Ruines A moto Eaux profondes Trois femmes Septembre L’Arlésienne Dali Visions Les roches rouges Parfum Automne Commerce ! Alfred L'Agosta Portes cochères Carnac Les conditions du bonheur Nuit de Paris Trop tard Proposition Il pleut Chanson brillante Temps clair Un grand garçon Maldonne Masochisme 200 titres Rue de Lille Conversation Chinchilla Chenue A l’avenant La chair Django Tristesse L’impériale Alcools Artuby Le tombant Volets clos Canapés L’incendie A 200 km/h Fenwick L'affaire Mattei Loulou Tonnerre Corps-Francs L’Accademia Safaris La Favorita Vintimille Cosmétiques Le 29 Les Kurt Schwitters Derain Cheval de Troie Toujours Derain La bonne mesure Le rire Le goût Mélodie en sous-sol Cha cha cha Budget Le vieux tromblon
Ruines…
Bas noirs résilles. Lumière de plâtre, puis dorée vers le soir, dans les vieilles rues de la cité fatiguée. Murs pignons souffreteux, enduits boursouflés, lépreux, bleus roses jaunes. Immeubles de six étages datant du 17°/18° siècles en état de délabrement total. Architectures admirables et justes. Ruines. Ordures. Cafés maures. Musique arabe. On a mis, comme en Afrique du Nord, des tables sur la rue, devant les pas de portes, où l’on boit de la bière et on joue aux cartes. Il manque ici un David Téniers pas trop vieux pour peindre ce tableau. Bars à matelots toujours obscurs avec seul le clignotement des juke-boxes. Filles assises attendant le soir, prenant un peu de frais avant la nuit, les rires, l’alcool, les cigarettes, les langues qui se délient…
Murs décrépis, portes condamnées,
murées, pierres de tailles au faîtage des maisons, entablements à l’italienne,
hautes fenêtres à la française à la partie supérieure dessinée en berceau, arc
de cercle très doux. Vieilles cheminées et fontaines de pierre en angle des
cuisines anciennes où mijotait la daube il y a cent ans, attendant la sortie
des ateliers de l’arsenal tout proche. Abandon des murs et des cœurs. On joue
beaucoup dans les cafés maures peuplant seuls les rues désertées par leurs
anciens habitants. On y parle fort, dans la lumière du soir. Claude Le Lorrain.
Soleil levant ? Col sol levante. Col sol cadente.
Espagne, Sicile, rivages. Tout cela
est amené à disparaître. Enseignes colorées des bouges. Marchés improvisés,
montagnes de vieux vêtements. Un figuier a poussé au bord d’une corniche.
Affiches décolorées mille fois. Epiceries et bazars. Tapis chatoyants. Citrons.
Cigarettes algériennes. Linges aux fenêtres, sur les terrasses des derniers
étages. Escaliers sombres, défoncés et puants. Colonnes de plastique des
démolisseurs. Ici bat le vrai cœur de la ville. Mémoire des siècles passés. Rue
des savonnières, rue du Noyer : façades parfaites soudain ensoleillées par les
rayons rasant la rade, c’est l’heure de la navette ramenant les matelots dans
l’arsenal et leurs foyers…
Giorgio de Chirico : « Je crois, moi, qu’une place pétrifiée dans la clarté de midi recèle plus de mystères qu’une chambre obscure, au cœur de la nuit, pendant une séance de spiritisme. »
Giorgio de Chirico : « Je crois, moi, qu’une place pétrifiée dans la clarté de midi recèle plus de mystères qu’une chambre obscure, au cœur de la nuit, pendant une séance de spiritisme. »
Trois femmes…
Une jaune, une rouge et une noire. Un
très beau jaune, un très beau rouge, robes à mi-cuisses, échancrées dans le
dos. Abordé la rouge. Sourires, confusion.
La jaune était un Maillol. Le temps
était encore gris et un peu lourd. Plaisir distillé tout au cours de la
journée. En descendant le long des rues de la ville et ses effluves de fin
d’été, l’air était doux et caressant, et immobile dans la lumière grise et
apaisée, on peut sentir par ce temps si particulier, remonter des senteurs de
Tunis, Palerme, Gibraltar, Calvi, et même de Saigon. Bitter. Tabac gris. Cortès.
Cette nuit, comme à Nice hier, me sont venus, se sont mis en ordre, les projets
de tableaux à venir. Aurais-je la constance et les idées assez claires pour les
mener à bien ? Prendre le temps de la lecture. S’autoriser de plonger dans le
travail et l’étude. Téléphoner à Marina. Arrivé à ce moment de la saison il est
rare que je ne sois pas totalement heureux. Tout m’est plaisir. Les rues. Les
femmes. Qu’une soit dans ma vie ou que je sois seul.
Passer le mois de septembre à flâner,
observer, sentir, séduire, parler, écouter, aimer. Septembre est le plus beau
mois de l’année...
Ce matin le Clémenceau a
appareillé. Passer le mois de septembre à peindre, lentement, dans l’atelier
calme et silencieux, une série de huit toiles conçues pendant les nuits d’août.
Toiles déjà prêtes. Revenir à une préparation soignée du grain, de la tension…
A moto…
... entre Bormes-les-Mimosas et
Toulon, sur la route nationale, sous une pluie battante. Tous les moments sont
bons pour l’amour. Mais il en est un particulier. C’est la fin du mois d’août
lorsque le temps est gris, se rafraîchit. A l’heure de la sieste. Il fait un
peu lourd, il peut même pleuvoir un peu. Le repas fût riche, raffiné, cigares…
Le temps alors s’arrête, on touche à l’éternité. Remontent alors les odeurs de
la terre, si fortes dans les Maures, et celle de la mer toute proche derrière
les collines, et nous atteignent, poussées à l’extrême, où que l’on se trouve,
par des filets d’air, des vents légers et tournants, bientôt tamisés par la
pluie fine. Il n’y a plus de mots pour décrire la volupté de ces moments là. La
femme. Odor di femina. L’éternité. Les gros dentis sont souvent
immobiles entre deux eaux, au fond des eaux, près des épaves. Gorgones et
cheveux des femmes. Femmes mauresques ! Sexe offert, toujours plus ouvert,
plaisir inouï…
Eaux profondes…
La grotte de l’anse San-Peire, reflets d’eaux qui
scintillent au plafond calcaire de la grotte suintant comme un vagin. Effets de
lumière. Caravage et Le Lorrain. Ports. Porto. Apéritifs. Eaux stagnantes au
fond des bassins du port de Toulon. Nina
la Créole à la peau tendue
ruisselant de sueur, aux seins et fesses fermes, cheveux très serrés en
chignon, visage ovale et plein. Les demoiselles d’Avignon. Les
demoiselles de Toulon… Yeux noirs, tatouage sur l’épaule. Coup franc,
cigarette, une bise... Lumière dorée se reflétant sur les eaux, rayons qui les
traversent, et révèlent furtivement les formes endormies des fonds, bosses,
rondes bosses moussues, et se réfléchit sur la courbe d’un bidon rouillé. Danse
sur la pierre et ses reflets d’argent, le poulpe glisse latéralement sur le
fond, épousant la lumière de tous ses pores et cherchant le refuge de l’ombre.
Lumière calme et dorée du soir. Bonheur. Huiles répandues flottant à la
surface, gasoil, essence du monde, corde rongée par le sel. Même reflets d’eaux
à Venise, le long des quais des arsenaux, dans le soir. Trouées de lumière
derrière les têtes du Tintoret ou du Véronèse, grilles des carceri de
Caravage, Piranèse et de Raphaël.
Septembre...
Baisers interminables, sel, salive,
sexes trempés, miel. Périnée, sueurs, pubis touffus. Nuits interminables. Se
balancer, bien pesé, dans trois mètres d’eau, lorsque le temps est gris, ballet
échevelé et calme des posidonies, dans le sillage des bans de saupes. Etre en
suspension, s‘immobiliser. Agiter doucement une palme pour maintenir
l’assiette. Se laisser porter. Ne pas tuer. Les Indes. Contes de
Satyajit Ray. Déjeuner d’un poisson grillé, puis l’amour, jusqu’à la nuit,
jusqu’aux étoiles, jusqu’au vent déchaîné des nuits de mistral et que les
volets grincent. Je vais téléphoner à Marina. Lire, étudier, aimer, peindre,
aimer, aimer encore. Lorsque le diesel s’arrête, vient le désir calme et
l’assurance d’une belle plongée. Le silence de la mer. Lumière grise. Désir de
plongées, désir d’aimer…
L’Arlésienne…
Passer l’hiver en Provence, derrière
les fenêtres chauffées à blanc par le soleil de midi, odeurs de paille des
chaises. Peinture. Bois d’olivier qui brûle. L’Arlésienne, avec ses poils, son
corps. Maintenant le soir tombe. Lumière déclinante à travers les vitres. Le
froid descend à son tour et enveloppe les collines où se dessinent les ombres.
C’est la guerre au Liban. Oignons. Daube. Tabac gris. Velours noir. Vin.
Oignons roux orangés devant le mur blanc gris bleuté, velours noir profond du
pantalon. Cézanne-père lisant son journal. Derain. La Provence est grise. Bleus
et verts de Baboulène. Corot. Beau sexe brun et rose odorant de femme offerte
posée là, sur les draps de coton blanc. Sang. Sperme. Fumées des toits. Gris
subtils et bleus coupés de blanc et de garance. Légion. Combats. Traités de
paix. La peinture continue. Immensité de la nuit. Grand vent sur les tuiles. Le
soir…
Les effets d’une construction
réussie, élaboration lente du tableau pour donner l’illusion d’un dessin
rapide. Fraîcheur du ton, du coloris, légèreté mais non pas transparence.
Recherche des tons justes. Musique douce. Spaghettis, chinchillas, vin rouge du Piémont, grosse baise dans les
châtaigniers.
Vertus mécaniques - esprit des fleurs
!
Toutes les essences !
Dans l’air et le soleil
Le bois se tord et souffre
Elle tourne sur sa base
La boule métallique !
Dali…
Et puis penser au petit chemin menant
à l’atelier de Cézanne, la montée des Lauves bordée de cyprès, pins, figuiers,
lauriers, le maître s’y faisant conduire en fiacre depuis la rue Boulegon.
Quelques cailloux, quelques pierres, sur la colline alors pelée, un muret, et
la maison, en haut, en contrebas du chemin, d’où l’on domine Aix. L’atelier,
huile de lin séchée, cloquée, mêlée aux aiguilles de pins centenaires au fond
des cylindres de zinc de la palette qu’emportait le maître sur le motif aux
grosses chaleurs. Toile rayée du parasol, senteurs. Le cercle rouge.
Tout n’est que mémoire. Mémoire des sensations dans l’atelier frais où le monde
se redresse par l’esprit. Sénèque. Melville. Entrer en peinture comme au
couvent, pour mater les filles à leur toilette. En fourbe, en gangster. Pas de
quartier, le monde doit rendre et payer son trop plein de clarté, son trop
plein de beauté et de lumière insolente. Seins. Tétons roses. Toisons comme des
puits. Entrer en douce. Pas de quartier. Quartier réservé, quartiers de viandes
aux étals des bouchers. Bacon (Francis). Plats de côtes, jambons fumés, cuisses
roses cernées d’un lacet noir de pêche. Entrer par la fenêtre. Volets verts.
Mais quel vert ? Olives argentées dans le vent d’hiver. Femmes. Fichus. Laines.
Dali, Lacan. Suivre les Maîtres et… leur casser la gueule. Poliment.
Visions…
En écoutant Léo Ferré. Epoques
successives. Ecoulement du temps. Eternité, toujours. Je pense aux
sous-mariniers de la France Libre, des missions sombres dans les fjords de
Norvège. Narvik. Au stress infini les séparant des bassins de radoub anglais.
De ceux perdus par le fond des eaux glacées. Messages radios. Chasse allemande.
Ceux qui jamais ne revinrent. Et, toujours, la masse sombre des ombres
consumées dans les forêts de Pologne. Ton cul est un vitrail. Chartres. Ton cul
poisseux sur les draps froissés est un vitrail de plus. Rodin. Cathédrale
humaine, jusqu’aux cieux. Oran. Alger. Agadir. Tanger. Danger. Mers, mines.
Méduses. Tôles rouillées. Double coque des submersibles. Bordels. Coups tirés,
contre la mort. Bouges de Gibraltar. Intelligence…
Enfants à naître. Ciels lourds sur la
Méditerranée. Transparence des eaux pour la chasse. Cigarettes Pall
Mall. Sten gun.
Amirauté. Famine. Soleil sur les murs de la chambre pendant la sieste après le
travail de la nuit et ses dangers. Couvre feu. Couvre lit. Nina la Créole fumant après l’amour, coiffée d’une casquette
d’officier.
Vu hier soir des dessins de Juan
Gris, qui avait suivi les Arts et Métiers. Lettres touchantes échangées avec
Apollinaire…
Les roches rouges…
Antibes : trois minutes d’arrêt.
Chanson pour le maçon.
Cathédrale et rue du Saint-Esprit.
Tour du château des Grimaldi.
Le vieil Antibes d’Audiberti.
Le ciel.
Courants d’air léger sur la terrasse
du musée.
La mer, immense, au bas des murailles
blanches.
Le bleu.
Soupe de poisson.
Chambre d’hôtel à la gare routière et
son horloge de tôle découpée. Nuits d’Antibes vous étiez des nuits d’amour.
Train Paris / Vintimille.
Dallages noirs et blancs du parvis.
Galets.
Oursins de Picasso.
Nappes de papier tachées de rouille
orange et grasse.
Ail frais et rosé frappé.
Cigarettes.
Sel. Peau. Sexe trempé.
Rues désertes à l’heure de la sieste.
Shakespeare.
Soleil de plomb.
Mon nez dans tes fesses tièdes.
Martini.
Place du marché.
Bouquet de menthe fraîche dans ton
cul ma chérie.
Note d’hôtel.
Jazz dans la nuit.
Courants d’air sur les remparts.
Lumière du petit matin sur les eaux
froides frémissantes.
Photos de gris, de noir et blanc.
Pellicule de sel sur ta culotte
blanche ma belle salope.
Bijoux de verre miroitant tes yeux.
Odeurs.
Vent du large.
La nuit à Antibes !
Lauriers roses et bancs de rondins
verts à la peau craquante sous les platanes de la gare et les villas endormies
par la fournaise.
Cailloux du ballast chauffés à blanc,
rose du sol des quais !
Rose de ton cul ma chérie !
Pistaches.
Skaï vert des banquettes des anciens
wagons, odeur des métaux, aluminium poli, toutes fenêtres ouvertes où l’air du
printemps s’engouffre, dans les couloirs et les compartiments où l’on lit
Apollinaire.
Bône où j’ai rencontré Lou.
Provinces de France.
Abbaye de Solesmes.
Petits stores de toile beige tirés de
haut en bas.
E
pericoloso sporgesi. Nicht in aus leinen. Ne pas se pencher au dehors.
Parfum de femme dans toute la rame.
Arrivés au Trayas, la voie courbe,
entre la mer et les roches rouges abruptes.
Agaves, pierres ocres, roses, grises.
Vert de gris et tiges chargées de fleurs jaunes.
Bonheur.
Nice !
La chambre de Laure.
A Menton sous les marchés couverts
les poissons sont dans les bacs. Trottoirs et voirie arrosés à midi après le
marché.
Fleurs jonchant l’asphalte devant les
vitrines des bars.
L’Italie, si proche ! Ostende !
Poèmes lus arrachés au vacarme et à
la vitesse.
Soufflets noirs du train et des
chambres photographiques.
Parfum...
L’appartement d’Apollinaire
appartenait au prince de Monaco. Bague faite d’un éclat de balle, cuivre pour
l’anneau, lingot d’or pour inscrire « Gui
aime Lou. » Le casque troué. La lampe bleue aux motifs floraux comme
un lamparo sur une mer de livres. Lettres écrites à La Santé. Les Fantômas. Rouletabille. Bugatti. Le parfum de la dame en noir…
Automne
PUTAIN ! Aujourd’hui je sortais
de l’atelier (l’ATELIER) et je marchais sur les pavés luisants, passant
devant Chez Angèle, où le peuple se restaure, je tournais à gauche
dans le passage et putain de merde, ça sentait fort les olives noires un peu
pourries ! J’ai vu des étoiles, des barriques crasseuses et tous les ports
encore et encore ! Putain ça sentait fort les olives !!!
Trains de nuit le long de la Volga,
Rogovine et l’épine d’Ispahan ! Commerce des tableaux. Faux. Tissus d’Inde
vendus sous les mimosas de Nice.
Commerce d’esclaves et de bijoux.
Harare. Marseille. Oranges. Huile.
Pièces d’argent frappées de têtes aux
lauriers.
Vins, miels des collines vendus
au-delà de la mer.
Commerce d’un petit tableau. Chatte
de cinq cent francs.
Tissus. Tiares, bibles !
Commerce !
Alfred…
Vu ce matin encore un très beau petit
Marquet, eh oui, de 1916, sur les quais, boiseries, ambiance feutrée. Un port.
Un délice. A l’intérieur : 2 petits dessins de De Chirico, des études de 1920.
Sublime. L’exposition Paul Delvaux
chez Isy Brachot, avec 4 aquarelles, miroirs et architectures. 14 gravures en
couleur très intéressantes ! L’exposition Courmes
a débuté hier soir rue de Seine. Doisneau était là, modeste, discret,
souriant, un saint ! Courmes, le maître, est arrivé, accompagné par deux jeunes
gens. Œil vif, teint clair et sain. Très lucide et attentif, malin, peu loquace,
direct cependant et la main sûre : sa dédicace, qu’il m’accorde volontiers, sur
la page de garde du livre de Jean-Marc Campagne, est impeccable. Lettres bien
dessinées, calculées, précises. Je suis content d’avoir vu et serré la main de
Courmes « de son vivant » !
La place Puget, les pères maristes
près de la gare, les alcôves de la basse-ville, persiennes, poix chiches,
femmes, marins, baletti l’été sous les platanes et serviettes
propres pour les passes. Marine. Bormes-les-mimosas, chaises longues, plongées
chez Roland Blanc. Alain Bombard au tuba sur le Radeau de la méduse (1964).
