant un œil de velours dans  ses châsses à elle tartinés de rimmel à la truelle, je lance un : « Il fait bon... ce soir... »
Elle, au sommet de sa forme, resplendissante, style Dalida au Casino de Paris, me répond : « Oui, on est bien… j'adore ma terrasse... » Torride.
Puis après c'est le cortège de trémolos, le duo parfait, l'opérette, la romance : « Vous aimez l'Andalousie ???  - Oui, je l'adore...  -  Je me souviens de nuits de feu vous savez, j'avais rencontré une espagnole... hum... enfin, vous voyez...  -  Oui... je vois... » Tout baigne, c'est à qui sortira la meilleure, mais en au bout d'une heure je dis : « Vous savez Madame Y, je dois aller pisser. »
Sans se démonter ni rien montrer elle enchaîne : « Aucun problème, c'est la deuxième porte à gauche après la bibliothèque ! » Je me lève, grand prince et me dirige vers une porte discrète entre une collection de Reader's Digest et la chambre béante ou trône une descente de lit entrouverte en faux satin matelassé vieux rose, vomi frais.
Alors j'entre et me retrouve dans le cagibi des chiottes avec des fleurs artificielles roses même au plafond, des lapins en peluche roses, des petites filles qui pleurent en tenant une poupée, de vrais poupées habillées en rose, du papier cul enveloppé dans un dévidoir en tissu fleuri rose, des boules de déodorants lavande un peu partout, et puis un couvercle en peluche rose avec une fleur imprimée au centre rose elle aussi, et je soulève le couvercle un peu étourdi par la lavande disposée de partout, et sortant ma minuscule bite que j'ai du mal à atteindre vu le bide, tout en me reculant pour viser, je vois un étron jaunâtre qui flotte en travers dans une soupe jaune assez mousseuse. Un étron silencieux. C'est là que tout à basculé, en revenant sur la terrasse, c'était plus tout à fait comme avant, elle me dit : « Il fait vraiment très bon ce soir, c'est divin. » Alors je fais : « Hum... oui, hum... c'est divin... »


Stavelot...

28 octobre 2005 à 17h45

Appel de P. A, en larmes, que je reçois sur la route entre Stavelot et Spa :
 « Il est mort, à 16h, il est mort dans son sommeil, il ne s’est pas réveillé… »
Je vois les yeux perçants et le visage de Raymond Hains à travers les arbres des forêts des Ardennes qui défilent devant moi, en voiture vers Spa, je voudrais lui parler…








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