CARNETS 2012-13





Il faut se gaver de plaisirs  Zum Türken  Jean de la Croix  Enragé  Brigadier Triboulère  Luxure  Trêve  Algues  Delvaux  Rouge  Bichon Maltais  Lecture  100 chevaux  Retour  Voix  Gethsémani  Seul avec Le Seul   






Comme s’il voyait l’invisible, il tint ferme. 

Epître aux Hébreux : Ibid. 11. 27


Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. 

Georges Bernanos




Il faut se gaver de plaisirs

Ils nous instruisent. Inutile d’évoquer le sexe, celui-ci a le privilège d’un instinct et le caractère de l’évidence, ni même celui de la gloutonnerie, tous deux sujets rabattus. Ce sont les plaisirs du bas.
Les grands plaisirs sont autres, ce sont ceux du haut, ceux de l’esprit, esprit capable de considérer l’âme qu’il contient, de tendre vers, l’âme qui épanouit par le moyen de la pensée, associée aux travaux du cœur. Le cœur au sens où l’entend le théologien, ou un écrivain tel que Ernst Jünger en lui donnant un sens augmenté et sacré. Le cœur indispensable à l’action. L’action seule capable de libérer et d’accomplir. Et puis il y a les variations, l’esprit est fait de variations, de thèmes, de registres, de timbres, d’infinies nuances qui se moquent du temps, capable de retrouver dans les kilomètres plis de matière cérébrale les souvenirs que l’on croyait enfouis à jamais, ou les variations qui devaient ne jamais voir le jour.
Plaisir souverain de consacrer une part majeure de sa vie à considérer le mouvement de la lumière sous les immenses arcades d’une place d’Italie. La lumière est métaphysique. De Chirico l’a affirmé par la peinture à l’huile et des écrits non moins talentueux.
Dans ces moments là tout devient possible pour le contemplateur solitaire. L’âme se ramasse portée par un mouvement perpétuel qui la dépasse mais la féconde tout autant. Se développent des mondes fertiles, aux dimensions gigantesques.
Salles de musées, mollets de femmes qui vont et viennent, parfums, ombres qui s’agitent, celles d’un monde sans début ni fin. Le monde est immobile, seule la lumière se déplace et le transcende. Conscience du monde qui se régénère chaque jour, comme les petites cellules d’Hercule Poirot.



Poissons nichés entre les roches entre deux rais de lumière changeante trompant le prédateur lui-même à la merci d’autres mondes, d’autres pièges au grès des eaux.
Bagage cellulaire et moléculaire, totalité du chiffre du monde et du cosmos.
De Chirico n’a jamais agit autrement. A l’affût des mondes de l’enfance passée en Grèce, des rêves engendrés par les places si spirituelles de Ferrare, clé suffisante pour ensuite déchiffrer le monde, gagner une écriture et accéder au style.
Passer sa vie en contemplation est possible.

Chiasso, Milan, Côme, Gardone Riviera, rencontré aux portes du Vittoriale une délicieuse jeune fille aux si jolies dents, si délicate, si gaie, au regard si doux, aux petits seins si potelés et si mignons, nous visitons le Vittoriale et chaque corridor, chaque merveille nouvelle est pour moi l’occasion d’ajouter un gentil compliment, elle est aux anges.
Mais c’est qu’il y a aussi une bien jolie voiture l’Isotta Fraschini du poète, qui est là, en robe bleue rutilante, comme endormie.
Un coup d’œil un coup d’aile puis ce sera le Brenner, le zum Türken… L’Obersalzberg, Salzbourg, si cette foutue durite me laisse un peu de répit.

Une perle rare : le Jounal de Pontormo. Ses menus, ses pratiques alimentaires et ses  ennuis intestinaux aux cours de ses travaux sont choses primordiales.