Anvers, les Rubens, Holbein, Van Eyck, intérieurs des cafés et des maisons de brique, pavés luisants, Simenon, cigares, échafaudages, bocs, rideaux à carreaux, nappes, horloges brunes, veillées, géraniums, grands boulevards, canaux, péniches, affiches lumineuses, lettres peintes séchées au pignons des murs, garages sentant l’huile sur les routes du Var, piles de pneus, halte à Gonfaron, petits chênes, goût du détail. Dessins annotés, une vie dans la peinture. Fesses aperçues au détour d’un corridor, surgissant d’un paravent aux oiseaux, tentures, sommiers, noyer des tables et des lits, draps, poils, étreintes rapides, escaliers dévalés le petit matin frais, haut le cœur de l’odeur de l’eau des bassins dès l’aube. Frégates, Monaco, Musée Océanographique, tâches noires : officiers portant bicorne épée et rubans, Direction des Affaires Maritimes. Atlantes, Puget, Daumier, ouvrages des proues sculptées dans les arsenaux, chênes millénaires. Toiles cirées, toile vierge, cinéma, châssis tendus, couleurs à l’huile embaumant la boutique du petit cours Lafayette. Le café est pris dans la froidure sur le poêle à charbon…
Anvers, les Rubens, Holbein, Van Eyck, intérieurs des cafés et des maisons de brique, pavés luisants, Simenon, cigares, échafaudages, bocs, rideaux à carreaux, nappes, horloges brunes, veillées, géraniums, grands boulevards, canaux, péniches, affiches lumineuses, lettres peintes séchées au pignons des murs, garages sentant l’huile sur les routes du Var, piles de pneus, halte à Gonfaron, petits chênes, goût du détail. Dessins annotés, une vie dans la peinture. Fesses aperçues au détour d’un corridor, surgissant d’un paravent aux oiseaux, tentures, sommiers, noyer des tables et des lits, draps, poils, étreintes rapides, escaliers dévalés le petit matin frais, haut le cœur de l’odeur de l’eau des bassins dès l’aube. Frégates, Monaco, Musée Océanographique, tâches noires : officiers portant bicorne épée et rubans, Direction des Affaires Maritimes. Atlantes, Puget, Daumier, ouvrages des proues sculptées dans les arsenaux, chênes millénaires. Toiles cirées, toile vierge, cinéma, châssis tendus, couleurs à l’huile embaumant la boutique du petit cours Lafayette. Le café est pris dans la froidure sur le poêle à charbon…
L'Agosta…
Bar Gauthier, près de
l’atelier, 14h30. Bambochades de David Teniers le Jeune.
Joueurs de cartes de Cézanne. Dehors il fait froid. Dans le bar il fait chaud.
Les joueurs sont animés et parlent fort. Les cartes sont jetées tour à tour et
vite ramassées. Ambiance paisible et conviviale d’un après-midi d’hiver de
province dans la vieille cité aux immeubles fatigués. Etre sur le vif, la vie.
Capter l’instant, chose impossible ? Saisir l’instant. Haïku permanent. Trafalgar square. Bataille de Lépante. Blessure
horrible de Cervantès. Joyce. As de cœur. De quoi dînait Raymond Lulle ? 4.
Chiffre fatidique. Carré d’as. Carl André. Sous-marin Agosta : 67
mètres, 1200 tonnes, 58 hommes à bord. Calculs permanents. Je projette un
voyage à Gênes…
Portes cochères…
Hier, déjeuner délicieux avec Marina
: confidences, expériences, œillades, gestes, observations, émotions,
pâmoisons, sourires, virevoltes de la voix, silences, pirouettes, relâchement
des corps après l’agape, pas lents et boudeurs, démarche lascive, chemins
détournés, raccourcis, passages dans le labyrinthe des rues et de la séduction,
pause pipi pour le chien, observation du ciel, lumière, belle lumière, zeste de
bleu par-dessus les toits, trouée des nuages, capeline jaune à perles d’or,
vitrine de surplis roses orangés, yeux verts tour à tour arrogants et tendres,
jambes gainées de noir, escaliers abrupts plongeant sous un palier, corridors,
galeries, XIXe siècle, Balzac, cheveux roux. Maryse qui nous rejoint, tout de
noir gantée, yeux bleus, visage rond, blondeur, sourire, poignée de main,
gentilles paroles échangées à la sauvette. Salut, à bientôt, yeux de feu. Nous
sommes dans la rue Saint-Denis, en plein cœur du Sentier. Peep-show. Brune. Poils, fesses pleines.
Seins auréolés de rose. Jacinthe. Roses de Tiépolo, de Véronèse. Chatte
entrouverte. Détroit des fesses à l’œil si délicat. Métal chauffé à blanc.
Fulvia fatiguée ce soir, pas de baise profonde.
Le lendemain Jean Renoir cause à la
radio, bien qu’il soit mort. Etonnant. A travers son père il fut en contact de
la civilisation d’avant le tube (Peter Halley), son père buvant le café avec le
bourreau de Louis XVI et Montmartre restant un joli village avec ses deux
sources, jusqu’à la fabrication industrielle des tubes et la construction des
grands immeubles… Une autre époque.
Carnac…
Passé la nuit avec Isabelle. Ainsi
que la nuit précédente. Peu de mots, beaucoup de gestes, comme des vagues.
Paysanne forte, peau blanche de lait, tétons roses, aimant l’homme et sa
chaleur. Prête pour la semence. Je pense à l’herbe grasse, aux falaises
d’Etretat, à la fille du Metropolitan, celle de La
vague de Courbet, si magistrale, magie de la chair et de la terre.
Pulsion marine au travers de l’écheveau du pubis, cressonnière odorante. Nous
faisons l’amour sans discontinuer. Je l’accompagne salle Gaveau à son cours de
chant. Visite à la galerie Didier
Imbert Fine Art, avenue Matignon.
La maison de Moore reconstituée est
exposée et je prends un grand coup de grandeur simple en pleine face : maîtrise
absolue de l’échelle, de la métrique et de la forme dans sa plénitude.
Alignement « carnaquien » de ses petites sculptures, toutes destinées
au monumental !
La collection de crânes, avec
notamment celui incomparable de l’éléphant, sorte de falaise / grotte comme
une Demeure d’Etienne Martin, me fait penser au vagin d’une
femme, avec ses parois, ses formes intérieures, sublime cavité, muscle
articulé, lèvres pileuses, le clitoris toujours en vigie au sommet, « tuileur » infaillible du temple !
Combinaison des articulations, du
squelette, des tissus et des viscères dans le corps humain, étendue au
monumental, disposée dans l’espace ouvert des landes vertes du Devon. Bacon, si
proche, scrupuleux boucher sentant les os et les viscères mieux que quiconque…
Jack l’éventreur. Fantasmagorie surréalisante de
Moore à ses débuts…
Dans sa collection : une marine, par
Courbet, qui m’émeut terriblement, et, un autre Courbet encore, presque
l’antithèse du premier, l’entrée d’une grotte d’où coule une rivière. Espace
ouvert et espace saturé fermé, entrailles de la terre, impossible d’aller y
voir, si ce n’est par le toucher. Parois lisses…
Viennent ensuite deux encres sublimes
de l’immense Daumier, visages de clercs, d’avocats, aux sillons des rides
tracés comme les courbes si sensibles de ses propres dessins. Deux mines de
plomb de Millet, le grand Millet, un de nos meilleurs artistes. Une Paysanne
pilant du grain, monumentale, stalinienne. Finesse extrême d’ambiance de
pénombre de la grange à l’arrière plan. Maîtrise extrême du dessin. Un dessin
de Rodin, ocre et rose, lavis très dilué, curieusement immatériel, la grâce de
Rodin est un mystère. Chaque trait est érotisé, magnétisé comme une pile,
divin, aérien, la chair et l’esprit transcendés…
Un très beau Corot, peu commun, non convenu, qui ressemble à une étude des environs de Paris par Cézanne. Entrelacs des branches sinuant, frondaisons aux plans qui se superposent. Fuites, sfumatos. Une figure humaine à gauche, presque esquivée, qui n’est là que pour donner la notion d’échelle : voilà ce qui a du décider Moore ! Stupéfiant rapport Corot / Cézanne.
Un très beau Corot, peu commun, non convenu, qui ressemble à une étude des environs de Paris par Cézanne. Entrelacs des branches sinuant, frondaisons aux plans qui se superposent. Fuites, sfumatos. Une figure humaine à gauche, presque esquivée, qui n’est là que pour donner la notion d’échelle : voilà ce qui a du décider Moore ! Stupéfiant rapport Corot / Cézanne.
Un peu plus loin, chez Artcurial, se
trouve un bel ensemble d’estampes Support-Surface, très jolies, de
fort bon goût, et qui montrent s’il est encore besoin l’importance du mouvement
dans l’histoire récente de la peinture française. Dans les revues ce mois-ci,
Jean-Marc Bustamante est à l’honneur et Mike Kelley est désormais omniprésent
sur la scène internationale, tout comme Paul Mac-Carthy. Une de ses
installations ressemble fort à un projet d’installation que j’avais conçu il y
a trois ans. Tout ça passera. J’aimerais voir « Une
partie de campagne » de
Jean Renoir. C’est mieux.
Je me rends à Lausanne pour
l’exposition Human Posthuman, où je
découvre un artiste attachant : Charles Ray.
Après avoir fait l’amour, la lecture,
les commissions, la cuisine et la lessive, je marche vers l’atelier. Il n’y a
qu’un chemin possible, celui de l’atelier. Qu’il se trouve dans la montée des
Lauves, dans une plaine d’Amérique du Nord, dans une église d’Italie, ou
donnant sur un coin de rue de l’est de Paris. Je suis heureux.
Les conditions du bonheur…
Trois jours avant Maastricht.
Repas légers de légumes, pâtes, peu
de viandes, fromages etc. Qualité et frugalité. Vin très digérable. Café.
Tabac. Peu ou pas d’alcool. Travail le matin, en bonne lumière, et en milieu et
fin d’après-midi. Lecture. Cigares de qualité. Travail approfondi et cependant
toujours en détachement. Immersion dans la couleur. Rues éclairées, filles,
repas sur les planches. Danse. Parfums. Amour. Puis reprise du travail, dans le
matin calme et la lumière des jours qui se suivent. La vie. Toute la vie.
Rosée, oliviers, ciels lavés par les pluies. Vents violents. Lessives. Pierres
sèches. Arbres tordus. Feu sec. Femme chaude, reprise des jours rythmés de
travail régulier. Confiance de l’amour. Célébration de la vie. Magie du
quotidien. Eternel retour des jours et des heures, de la matière, se fondre
dans le monde, accepter son rythme. Mystère de la souffrance. Seul l’amour
élève notre condition.
Nuit de Paris…
Vernissage de l’exposition Magnelli à la galerie Lahumière, boulevard de Courcelles. Lumières dans la nuit, froid, vitesse, fleuristes, yeux des femmes seules attendant un rendez-vous, magasins, installation nocturne des sculptures de Botero sur les Champs. Rencontré Anne Maisonnier, avec laquelle je m’entretiens. Petite, yeux pétillants et chauds, brune, quelques cheveux blancs, lunettes de métal doré un peu fantaisie, sourire enjoué, enfin un visage et une voix après tant de textes. Elle me questionne sur cet accrochage, sur mon travail, mon goût pour ce peintre dont elle est le très éminent spécialiste, et m’invite à nous revoir à la Fiac. Elle est agréable et attirante, curieuse et franche. J’aimerais parler plus longtemps avec Anne Maisonnier. Rentré par les Tuileries, le pavillon de Flore dans la nuit et la vitesse, la nuit comme une chape sur Paris. Demain je reprends le chemin de l’atelier. Taper des coups sûrs. Cassius. Jouer à la française avec les qualités traditionnelles de l’équilibre, de l’harmonie et du goût. Force de Braque... mais avec le regard d’aujourd’hui. Ces mêmes qualités françaises qui sont les plus difficiles et les plus risquées, à commencer par être traité de "franchouillard" par des crétins qui ne voient dans l'Art qu'une indifférenciation, un doux commerce international alors que les différences sont criantes, et craintes, différences de qualité, d'intentions...
Importance des toutes petites choses et valeur des sculptures de Twombly, des objets pauvres de Richard Tuttle.
Bouts de ficelles. Champs / Contrechamps.
Trop tard…
Nous avons appris la mort d’Alfred Courmes dans Le monde daté du 10 janvier, paru le 9, il était décédé le 8, à l’âge de 94 ans.
Brave Courmes, une œuvre de brave, un
grand éclat de rire !
Souvenir immédiat du peintre, voûté,
âgé, mais au visage si doux de méditerranéen sensuel, au teint d’olive, regard
sourd et attentif, précis, le plaisir qu’il prit alors un instant pour inscrire
son nom avec soin, prenant son temps, sur le livre que je lui tendais. Quel
peintre ! Et l’amitié si fine et si proche de Doisneau qui était là lui aussi,
souriant, humble et ironique, amoureux de la vie.
C’était au printemps dernier, la
lumière était douce dans la rue de Seine rose orangée.
Souvenir aussi de l’extrême qualité
de ses œuvres exposées chez Berggruen rue de l’Université. Acquérir une gravure
? Le radeau de la méduse avec
Alain Bombard au tuba ? Tristesse de cette nouvelle : il était prévu de
lui rendre visite. Trop tard…
Façades décrépies, murs lépreux,
effondrés, gravats, volets brûlés de soleil, peintures écaillées, papiers
peints décollés sur les pignons des murs mis à nu par l’effondrement des
immeubles de la vieille ville de Toulon. Murs photographiés depuis 1978.
Figures au milieu des ruines colorées et baignées de lumière. Tapiès remonte à
la surface après des années, et aussi les images de Beyrouth détruite.
Proposition…
Douze séquences, programme
ping-pong. (Hommage à François 1e)
Une ! Petites
lentilles à la lyonnaise servies fraîches avec leur bouquet garni.
Deux ! Cassolette de foies
de volailles sautés puis glacés au vinaigre avec petits haricots blancs (peu)
ou lingots pour deux ou trois petits pets secs et sonores.
Trois ! Fromages moelleux
de vache pas trop pourris et aussi un chèvre très sec pour un pet plus gras.
Quatre ! Salade amère en
accompagnement (pissenlit) et vin de bourgogne et champagne millésimé sec.
Cinq ! Une belle charlotte
aux fruits rouges ou clafoutis aux cerises et sorbet léger.
Six ! Café italien et un
cigare de Cuba.
Sept ! Une bonne tronchade bien
sentie avec préliminaires sérieux à base de dessous « La perla »
et de cosmétiques tique-tique Saint-Laurent.
Huit ! Un quart d’heure de
sieste.
Neuf ! Billard ou belote.
Dix ! Une autre tronchade franche,
fraîche et jolie avec bonne décharge.
Onze ! Gibier et Gevrey-Chambertin.
Douze ! Discussion
philosophique et blagues.
Il pleut *
(Académie)
Retrouver et repenser le projet de
toile d’après Baboulène
Just Jaeckin, Emmanuelle 1 et son
osier
Et le fauteuil bleu du chef des
guérilleros dans
L’Aventure c’est l’Aventure, avec des
entrelacs décoratifs
En gouttes d’eau
Myriade de boucles, Byzance et bonne
baise
Les Femmes d’Alger en virée chez
CorotCigares Monte Cristo, vengeance
picturale
Hommage brutal à Azyadée
Sardines grillées, merguez et guitare
sèche
Braseros, miels odorants, aisselles
faisant la vaisselle
Belote menteuse, tir au pigeon,
poularde à la crème
Pistou au cul, chatte brûlante,
braises sous la cendre
Joli fond de terre d’ombre brûlée et
de brou de noix bien grasses
Bouquets garnis, persillades, nichons
en capilotade, girofle
Polenta fumante, truites roses, une
olive noire dans l’œillet mauve
Langues de merle frites, Bourgogne
d’orgueil, Leica au chocolat blanc
Les seins auréolés de Lola fumante
assise sur l’aligot bouillant
Salade de clitoris au vieux vinaigre
italien
Martingale de foie gras
Chute de rein sur la brioche chaude
Tournée de Pastis derrière les
cannisses
Plage de la cressonnière parfumée
Le long de la jarretelle, coulée de
lilas blanc
Coups de fusil dans les
nougats !
* C’est vache
Chanson brillante
(Suite au disque de l’odalisque)
Rap.
Article.
Je vais donc te brouter l’anémone
Belle arabe luisante aux nichons
fantaisie
Te carmeliner la pastille !
Bonnasse boniche des roumis endormis
Voler dans tes dessous comme la
poudre sous les tuiles de la rue Saint-Nicaise
Te prendre sur la chaise sans sortir
mon artiche
Et voir me supplier tes yeux de femme
riche
Pendant que passionné, je te bourre
la niche
Et sur tes hanches grasses je
placerai mes nasses
Pantalons d’Odalisque déchirés sur
tes cuisses
Comme on n’en vit jamais dans les
musées de Nice
La praline écartée et le persil en
berne
Les nichons écrasés par mes baisers
puissants
Tu sentiras mon foutre
T’inonder jusqu’aux dents
Temps clair…
Le voyage en Corse est compromis par
le refus d’une administration. Tant pis je consacrerais davantage de temps à
terminer ma série de collages sur papier.
Un grand garçon…
Vernissage ce soir à l’ARC de l’exposition
consacrée à la revue Purple Prose. J’y rencontre Paul-Armand Gette,
de plus en plus grand. Et souriant aussi. Jean-Jacques Aillagon me demande à
deux reprises de l’appeler malgré son emploi du temps chargé, d’ici un mois. Il
se souvient de moi et de son aide pour l’exposition de Reykjavik, dont avait
financé le transport…
Lise Toubon est là, guidée par Myriam
Salomon. Marcel Fleiss est là. Je salue John Armleder qui me laisse sa carte de
l’Hôtel Richemond à Genève, afin que je lui envoie les
photos de Sylvie Fleury et lui, prises chez Gilbert Brownstone en automne.
André et Carla Morain sont à l’affût, André, le Leica prêt à toute éventualité…
Damien Cabanes est plus lunaire que
jamais, nous dinons ensemble ensuite au cocktail organisé par la revue à cette
occasion. Je rencontre aussi Jörg, de retour de Berlin, il a très bonne mine.
Nathalie Obadia est jolie à croquer dans ses petits escarpins noirs qui vont si
bien avec ses beaux yeux bruns. Elaine L. arrive enfin, d’humeur égale et le sourire
constant. Et n’est-ce n’est
pas loin et rapplique avec Titus toujours aussi caustique. Je rencontre
Grazia Quaroni près du flipper, elle n’est pas en beauté ce soir…
Michel Nuridsany est très en forme,
sa jambe réparée, il a « la pêche » et sort accompagné de sa fille.
J’embrasse plusieurs fois Sylvana Lorenz derrière les oreilles, elle sent bon
et se prête comme d’habitude au jeu avec délice…
Heureusement que j’ai vu Et
n’est-ce, car il me « branche » aussitôt sur un travail pour le
lendemain. Un plafond à casser : les réjouissances habituelles. Amélie est là
avec son ami : elle est prise par Mérino ! Jennifer Flay a le regard faux. Je
parle pendant le cocktail avec Angeline Sherf, l’assistante de Suzanne Pagé,
qui est ravissante et a l’air disponible… Ghislain Mollet-Viéville est toujours
le même, il ne change ni ne vieillit pas. Mathias Fels me dit de passer à la
galerie mais c’est au pif parce qu’il n’y est pas toujours, c’est un lunatique.
Je rentre seul à la maison sans une femme à honorer…
Les lumières de la place de l’Alma
sont superbes, rouges, roses, néons, « Tabac »,
ciel verdâtre dans une nuit de Paris. Je songe à Cendrars et aux photographies
de Brassaï bien sûr, alors que passent les autobus, et à leurs virées « Chez Francis », à
deux pas…
Appelé ce matin Jean-Roger S. Il m’a
paru très en forme, sa voix était claire et douce. Nous nous verrons début mars
à Paris. Giono : « Dans ce que j’écris tout est inventé. »
Raymond Hains était encore fatigué et las après 3 semaines de bronchite. Il
sort peu. Nous parlons de Chateaubriand. Apporté aujourd’hui mon dossier et
quelques collages à la galerie Le Sous-Sol, rue du Petit Musc, sur le conseil
de Nuridsany. Réalisé ensuite 2 ou 3 collages, de qualité relative. En fait,
depuis 2 jours, mon travail a été difficile à mener et je sens des impasses à
tout moment. Peut être que ce cycle de production de collages au format raisin
s’épuise de lui-même, à mon insu. Il faut se laisser faire par les choses, le
court des choses. Transformation des choses vues.
Maldonne…
Vu aujourd’hui Claudine et ne suis
pas allé à l’atelier. Terrasse. Soleil. Paris. Taxis. Vu Charles Z. chez qui je
prends l’apéritif, rue de Grenelle. « Coupez
court à vos hésitations de langage, me dit-il, et allez droit au but car vous
êtes quelqu’un qui a des choses à dire ! »
Nous parlons de moi, de l’amour.
J’aime bien Charles Z. mais il est difficile de deviner sa nature profonde. Un
tendre, certainement. Il viendra voir mon travail très bientôt après son voyage
à New York. Vais-je, m’en sortir ? Je continue mon travail en attendant, dès
lundi. Sans hésitation. Montré hier mes collages à Jacques Donguy qui a
apprécié et m’a conseillé de voir Ben le plus tôt possible et d’aller voir
Micini à Florence pour mon rapport (d’après lui) avec la « Poesia Visiva. »
Terminé 3 ou 4 collages aujourd’hui.
Vu Fulvia, fatiguée mais belle. Mort de désir pour elle à l’Iguana Café. Mon pantalon camarguais ne
pouvant plus contenir mon membre érigé à éclater. Elle avait ses règles.
Indicible torture. Nous nous verrons mercredi pour un beau feu d’artifice après
avoir vu l’exposition Baudelaire et déjeuné ensemble. Je dois appeler Gette et
Bertini, puis Beltz demain.
Il faut continuer...
Il faut continuer...
Et reprendre ces jours-ci les
travaux en relief, en réalisant un grand format dont le départ a été constitué
en mai 93. J’ai hâte de partir pour l’Italie. La danse me manque beaucoup.
L’ivresse et la libération de la danse, du rythme. Tenir une femme dans ses
bras…
Les collages tirent à leur fin ?
Manque de documents. Lassitude du travail qui s’approche de lui-même de son
terme, à mon insu ? Rendez-vous avec Jacques Barbier qui « ne rentre pas du tout dans mon travail et est incapable de
porter un jugement dessus. » Déception. Mais qui saura voir l’évidence
de ce que je fais ? Ils ont peur ? Je suis déçu, las et fatigué. J’espère
retrouver ma forme et mon allant dès demain…
Annick, de Beaucaire, m’a fait chaud
au cœur et m’invite à les rejoindre dès que possible. Je ne vais pas me faire
prier ! J’attends avec impatience des nouvelles d’Italie et du salon de
Montrouge. Il ne manquerait plus que tout soit négatif ! Il faut tenir coûte
que coûte !
Vu aujourd’hui l’exposition Rauschenberg avec
Marie la Suédoise, chez Karsten Greve, où sont installées de magnifiques
porcelaines réalisées par l’artiste à Sèvres. C’était superbe. Mais la surprise
la plus forte était chez Thadeus Ropac où sont accrochées les extraordinaires
peintures de Fabian Marcaccio ! Suprématie de sa technique ! Vu hier « Salo
ou les 120 journées de Sodome » à l’Accattone avec Catherine
K. Puis nous avons marché et nous nous sommes embrassés de manière à la fois
douce et déterminée ! Nous avons parlé de nos malheurs et je l’ai beaucoup
embrassée et j’ai beaucoup aimé cela, elle aussi d’ailleurs.
Passé la soirée et la nuit avec
Catherine K. Suis-je amoureux ? Je ne sais mais le suppose. C’était si doux.
Catherine m’attire et je ne sais pas par où commencer. Nous étions inhibés. Si
bien ensemble et près l’un de l’autre mais quand tout est devenu sérieux, nous
étions coincés comme deux gamins, rétractés. J’ai aimé dormir avec elle. Je
ressens un fort besoin de la prendre dans mes bras, de la protéger, de l’aimer
et crains par-là même de l’étouffer, de la faire fuir, de produire le résultat
inverse de ce à quoi j’aspire. Qui est-elle ? Sa fragilité, son aspect d’enfant
perdue me fascine et m’attire. N’est-ce pas facilité de ma part ? Elle m’émeut
jusqu’aux larmes ! Ce soir je suis seul et en manque d’elle. J’aimerais tant
l’avoir près de moi, m’enfoncer au plus profond d’elle, sentir sa joue contre
ma poitrine. Que de banalités ! Je la veux...
Continuer le plus possible ces
instants si doux de silences, de demi mots, de baisers échangés dans la fragilité
des caresses. L’autre et son inconnu…
Je l’aime ? Il est trop tôt. Je suis
impatient. Elle est si douce. Il faut que nous nous aimions, je le souhaite
tant.
Catherine n’appelle pas. Je suis
triste. A peine commencée notre aventure est-elle déjà terminée ? J’attends son
appel avec impatience. Je crains d’avoir fait tout échouer avec mon appel trop
empressé d’hier. Je me trouve aujourd’hui dans la position de celui qui attend
et qui désire séduire alors qu’avec Isabelle et Patricia c’est moi qui fuyais
et ne faisais rien pour les aimer, seulement les désirer… L’attrait sexuel.
Est-ce que j’ai déjà commencé à souffrir ? J’aimerais tant entendre sa voix,
sentir un désir de sa part de me voir, de m’étreindre… J’attends. Je l’attends.
Bonne journée de travail. Réalisation
d’un collage en volume « La Dorade » (assez bien
réussi ?). Classement des documents accumulés depuis 15 ans, notamment ceux
relatifs à la vidéo et aux expositions déjà réalisées, et classées par années. Il
me reste à organiser davantage les dessins de projets… et les dessins tout
court. Recomposer peut-être un dossier de photos retraçant de manière linéaire
le parcours depuis 1978. Demain il faudra classer les collages sur papier (90
en tout). Regarder certains travaux sur toile. Continuer le collage en grand
format commencé en mai dernier. L’atelier est en ordre… ou presque. J’attends
un appel de Catherine et ne sais que faire. L’appeler au risque de la déranger.
Je pense sans cesse à elle. Douleur.
Masochisme…
Je reprends mon journal en écoutant
Chet Baker et sa voix si douce. Je suis seul, et assez triste et frustré !
Catherine m’échappe semble-t-il. Elle est enfermée dans un éloignement des sens
et des émotions qui me fait souffrir. J’aimerais tant que nous fassions l’amour
et que nous nous aimions tout simplement. Aujourd’hui ce fut encore impossible
malgré un beau début qui s’est soldé par une rebuffade et un refus. J’ai un peu
souffert. Beaucoup peut-être. Ne pas avoir d’ego pour ne plus souffrir ? Voilà
des mois que je n’ai pas fait l’amour et plusieurs filles sont en liste.
Comment choisir ? Sans doute faut-il laisser faire les choses, saisir le bon
moment s’il se présente ? Que de banalités… Qu’est-ce qui me pousse à écrire
tout cela ? Stéphanie, d’Athènes, et qui habite rue de Rivoli m’a appelé hier
soir et était très désireuse de me voir, elle m’a même proposé un week-end sur
la Côte bientôt. Les filles sont curieuses... Je pense aussi beaucoup à ma
petite Sophie avec qui l’amour fut si doux et qui a une place dans mon cœur…
Rester sur un échec est une épreuve
mais surtout je pense à elle, à quoi pense-t-elle ? Quel est le trouble qui la
bloque ? Dépression lente et larvée ? J’ai connu cela. Je voudrais voir cette
fille heureuse et gaie. Elle sait si bien sourire et dans ces moments-là nous
nous comprenons…
Ah ! Son parfum !
200 titres…
Sorti de ma visite chez Paul-Armand
Gette en cette belle journée douce et ensoleillée de printemps précoce, je me
sens rasséréné par cet entretien décontracté et amical. Gette a la science !
Celle de parler de tout et même de choses très graves sur un ton stable,
parfaitement naturel et décontracté. Son œuvre est complexe, sophistiquée,
codée. L’homme est simple, souriant, souple, franc et direct. Il me parle de
ses projets actuels, au Centre d’Art du Crestet, près de Vaison la Romaine, et
ensuite à Sète. D’un livre à paraître chez Actes
Sud et qui le satisfait. Il en a préparé la maquette sur son nouvel
ordinateur. L’an dernier il a eu une douzaine de publications. Le catalogue
raisonné de celles-ci occupe 200 titres : je m’empresse de téléphoner en
Allemagne, chez l’éditeur. Gette a pas mal vendu ces dernières années aux
institutions mais n’a pas de collectionneurs privés. Nous parlons de Jacques
Villeglé, de Raymond Hains : « Un grand », de Ben : « Il
nous fait chier. » Il aime mon travail et ne tarit pas d’éloges
sur l’idée de mettre sur un même plan des images « nobles » et
d’autres qui ne le sont pas. Il me semble convaincu de la validité de mon
travail. Attention à la censure. Je lui parle de mon circuit dans les galeries
dont je suis sortit assez dépité. Cela ne l’étonne guère : à Paris tout est
dur, difficile. Mon travail est assez dérangeant et surtout, il insiste sur l’aspect
violent de mon rapport à l’image. Cette façon de tout mettre sur le même plan…
Je croyais susciter la méfiance (ce mec a la dent dure), et je n’ai droit qu’à
des félicitations. Banco ! La journée
commence bien…
Il est étonné, ébahi, du fait que je
pourrai avoir un si grand atelier dans le sud, et pour si peu cher ! Je lui
parle de mes inquiétudes pour l’avenir : « Si tu veux la sécurité il ne
fallait pas faire l’artiste » me dit-il…
Nous nous quittons toujours meilleurs
amis et il se déclare ravi d’avoir vu mes travaux récents.
Rue de Lille…
Avant hier nous sommes allés
avec Et n’est-ce chez Renn Production, la société
de Claude Berri, pour mesurer un panneau de Jean-Pierre Raynaud (un drapeau)
assez lourd et que nous allons devoir déplacer…
Aujourd’hui nous sommes allés à la
galerie Piltzer pour repeindre une partie de l’espace. La matinée fut consacrée
à l’achat de matériel et à une visite au domicile de Gérald Piltzer, un hôtel
particulier avenue Foch. Sculptures de Louis Cane. Tableaux immenses de Hantaï,
Hartung, Mathieu, etc. Puis nous avons travaillé jusqu’à 16 h30 sur un espace à
repeindre. Christine, l’assistante, déballait des tableaux provenant de chez De
Jonkheere. Un beau Brueghel, que nous examinons attentivement avec Sarah Dahan.
Puis une copie du Caravage, contemporaine du peintre, un Cupidon endormi, ainsi
que d’autres œuvres anciennes.
Conversation…
Appelé et reçu des messages de
Catherine. Nous parlons de Dante. Elle est ma Béatrice. Je l’aime et attends
avec impatience ses appels, le son de sa voix syncopée. Si sèche et si douce.
Une sensualité effrayée par elle-même, toute tournée vers l’intérieur, un
trésor révélé par des émotions fulgurantes et instables. Le grand format que
j’ai entrepris avance peu à peu. Je rencontre des problèmes liés au
chromatisme. D’espaces intercalaires, de circulations, de structure, et la
difficulté aussi à assurer l’unité du tout. Bref, rien n’est acquis. Il faut
poursuivre…
Avons travaillé avec Enès chez
Jennifer Flay pour décrocher les œuvres de Mariella Simoni puis chez Gérald
Piltzer pour installer l’exposition de Odd Nerdrum, peintre norvégien, ancien
élève de Joseph Beuys ainsi que des œuvres de Carpeaux, Bruegel (12 MF),
Fragonard (900 000 F ),
Géricault (2,5 MF), Romanelli, Bellini, Caraciolli, Stoskopff, Grimon, Herman,
Mandyn. Vu l’exposition des premières œuvres de Marc Devade en 1970, qui sont
étonnantes. Au Salon de Mars je parle avec Raymond Hains, Olivier
Debré, Daniel Templon, Amor, Louis Cane, Thadeus Ropac, Catherine Issert. Le
salon est très beau et nous sommes très excités, avec Et n’est-ce, après une journée de travail et un vernissage très
animé chez Gérald Piltzer où je courtise ses assistantes : Sarah, Christine, et
un peu Paola. Jean-Edern Hallier semble fatigué. Point de vue…
Après ces allées et venues dans
Paris, le Marais, les Champs-Élysées, la rue Bonaparte, le Champ de Mars, les
contacts quotidiens avec le milieu de l’Art, je songe à la douceur de vivre à
Beaucaire, au Gardon, à Nîmes, en Camargue, aux taureaux, au soleil, aux vignes
autour de Arles, à la Feria, à l’amour, aux Gipsy King et à tout cela que j’aime tant. Les années passent comme des jours
mais l’amour reste. Illusions fragiles. Beauté du monde. Dans sa folie. Lumière
éternelle sur la Méditerranée. Vents à la surface du monde. Vie intérieure.
Cyprine. Draps froissés. Amour l’après-midi derrière les murs frappés de soleil
au zénith, sur les tuiles, dans la poussière argentant les cyprès… Cyprine.
Chinchilla…
Soirée de fête chez Jennifer Flay,
très en beauté dans une robe du soir en soie noire. On bouffe et on danse
beaucoup. Avec Mariella Simoni entre autres. Meyer Weisman arrive et je le
félicite tout de suite de son expo chez Templon, il dit s’amuser beaucoup en
travaillant. Ses dindes apprêtées sont très drôles mais aussi très
mystérieuses. L’éclairage de la galerie était réussi pour ce vernissage de
l’après-midi du samedi 19. Avons vu aussi ce vieux Fougeron, en forme, et des
tableaux assez intéressants chez Barbier Beltz : bonne bouffe, bonne baise,
bonne conscience, merci. Voilà sa devise. Nous voyons ensuite, avec Sadi, sous
la pluie, une très belle expo Richard Tuttle chez Yvon
Lambert. Piffaretti a réussi aussi un très bel accrochage chez Fournier, dont
l’assistant m’offre trois catalogues Viallat, provenant de Corée, et qui
manquaient à ma collection… Chez Brownstone nous rencontrons Jörg qui réitère
son invitation à dîner. L’expo de photos est très intéressante, on y croise Boltanski,
Bertrand Lavier, et surtout Bernar Venet qui me promet de m’employer bientôt, à
Pâques, au Muy, où il est installé, près de Toulon. Je suis enchanté. Le
vernissage de Philippe Thomas chez Claire Burrus est amusant, Claire Burrus
s’adresse à moi très chaleureusement, et ce soir je la trouve ravissante et
tout à fait comestible…
Hélas Catherine K. arrive avec la
mine perturbée et je devine que ça ne va pas être du gâteau. Je ressens
immédiatement une infinie tristesse et un sentiment de frustration qui me
poursuit alors que nous allons à nouveau chez Jennifer Flay qui reçoit dans sa
nouvelle maison dans une cour du quartier de la République pour fêter
l’exposition de Xavier Veilhan. Beaucoup de monde. Catherine finit par s’en
aller sans me laisser le temps de réagir. Je la rappelle, en vain, elle désire
rester seule. Mais arrivé chez Jennifer avec Marylène N., je décide de me
maîtriser et je danse et m’amuse comme un fou toute la soirée, qui se finira
au Pigall’s où il y a foule et un concert Funky / Rythm & Blues. Voilà. Demain
sera un autre jour.
Chenue…
Lundi et mardi nous avons travaillé
sur le stand Gérald Piltzer au Salon Découverte qui est très
décevant. Gérald Piltzer, présentant la New New Painting est
en fait plus frais et amusant que tout le reste. Nous avons fait du bon travail
mais il y a un peu de casse : deux dessins de Jean-Edern Hallier sont tombés et
les verres se sont brisé une demi-heure avant le vernissage.
Le salon est si décevant qu’il m’a un
peu déboussolé et je me sens triste, ressens un malaise et le besoin de me
replonger dans mon travail, la lecture, l’étude. Les affaires reprennent,
Charles Z. a reçu son Barcelo chez Chenue
et nous allons pouvoir intervenir.
A l’avenant…
La chair…
Le travail avance… doucement. La
grande pièce en préparation pose quelques problèmes difficiles à
résoudre. La liste de Schindler m’a ému, à 2 minutes de la fin
et j’ai quitté la salle au moment où les survivants déposent les pierres sur la
tombe d’Oscar Schindler. Catherine n’appelle pas et je suis une fois de plus
sans femme en ce début de printemps. Il faut que je trouve une femme. La chair
me tarabuste cruellement.
Django…
Aujourd’hui bon travail ! J’ai
reconstruit la sculpture effondrée hier en modifiant la structure, après
l’avoir renforcée. Les surfaces seront désormais mieux réparties, tout cela
afin de gagner en clarté de lecture, en simplicité, en évidence. Je conserve
cependant des zones atomisées par un grand nombre de détails. Cela devrait
fournir une belle pièce pour l’exposition prochaine aux Remparts.