Zum Türken

Il semble que l’hôtel zum Türken existe depuis 1630 et fût un couvent dépendant de Salzbourg. Moines et habitants du site devaient sans cesse se battre contre les turcs envahisseurs, d’où son nom « Le turc ».
Carl Schuster l’acheta en 1911 pour le transformer en chambres d’hôtes. Ebéniste passionné, guide de montagne, conseiller municipal, commandant des pompiers, son épouse était noble, née Von Kabas, du château proche du village d’Oberalm près de Hallein.
Hitler venant dès les années 20 à la maison Wachenfeld pour des séjours réguliers et souhaitant s’étendre encore après l’avoir rachetée pour la transformer en « Berghof », Marin Bormann son secrétaire s’intéresse en 1933 au zum Türken
Les ennuis commencent alors pour la famille Schuster.
Le hall de l’hôtel (qui est une sorte de musée) nous permet de découvrir un portrait peint de la maman d’Ingrid Scharfenberg, actuelle propriétaire des lieux, 91 ans, petite fille de Carl Schuster, et un portrait de son grand-père Carl Schuster travaillant le bois.
L’hôtel zum Türken était prospère, recevant des hôtes illustres dans les années 30.







L'épouse de Carl Schuster était une femme d’affaire avisée ainsi que très attentionnée et attachée à ses enfants.
Carl Schuster a subit des pressions énormes de la part de Martin Bormann (le Berghof est à moins de 200 mètres) et du NSDAP pour peu à peu faire main basse sur les lieux.
Menacé, brisé moralement, Karl Schuster a du céder. A 56 ans il lui fallait abandonner son œuvre afin d’éviter de graves ennuis pour sa famille.
Martin Bormann, pour s’assurer toute tranquillité a envoyé Carl Schuster au camp de Dachau, près de Munich, pendant un an, il en reviendra détruit.
L’hôtel en quelques mois a été reconditionné pour accueillir les SS chargé du service au Berghof, l’hôtel étant plus près que leurs casernes installées plus haut sur le plateau.
En 1945 après les « bombing » répétés de l’aviation américaine le zum Türken était ravagé, mais les murs tenaient bon.
Devenu zone alliée l’Obersalzberg a été restitué au territoire de Bavière en 1947, en conservant cependant des options pour une durée de 50 ans.
Et le Türken a du être cédé de nouveau, mais aux alliés !
Thérèse Partner, la fille de Carl Schuster et mère d’Ingrid le rachète aux alliés en 1949.
Reconstruit exactement comme il était avant guerre et l’on peut évoluer au Türken dans un musée vivant, dans les ambiances des années 30. Sols, boiseries, poignées de porte, sont identiques dans leur conception et leur style à ceux du Berghof… Tout fait sens ici.

Mais ce n’est pas tout. Sous le confortable, austère mais coquet Türken se trouve un monstre. Un monstre de béton, et ce monstre se visite. Enfoui 30 mètres sous terre un territoire fait de salles de toutes tailles, parfois immenses, sur des kilomètres, avec une trentaine d’accès gardés par des chicanes équipées de mitrailleuses. C’est le bunker d’Hitler, un réseau souterrain allant du Berghof jusqu’aux entrailles de l’Obersalzberg, pour la garde, les équipes de maintenance, un hôpital, les appartements privés du Führer, d’Eva Braun, du docteur Morell, de tout un monde destiné à vivre là.
Attaqué au bazooka, comportant de nombreux impacts, les entrées sous l’hôtel donnent accès à cet univers glaçant, immense, un labyrinthe interminable et complexe.
L’heure de l’apéritif dans le bar cosy aux rideaux typiques, s’avère passionnante : Kurt et Ming, deux officiers américains dans une unité de chars basée en Allemagne sont venus eux aussi étudier le site et nous continuons à échanger dans une basserie de la petite ville de Berstechgaden, plus bas, dans la vallée qui mène vers Salzbourg.
Collectionneurs il n’est pas rare que ces deux officiers passionnés d’Histoire ne dégagent des terrains alentours des vestiges du IIIe Reich.

Ingrid Scharfenberg est inénarrable. Hostile aux importuns je parviens à la séduire grâce à une maitrise à peu près honorable de l’anglais, qu’elle parle à la perfection. Etre admis à l’hôtel n’est possible que sur recommandation…
Une des nombreuses photos de l’accueil la montre enfant contrainte de serrer la main Führer dans l’hôtel volé à sa famille, et aux côtés de tous les grands de ce monde venus au fil des années en visite sur un des derniers vestiges vivant du Berghof.
Disparue peu après j’ai l’impression parfois que tout cela est irréel.
Je garde précieusement le souvenir de cette femme admirable, qui a connu Von Stauffenberg…

A Munich je dois réparer cette foutue durit dans le garage de l’hôtel avant de pouvoir me rendre à Dachau.
Fils de déporté je me rends compte à Dachau que le but de mon voyage est atteint.
Rideau.
Milan, Turin, Pavie, Gênes, Vintimille.