J’ai hâte de terminer ce travail qui devrait marquer une date dans la série de collages
entamée voilà un peu plus de deux ans. La possibilité s’ouvre maintenant de
réaliser certains « petits », en les reportant par exemple à
l’échelle 10, ce qui rendra l’utilisation de surfaces peintes nécessaire, et
risque d’amorcer par ce biais un retour à la peinture !
Tristesse…
Et joie. Vu Catherine hier soir.
D’abord radieuse ou presque, puis abattue et mélancolique, frisant la panique.
L’ai embrassée dans le cou, et aussi partout, senti et appuyé ma bouche sur sa
motte tendue, senti son corps que je désire tant. Que pense-t-elle ? Je l’aime
sans doute et me heurte à un problème de cyclothymie très difficile à résoudre.
Mauvaise situation. Si tout cela pouvait s’arranger par une formidable partie
de baise ! Ne rêvons pas. La perspective du plumard s’éloigne mais elle semble
très attirée par un voyage en Italie. L’annonce suffit à faire son effet :
attendons la suite. Elle est si désemparée, mes yeux s’emplissent de larmes
lorsque je pense à elle. Heureusement qu’existent James Brown, Haendel et les
frères Marx. On tient.
L’impériale…
Aujourd’hui j’ai pris l’autobus à
impériale. Je suis allé voir Gianni Bertini ce matin, il est très sympathique
et souriant. En jeans délavés et sweat-shirt, son atelier est tapissé de ses affiches
d’expositions. Toutes sont drôles et le mettent en scène. Nous parlons une
heure, il m’offre un petit livre à tirage limité qu’il vient de réaliser
: New York - New York, me conte sa première rencontre, cocasse,
avec Duchamp. Il aime mes collages et s’étonne du fait que je n’expose pas
encore à Paris. Je regarde des photos de sa propriété près de Gênes. Il aime la
vie et l’Art et moi, j’aime les artistes ! L’après-midi, je range
l’atelier et appelle Roberto Peccolo à Livourne. Il est d’accord sur le
principe d’une exposition personnelle dans sa galerie fin 94 et j’en suis bien
sûr enchanté !
Alcools…
Passé la nuit avec ma jeune amante
Céline. Amour… difficile. Très névrosée, elle tenait hier soir des propos
incohérents sans doute dus à l’effet de l’alcool. Elle est touchante mais
atteinte, si je puis dire. Toujours entre deux eaux, comme absente. Diagnostic
: discours en boucle, répétition sans fin d’une même barrière traumatique (la
mort du père). Thadeus Ropac accepte de me voir demain. C’est une très bonne
nouvelle. Il a l’air sensible et un peu moins idiot que ses confrères. Plus
ouvert aussi, enfin nous verrons bien. Vu Paul-Armand Gette et sa femme, Turid.
Je n’étais guère en forme ce jour-là. Ils m’ont donné des catalogues. Il y a
200 titres P. A. Gette ! Je ne pourrais donc jamais prétendre
réunir la collection entière. Jean Yves Jouannais, d’Art Press, souhaite
me voir pour parler de mon travail. C’est une très bonne chose. Il me languit
de retrouver le sud et ses matins radieux. Les bruits du marché et la lumière
si douce…
Je lis et relis les textes de Gette
et je redécouvre sans cesse l’importance ou en tout cas la subtilité inouïe de
cet artiste, le charme et la séduction, qui émanent de son esprit. Esprit
rebelle, à vif, mais très doué pour la séduction. Intelligence rare, humour
corrosif, incomparable. Très haut niveau de culture. Sophistiqué et simple.
Etonnement constant, même après des années de rapport à son travail. Les textes
m’impressionnent plus désormais que les images. Je vais prendre ma douche…
19 h 30. Bon travail cet après-midi. La pièce, intitulée peut-être « Vanité »,
avance beaucoup, au point d’être presque achevée. Le châssis est prêt et semble
solide…
Bonne journée de travail. Et
n’est-ce au téléphone me conseille de me désinhiber et de ne pas
hésiter à harceler les gens du milieu au téléphone et surtout à ignorer
l’angoisse. Il part à Moscou bientôt. Je le sens un peu fatigué. C’est un ami
et un maître pour moi…
Très bonne journée. Ma Vanité avance
! Elle est presque terminée… et elle a fière allure.
Rencontre avec Thadeus Ropac, dans
son bureau, à la galerie. Voix douce. Hypersensible, intelligent, mais dur
comme un diamant. Il a trouvé mon travail intéressant et bien fait mais pas
assez nouveau pour lui, il n’a pas le « clic… » Homme affable et
charmant. Demain je verrai Lara Vincy.
Vu aujourd’hui Lara Vincy qui n’est
pas indifférente à mes travaux. Mais reste prudente… Bonne conversation au
téléphone avec Raymond Hains qui m’apprend que Rotella est papa à 76 ans d’un
bébé né il y a déjà 10 mois et dont la mère est russe. Il est très fort Rotella
! Très bon entretien avec Giovanni Joppolo sur l’Italie. Il habite les îles
Eoliennes et nous nous voyons jeudi. Le travail avance. Il fait beau. Demain
sera un autre jour…
Journée exceptionnelle. Je reçois
Lise Ott, critique, venant de Montpellier, où elle m’invite à venir cet été.
Critique pour Art Press elle est très intéressée par mon
travail semble-t-il, et par le projet italien…
Nous allons ensemble au café et notre
entretien suit un cours très agréable. Belle femme. Nous nous quittons avec
l’idée de se revoir donc cet été, à Montpellier. Rendez-vous l’après-midi aux Affaires
Culturelles. Jean-Jacques Aillagon étant souffrant, son assistant, charmant
garçon, me reçoit et j’ai le temps de lui expliquer en détail ma requête et mes
motivations. Il est d’accord sur tous les points et semble disposé à faire
aboutir mes démarches. Cela serait tout simplement fantastique d’obtenir satisfaction.
Nous verrons bien. Cela nous renvoie à la fin mai…
Vernissage Rezvani chez
Charles Z. Je le salue et lui parle de sa pièce au Vieux-Colombier dont il
n’est guère satisfait de la mise en scène. Lula est magnifique et me porte
beaucoup d’attention. Je suis sous le charme de cette femme d’une si grande
beauté. Charles est content. Yvon Lambert est là ainsi que Raymond Mason, Adami
arrive aussi, beaucoup de personnalités sont présentes. Charles me promet de
venir voir mon exposition à Toulon et me reçoit dans son bureau. Ce matin j’ai
eu la visite de Giovanni Joppolo très bavard, je peux à peine lui répondre, il
me parle de sa famille et nous évoquons aussi le milieu de l’Art. Les tarifs
exceptionnels dont bénéficient César et Rotella à l’hôtel Lutétia...
La bohême constante et rêveuse de
Raymond Hains. Le projet italien s’annonce bien. Je dois m’adresser à la DAP,
avenue de l’Opéra, pour obtenir la liste des écoles d’Art et les dates des
concours…
Artuby…
Hier je me suis rendu au Muy où
réside Bernar Venet, sur la rivière Artuby, où il a acheté un moulin du 15e
siècle et installé ses œuvres dans une usine blanche, lumineuse. Lieu de
sérénité, de calme et de réflexion, loin de l’hystérie artistique des
Alpes-Maritimes. Pluie et ciel de plomb sur l’autoroute.
J’arrive à 10 h précises, Bernar
m’accueille chaleureusement et me fait visiter le moulin rapidement. Puis nous
nous mettons au travail, je dois meuler et dégrossir des petites sculptures de
métal qui sont vendues ou offertes à l’occasion de sa présentation du Champ de
mars. Il est heureux, jeune et plein d’énergie.
Nous travaillons jusqu’à midi avec
une interruption pou visiter les abords de la rivière et ses deux chutes d’eau
« Port Venet » ! Nous déjeunons dans la cuisine du moulin en
commentant l’article du Figaro qui lui est consacré. Courte sieste
dans le grand salon, je m’assoupis entouré des grandes œuvres de Sol Lewitt,
deux superbes Frank Stella, Richard Serra, Rotella, César, Ben, et un dessin de
Scarpetta...
Nous reprenons ensuite le travail,
entrecoupé de sonneries de téléphone car Bernar ne veut être dérangé… même par
Daniel Templon, qui pourtant est empressé pour vendre ses sculptures… Nous
allons acheter des bombes de spray
avec la Range Rover puis nous signons les sculptures réalisées dans la journée…
je repars aux alentours des 20 h après une journée agréable et prometteuse de
prochains travaux ensemble. L’autoroute est ensoleillée, lumière dorée et
douce. Vitesse. Mardi je dois rappeler Bernar à Paris…
Le tombant…
Magnifique plongée ce matin aux 2
Frères. Profondeur bleue. Silence. Fraîcheur de l’eau. Univers nouveau
après l’hiver parisien. Pensées pour Jean R. qui, lui, ne plongera plus. Pour
Gérald dont les jours sont comptés. La vie est belle, mais n’a aucun sens.
Strictement. Demain je reprends mon travail et m’occuperai de plus en plus de
représentation du monde. Monde d’images plus qu’images du monde. Yves Michaud a
écrit dans Libération un article sur l’Art contemporain. Mort
avant même d’avoir existé vraiment. C’est à dire vécu par et comme une culture
populaire. Illusions des avant-gardes. Russes et italiennes. On a vu le
résultat. Que nous réserve l’avenir ? Très belle plongée vraiment. 24 min
à 28 mètres. Le tombant. Superbe pieuvre. Couleurs et transparences
inouïes. Le monde sensitif. Sensationnel !
Volets clos...
Installé dans la très vieille rue
Félix Pyat, j’entends le sifflement des oiseaux dans le ciel, tournoyant
au-dessus des façades et des tuiles léchées par les premiers rayons du soleil
de mai. Il est encore tôt et déjà la chaleur monte. Un tissu jaune pâle flotte
et virevolte, par la fenêtre entrouverte, sur la façade vanille de mon
vis-à-vis. Volets clos. Bruits étouffés des pas des humbles matinaux. Ecrire.
Le monde et sa représentation. Douceur de l’air. L’eau doit être calme à
l’heure qu’il est. Atelier endormi. Je t’aime. Tes yeux. Ta bouche. Ton sexe.
Mais où es-tu ?
Canapés…
Cérémonie d'ouverture du MAC à Marseille. Ville de macs
devenue ville du MAC. Vu François Morellet et son épouse, si sympathiques et
souriants. Ils montreront des multiples aux entrepôts Laydet en septembre. Vu
Isabelle Viallat belle et bronzée, et fatiguée me dit-elle. Vu Allun Williams,
François Arnal qui n’a pas l’air très au courant de l’exposition de Brescia.
Claudio est là avec Sarenco, qui est très sympathique et sa poignée de main
donne chaud. Il est fort. Les Durand-Dessert sont très bien vêtus de violet et
de mauve…
Annette Messager est là. Nicolas
Bourriaud rentre de Moscou et semble épuisé. Roger Pailhas est un peu hautain
et a l’air d’un mafioso. Il veut un dossier. Lara Vincy promène ses beaux yeux
désabusés dans tous les coins. Bernard Blistène s’efforce de présenter la
collection à Jacques et Lise Toubon qui sont toujours plus loin dans
l’exposition. Je rencontre Claude Viallat au café et lui donne une photocopie
couleur de mon travail, il a l’air d’apprécier et il est très très gentil avec
moi. Nous retrouvons Angeline Sherf au café, qui cherche un taxi pour rentrer vers
la gare Saint-Charles. Je me présente et lui propose de la raccompagner. Elle
accepte. Je suis bien content car cela fait des mois, depuis le colloque d’Enès
en fait, que je guette cette occasion de lui parler. Elle me plaît tellement !
Nous discutons agréablement dans la voiture et nous nous quittons au pied du
grand escalier après un échange de coordonnées et une promesse de futurs
contacts. Je suis très nerveux car cette fille me plaît beaucoup. Sa fonction
de conservateur à l’ARC m’impressionne
aussi. J’ai hâte de la revoir ! Le musée, lui, est décevant sur tous les plans
et je suis de plus en plus inquiet de la situation actuelle de l’Art en Europe…
Visite ce matin de Jean Blanc qui
visite mon atelier au complet. Il est très attentif à ce que je montre, pose
des questions et garde de longs silences concentrés. Je pense qu’il a une
opinion sans cesse plus positive sur ma production. Il me donne de précieux
conseils sur la conception de mon catalogue pour l’exposition aux Remparts.
Très belle soirée à Ollioules dans la villa de Violette Klein qui possède une Harley
Davidson compressée par César. Une femme charmante, Julie. A suivre…
Je m’occupe de courtage pour des
dessins de Riopelle. J’ai les contacts nécessaires, nous attendons la suite… Je
parle un moment avec Lara Vincy de Jonier Marin dont l’exposition est superbe,
de Raymond Hains, de Bernar Venet. Lara Vincy est disponible et semble
intéressée par me voir. Ses yeux bleus sont fascinants. J’ai visité
l’exposition Spoerri avec J.F.S qui a
acheté un très beau petit format. Les Apelbaum, rue de Seine, sont de bons
marchands et ils sont très sympathiques…
L’accrochage Debré / Olitski ce week-end s’est très bien passé et a
été suivi d’un très agréable dîner sur invitation où nous avons bien ri.
Passé chez A. B. pour récupérer le Rotella, puis, je rends
visite à Martine Laydet et je lui prends 1 tee-shirt d’Olivier Debré. Picasso
photographe est une excellente exposition. Yvon Lambert me tutoie désormais ?
Et se montre très gentil. Je rencontre Jacques Henric à la galerie Moussion
ainsi que Bernard Marcadé et Nicolas Bourriaud. Jean-Yves Jouannais accepte de
me voir cette semaine. Je rencontre Géraldine qui chante dans le cours de « Mireille » (le Petit conservatoire) elle
est délicieuse et j’irais à l’ARC avec elle dimanche. Je voudrais faire
l’amour avec elle…
Rencontré Géraldine. Je l’aime ? Galerie Moussion. Elle est
drôle, sensuelle. Je prépare l’exposition de Toulon, aux Remparts (Galeries
municipales). Beaucoup de travail et de soucis car la ville et ses affaires
culturelles fonctionnent mal. J’aimerais, bien entendu, que tout soit réussi.
Midi. Nous allons atterrir à Orly, avec Jean Roger S., Nathalie
et Avila, pour un voyage à Rouen, où sont exposés les Monet, les cathédrales.
L’accrochage de L’Art
américain au Musée de Toulon
fut difficile et fatigant. Mon vernissage aux Remparts fut lui, réussi. Dîner en compagnie de François Arnal
et de son épouse. Anecdotes et bonne humeur. Violette Klein semble sur le point
d’acquérir une pièce. Ce soir je reverrais sans doute Géraldine et nous ferons
l’amour ?
L’incendie…
C’est un bonheur total ! Le festin de Cézanne
de 1870 ! L’atelier de Bazille ! Les sous-bois de Monet,
Pissarro, Courbet…
Je découvre et comprend enfin la filiation Cézanne Pissarro.
Puis c’est le rapport chromatique Monet-Bazille. Le rapport de touches et de
valeurs Monet-Manet. Les natures mortes sont admirables. La pendule et le
coquillage de Cézanne tournent avec un nouveau cadre noir…
Puis l’espace s’ouvre encore, le coloris s’allège et ce sont les
dernières années. Quel choc ! Depuis 10 ans je n’avais pas vu une exposition
aussi bouleversante ? L’après-midi amour avec Géraldine. Masque de sperme
cosmétique. Le soir chez Lili la
Tigresse : à ma demande Géraldine danse seins nus sur le comptoir…
17 h…
La voiture Citroën d’Hiroshi vient de brûler en 10 minutes, rue
de Lorgues, à Toulon, alors que nous étions à l’intérieur. Sortis en
catastrophe. A côté d’un commissariat, celui de la rue Roche, où travaille Guy
D’Avanzo, un gardien de la paix, qui intervient tout de suite. Constat. Camion
de pompiers. Lance à incendie. Guy d’Avanzo engage la conversation : il a
habité rue Trousseau à Paris, rue où habite Hiroshi et où j’achète de la toile
bisonne, a été l’homme de confiance de Jacques Lacan au 5, rue de Lille, il
conserve son chapeau et sa canne, et a connu Serge Gainsbourg qui habitait à
deux pas : nous sympathisons… pendant que brûle la voiture ! Ce « fait d’hiver »
nous amène à parler de Jacques Lacan une après-midi d’été… très surréaliste !
A 16h, 40 minutes après l’incendie, ce sont les obsèques de ce
pauvre Baboulène, dans la cathédrale de Toulon, Baboulène évoqué hier au
téléphone avec Arnal… et aussi avec Plagnol ce matin. Le docteur Raoul,
psychiatre, me complimente cet après-midi sur mon travail. J’oublie mon
portefeuille près du téléphone alors que nous venons de parler du prix des
œuvres. Si Lacan savait ça !
200 kmh…
Sylvie Fleury était ravissante le dimanche 3, venu de Suisse à
Fréjus pour l’expo de John. Dîner agréable dans une villa fin de siècle. Boite
de nuit à Cannes, Le Blitz,
avec des étudiants de la Villa Arson et un collectionneur de Zurich. Retour sur
Toulon à 5 h du matin, sur la BMW, lever du jour sur le rocher de Roquebrune.
Sublime. 200 km / h Arrivée 6 h 30 à Toulon. Repos.
Louis Cane viendra sans doute voir l’exposition aux Remparts, dont l’accrochage est réussi. Puis Nathalie Obadia.
Jean-Paul Monery. Charles Z. Martin Guénet, avec qui je dîne pendant le
vernissage de l’Art américain dans les jardins de La Résidence au Cap Brun,
et qui est super-charmant. Plagnol a aimé l’expo et veut me rencontrer. Le
communiqué de presse, réussi, a eu un certain impact à Paris…
Ben et Marie-Laure Mouzon, d’Arthèmes,
feront un compte-rendu dans le prochain numéro. Il faut déjà préparer
l’exposition de Brescia, pour le 4 septembre.
Je reprends la plume. Seul dans la cuisine, dans le petit
appartement du Muy sous les tuiles encore chaudes, chez Bernar Venet, à l'ancien moulin qui abrite sa
collection d’Art Contemporain, ses ateliers et sa résidence d’été. Bonne
journée de travail parmi les invités, Eric, chef de bord à Air France,
et son épouse, Diane, Bernar et les enfants. Je suis fatigué et en dessous de
ma forme. J’essaye d’assurer cependant. La maison est calme, je vais bien
dormir ? Un article a paru dans La
Marseillaise, j’enverrais des fleurs à Louise Baron pour la remercier.
Philippine de Rothschild sera la semaine prochaine au Moulin pour quelques
jours…
Fenwick…
Rencontré Annie, sur la plage du Monaco avec mon copain Alain S. Charmante
petite femme brune, fine, aux yeux rieurs. Très beau pubis. Fille de l’eau, du
feu ? Si ça pouvait être du feu, ça serait pas mal, on verra. Je projette de
l’emmener en moto dans le Haut Var, en Basse Provence, les gorges du Verdon ?
Bernar Venet est très sympa, mais inquiet en ce moment pour son expo en Corée,
dans un musée et une galerie. Le matériel voyage dès le 20 août et il reste 6
grands dessins à faire. La propriété est superbe. Pelouses et pins, sculptures,
et la rivière qui traverse le domaine. Travailler pour lui est une chance mais
je préfèrerais prendre des vacances totales pour régénérer complètement mon
esprit et repartir, redémarrer l’année dans des souliers neufs, faire de
nouvelles choses. Bernar me confiait fonctionner lui aussi ainsi, tout à
l’heure, au bord de la piscine.
L'affaire Mattei…
Brescia. Palais anciens et baroques aux cours intérieures
pleines de verdure. Monuments du Quattrocento. Place mussolinienne. Invités
avec mon ami Jacques Guitteaud, à l’occasion de l'exposition au Palazzo
Martinengo, avec 6 autres français. Hôtel 4 étoiles très confortable.
L’occasion pour moi inespérée de me mesurer à Combas avec lequel je partage la
grande salle ainsi qu’à François Arnal. Mon travail résiste très bien à
l’épreuve ! Je dispose aussi d’une petite salle charmante où je présente mon
grand collage Moravia ainsi
que des œuvres sur papier. Le catalogue est très réussi et les textes de Luca
M. Venturi sont lumineux. Il a compris mon travail. Nous avons des articles
dans 3 journaux. Je participe à une conférence de presse où j’ai l’occasion de
m’exprimer dans un italien très correct. Venturi a travaillé avec Robert Ryman
et Sol Lewitt. Joseph Beuys, dont il fut l’élève, lui a dit qu’il était une
œuvre d’Art et l’a dûment signé. Chasseur de léopards en Afrique, habitant
Lugano (au musée de laquelle il a offert 120 œuvres) avec une splendide jeune
femme noire de la tribu Shona du Zimbabwe, à l’instar d’Arman, collectionneur
d’armes, de femmes, de postes à responsabilités, c’est un homme jovial et
hilarant avec lequel nous avons tout de suite sympathisé. Nous devons nous
revoir pour naviguer sur son bateau entre Cannes, Toulon et le Bec de l’Aigle. La ville est superbe,
les femmes sont élégantes...
Jacques Guitteaud et vôtre serviteur rendons ensuite visite à
Gianni Bertini, à Nansola, près de Gênes. C’est là que ce cher Gianni passe ses
étés avec sa femme, en pleine montagne, mais à seulement 4 km de
la mer. La maison est à son image : kitsch, folle, amusante, accueillante. Il
possède des archives extraordinaires, bien classées de surcroît, par années, et
ce depuis 40 ans. Il garde tout. La conversation va bon train, les lieux
tiennent de l’atelier d’artiste autant que du cabinet de curiosités dans
l’esprit d’un Robert Houdin ! Je retourne à Brescia le 13 septembre...
En attendant nous irons à la Feria d’Arles. Le temps est doux. Le
meilleur moment de l’année, et je me sens bien. L’atelier sera rangé et nettoyé
dès demain et je vais commencer une série de collages sur papier. J’ai eu
Marcel Lubac (son nom évoque pour moi Jacqueline Delubac, dernière épouse de
Guitry et grande collectionneuse) au téléphone, il est très intéressé par mon
travail. Je dois écrire et faxer à César. Une amie de Raymond Hains vient de
s’installer à Toulon et je suis amené à présenter quelque chose chez elle.
Albano Morandi, qui travaille au Palazzo Martinengo, veut me faire exposer à
Mantoue en début d’année… nous verrons bien.
* Le club de plongée
CSMS de la Seyne sur Mer, que je fréquente depuis 10 ans maintenant est
endeuillé par la mort, en plongée, de Jean-Baptiste Mattei, 2e adjoint au Maire
de la ville. La gendarmerie enquête car les « affaires » ici font que
toutes les hypothèses sont retenues sur les causes de ce décès. Nous avons si
souvent plongé et ri ensemble. Il m’appelait affectueusement « le peintre. »
C’est pour moi la fin d’une époque. L’an dernier la mort de Jean R., plongeur
émérite, et cette année, c’est Mattei : « L’Affaire Mattei » ?
Loulou…
Dans le train qui m’emmène dans la direction de l’Italie (je me
rends à Brescia) nous stoppons à Beaulieu-sur-Mer, paysage sublime et
résidentiel, sous une pluie battante et un ciel plombé. Je sais que Louis Cane
a ici sa résidence d’été, où il est né, et je songe à ses paysages baignés de
bleus outremer, cobalt, Prusse, de verts Véronèse, qui ornent sa demeure. Au
dispositif décoratif et humoristique qu’il a su mettre en place afin d’investir
les appartements bourgeois des collectionneurs ainsi rassurés. Je ne suis pas
contre cette attitude, elle porte en elle une intention formidable de
communiquer de la chaleur, de la lumière, de féminiser par la présence d’une
œuvre la conscience des familles…
Une attitude pertinente au fond, même si beaucoup n’en
comprennent pas la subtilité, l’aspect œcuménique au sens large. Je suis plus
incertain de la valeur du label « Cane » quant au contenu et à
sa vraie validité artistique !
Je retrouve la ville de Brescia avec plaisir, sous un ciel bas
et une pluie battante, je me réfugie à l’hôtel, confortable (matelas rempli
d’eau), pour téléphoner en France et dîner tranquillement. Massimo Minini est à
Paris, je jetterai peut-être un coup d’œil à sa galerie demain…
Il fait sombre et il pleut sans discontinuer. Hier soir je suis
sorti avant le dîner faire quelques pas et visiter la galerie Minini. Œuvres
formalistes sans intérêt. L’Art d’aujourd’hui en Europe. Post-minimalisme du
type : « J’en fais le
moins possible. » Triste. Aucun humour, bien sûr... Sylvie Fleury est
présente : elle est partout. Ce matin j’ai eu une discussion avec Noël Dolla en
prenant le petit-déjeuner (nous sommes dans le même hôtel). Il est curieux.
Ressemble à Markus Lüpertz. Nous sympathisons rapidement, je crois, en évoquant
bien sûr la situation artistique en France et en Europe : un désastre
économique, mais surtout moral. Une désaffection pour l’Art en général, et une
méfiance durable. Il évoque sa prochaine exposition à Vienne, importante, et
les préparatifs du catalogue, Claude Viallat et sa reconnaissance envers lui.
Nous nous retrouvons ensuite au Palazzo Martinengo où peu après Georges Noël et
son assistante japonaise nous rejoignent. Présentations. Retrouvailles pour
Dolla et Noël, qui se connaissent et s’apprécient. Georges Noël considère Noël
Dolla comme le meilleur artiste de l’Ecole de Nice. Roberto Peccolo arrive à
son tour et nous allons tous déjeuner au délicieux restaurant face au Palais.
La femme de Noël Dolla, Sandra, est très belle, étudiante en vidéo, en 4e année
à la Villa Arson. Le repas est détendu et agréable, avec de bons champignons.
Noël et Dolla semblent m’apprécier : l’éloge de mon travail est net et précis
durant la visite commune de l’exposition. Après toutes ces années de travail
solitaire, je récolte enfin une forme de récompense, par l’estime de mes aînés.
Ce qui n’est pas rien. Je pressens enfin une ouverture et une proche accession
au marché de l’Art…
Conscient de cela, je n’en profite cependant pas sur le moment,
sans doute pourrais-je faire le bilan de ce qui est pour moi un événement, dans
le silence et le recul de l’atelier, cet hiver. Dolla insiste sur les réseaux
d’amitiés et le suivi des professeurs qui font que les jeunes de la Villa Arson
se retrouvent tout de suite aux meilleures places dans l’actualité artistique.
C’est une volonté de sa part de soutenir et d’aider ses élèves, en leur
achetant parfois des choses, en leur faisant connaître les marchands, les
décideurs. Je ressens un sentiment de solitude, d’isolement : toutes ces années
passées à travailler seul et sans appui ! Avec Georges Noël nous évoquons ses
débuts chez Paul Facchetti...
Nous comparons aussi nos couteaux. Il les collectionne, tout
comme Noël Dolla. C’est un homme simple, drôle, originaire du pays basque mais
aussi d’origine catalane. La discussion porte ensuite sur les rapports souvent
négatifs de la France avec les Etats-Unis et New York en particulier. Il est
aussi question de Boccioni, de Fontana… Noël Dolla a proposé au musée de Vienne
de venir avec 25 personnes invitées. Il se pourrait que je sois du voyage ! Une
occasion de visiter l’Autriche, de revoir Claude Viallat dans un contexte
d’expositions internationales… et de mieux m’infiltrer dans les milieux si
convoités de la Villa Arson !
15 sept 94, Hôtel Master’s, 20 h
Tonnerre…
De nouveau la pluie. J’entends les tonnerres et de grosses
gouttes qui cinglent les rebords de fenêtres. Je retrouve le calme de ma
chambre d’hôtel si confortable après une agréable journée passée à Milan avec
Luca M. Venturi, le comte Ferdinando Rodino (un cousin de la famille Orsi
Mangelli) et la galeriste Stefania del Portico de la galerie Millenium. Georges Noël, avec qui je
voyageais ce matin, était dans les Corps-Francs. Aux côtés de son père, qui en
est mort, sous les balles allemandes. Coups durs et coups fourrés dans le
Sud-Ouest…
Derrière l’homme d’esprit, facétieux, faisant le pitre, toujours
concentré sur un bon mot ou une blague, je devine le « français »
profond : fin, hypersensible, fidèle, droit, et surtout intransigeant. Aucunes
concessions... Il est né un 25 décembre (je suis du 27). Il me raconte à ce
propos l’anecdote d’un ouvrier new-yorkais venu percer 1 fenêtre de son loft,
et qui s’appelle Georges Washington Christmas ! Dans le train
pour Milan, en cette belle matinée ensoleillée de septembre nous évoquons aussi
Paul Facchetti, qui fut le 1e galeriste de Noël et devait décider de son
destin. J’explique à Georges qu’à mon arrivée à Paris, en 78, j’ai fréquenté sa
galerie, rue des Saints-Pères où je découvrais alors l’œuvre d’Hundertwasser…
Nous parlons de Joseph Sima, du Grand Jeu, d’Antonin Artaud.
Des mérites, si peu respectifs, de Michel Macréau et Robert Combas avec
lesquels nous exposons. Son assistante, japonaise, qui fût mariée à un
sicilien, qui a habité Palerme 10 ans et possède donc la nationalité italienne,
est une femme discrète mais affable, très cultivée et précise dans ses
références, et douée d’un sens de l’humour équivalent à celui de son
« patron. » Nous rions volontiers au cours du trajet.
J’apprécie la compagnie de Noël, celle aussi de Dolla, il existe
une sorte de fraternité, là, entre peintres, qui est à mes yeux si naïfs et
inexpérimentés, une récompense aussi importante que d’éventuels succès financiers.
La reconnaissance de ses pairs.
Puis, c’est … le choc ! Ville j’écoute ton cœur ! Alberto Savinio !
La gare de Milan. Art déco. Monumentale, le terme prend ici tout
son sens. La grande verrière métallique demi-circulaire. Les immenses portiques
de pierre. Les proportions démesurées impressionnent fortement et donnent une
idée exacte de la puissance économique, passée et présente, de l’Italie du
Nord. Mon séjour dans cette partie de l’Italie me fait sans cesse songer, la
séduction passée, à la tentation politique « dérivante » de la Ligue
lombarde, on en comprend ici en partie les raisons. Je téléphone à Luca M.
Venturi car les transports sont aujourd’hui en grève, chose ici fréquente !
Nous partons aussitôt déjeuner dans un des faubourgs de la ville où des jeunes
prostituées s’alignent le long d’avenues larges et dégagées, bordées d’arbres.
Elles sont souvent belles et habillées avec un certain goût, délice d’ambiguïté
entre vulgarité et élégance. Beaucoup viennent d’Europe, d’Albanie, bien sûr.
Je n’ai pas d’argent...
Nous nous arrêtons en bord de route, via Novara, dans un petit
restaurant ou mieux la salle à manger d’une ferme, où rien n’a dû changer
depuis au moins 50 ans, tenu par un vieillard de 85 ans, dont la famille loue
les lieux à la noblesse locale et aux propriétaires de chevaux de course de
l’hippodrome de San Siro depuis 1802. Je retrouve avec plaisir
et fascination l’ambiance des campagnes piémontaises, une cuisine simple, mais
précise, faite avec de très bons produits, cultivés dehors, à quelques mètres
de la salle à manger noircie par les ans. Le « Barbera », bien sûr, vin frisant que le cousin
Giovanni, de Cairo Montenotte, m’a appris à apprécier. Charcuterie, salades,
omelette d’orties. Le bonheur. Le vieil homme, sec comme un sarment, la
crinière blanche et l’œil vif, nous rappelle que les zouaves français sont
passés par-là voici 150 ans et sont partis sans régler l’addition, et en
emportant les femmes au passage. Il est question de m’en demander réparation !
J’essaye d’appeler Mimmo Rotella mais seul le répondeur (voix
mélodieuse) est là. Le maître est à Nice sans doute, où il possède désormais un
appartement près du port. Sa renommée est ici considérable et tous, artistes et
marchands, le respectent. Fontana est un demi-dieu. Il le mérite. Le comte
Ferdinando Rodino et la galeriste Stéfania del Portico, sa compagne, nous
rejoignent ensuite et nous continuons à boire et à manger au soleil dans le
jardin, très vert en cette saison. C’est un moment très agréable passé avec des
gens civilisés et aimables. La famille du comte possède une écurie de chevaux
de courses mais surtout, est un chasseur. Comme Venturi…
Bien entendu la conversation, à laquelle je ne peux prendre
part, porte sur la chasse au léopard en Afrique. Stéfania est très belle et
sensuelle, a un regard ravageur et m’invite à lui rendre visite dès que
possible. Nous parlons alors de Bâle et de la Fiac. Son père était un grand
collectionneur : à suivre...
Nous repartons vers Milan à 16 h. Luca M. Venturi est chargé de
préparer un projet de concert pour Pavarotti, dans les montagnes du Néguev, à
l’occasion de l’année internationale de la paix, car il est un des conseillers
du gouvernement israélien pour les questions relatives aux campagnes de presse.
Nous parlons d’Arafat.
L’action, seule, peut faire évoluer une situation. Je lui donne
raison. Les bureaux sont vraiment magnifiques avec de nombreuses boiseries très
ouvragées et des fresques de grande qualité sous les hauts plafonds à caissons
ornementés. Dorures. Toiles de maîtres. Assistantes et collaboratrices
nombreuses et efficaces, et souvent ravissantes. L’ambiance est assez détendue,
à la plaisanterie, et les rapports semblent très bons au sein de l’équipe. A
suivre aussi !
Cette importante agence conseille, entre autres, des sociétés
liées à l’industrie chimique en Arabie Saoudite, mais traite aussi d’affaires
politico-diplomatiques, des rapports entre agences gouvernementales, à travers
la presse spécialisée. Stratégie de rigueur. La ville de Milan est superbe,
gens pressés, arcades, palais aux cours stendhaliennes, églises, visages de
femmes, trafic intense des transports en commun. La grande ville. Terrible.
Regards fous, séducteurs sombres, à l’infini… Je devais découvrir Milan depuis
si longtemps. C’est fait ! En beauté. J’irai demain à Venise où des marchands
d’Art m’ont laissé leur adresse et auprès desquels je suis recommandé par Luca
M. Venturi Les doutes et inquiétudes, où plutôt une certaine méfiance que je
nourris envers lui persiste, mais se sont un peu estompés après nos discussions
de la journée. Je dois reconnaître que nous sommes d’accords sur les stratégies
à tenir aujourd’hui dans le milieu de l’Art, entre l’artiste et son milieu.
Corps-Francs…
22 h 30. Dîner au restaurant de l’hôtel Master’s en
compagnie de Georges Noël et de son assistante. Noël est épatant. Il me parle
de ses débuts. Il a connu Yves Klein à qui il fît faire un costume pour se
rendre à un rendez-vous avec des allemands (Noël est lui-même réputé pour son
élégance légendaire). Il nous fait part de leurs conversations où Yves Klein
lui expliquait comment lui était venue l’idée du monochrome, de faire une
peinture qui puisse lui permettre de résister à ses parents et surtout à
l’image traumatisante du père, artiste de style « Montmartrois. »
Il exposait alors des monochromes de différentes couleurs
(primaires) dans une galerie proche de la Closerie des Lilas mais
s’aperçut très vite que les rapports de tons fonctionnaient encore et décida
alors de ne conserver qu’une couleur : le bleu. De son caractère enfantin, son
désir d’être aimé et ses abus dans la pratique intensive du judo qui ont fini
par le tuer par un arrêt cardiaque. Il parle aussi de Wols, de Paulhan etc.
Mais surtout de son passage dans les Corps-Francs, non politisés, ayant pour
seul but celui de libérer la France de l’occupant. Son père lui avait dit : « Si l’un de nous meurt,
l’autre devra continuer la lutte jusqu’en Allemagne… »
C’est ce qui s’est produit. Noël a donc combattu, sous l’uniforme
américain, jusqu’en Alsace et possède aujourd’hui les médailles très
honorifiques de l’armée anglaise et américaine, ce qui est rare. Son père était
une tête brûlée ayant fait de la prison, puis engagé dans les bataillons
d’Afrique où il est versé dans les services de renseignements et collabore avec
les autorités militaires anglaises du colonel Lawrence (presque un Laurence
d’Arabie).