Jean de la Croix

Il me faut étudier les connections possibles entre Jean Malaurie, la langue des Inuits, et les Cantos d’Ezra Pound, ceux des troubadours en Provence, la ponctuation, la syntaxe et la langue écrite de Céline, la poésie des voyelles chez Jean de la Croix et les merveilles des chansons populaires.

Cathédrale de la Sed, Toulon. Toutes lumières allumées ombres envahissant les hauts murs, à deux pas de là dans la nuit de décembre les faisans et lièvres suspendus chez Baldaccino, le meilleur charcutier de la vieille ville m’émerveillent, souvenirs d’enfance, des Noël, à l’intérieur de la cathédrales les personnages disséminés, les proportions me font penser à Corot, tâches sombres des boiseries, des fers forgés rythmant les fonds, immenses, de l’édifice.

Mon ami Rénato choisit cet instant pour déclamer doucement :

C’était un espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route
Et qui criait « A boire, par pitié »
(…) le coup passa si près que le chapeau tomba
Et le cheval fit un écart en arrière
(…) En s’écriant « Caramba ! Donne-lui tout de même à boire » s’écria mon père
Mon père ce héros au sourire si doux
Où sont vos bras vos mains et vos gestes superbes
Qu’avec la grande faux vous faisiez dans les herbes
Hélas la nuit immense est descendue en nous
Et comme le ferait une mère
La voix d’un peuple entier les berce en leurs tombeaux


Enragé

Après 15 ans de notes à foison, des montagnes d'annotations je rédige maintenant huit heures par jour, sans répit, met en forme, corrige, complète pour augmenter la somme de mes Carnets. C'est énorme mais cela m'a pris aux tripes, comme une survie, pour ne pas devenir fou. Et cela me rend heureux, j'ai le sentiment que derrière ma folie, il y a un fil, un sens, et j'ai la joie des mots, je jubile,  je suis heureux.


Le confort tue la prière.
Thomas Merton

Soyez béni mon Dieu qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés
Baudelaire


Brigadier Triboulère

Vint enfin le mois de septembre. Où tout est plaisir malgré l’océan de merde dans lequel nous pataugeons. Robes d’été : mollets, bras nus, poitrines jolies disparaitront bientôt sous les lainages.
Mais venons-en aux faits : il y a Léautaud, et son Journal, si fameux, si clair, si juste et souvent jubilatoire de vérité. Contemporain de Jules Lafforgue et Albert Marquet l’épée du Mercure de France ne débande jamais. Voir et sentir une silhouette qui passe et la figer dans l’instant. Comme Pound l’enseignait (ABC de l’écriture) Léautaud est concis, vif, direct. N’agissait pas autrement Eugène Montfort et son Brigadier Triboulère illustré par Marquet : volupté de la simplicité et du trait fort. Marseille 1918 : Le quai de Rive Neuve, où Marquet séjourne chez Montfort, et laisse tableaux et dessins, dont une acquise (à grand peine) à la galerie Hopkins-Thomas, une vue du château d’If, qui ne me quitte plus.
C’est que tout se recoupe, le fil est ténu mais il se tient.
Les temps sont durs, on ne se voit pas, mais il me semble que je dois ressembler à Pierre Richard, sursautant au moindre bruit et se réfugiant sous le lit…

Je viens de me souvenir de Jean. Connu lors de reconstitutions de l’Opération Anvil-Dragoon dans le midi. Jean était parti à la guerre de Corée dans l’espoir de se faire tuer à cause d’un chagrin d’amour. Son grand désespoir au retour était d’avoir échoué…


Luxure

La luxure du regard que ne m’apporte plus l’Art contemporain se trouve dans l’Art roman. Forte charge symbolique, savoir, connaissance, souvent cachés mais sous-jacents car cet Art là est populaire, lisible par tous, à des degrés divers de leur culture fût-elle illettrée. Cet Art a pour fonction de relier l’Homme au sacré, par l’anecdote, le récit, avec toutes sortes de lectures possibles, sans le renvoyer à lui-même, à son nombril, ou à des messages sociaux-politiques, jamais à la propagande, qui n’y a pas sa place…