Noël a d’abord fait des études d’ingénieur (et travaillé sur des
réacteurs d’hélicoptères), puis à l’âge de 30 ans, marié et père de deux
enfants, il a tout quitté pour partir à Paris et vivre l’aventure de la
peinture. Pau, la région, la famille. « Une manière de résister. »
Nous évoquons le quartier de la Bastille après avoir parlé de la
rue Campagne-Première, où Noël et Klein étaient voisins, car il habite la rue
Sedaine, toute proche de « ma » rue de Lappe. Il connaît bien
Mathilde Ferrer, dont je fais l’éloge, en tant que femme véritable, forte,
déterminée, et au grand cœur. Nous parlons aussi de la rue Keller, de ses
achats : Noël, je le comprends maintenant, est un grand collectionneur… Je vais
me coucher mais regarde avant à la télévision un reportage sur la présentation
à la presse de la future moto fabriquée en série limitée par Morbidelli et qui
sera commercialisée en 96. Les lignes sont douces, c’est une « grand
tourisme » ayant l’allure des récentes Triumph. La partie cycle et la
transmission sont quasiment copiées de la série BMW K100 ainsi que les marchepieds, etc. Le moteur est très
original : huit cylindres pour 100 ch. et 850 cm3. Un bel engin...
Il y a ensuite un documentaire passionnant sur la course des Mille Miglia qui parcourait toute l’Italie, au
départ de Brescia, dans les années 50. Le tout, sur fond de musique de Jazz.
Commentaires par une voix grave et scandée. On reconnaît les Ferrari, Triumph,
Alfa-Roméo, Aston Martin, mais surtout les pilotes : Roberto Rossellini, le
cinéaste, et surtout, le grand Fangio, toujours en 1e position !
16 sept 94, Brescia / Train pour Venise (9 h 06)
L’amabilité que nous avons ici rencontrée fut constante, de la
part des organisateurs de l’exposition et de nos interlocuteurs en général, y
compris dans les cafés, les restaurants… La ville est riche, la région
puissante, puissante Lombardie ! Si les clochards sont rares à Brescia,
caravagesques, comme recrutés par la municipalité dans un souci de pittoresque
et d’authenticité, on rencontre davantage de marginaux, de laissés pour compte
à la gare. La société italienne n’échappe pas en ce sens à la vaste sociologie
européenne de crise que nous traversons, je suis choqué par les jeunes lycéens
et leurs attitudes, semi-abrutis, habillés comme des américains moyens du
« Middle West », ressemblant à ces mêmes autres lycéens des
banlieues de Francfort, de Paris ou de Londres, c’est à dire
« américanisés », normalisés, jeunesse des fast-foods et de l’audiovisuel, la mine boudeuse et soi-disant
désenchantée, mollement ironiques sur le monde qui les entoure, la société
post-industrielle des adultes, même pas vraiment méchants. Et je suis très
choqué par les drogués qui se réfugient aux abords de la gare de Milan. Figures
décharnées, regards vides. En particulier un jeune homme, qui en fait n’a plus
d’âge, et qui déambule comme un mort vivant, sans but, si maigre qu’il me fait
songer aux musulmans (déportés en phase terminale) des lagers nazis. C’est évident : il
est malade du sida et il va mourir bientôt, cela se voit. Déjà dans un autre
monde. Cela fait aussi partie de cette Italie du Nord, si riche, si élégante,
si efficace !
Locanda San Samuelle…
Venise sous la pluie. Une chambre d’hôtel monastique. Un bon
livre : L’éducation
sentimentale. Une immense et parfaite solitude (mis à part les amants
français de la chambre voisine, très amoureux… !)
Un cigare ? Inutile ! Demain l’Accademia. Le bonheur. Bonne
nuit.
Je pense à Catherine K. ?
Je pense à Catherine K. ?
L’Accademia…
Oh putain quel choc ! La Scuola San Rocco est sublime. 10 ans au
moins que je ne l’ai vue, les reproductions sont de bonnes béquilles (j’en
possède, bien sûr, un livre rare et superbe) mais là alors je dérouille… !
La grande crucifixion panoramique (qui valut à Tintoret
d’emporter le concours) c’est Hollywood et Barnet Newman réunis ! De l’espace,
encore de l’espace, et de l’action, beaucoup d’action. Symétrie / asymétrie,
composition verrouillée et en même temps parfaitement dynamique ! Putain
Sollers a raison : Tintoret c’est le plus fort, il est « en
mouvement » !!! Marché la nuit sous la pluie dans les rues de Venise,
ombres portées, bruits de pas…
Le tourisme de masse est une plaie ! C’est ici l’hystérie. Mais
Venise résiste à sa façon, elle reste belle et sereine malgré ses chagrins. Et
surtout on retrouve la paix, et le bruit de ses propres pas, dès que l’on
quitte un tant soi peu les rues (calle) les plus fréquentées, qui mènent toutes
à Saint-Marc. Arrivé à Lugano le soir à 19 h.
Les montagnes, hautes, sont superbes avec le soleil finissant
sur les cimes. Le train serpente doucement le long du lac. Ce matin j’étais au
bord de la lagune, à l’Accademia et surtout en compagnie des marchands
d’Art Mainardi de la Venice Design Gallery, calle Vallerosso, à
Saint-Marc. Ils m’ont gratifié d’une chambre d’hôtel, espérant me revoir
bientôt à Venise en compagnie de Venturi, et sans doute à Paris où Monsieur
Mainardi doit se rendre bientôt.
Luca M. Venturi habite un appartement moderne et fonctionnel sur
les hauteurs, au bord du lac, mais près du centre ville. Il possède un petit
jardin paisible d’où l’on a une vue imprenable sur les montagnes, grandioses,
et le lac. Le décor intérieur est spartiate, hyperfonctionnel et presque tous
les meubles y sont militaires ou safari. Armes indigènes, fusil d’assaut (de
rigueur pour les citoyens-soldats suisses) photos prises avec le général
Schwarzkopf, dont il a été l'attaché de presse, avoisinent les livres sur
l’Art, dont plusieurs qu’il a écrit, l’anthropologie africaine, les
happenings Fluxus, etc. Tous les murs, blancs mats, sont ornés de
magnifiques trophées de chasse. Koudous, antilopes et buffles aux museaux
menaçants. Peaux et crânes de léopards et de lion, de zèbre, de singes.
J’étudie le fonctionnement d’un pistolet-mitrailleur Sterling, le successeur de
la célèbre Sten gun, équipé d’un silencieux. Armes, Art, Afrique, gibier !
Safaris...
Photographies de Luca M. Venturi à cheval pour la chasse au
guépard, avec un léopard et sa très belle petite amie américaine de la famille Flood,
les magnats du commerce de l’argent, qui s’est installée chez lui en Suisse, ou
en uniforme de Scout anti-braconnage avec son M16. Chasse
aux grands animaux. Photographie prise sur des tapis et sous une tonnelle de
vignes grimpantes, avec des guerriers kurdes bardés de cartouches et équipés de
Heckler & Koch G3 turcs, lors de son séjour comme
correspondant de guerre. Nous parlons du comportement des animaux dans la
nature, qui dépend de leur positionnement dans la pyramide des espèces. L’homme
est au sommet, les animaux le savent et se méfient. Beaucoup d’animaux sauvages
n’ont jamais rencontré l’homme. Le léopard est fulgurant sur sa proie et
meurtrier lorsqu’il est blessé. Quant aux humains, il n’attaque en principe que
s’il est vieux, quand il se sent menacé, et détecte vite les comportements
dysharmoniques : femmes enceintes, guerrier boiteux, chasseur effrayé… femelles
grosses. Et n’attaque pas plus fort que lui pour s’économiser. Son énergie, sa
vue et son odorat ultra sophistiqué le rendent quasi-invulnérable. Pour le
chasser, il faut donc se donner beaucoup de mal : seule une parfaite immobilité
et un silence total peuvent le laisser approcher sans qu’il s’enfuie ou
attaque. Le comportement des animaux est donc une mine pour comprendre celui
des humains.
La Favorita…
Déjeuner hier près de Varèse chez Luciano,
un industriel en armement. Visité ensuite la Villa Favorita qui
héberge ce qui reste de la collection Thyssen-Bornemisza dont la plupart est
maintenant à Madrid. Le lac est magnifique et c’est la promenade dominicale
sous les tonnelles fleuries qui longent le bord du lac…
Ce matin, départ pour Milan, pour la journée, Piazza San
Alessandro, Milano, vicino
al Palazzo Trivulzio dove lavora Luca M. Venturi...
Nous avons pris ce matin l’autoroute Lugano-Milan. Le soleil
brille sur le lac et les cimes des montagnes. Nous écoutons dans son cabriolet
un bel enregistrement des bruits des animaux de la savane : le koudou, le lion,
les antilopes, l’hippopotame…
Cris qui sont le plus souvent des signaux très précis car la
savane, écrasée par la chaleur et, en général, parfaitement silencieuse dans la
journée, se réveille la nuit, et devient un univers de traque, de signaux
mystérieux pour les humains…
Venturi travaille en ce moment pour deux pays antagonistes,
Israël et l’Arabie Saoudite, quoique dans des domaines différents, ainsi que
pour la firme d’aéronautique Mac-Donell
Douglas, très importante sur le marché mondial. Ce midi, déjeuner dans un
restaurant typique, face au Palazzo Trivulzio : hommes
d’affaires, touristes chics et personnages de la spéculation financière, assez
reconnaissables, avec leurs mines un peu patibulaires, de paysans citadins et
enrichis, un peu trop placides, les poignets alourdis de luxueuses montres
Cartier…
Vintimille…
Les gares sont nombreuses entre Gêne et Vintimille et le paysage
est beau, où se succèdent les lieux de villégiature balnéaire frappés d’abandon
après la rentrée de septembre et la tiédeur ambiante des rivages interminables
et encore ensoleillés. Le voyage en Italie, d’une semaine, s’est bien passé et
le bilan est bon. Hier, dans les embouteillages milanais, Luca M. Venturi
m’apprenait que Roberto Peccolo a l’intention de me faire une exposition… et
donc un catalogue, ce que j’attends depuis des mois et des années ! Je suis
partout bien accueilli et bien reçu, preuve que mon travail suscite l’intérêt;
Les rapports avec Roberto Peccolo, galeriste et éditeur connu à Livourne n’ont
cessé d’évoluer depuis trois ans dans une direction satisfaisante. Mais Paris
se fait toujours attendre…
De retour à Toulon, je me sens un peu désorienté. Dois-je
reprendre le travail ici, où à Paris, écartelé entre plusieurs espaces, piégé
par ma double appartenance à 2 villes…
Convocation pesante à une visite médicale ordonnée par des
assurances sociales, dont je bénéficie largement depuis un an. Je rencontre
Ben, intervenant au colloque organisé par Châteauvallon : Où fonce le progrès ? Il
est très moyen, je le lui dis, mais ajoute qu’il n’a rien perdu de son énergie…
Il regarde le catalogue de l’exposition en Italie et me complimente sincèrement
sur mon travail, j’en suis content. Ben est un des premiers artistes auquel je
me suis intéressé et je reste fidèle au personnage malgré ses erreurs, ses
débordements superflus, ses errements. Contrairement à ce que dit Restany, il
n’est pas con du tout, assez fin, et semble être un homme de cœur, si on le
considère hors de toute polémique, son terrain de prédilection. C’est pour moi
essentiel.
Cosmétiques…
Vu aujourd’hui, par un temps doux et ensoleillé, les nouveaux
locaux de la Fondation Cartier, boulevard Raspail, et l’exposition Raymond
Hains. Le catalogue est fort beau et, certaines pièces, étonnantes… Nous allons
ensuite, avec Enès, près du cimetière Montparnasse, rue Roger, chez César, où
nous sommes reçus par son amie, magnifique ! Le projet de travail à Venise,
pour la Biennale, et initié par Venet, est toujours actif et j’aimerais tant
qu’il se réalise ! Le matin nous avons rencontré les assistants et les
architectes chargés d’aménager l’appartement (de luxe) de Monsieur et Madame
Ronald Lauder, richissimes américains, Ronald Lauder étant le fils d’Esthée
Lauder et le PDG du groupe, sur l’esplanade des Invalides. A
installer : Yves Klein, Lucio Fontana, Piero Manzoni, Roy Lichtenstein, Rebecca
Horn, Marcel Broothaers, Thomas Struth, etc.
Je souffre d’un terrible mal de reins. La journée automnale est
ensoleillée, tonique et fraîche. Et
n’est-ce appelle et nous allons boulevard Saint-Germain, angle rue du
Bac, chez Bernard-Henri Lévy et Arielle Dombasle. Elle nous reçoit en chemise
de nuit de soie, très déshabillée, parfumée et sans maquillage. Elle est tout à
fait charmante. Il ne reste rien de la dureté du personnage filmé… Appartement
au sol de marbre, boiseries ornées de bas reliefs. Luxe. Nous installons un Jacques
Martinez (Jacques est un ami) dans le vaste bureau de B.H.L. Puis un lourd
miroir, dans la chambre du couple. Arielle est exquise et nous prépare un café.
Majordome hindou à veste blanche et boutons dorés. Nous allons ensuite déjeuner
rue de Grenelle, près du Champ de Mars et nous entrons sous les gigantesques
tentes de la Fiac où nous sommes attendus par Gérald Piltzer et sa fiancée, sur
leur stand.
Cette année il sera très beau, et ce, grâce à un immense
triptyque de Jean Hélion, un très grand Hantaï rouge et blanc, un très beau
petit Debré de format carré, un Tapiès de qualité, sur panneau de bois, en
provenance de Maeght / Barcelone, et surtout, nous allons accrocher un fort
beau Braque : 3 MF ! Olitski aussi. Nous attendons fébrilement pour
demain un Debré de 9 mètres de long ! César vient à passer dans les
allées, je l’interpelle et il me saisi par les épaules et me parle comme à un
sénateur, comme si nous étions intimes : « Tu sais Didier, il ne faut pas grand-chose pour être heureux, 2
tomates, une gousse d'ail et une Jaguar pour aller faire le marché... » Loin
s’en faut cependant. Mais il a apprécié ma lettre, bien que la trouvant
incongrue car il connaît déjà tous les ferrailleurs basés en Vénétie et aussi
dans la région d’Antibes. Il me promet de faire appel à moi dès qu’il aura pris
une décision. La journée fut donc très agréable. Demain sera un autre jour...
Les collages sur papier avancent de nouveau. C’est une technique
très simple et qui donne de bons résultats. Bons en eux-mêmes mais surtout,
rattachés à la pratique de la peinture. Je réutilise beaucoup en ce moment les
tissus, pour « habiller » les images et ainsi le contact se fait avec
la toile, par la matière, et par la proximité des anciennes toiles entreposées
dans l’atelier. Tout cela se concrétise lors des accrochages, qui sont une
étape décisive, où tout se joue, en terme militaire ou sportif, sur la prise
d’un territoire où se joueront les dénouements esthétiques, de couleurs, de
formes, et bien sûr de sens, avec toujours le fantasme d’une stratégie globale.
Le 29…
De retour à Paris après des mois passés dans le sud et en Italie
je retrouve avec excitation les réseaux et le rythme de cette ville si diverse
et si belle : la ligne 29, où l’autobus s’enfonce dans des perspectives où se
déroulent des siècles d’histoire au long des façades, ciel chargé de gris
subtils et de bleus au-dessus du point focal, mouvement pénétrant et moelleux
des suspensions du véhicule, le dôme oxydé des Archives Nationales, le manège de
la place des Victoires, l’étroitesse de la rue des Petits-Champs le long de la BN…
Au Jeu de Paume je suis très impressionné par les débuts de Tapiès. Les œuvres
figuratives, oniriques et surréalistes, sont absentes. C’est dommage. J’ai la
sensation de plonger dans mon passé ! De retrouver mes véritables origines,
au-delà des turpitudes plastiques, alors qu’ici la France n’est qu’équilibre.
Le vernissage de l’exposition Hors Limite au
Centre Pompidou est sinistre. Institutionnalisation totalitaire, et mort
instituée du mouvement Fluxus à Paul Mac-Carthy, etc. Ben est
là, devant sa maison, exposée à l’occasion, et qui est son « chef d’œuvre. »
Sa femme Annie est charmante et me reconnaît semble-t-il mais je suis mal à
l’aise et n’ose la saluer bien que j’en aie très envie. Certaines inhibitions
et une perte de confiance, que j’espère passagère. Ben trône, en slip, les
pieds dans une bassine d’eau, tel un roi africain. Il me demande s’il n’était
pas trop mal à Toulon. Je lui dis que ça allait bien et qu’il ne vieillit pas
trop mal : une connerie sans doute. J’espère qu’il ne l’a pas mal pris. Je
parle avec Eric Fabre et il me semble tout en parlant que Ben et Eric échangent
des regards où l’un tente de signifier à l’autre que je suis un ringard, un fou
qui harcèle tout le monde…
Etant donc plutôt mal à l’aise je décide de rentrer à la maison,
d’autant plus que Mathilde et Maya me saluent mais en ayant l’air de m’éviter
aussi, ce qui renforce ma paranoïa, et me laisse dépité de ces réseaux du petit
milieu de l’Art que j’essaye de continuer de fréquenter. Sans doute mon
attitude empruntée et apparemment froide, mon air absent, sont-ils la raison de
tout cela…
Et, sans doute suis-je en train de ressentir les effets du
vernissage de Ben, aux Remparts,
où l’équipe de la galerie, avec laquelle je m’entendais fort bien, s’est mise
subitement à me bouder sans que j’en comprenne les raisons. Je peux supposer
que Md A., qui m’avait mis en pétard lorsque j’avais constaté au dernier moment
pas mal d’erreurs dans la préparation de mon exposition, des
« toulonnades » à répétition, a-t-elle essayé de « casser »
mon image et ma personne pour couvrir le fait que j’ai réagi à des
dysfonctionnements dans le travail ? Et, en aucun cas, voulu créer des «
histoires » entre les personnes. Le bruit court que je n’aurais dû cette
exposition qu’à des faveurs accordées à Jean-Roger S., le conservateur, dont
chacun connaît l’homosexualité. Cela me laisse songeur sur le climat qui règne
dans cette ville et ses institutions, sur l’absence de vraie compétence des
fonctionnaires, qui se vengent comme ils peuvent, dès lors que cela ressort.
J’en suis déçu car je m’étais investi à fond dans cette exposition, que j’ai
préparée avec le plus grand sérieux. Il était important pour moi de donner le
maximum car c’était la première fois que j’exposais dans ma ville. Avec le
recul, c’est un signe de plus de la pétaudière qu’est cette municipalité où
l’on est engagé non sur des compétences mais par clientélisme. Outre ces
bassesses et ces blessures d’amour-propre, qui passeront, le bilan sera à long
terme positif car il reste un « 4 pages » assez réussi, les photos
qui rendent compte de l’accrochage, et la perception positive qu’en on eu les
artistes (Arnal, Plagnol, Et
n’est-ce, etc.), ou d’autres personnes comme Marcel Lubac, ou encore Michel
Butor, qui était enthousiaste sur ma façon d’aborder la tridimensionalité et
souhaite me rencontrer à Grasse, au printemps. Il faut laisser passer le temps
et laisser les jaseurs s’enliser dans leurs calculs. A cette occasion je mesure
à mon tour l’efficacité tactique de la rumeur et ses dégâts sur les personnes,
et l’ambiance d’une petite ville…
2 jours passés à Cologne. Pour s’y rendre, passés par Reims,
Verdun, Metz, le Luxembourg, Trier, Coblence, Bonn. Je fais le récit de mes
tracas toulonnais à Et n’est-ce (Et n’est-ce et pour
être précis), qui ne s’en étonne pas et pense que dès que l’on fait quelque
chose, on attire à soi les critiques. Seul celui qui n’agit pas paraissant
toujours plaisant, sans s’exposer aux critiques. Attitude très française par
bien des aspects.
Je fais l’acquisition, aujourd’hui fête de l’Armistice, d’un
ouvrage publié en 1946, « Cobayes
humains », et qui est le récit par 3 médecins suisses de ce qu’ils ont
constaté à leur entrée dans le camp de Dachau. Des photographies et des plans
complètent ce document rare et édifiant. Il fait doux sur Paris, c’est une
journée calme. Et en écrivant ces lignes j’écoute une chanson de Charles Trenet
: Revoir Paris, « Me
revoici au fond du bois de Vincennes, roulant vers ma maison de banlieue, mon
Dieu merci d’être ici. »
Le voyage à Cologne fut intéressant, la foire est immense. Nous
visitons la collection Ludwig. Une rétrospective Yves Klein s’y tient et je
retrouve goût et intérêt pour une œuvre qui, il y a 20 ans, m’a passionné. La
force des monochromes et des anthropométries est un peu éclipsée par les œuvres
réalisées avec le feu, les « Feux. »
Certaines sont très fortes ! Et bien entendu on peut constater, dans ces années
50 / 60, et aussi mettre en concurrence, la force étonnante de ce que faisaient
au même moment Tapiès, en 58, Wols, vers 1950, Fontana, Manzoni etc. qui
étaient tous en pleine maturation. Une part d’absolu est là, arrachée à
l’infini, au cosmos, sans rapport à l’espace réel, ni au paysage classique.
L’Art informel, le Spatialisme…
Les choses faites en collaboration avec Tinguely sont étonnantes
de fraîcheur. Tout comme les tous premiers Tinguely des années 50. Ou certains
anciens Calder des débuts, très « bricolés », où le mouvement n’a
plus de rapport avec la métrique, la géométrie, la mécanique traditionnelle et
arrache du sens à l’infini de l’univers… En Europe du Nord, les nouvelles
tendances artistiques sont très fortes, et infiltrent par l’exclusive le marché
actuel, imposent une suprématie. Le marché est dominé par des Américains de
l’Ouest, comme Paul Mac-Carthy (un nouveau Mac-Carthysme ?)
ou Mike Kelley, qui s’enfoncent dans une entropie boudeuse, où règne le
dérisoire et au fond sans grand intérêt. Les objets et images vendus
aujourd’hui rendant compte de l’aliénation de nos sociétés (ou plutôt de
certaines classes sociales), d’une sexualité triste et sans espoir, exposent le
sang, la merde, la folie. Le nihilisme et le cynisme institué en valeur forte
se vendent bien en Occident. Les peuples du monde sont de plus en plus
frustrés, nos artistes, au fond, de plus en plus snobs. Rien ne peut sortir de
tout ça. Nous rencontrons Bernar Venet qui revient de Séoul et a vendu au moins
5 sculptures. Les filles sont jolies en Allemagne et aiment sourire et
communiquer. Les rapports humains sont ici différents, plus simples et plus
directs qu’à Paris où les gens sont terriblement cons et si vite prétentieux…
Plus tard nous dansons dans une boite de nuit avec Gilbert &
George.
L’Allemagne est forte et le sera de plus en plus. Le
dilettantisme du milieu de l’Art français pourrait bien lui être fatal ? Il ne
faut donc pas bouder, ne pas se décourager et continuer à produire sur le long
terme, faire un travail sérieux et gagner peu à peu du terrain. Avoir le moral
d’un international de Rugby, avec une bonne dose de lucidité… et se marrer
quand même, aussi !
Les Kurt Schwitters...
... de la collection Ludwig sont parfaits. Le bout de sculpture
issu du fameux Merz est une chose tout à fait étrange.
Impatience et fébrilité donc, à l’approche de la grande exposition Schwitters au Centre Pompidou, qui
devrait être pour moi l’occasion de faire le point sur mon travail et ses
futurs développements. Occasion aussi d’acquérir le catalogue et de posséder
une bonne documentation. Nous retrouvons Enès à l’exposition Hors Limite. Nous y rencontrons
Annette Messager et parlons de son exposition de Cologne, que nous avons vue,
dans une galerie excentrée… elle est charmante et ouverte. Le film montrant
Gilbert & George dansant au milieu de leurs dessins est intéressant. Je
retiens : Matthieu Barney, que j’avais déjà repéré à Lausanne pendant
l’exposition Human Posthuman...
Le marché actuel est imbibé des produits américains, ils ont
donc la part belle. Paul Mac-Carthy et Mike Kelley en étant les vedettes.
Leaders du mouvement actuel qui travaille sur le corps et ses limites et
aliénations, et cristallise les attitudes les plus débiles qui soient. On peut
s’apercevoir que Boltanski à ses débuts était déjà allé plus loin et mieux avec
son film « L’homme qui tousse »,
tourné d’ailleurs à l’époque dans l’appartement occupé actuellement par Enès et
cédé gracieusement par Boltanski. C’est une exposition pas chère et assez
médiocre. On a descendu des choses du 5e étage, et on bricole ça et là avec les
grands noms des années 70. Le « plein » d’Arman avoisine Hermann Nitsch ou
Wolf Vostell. Tout cela n’a guère de sens et je reste aussi dépité qu’à ma
première visite. Quelques documents intéressants sur « Hépéryle éclaté »,
sur Antonin Artaud, sur Maurice Lemaître, etc.
On a l’impression que l’Art actuel ne peut qu’être soit axé sur
la débilité humaine, l’aliénation, les aberrations du corps, ses limites, ses
manipulations (Orlan) sang, sperme, merde, menstrues, masques,
psychopathologie, soit axé, bloqué, sur des positions hyperformalistes,
« à l’américaine » ou comme certains Allemands qui bégaient les
leçons du Bauhaus, non sans bravoure parfois, comme le travail de Imi Knoebel.
Personne pour prendre la responsabilité d’une œuvre plus conséquente et
ambitieuse, plus aventureuse aussi, capable d’un esprit de synthèse, de
dépassement et de réconciliation, d’une vraie volonté de communiquer par la
chaleur quelque chose de positif. C’est une ère de glaciation ! Le cynisme
l’emporte. Bon…
Un français comme Philippe Perrin essaye dans tout ça d’apporter
un peu d’humour et de poésie mais il manque de punch et ne parvient pas à
transformer l’essai.
Derain…
Je rencontre une employée de banque très belle qui se prénomme
Colette et est italienne. Son nom : Del Ovo. Regard brun, jolies mains, corps
arrondi aux bons endroits, pied alerte, air dégagé, souriante et très aimable,
ouverte, prompte à répondre aux avances avec la franchise et la modestie des
filles simples, qui ne sont pas snobs mais savent ce qu’elles veulent. J’ai
ainsi les coudées franches. Je vois ensuite Charles Z. après avoir rêvassé à la
terrasse de Chez Léon, quai
Malaquais, en compagnie du Petit
ouvrage inachevé de Paul Léautaud, des passants pressés, des
automobiles grasses et ruisselantes (il pleut) et devant l’infiniment belle
façade du Louvre, plombée sous un soleil blanc. Charles Z. se montre charmant
avec moi et me propose que l’on se voie bientôt (il apparaîtra plus tard que
son seul but est de trouver un nouveau minet…) mais il ne peut rien faire pour
mon petit Schnabel. Nous parlons un peu de Cologne. Il présente ce mois-ci Fred
Zeller (ancien Grand Maître du Grand-Orient de France), peintre naïf et
surréaliste bourré d’humour, et qui loue en fait les murs de sa galerie. Les
temps sont durs et moroses. Je le savais déjà. Je le quitte avec bon moral car
l’entretien a été très chaleureux. Je pense et repense sans cesse à ce tableau
de Courbet, « Les deux amies »,
vu au Petit Palais et qui me semble réunir toutes les qualités que doit avoir
une œuvre d’Art qui soit aboutie, et surtout une peinture : clarté, simplicité,
force totale, capacité de surprise et d’étonnement, être littérale, exacte
adéquation entre le sujet et le format, équilibre chromatique…
Vu Claudine que je devine perturbée et qui m’échappe plus que
jamais…
Voilà déjà cinq ou six années que j’ai compris l’importance de
Derain, dans ses attitudes par rapport à la peinture, dans sa manière. Il est
surtout à mes yeux dans ce qui l’a mis sur le banc de touche de la modernité,
c’est à dire les portraits et les natures mortes, et l’entreprise
des Arlequins, et par son sens des causes perdues, comme le fait d’assumer
l’échec du projet pictural au XXe Siècle dans son rapport à la représentation.
Et c’est seulement aujourd’hui, à l’occasion de l’exposition à
l’ARC (celle de l’Orangerie manquait d’ampleur et de lisibilité), que les
conservateurs, toujours en retard d’un train, se décident à faire quelque
chose, comme d’habitude de façon anachronique et décalée. L’ARC et les revues
d’Art lancent pour marquer le coup un nouveau produit sur papier glacé, un «
Derain », avec tambours et trompettes, alors que notre art français est en
plein naufrage, un naufrage voulu, organisé, assumé par les plus hautes
institutions du pays, dans un esprit de totale collaboration avec la pensée
unique du monde de l’Art. A chaque époque sa collaboration…
L’article d’Harry Bellet dans Le monde daté du 19 novembre est remarquable cependant, et insiste
beaucoup sur l’attitude si intelligente de Giacometti vis-à-vis d’André Derain.
C’est grâce à ce dernier, et à sa bienveillance critique, que
l’on ose le regarder aujourd’hui à nouveau, en se faisant tirer par nos manches
d’arlequins versatiles et incrédules (eh oui, il y a une constance de la
peinture !) en suivant le doigt de Giacometti pointé sur ce nom, masqué d’un
voile pudique. Très risqué, comme de parler vraiment de Céline ! Sans cela
Derain serait encore au purgatoire, il y a une fraternité d’artiste, un fil
ténu, sur lequel Giacometti n’a pas transigé, par goût de la vérité tout
simplement. Une question morale. La destinée d’une œuvre tient à peu de choses,
à ce fil ténu de la fidélité. Derain est grand aussi pour avoir introduit le
doute dans son travail, en connaissance de cause des enjeux difficiles de la
peinture dans la modernité, de son impossibilité même. Cela est mal connu, mal
compris. Tant pis si l’échec a été au rendez-vous souvent. Cet échec que
Giacometti disait avoir fait sien, avoir accepté. Et de tout résumer en une
phrase : « Les qualités
de Derain n’existent qu’au-delà du ratage, de l’échec, de la perdition
possible, et je ne crois que dans ces qualités là, au moins dans l’Art
moderne… » Tout était
dit.
Cheval de Troie…
Relu le livre de William Styron : « Face aux ténèbres » qui est un rapport très exact sur ce
qu’est la dépression, vécue à la première personne. Un cheval de Troie qui dans
sa phase aiguë habite l’individu en son centre nerveux et empêche toute
capacité de réaction, ce qui est le propre de la maladie. Ce livre nous laisse
entrevoir un peu de cet espace entre le monologue du malade et la maladie
elle-même, qui semble avoir son autonomie, une évolution irréversible (dans un
premier temps) inscrite cependant dans un temps, une chronologie qui échappe au
malade, le seul repère et la seule alternative possible ne pouvant plus qu’être
pour le malade la recherche d’une ultime délivrance, celle du saut dans un
autre monde… Un livre exemplaire qui devrait être prescrit à tous les anciens
ou futurs malades !
Toujours Derain…
Admirable Nature
morte aux potirons (1938 / 39 ?) Admirable et très réussie. Ses
figures tiennent dans l’espace. Les fonds sont sublimes. Des portraits
magnifiques. De belles natures mortes… qui forcent le respect, celui que l’on
éprouve en présence de la grande peinture. Et aussi de formidables ratages.
Pathétique Derain. Pathétique et grand. Sans issue. Une très forte mélancolie…
Travaillé à Renn Espace,
chez Claude Berri, où nous restructurons les réserves afin d’être en accord
avec les assurances. Après bien des turpitudes morales et des malaises par
manque de communication avec mes parents lorsque j’étais si près d’eux en
octobre, à distance, à Paris, je ne ressens alors plus qu’une grande compassion
pour eux et aussi beaucoup d’amour en retour. Mystères de l’âme…
Une fois de plus c’est par l’écriture que j’essaye de faire le
point et de fixer mon désir de reprendre ma production. Sur des bases plus
solides et avec le désir de réaliser une sorte de synthèse. Désir de me donner
le temps, d’indiquer à mon corps le chemin de l’atelier, entreprendre à
nouveau. Voir et sentir en profondeur, en soi-même, loin des foires et des
allées et venues dans le « milieu. »
La bonne mesure…
Au fond je me demande, après avoir posé un très beau châssis à
clé contre un mur cachant un conduit de cheminée, dans mon appartement sous les
toits, et s’inscrivant parfaitement bien dans le plan du mur, je me demande
donc si dans mon travail tout ne se résume pas à des questions de mesure et de
justesse dans les rapports de proportions, couleurs et inscriptions de signes
ne venant que bien après…
Visite hier au musée du Louvre avec Vincent Decourt, un ami
peintre de grande valeur, élève d’Olivier Debré, et pratiquant une figuration
très libre, ambitieuse et qui devrait se signaler fortement sur la scène à
l’avenir... Une fois de plus j’admire beaucoup la grande salle des XVII
panneaux de Rubens. Une ambition en mouvement. On s’oublie ici, et on entre
totalement dans l’espace de la peinture. Nous nous plaisons à étudier ensuite
Jean-François de Troy et ses fameux
« Déjeuners. » J’aime les vues des ports de Joseph Vernet, et
surtout celles de Naples et de Toulon : ici la leçon classique de l’accord entre
l’ensemble et les parties, le goût du détail et de l’anecdote pittoresque sont
au service d’un remarquable sens de la composition, rarement égalé…
Certains Chardin et Watteau et bien sûr certains Fragonard : ce
sont toujours les même devant lesquels on ne peut que s’attarder ! Nous
terminons la visite par quelques Corot bien sentis, c’est décidément
« mon » peintre, science et retenue, ce qui n’exclut ni l’autorité ni
le goût du raccourci, la mesure ici est tout. Mesure du monde, loin des passions
stériles, comme chez Mondrian.
J’attendais beaucoup de l’exposition Schwitters et après coup je reste, il est vrai, assez
perplexe. Ni déçu ni emballé. Intéressé mais moins passionné. J’ai le tort de
trop aimer les œuvres et de trop faire crédit aux artistes. L’embêtant c’est
que j’espérais trouver chez lui un moyen pour l’imiter et ainsi progresser,
avancer. Mais je ne trouve en fait que peu de choses à exploiter. Nous avons
deux façons très différentes de concevoir la technique du collage. Ainsi sa
façon d’« atomiser » les documents, en saturant l’espace dans un
mouvement de spirale, mise en abîme, en abysse…
On perçoit très bien par contre au regard de cette rétrospective
l’importance qu’a eu Kurt Schwitters pour Robert Rauschenberg, un rapport de
filiation. Je retiens surtout de ses collages sur papiers (les plus précoces
sont les plus beaux souvent et certains des quasi chef-d’œuvre du genre), et en
particulier des petits formats, le fait que le détail y est fondamental,
l’aspect très signifiant de toutes petites indications et leur rôle dans la
perception du tout, dans l’équilibre de l’ensemble, un peu comme le minuscule
point rouge dans un paysage de Camille Corot. Ce qui est très classique une
fois de plus. Le rapport de la partie et du tout. Schwitters, bien que
révolutionnaire par l’esprit et son rapport à l’actualité de son temps, se pose
comme un classique du XXe siècle.
Ce goût avéré du détail, on a ça chez Pisanello par exemple,
mais aussi bien sûr chez les primitifs flamands : Van Eyck, Dierick Bouts, Joachim
Patinir, Van Der Weyden et toute la clique !
Cet aspect classique se décèle aussi dans le fait que l’œuvre
finie revêt chez lui un aspect « verrouillé », est achevée,
contrôlée, équilibrée, formant un tout. Certes il y a la question du « non
finito », il est bon de laisser un peu la porte ou la fenêtre ouverte… mais
sans pour autant éviter de se risquer à un ensemble construit, abouti, qui est
le grand mérite de ces artistes. C’est une chose qui me préoccupe toujours en
travaillant, le degré de contrôle, d’achevé ou légèrement inachevé des
collages…
Trop fermer est un danger. Essayer d’être entre les limites, aux
limites entre équilibre et déséquilibre.
Le rire…
Les frères Lumière (un nom prédestiné) inventent un procédé. Une
technique, un appareil. Ils filment le plus souvent en extérieur de courtes
scènes, reflets de fait réels, en temps réel. C’est le cinématographe. Le
montage est encore absent, c’est une photographie en mouvement. Le public se
lasse vite, la surprise passée. Méliès est un dessinateur né. Et son théâtre,
qui fonctionne bien, est lié à la notion d’une mise en scène la plus élaborée
possible, très vite, dès le début, notion qui est aussi celle des dispositifs
illusionnistes de Robert Houdin dont il fût le noble héritier de son théâtre...
Il crée le montage. Ramène la caméra à l’intérieur, en studio,
qui est alors à la fois un atelier de peintre, un atelier tout court, une scène
de théâtre, des coulisses qui deviennent premier plan, tout cela à la fois. Il
engage l’imaginaire avec tous les moyens possibles en compliquant les choses à
loisir : décors délirants, scénarios qui mêlent les genres, et il se permet
tout ou presque : le porno est encore marginal et très confidentiel, malgré
déjà beaucoup d’amateurs ! Il préfigure les débuts de Chaplin, Keaton, Disney,
où l’on bricolait des plateaux avec force clous et bouts de ficelles… C’est le
cinéma. Et le public revient. C’est qu’il a décidé de s’amuser, au sens propre,
et d’amuser le public en s’appropriant le procédé le plus fou qui soit :
l’invention des Lumières. L’imaginaire, voilà l’enjeu, la grande affaire. L’Art
récent a voulu tout démonter, les enfants gâtés ont cassé leurs jouets. Il faut
tout démythifier. Le public s’enfuit en protestant. Quel public pour l’Art
aujourd’hui ? De vrais amateurs, autres que le bétail que l'on emmène au musée ?Mais c’est que tout cela me préoccupe et je ne suis pas loin de
penser que tout est imaginaire, que l’Art engagé est une gageure, que la vie
est un songe. Le public doit se sentir concerné : Pagnol. Oui, Pagnol...