Barda-mue s’amuse
Pompe-moi le biniou mon minou
Bricole-moi la sandale vieille pédale
T’es madu vieux faux-cul
Taie sur le paddock haddock sur le tarmac
Confettis de figatelli
Tu sais ksé niais de nier les faits
Pourquoi tuer l’estafette en tutu ? Hein ?
Gamelin Tamerlan l’olifant
Ou la défonce pour une gamate en fonte


Trêve

Rodin cela a à voir avec la daube et le vin rouge alliés aux plâtres encore frais, à la filasse humide, aux bois des charpentes, ça sent le foutre frais, c’est grand, c’est sacré, c’est immense.
Mais poursuivons, élargissons : Einstein avait raison, il n’y a rien d’ancien. Ni passé ni chronologie, seul le présent et de toute éternité, et il passe, c’est un Fangio de la pensée, de la physique à la métaphysique pour envisager le divin.
Les Lettres de Cézanne (et l’odeur du papier jauni), celles de Van Gogh, les reliques de saint François, les orgues de Staline, les couilles embaumées de Pharaon, cela n’a aucun but, aucune prédestination, chose réservée aux questions de la grâce, et nous abordons alors les rivages d’un territoire sans circonférence, celui de la théologie…
Hegel, que j’annotais dans une chambre sans eau ni chauffage un hiver de 1979 rue du Pré-aux-Clercs après les séances de modèle du cours Yvon, tâche brune du pubis du modèle et blancheur immaculée de la neige recouvrant la cour du Mûrier, m’avait je crois appris que l’Histoire tend vers un but, une fin, qu’il existe une évolution, et je crois aussi que nos contemporains en restent persuadés, trompés par la pensée positiviste, des kilomètres d’Auguste Comte et de croyance effrénée dans la science et les techniques.
Tout cela me semble un rêve, un mirage, ponctué de millions de morts, au nom du Progrès, du futur de l’Homme Nouveau. Les Totalitarismes ont agi selon cette croyance, et la modernité en imposant une démocratie totalitaire n’agit pas autrement.
Les différentes époques du christianisme ont aussi envisagé longtemps une fin du monde, annoncée, inéluctable.
L’idée d’un temps sans durée, en une spirale infinie, un présent définitif me semble plus juste. Seul existe pour le petit homme l’instant où il nait, aime puis meurt.
Toujours Einstein : la vitesse seule peut remonter le temps, lui faire un pied de nez, envisager la galipette.
Mais je crois à l’invisible, au les mythologies du passé, à la puissance du christianisme, et en particulier le catholicisme, englobant la pensée grecque fondatrice, qui sont à la philosophie ce que la Rolls est à la bicyclette.
Il semble hélas que le crétin moderne ait opté, lui, pour le roller et la trottinette…

Reste les fleurs et les plantes odorantes : Aubépine, Chèvrefeuille, Clématite, Laurier, Lilas, Magnolia étoilé, Tilleul, Azalée, Rosiers, Glycine, Marjolaine, Muguet, Narcisse, Violette, Jacinthe, Pervenche, Lis, Jasmin, Œillet blanc, Camomille, Santoline, Camélia, Gardénia, etc.

Lauriers : faciles à trouver et à tresser
Saint-Jean d’Acre fût-il un simulacre ?
Fromage râpé, onomatopées, scarabée et bébé
Rolling block
Calembredaines, brique marine, petit pois
Proserpine, rapin, rapine, bonté divine
Youri Gagarine est-il allé à Tibihérine ?
Trombine, grosse pine, cabine, has been
US Carbine…


Algues

Sainte Marie du Mont, l’Estaminet, marronniers dans la froidure, paquets de trèfles, fleurs blanches comme des algues dans le courant, la Normandie, forte, puissante. Servante aux seins splendides.

Visages de Fragonard ou ruines de Guardi, jaunes légers pour suggérer la lumière sur un visage, ocres et roses pour la vie, la palpitation, blancs et gris pour jabots et collerettes, touches enlevées et vives, fraîcheurs, peu de repentis, techniques ou moraux, peinture transparente ou grasse, enlevée, toujours. Lumière vermeille. Corde à linge, murs lépreux, joues splendides, vermillons.


Delvaux

Le blanc d’Espagne, pigment si particulier, parmi tous les autres blancs il est une Reconquista à lui seul, cheville ouvrière de la préparation, il m’épatait. « Au blanc d’Espagne », son nom seul est une enseigne. C’est de très bon matin que je me rendais A la momie rue Blondel : quelques mètres  séparaient A la Momie de l’angle de la rue Saint-Denis, et passant devant d’immenses poupées aux crinières colorées, harnachées de skaï rouge, de cuirs noirs, de bas résille, et de bottes de sept lieues je rougissais en baissant les yeux. Des images de Félix Labisse ou Paul Delvaux venaient à mon secours… Le sarcophage de bois peint était debout près de l’entrée, les bacs de pigments, le plancher craquait, il y avait là des merveilles…
Plus tard les plaisirs offerts (une façon de parler) par les belles, moins voyantes, plus ordinaires, me sont devenus familiers, l’audace a fait place à la timidité, mais c’est une autre histoire, un autre récit.


Rouge

Une exposition à la Maison Rouge me confirme dans la nécessité de ne plus jamais remettre les pieds dans cet endroit. On y trouve ce qui se fait de plus médiocre en matière de collection privée à prétention muséale, de plus convenu et au fond de plus conforme. Public de bobos demi-instruits avec poussettes venus en goguette, fascinés par la liturgie de la nouvelle religion, ce qui est culturel. Couples bientôt divorcés, par conformisme, enfants gâtés, par conformisme aussi, queues devant les musées. Fascination pour la mort ou le sordide, chez des personnes qui n’ont connus que leur confort. C’est une consternation.


Bichon maltais

Origine du mot Malte : Malat qui signifie « lieu sûr », tout comme l’île de Miljet, Méléda à l’origine, en Croatie. Le Bichon frisé, dénommé aussi Bichon maltais  est connu sous la Rome antique qui définit déjà cinq catégories de chiens Bichons. Ces petits chiens servaient pour détruire les colonies de rats qui pullulaient à bord des navires de Méditerranée. Une race très ancienne donc citée par Aristote : le Canus mélitansis (chien maltais). Strabon (qui louche, d’où le terme de « strabisme ») en parle : un chien servant de compagnie aux matrones. Les Caractères de Théophraste : un des personnages fait graver le nom de son Bichon sur sa tombe. Bernadette Chirac a un Bichon maltais, « Sumo »,  qui a mordu 2 fois le Président…


Lecture

Lire Stendhal (Mon cœur ne sent que Milan) c’est être heureux. Confortablement installé dans un jardin ami sur les hauteurs de Paradiso (quartier de Lugano ou trône Golfo une sculpture réalisée en 2000) sur un canapé aux volutes de métal de style vaguement Liberty, truffé de coussins en coton et aussi de soie ottomane, les pieds calés sur des contreforts en synthétique (tout ou presque est désormais constitué de dérivés du pétrole, y compris les pires saloperies), la tête calée contre un muret je suçote une pipe Stendhal de chez Chacom au tuyau de polymère rouge bagué d’argent en contemplant les montagnes alentours et les reflets métalliques du lac de Lugano. J’aperçois plus bas le triangle d’un monokini et surgit tout à coup une image : celle d’un gros morceau de Parmesan et d’un poulet rôti sorti du four.
Le contexte frontalier du Tessin où Italie et Suisse se confondent est maintenant fané. De vieilles demeures finissent de pourrir avec parfois quelques beaux rafistolages, comme des femmes un peu trop fardées. Un charme s’en dégage, celui de la beauté en putréfaction, envahie par les plastiques, et la fange de la modernité. L’Europe s’impose ici avec son cortège de gueux et d’aigrefins à l’affût. Migrants désorientés et paumés pullulent. Car les frontières sont des rivages, elles attirent les détritus. Le spectacle est souvent désolant, mais le contraste entre les bâtiments mussoliniens, les villas Novecento et la glue contemporaine est saisissant, attire l’œil, fait le bonheur d’un curieux. Les nostalgies sont fécondes : on peut dessiner, photographier, peindre tout cela. Granit aux différents tons de gris, nature verdoyante sur les coteaux alentours, alignements géométriques des vignes séculaires, baroque des églises (Francesco Borromini est né à Bissone, à deux pas), brumes couvrant des kilomètres de châtaigniers, toits en ardoise, villas florentines aux murs peints tout autour des lacs, demeures patriciennes aux bibliothèques fournies, mobilier ancien, automobiles de collection, parures dans les armoires, on peut imaginer encore l’avant guerre (celle de 1914) et les voitures à cheval. Rêver d’une harmonie perdue entre paysans et citadins dans ces régions rudes mais prospères. La cuisine, si raffinée, ignore les clivages français entre cuisine populaire ou bourgeoise, encore moins la Grande cuisine. Elle est une, sans chichi, ancrée dans le terroir, et lorsqu’un aristocrate (il y en a beaucoup en Italie du Nord), un riche banquier, ou des célébrités de la politique, du cinéma (George Clooney habite la région), souhaitent faire un bon dîner c’est dans un Grotto pour déguster polenta, cochon grillés, champignons et vin du pays. A prix d’or.
Mais la normalité européenne garde ses droits, et règne là comme ailleurs. Venus pour assister à une conférence au théâtre de Chiasso, il faut se frayer un passage parmi les costards en lamé trop serrés, les tatanes pointues, toute une armée de demi-sels, employés de banque ou fonctionnaires à découvert, George Clooney de parking, pseudo-gauchistes hirsutes affalés sur les marches, migrants désœuvrés, bref une cour des miracle générant trafics en tout genre et nuisances permanentes. Ce qui est conforme, normal, et le signe d’une invincible démocratie.
Mendrisio est un bonheur, moins exposée aux populations modernes et épanouies de l’Europe progressiste, la petite ville a du génie. Offrir un lieu d’exposition discret, du meilleur aloi, qui jouxte une merveilleuse église baroque. Peu de bruit, et en parcourant les rues, peu de tags, peu de détritus, peu de hurlements ou de George Clooney en costard serré.