Participer, s’identifier… rêver. Et rire.
Le goût…
Je ne lisais plus Giono depuis des années. Après l’avoir
beaucoup lu. Et relu. J’y retrouve des sensations intactes et un plaisir inouï,
qui me réconcilient avec une grande part de moi-même, en relisant, ébloui, le Voyage en Italie. Le style :
voilà ce qui s’imposera toujours, dans tous les domaines. Giono surgit où on ne
l’attend pas et procure quelques heures de bonheur parfait. Le bonheur… un mot
qui lui va bien.
A tous moments Giono ment effrontément, tout comme Cendrars
d’ailleurs, ce qui est pour lui un des innombrables moyens de jouir, en
prétendant, en faux modeste, ne rien comprendre à la peinture, comme d’après
lui la majorité d’entre nous. Mais son sens des couleurs, des rapports de
couleurs et sa capacité à les décrire m’émeuvent beaucoup, m’indiquent à mon
tour le chemin d’une jouissance aussi aiguë, car précise, que devant Corot ou
Marquet ou Poussin. Relire Giono. « La
chasse au bonheur... »
Il est par ailleurs curieux que ce même Giono si habile à
décrire les couleurs et leurs effets par les mots, et ayant su un des premiers
reconnaître le talent du jeune Bernard Buffet, ait ensuite mal compris et peu
apprécié l’Art de son temps. Personne n’est parfait. Affaire de goût : voilà la
grande affaire des français ! Une affaire loin d’être conclue…
Mélodie en sous-sol…
Nous travaillons avec Enès pour la galerie Renn Espace, qui appartient à Claude Berri, et nous réorganisons le sous-sol, consacré aux réserves. Caisses de toutes tailles, en provenance de New York pour la plupart, aux étiquettes éloquentes, Dan Flavin, Donald Judd, Carl André, Bruce Nauman, Lucio Fontana, Piero Manzoni, Jean Dubuffet etc. Renn Espace est le seul endroit à Paris, dont la collection est d’origine privée, et qui propose un espace d’exposition au public digne d’une fondation ou même d’un musée par la rareté et souvent la grande qualité des œuvres montrées. Nous allons chez Gérald Piltzer pour y accrocher de nouveau les tableaux présentés à la Fiac. Ils sont très beaux et c’est un honneur de manipuler ainsi un immense Hantaï rouge, un triptyque de Hélion de près de huit mètres, de très beaux Debré, et une sculpture de Hartung connue et reproduite dans beaucoup d’ouvrages.
Chantal D. nous reçoit le mercredi matin dans le grand
appartement du boulevard Malherbes pour restaurer et accrocher un diptyque
récent de Ben, acheté à Vence chez Catherine Issert, et comportant une vidéo.
Nous passons un fort agréable moment à travailler car elle est charmante et
très désireuse de nous connaître.
Cette semaine, à la galerie Hopkins-Thomas j’ai découvert une
« mine », un gisement de petits dessins de Marquet, tous signés,
paysages ou figures, encre de chine ou crayons, provenant de la succession
Marquet, celle de son neveu, via Marcelle Marquet, sa veuve. Les premiers prix
sont fixés à 4500 francs, ce qui est très accessible si l’on compare ces
prix à ceux des estampes d’artistes vivants vendus chez Artcurial ou même à la
moindre petite chose récente. Je suis donc extrêmement motivé par l’acquisition
d’un petit croquis, en paiements différés.
Cha cha cha…
De retour de Belgique où nous avons passé 24 h… L’exposition White Wide Space est une rétrospective des activités de la
galerie du même nom, qui fut très active dans les années 60 / 70, et se tient
au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. La pluie est battante, le vent violent.
L’architecture intérieure est désuète et les pièces présentées le sont aussi
pour la plupart. L’Art de ces années là vieillit mal. Place de Brouckère. Vent
froid, pluie.
A Gand se tenait le vernissage de On line, exposition-foire
réunissant une quinzaine de galeries d’avant garde de type « nouvelles
tendances » (Fiac 94). Le lieu est une galerie marchande, avec une très
belle déambulation sur deux niveaux et où chaque espace est délimité par un
simple mur rideau, une baie vitrée. L’ambiance y est différente de Paris. Ici
l’on est dans le même temps plus professionnel, plus souriant, plus détendu.
Beaucoup d’artistes et de collectionneurs sont là. Une sociologie différente.
Nous rencontrons Joseph Kosuth, Philippe Perrin de Bloc Note, Hélène Fleiss et Olivier Zham de Purple Prose, Nicolas Bourriaud de Documents. Jennifer Flay présente
Marylène N., Claude Closky et Mariella Simonni dont nous avions décroché les
œuvres à la galerie, rue Debeleyme. Edouard Mérino est là, présentant Paul
Mac-Carthy… bien sûr. Un beau dessin humoristique de Richard Prince : 4000
$.
Il y avait à Gand une fête chez Wim Delvoye, à partir de minuit
jusqu’au matin. Hangar, musique techno et rock, artistes, galeristes. Comme
d’habitude Jennifer Flay est déchaînée, son associée aussi. Marylène danse
aussi beaucoup ainsi que Klaus son ami viennois. Massimo di Carlo, le marchand
milanais danse aussi avec son assistante, une fille blonde très jolie. Le soir
même nous allons à une fête chez Anne-Marie Jugnier, artiste qui expose à la
galerie Putman et vit avec une autre fille brune très jolie, aux yeux très
langoureux. Claude Lévêque est là et se déchaîne sur la musique techno.
Basserode est là aussi, ainsi que Eric Maillet. Ce sont de nouveaux ateliers
dans un style paquebot contigus à Canal +.
C’est fatiguant trop de fêtes.
Le soir suivant pendant le vernissage Closky chez Jennifer Flay nous partons chez
Nicole et Jean-Luc Hinsinger pour une autre fête où nous dansons sur la musique
de John Lee Hooker. Je rencontre et sympathise avec un artiste de Stuttgart qui
expose chez Sylvana Lorenz. Il faut dormir…
Déjeuner hier chez François Arnal, à Arcueil, après avoir
travaillé à Renn Productions à déterminer l’état de
conservation de pièces d’Absalon après trois prêts successifs. Arnal a un
atelier (ou plutôt 3) répartis sur 1200 m2, avec de grandes réserves bien
rangées, des archives classées par sa femme. Nous déjeunons tous les deux. Fin
comme un chat, habile, agile, un peu désabusé. Meubles de l’ « Atelier A », faits
par les copains artistes, Arman, César et bien d’autres…
Nous parlons d’Olivier Debré, de Monory, Mark Brusse qui sont
ses amis, et habitent ou travaillent à Cachan. De sa mésaventure commerciale
récente en Suède où 14 toiles furent vendues, mais impayées, d’où un procès en
cours. Il a vu Gianni Bertini récemment. Il évoque une exposition en 1950, à
Wuppertal, avec Beuys encore jeune, mais déjà passionné et nerveux, dans une
Allemagne en ruines. Le « shopper » est garé dans l’entrée. Jardin
intérieur de bambous et oliviers. Sa demeure est aussi un lieu d’exposition. On
y voit des pièces de plastique exposées chez Templon, fin 70, et qui figurent
dans les catalogues… Il me montre un article paru lors d’une exposition chez
Jean Larcade et qui visait à diaboliser les peintres abstraits…
Son rêve est d’exposer aujourd’hui chez Thadeus Ropac ou Karsten
Krève. Cela m’étonnerait mais je reste silencieux. Durand-Dessert, qu’il
connaît, viendra bientôt, ainsi que Thadeus Ropac, Germain Viatte, Philippe
Dagen, et Michel Nuridsany. Je le sens frustré de n’avoir pas eu encore de
rétrospective. Le Jeu de Paume le fait rêver aussi. Il me questionne et me
signale le danger qu’il peut y avoir à rester longtemps sans produire ainsi
qu’à ne pas se laisser totalement aller, quitte à regretter ensuite des choses
qui seraient mal venues. Nous évoquons son enfance dans la belle propriété
vinicole, avec cette allée de palmiers majestueux, chemin La Calabro, sur la commune de La
Valette. Sa mère a accouché presque en vendangeant. Enfance heureuse. La
situation fait que la France ne défend que peu et mal ses artistes et que les
USA et l’Allemagne nous dominent. Je pense qu’il y aura un juste retour des
choses, mais lui, semble pessimiste, qu’il ne le verra pas, et qu’il faudra
attendre vingt ans encore…
Dommage aussi que Claude Berri (j’apporte cette remarque)
n’achète que des américains alors qu’avec sa surface financière considérable il
pourrait créer une petite révolution en France en renflouant certains artistes,
en créant une dynamique, en faisant bouger les valeurs. Nous le déplorons de
concert. Je suis déçu en parlant avec Jean-Roger S., de passage à Paris, car il
n’a plus de budget d’achat et a consacré ses derniers deniers à renflouer la
galerie Athanor, de Marseille, alors qu’une de mes petites pièces ne coûte
que 2000 francs, qu’il pourrait, en achetant, me faire entrer dans les
collections, que j’en ai vraiment besoin, financièrement et moralement, que de
toute façon, cela coûtera davantage dans le futur. Et voilà !
Visite à Claude Viallat dans son atelier de l’école des
Beaux-Arts, le 15 décembre à 11h. Chaleureux, simple, direct,
extraordinairement calme, serein. Une tête de moine paillard. Regard doux,
pétillant de malice et de bonté. Poignée de main de vigneron. Enormes.
Accueilli comme si on venait de se quitter, je suis content de le voir et cela
semble réciproque. Il m’interroge sur mon dernier catalogue, que je lui présente,
et me parle de celui de l’exposition de cet été aux Remparts. Il évoque l’âge de Noël, ainsi que celui d’Arnal et celui
de Noël Dolla. Il me félicite pour la saine évolution de mon travail qui prend
selon lui une bonne direction et me demande si j’ai une galerie à Paris, et me
conseille d’aller voir Alain Veinstein, un « intelligent » selon lui.
Ses compliments sont sincères et cela me remonte beaucoup le moral, venant de
Viallat, que j’admire toujours autant. Nous parlons de Schwitters, de l’aspect
précieux de ses collages et la relativité de sa notion d’échelle…
On se reverra. Poignée de main et regard complice. A bientôt.
Bon travail. Hier j’ai eu Gianni Bertini au téléphone, il passera les fêtes à
Milan puis dans sa campagne de Nansola, nous nous reverrons donc en janvier.
Que l’été et sa sensualité sont loin…
C’est l’hiver dans une ville industrieuse, saturée de réseaux
d’activités dans le froid, les brumes et les pluies. Passé la journée en
accrochage chez Ghislaine Hussenot sur des œuvres photographiques de deux
américains de la galerie Miller de
New York (la France se régale des miettes venues des USA). L’assistante Céline,
asiatique, a un body très moulant et m’excite beaucoup, je passe la journée à
l’imaginer nue et l’enchaînement des actions qui s’en suivraient, tout cela en
travaillant dans ce bel espace. Les photos sont lourdes. Nous devons suspendre
une œuvre imposante de 6 mètres de haut, avec un élévateur peu
fiable, ce n’est pas simple. Que l’enseignement est loin aussi avec sa
monotonie et son cortège de frustrations, de colères quotidiennes ! Et le pire
c’est que… j’aimais ces enfants. Bon.
Le vieux tromblon…
Hier, déjeuné avec François Arnal et sa jeune épouse, Nathalie
B., attachée de presse au musée de Toulon, et Jean-Roger S., son conservateur
(jusqu’à quand ?). Restaurant Le
Sourd. Filets de poisson cru et sars grillés. Vin blanc sec. Tarte poire et
amandes tièdes. Arnal, « vieux
tromblon » (sic Georges Noël !) très fin, est très malin. La ville en
hiver est sinistre.
Visité aujourd’hui à Marseille l’exposition Pierre Puget à la Vieille Charité. J’aime Puget.
Si fort et si fin. Y compris pour ses ratages, ses maladresses. Il a compris
véritablement la sculpture et surtout Michel-Ange. C’est notre grand sculpteur,
avant Rodin. Son autoportrait âgé nous parle, nous réchauffe, aucun drame dans
cet autoportrait, il appartient à la grande tradition, où il s’agissait
d’entreprendre, et d’accomplir, d’aboutir, de réaliser, au sens où l’entendait
Cézanne, réaliser, cette chose devenue impossible, et sur laquelle Giacometti
ne cesse d’insister. Comme si les tragédies de l’époque avaient privé l’homme
contemporain d’une réconciliation et d’une maîtrise sur le monde. Portrait donc
souriant, gai, intelligent. Menton décidé, front large et sérieux, tenue
dégagée. Provençal, c’est à dire doué à la fois de brio et de retenue, de
pudeur. Une pointe d’ironie, celle de celui qui a « vu » l’autre côté
du miroir. On se prend à rêver, n’est-ce pas ce qu’on souhaiterait pour
aujourd’hui…
Le musée Cantini est tout endormi en cette journée d’hiver
brumeuse et un peu poisseuse. Les gardiens qui papotent. Plus personne ne vient
puisque le MAC (ce nom s’accorde avec les vrais héros de la ville…)
recrute désormais le public, hagard, de l’Art contemporain…
Cela me plaît et me convient très bien, je visite le musée seul
et trouve un plaisir inouï devant le Marquet, dans l’entrée, le Magnelli (très bonhomme,
sympathique, chaud), et le Julio Gonzalès (sans commentaire : il est parfait) de
l’étage. Les vraies richesses sont là, désormais bien cachées et protégées par
les mille feux du MAC (toute ville qui atteint un certain niveau se
doit d’avoir un musée d’Art contemporain !) Tout cela est parfait. Quotas
et coteries.
La ville est moche et grise, et sale et vulgaire. Je prends la
route de l’Estaque. Le soleil perce timidement au-dessus des îles. Aqueducs.
Autoponts. Ports et darses, entrepôts et les collines, au loin.
L’Estaque est endormie, seule, délaissée par la grande ville et c’est également parfait. La banlieue et ses villas modestes bien filmées dans French Connection et Retour à Marseille de René Allio (dans L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville aussi), clôtures de pierres blanches, platanes décharnés. Cézanne et Gérard Traquandi ont su saisir la grâce de ce théâtre construit à la bonne dimension par 50% d’architecture hirsute et laborieuse et 50% d’une mer et d’un ciel sans égal. La route serpente sous l’aplomb des falaises et de la voie ferrée et me conduit vers Ensuès et La Redonne, Méjean, l’Escarayol, où Blaise Cendrars a séjourné dans la compagnie des pêcheurs de La Redonne, habitant sur la colline, face à la mer, le château de l’Escarayol ou « Maison du pendu » Beuveries, machine à écrire chauffée à blanc (Ah ! Le retour du Brésil et le gueuleton à Marseille chez la mère ?) Parties de boules.
L’Estaque est endormie, seule, délaissée par la grande ville et c’est également parfait. La banlieue et ses villas modestes bien filmées dans French Connection et Retour à Marseille de René Allio (dans L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville aussi), clôtures de pierres blanches, platanes décharnés. Cézanne et Gérard Traquandi ont su saisir la grâce de ce théâtre construit à la bonne dimension par 50% d’architecture hirsute et laborieuse et 50% d’une mer et d’un ciel sans égal. La route serpente sous l’aplomb des falaises et de la voie ferrée et me conduit vers Ensuès et La Redonne, Méjean, l’Escarayol, où Blaise Cendrars a séjourné dans la compagnie des pêcheurs de La Redonne, habitant sur la colline, face à la mer, le château de l’Escarayol ou « Maison du pendu » Beuveries, machine à écrire chauffée à blanc (Ah ! Le retour du Brésil et le gueuleton à Marseille chez la mère ?) Parties de boules.
A La Redonne, je suis surpris d’apprendre, par le seul
restaurateur du coin, que l’écrivain est encore connu ici, pour son fameux
chapitre de « L’homme
foudroyé. » Retour à Marseille pour rendre visite à la galerie Athanor
qui est très belle, un lieu idéal pour y présenter son travail. On me montre
une abondante documentation sur Claude Viallat, notamment la publication de
Céret, ainsi que de jolies toiles, des touts petits formats. La journée est
bien remplie : Puget, l’Estaque, La Redonne et Cendrars, et Claude Viallat,
sans oublier Marquet et sa Vue
du vieux port, de 1912, je suis satisfait, et sur des rails. Rails pour
rentrer sur Toulon, ville d’idiots. L’autoroute est dangereuse la nuit, le code
de la route et le respect de la vie d’autrui étant choses obsolètes pour le
contemporain moyen…
Le soir même Philippe Sollers, interrogé par Guillaume Durand
(un ravi !) lui explique avec
patience (il en faut) et quasi-compassion, que selon lui, être moderne ne sert
désormais plus à rien en cette fin de siècle. Seule l’étude sérieuse du passé,
une mémoire éclairée et active, restent utiles et nécessaires pour conduire et
faire progresser la conscience dans le travail, conscience des conditions du
présent et d’une progression possible. L’idée même (datant du 19° Siècle) du
présent et de l’actualité (celle de l’Art contemporain) comme valeur suprême,
étant devenue désuète et académique…
Revu aujourd’hui Une
nuit à l’Opéra. Woody Allen s’est inspiré de ce film (la scène du discours
des aviateurs) pour l’idée et les cadrages en préparant Zélig. C’est sublime et je
ressens une grande émotion. La féerie existe vraiment avec la scène de la harpe
et des enfants ! Voilà ce que l’on n’ose plus : ressentir et vivre des émotions
simples par peur d’être naïfs. Le grand bordel pendant la représentation, avec
le système d’ascenseur dans les cordages de la machinerie et les décors qui
permutent sans cesse, Chico fendant la toile de haut en bas comme Fontana
fendant une tôle légère au marteau et au burin, l’amour de l’expression vraie
et sans fard et du chant juste (la voix !) saisissent le spectateur après les
facéties, tout cela est sublime, et juste et beau. J’aime vraiment beaucoup les
frères Marx. Plus que l’oncle Karl !