Carlo Carrà est à l’honneur, pour une rétrospective qui fera date. Dire que j’aime Carlo Carrà serait trivial. Il me hante autant que de Chirico, autant pour leur pensée, leur acuité, que pour leur œuvre. Tableaux de taille moyenne, modestie du projet, poésie immanente, délicatesse, l’ « ancien Futuriste » a tout compris, tout vécu, je suis son vassal, il m’épate, et me donne du chien pour continuer.
Carlo Carrà s’est accomplit après guerre à contre courant dans d’aimables paysages en apparence désuets mais aux vertus métaphysiques, la modestie a fait de lui un monument silencieux, et un peu goguenard.
Une photographie d’Ugo Mulas montre le maître en famille.
Un paysage de 1943 : La mer, tout simplement, un coin de terre, un arbre improbable… et un nom, une date en bas à droite : « C. Carrà 943 ».

Peu après, attendant un ami devant un bordel chinois de Côme, je songeais : l’humanité ne pense qu’à bouffer. Se remplir par le haut et se vider par le bas, le reste étant secondaire. Ca va loin. Objectif Mars ? Nano technologies ? Cartes de Crédit, Smartphones, c’est du nougat. Ils veulent bouffer, se goinfrer. De cela tout le reste découle, et ça va barder de plus en plus, car ceux qui bouffent le moins, ou très peu, voire pas du tout, feront basculer ceux qui se bâfrent. C’est mécanique. Finies les villas florentines, les intérieurs cossus, les mirages humanistes. Ca va saigner.
Faux rebelles, clowns divers et variés, ça pavoise sec en attendant, ça prend des airs de ministre, ça communique, ça pédale dans le vide.
Enfin, il y en a, Jeff Koons, qui donne quelques satisfecit. Il a compris le rôle fondamental de la cravate, de la mise ?
Gilbert & George, eux, avec leur pastiche vestimentaire des années 60 sont pulvérisés, dépassés. Ce sont d’aimables ringards.
Comme chez les militaires la tenue est importante et fait sens. Quoi de plus ridicule que les artistes qui arborent encore ces hardes pseudo-gauchistes que sont les jeans troués, la barbe de trois jours, le blouson de cuir de faux dur, la tenue des faux rebelles rescapés des années 70 ?
La chose est cependant risquée en France, pays de tous les conformismes, où un artiste doit s’identifier à un rebelle, donc de gauche, l’implacable doxa ambiante l’impose, avec sa liturgie : tronche en biais, fringues ad hoc, air vaguement désespéré, post post post post romantique, etc.
Koons échappe bien sûr à cela, il est ailleurs. En Amérique, et avec une cravate. Là, je tire mon chapeau…

Le rêve de paix et de silence continue de m’obséder, en séjournant à Giubiasco,  j’ai tout à coup la sensation fugitive que je pourrais y rester. Le silence, précieux comme une eau fraîche en été.


100 chevaux

Arrivé à Pavie il me faut rendre hommage à la fidèle BMW K100, pas une ride, qui après 250000 kms parcourus caracole toujours en tête, fait l’admiration des amateurs et supporte mes bagages, en redemande même. Toujours fidèle, c’est une grimpeuse, il lui faut de l’altitude, de la vitesse, du poids, des contraintes, des épreuves, là elle se réveille et donne toute sa mesure.
La Lombardie est fidèle à la description qu’en fait jean Giono dans son remarquable Voyage en Italie et Pavie plus encore à son aussi remarquable Bataille de Pavie. Les perspectives sont là, d’interminables ciels de Flandres, les alignements de peupliers, les petits bouquets de fumée qui se perdent dans les brouillards. Mais je ne vois Charles Quint nulle part, les rues sont bondées d’étudiants (ceux-là sont supportables) et les locaux ont bien ce teint de lait, la finesse de peau et de mise décrites par Giono. Ôtons le cancer des zones industrielles, quelques panneaux, etc. et nous serons vite au 16e siècle car rien ne manque. Les galets du Pô, un regard qui se dérobe, un parfum, après la grande vitesse sur l’autoroute, tout devient plaisir.




Retour

A la brasserie Le Chantilly j’interroge un des garçons qui a travaillé dans le quartier de la Bastille à Paris. « C’est un quartier qui bouge » me dit-il prudent mais sûr de lui. Car il vient d’employer l’expression en vigueur : « qui bouge » signifie pourtant queues de 100 mètres chaque matins devant le bureau d’accueil des migrants venus nous enrichir et construire un nouveau monde à force de courage, d’idées nouvelles, tout comme dans la mythologie américaine, un film de Scorcese où le héros italien illustre la grandeur des peuples européens venus contribuer à la grandeur des Etats Américains par le peuplement et leur génie propre. « Qui bouge » signifie la suite, les excréments sur les trottoirs, la pisse chaque coin, les tags sur chaque millimètre, les détritus éparpillés ça et là malgré les efforts louables des balayeurs, noirs à 90% car les enfants des blancs sont au bistrot, les embouteillages endémiques, les pseudo-punks et leurs chiens allongés en tous sens multipliant les nuisances, les insultes envers les passants qu’ils considèrent comme une race inférieure à eux, magnifiques et romantiques rebelles, les fous, nombreux, qui souvent hurlent, ceux qui hurlent sans être fous, c'est-à-dire 90% des « jeunes » aux tympans détruits par la sono, une ambiance de cours de récréation permanente ou chacun est roi, souverain, a tous les droits, se drogue, se saoule, ce que font chaque nuit les enfants des blancs, enfants des bourgeois des beaux quartiers venus s’encanailler, hurler surtout, et boire, boire puis vomir, vêtus de hardes étudiées, de costumes issus des mangas, arborant des airs shakespeariens de princes en exil, exerçant sur les rues alentours une pression sonore insupportable aux familles, aux vieux, aux laborieux, c’est leur fascisme libertaire, celui des anti fascistes élevés au grain dans nos écoles par des institutrices socialoïdes qui leur ont inculquer la révolte comme un devoir sacré, sans leur dire qu’ils seraient bientôt le comble du conformisme, des copies conformes à des larves.
Mais ce faisant je n’écoute déjà plus les babillages de la brasserie à peu près calme à cette heure matinale, mon regard se fixe sur des lettres gigantesques au flanc d’un camion de livraison : « Besson », et cela colle parfaitement. Oui, Georges Besson, celui des éditions Braun et Cie dans les années 30 et leurs petits classiques du XXe siècle, le Besson des admirables évocations de l’œuvre de Marquet, des séjours chez Eugène Montfort à Marseille en 1918.
Puis tout à coup un souvenir, pourquoi ? Les bois de Gonfaron un hiver de l’enfance, gare endormie, buée aux carreaux, froidure, téléphone mural en bakélite noire, bourrasques, vent terrible, marrons qui fument sur le poêle, pluies, brouillards, faisans, fonte, champignons, chuchotements, rires, silence.


Voix

La capacité à adhérer à un discours ne dépend pas des arguments invoqués, ils interviennent dans un second temps, mais du timbre, du rythme, de la mélopée, du pouvoir hypnotique de la voix, de la conviction interne de celui qui le prononce. L’auditeur est pris, il adhère. Avocats, escrocs, tribuns, politiques, tous le savent et y excellent. L’auditeur, possédé, se sent complice, compris, voire devancé, quand sous couvert de pertinence l’on multiplie les évidences simples ou les lieux communs. Rapide ou lent, puissant ou murmuré, le piège est imparable.


Gethsémani

Il y a des Ulysse de la pensée, ils peuvent voyager immobiles. Thomas Merton, nous promène longtemps de New York à l’île Bermude, de Calais à Paris, des collines de Rivesaltes au Quercy, au Rouergue, Brives, Limoges, Montauban, puis Dijon, Bâle, rencontre une petite fille blonde à l’allure de souris, fonce sur Marseille, Cassis, La Ciotat, Hyères, Cavalaire, Saint-Tropez puis l’Italie, Gênes, Florence, aborde les rivages des 3 concupiscences, les montagnes du matérialisme,  puis reviens chez Ad Reinhardt alors dessinateur humoristique, avant d’arriver au 13e siècle, Etienne Gilson, Saint Paul, passe bien sûr par la dépression, l’agonie de l’âme (agonia), non sans avoir connu les textes d’Ezra Pound car il est aussi poète, puis nous livre ensuite une flopée de livres, des serpents d’étoiles d’une modernité à se taper le cul par terre. « Nous ne connaissons pas Dieu si nous ne nous connaissons pas ».
Mais son parcours finasse, là où il est question de Jacob Boehme, Jean Tauler, David van Reybrouck, Jean de la Croix, Jean Chrysostome, Evagre de Pontique, Walter Hilton, saint Aelred de Rielvaulx, saint Grégoire de Nysse, Pierre de Celles, Don Augustin Baker, Ammonas, Pierre le Vénérable, Garcia de Cisnéros, Isaac de Ninive, saint Athanase, Pierre Monchanin, tout cela pour arriver enfin au monastère cistercien de la stricte observance Notre Dame de Gethsémani dans le Kentucky après avoir connu tous les affres de la vie moderne.
« Sede itaque solitarius » (Tiens-toi tout seul)


Seul avec Le Seul

Le moine est un homme expérimental, au seuil du désespoir, du vide, et essaie de trouver la voie par la prière. L’abandon en Dieu cependant reste un risque, une lutte où patience et courage sont nécessaire pour l’humilité de l’acceptation de cette condition, l’échec même est nécessaire, comme en montagne la mort rode, celle de l’esprit, la difficulté est toujours intérieure et il fait référence à Camus décrivant cette recherche d’équilibre sans cesse instable et compromis au dessus des précipices de l’absurde…
C’est l’inconfort du désert où il n’y a ni repères ni routes tracées. Paralysie de l’enfermement en soi, écueils divers et variés, danger de la contemplation de soi (l’homme moderne) et le découragement à chaque pas.
Un homme suspendu dans le vide à une fragile corde au dessus d’un torrent déchaîné et menacé de disparaître.
Les Rhénans (mystique Rhénane) avaient compris la différence entre l’inertie narcissique et la vraie contemplation, loin du quiétisme de pacotille des mystiques modernes.
Merton a une méthode : donner l’essentiel, la conclusion, en début de paragraphe, il est généreux et n’embobine personne, surtout pas lui-même, c’est qu’il s’agit de dégager, d’éclaircir, de débroussailler le plus possible, et d’avancer. L’évidence d’abord, comme un cadeau, puis le raisonnement.
« Nous devenons ce que nous sommes dans la façon dont nous parlons à Dieu, la prière, une des plus activités dont nous sommes capables ».
Avec Merton se retrouve l’image du marcheur en montagne qui vient immédiatement à l’esprit en lisant Etienne Gilson, aucune dialectique ressemblant à la résolution d’une partie d’échec, mais la lente progression, capable de ralentir lorsqu’un obstacle s’impose, lorsque la voie semble impossible, pour mieux continuer, sans jamais s’arrêter. C’est que la pente est rude. Et il est possible de décrocher durement.
Résister à la superstition, à voir des signes partout, ne pas sur-interpréter, et surtout ne pas faire n’importe quoi !
L’aspect collectif de la vie monastique, ses travaux en commun, ressemble à l’équipage d’un char dans le désert de Tobrouk ou une escouade de légionnaires en Amazonie. A la vie à la mort, tous solidaires. Pour survivre il faut avoir tout en commun.
Mais le fer de lance reste la prière.
















Archives du blog