CARNETS 1990-94


Ruines   A moto   Eaux profondes   Trois femmes   Septembre   L’Arlésienne   Dali   Visions   Les roches rouges   Parfum   Automne   Commerce !   Alfred   L'Agosta   Portes cochères   Carnac   Les conditions du bonheur   Nuit de Paris   Trop tard   Proposition   Il pleut   Chanson brillante   Temps clair   Un grand garçon   Maldonne   Masochisme   200 titres   Rue de Lille   Conversation   Chinchilla   Chenue   A l’avenant   La chair   Django   Tristesse   L’impériale   Alcools   Artuby   Le tombant   Volets clos   Canapés   L’incendie   A 200 km/h   Fenwick   L'affaire Mattei   Loulou   Tonnerre   Corps-Francs   L’Accademia   Safaris   La Favorita   Vintimille   Cosmétiques   Le 29   Les Kurt Schwitters   Derain   Cheval de Troie   Toujours Derain   La bonne mesure   Le rire   Le goût   Mélodie en sous-sol   Cha cha cha   Budget   Le vieux tromblon



Ruines…

Bas noirs résilles. Lumière de plâtre, puis dorée vers le soir, dans les vieilles rues de la cité fatiguée. Murs pignons souffreteux, enduits boursouflés, lépreux, bleus roses jaunes. Immeubles de six étages datant du 17°/18° siècles en état de délabrement total. Architectures admirables et justes. Ruines. Ordures. Cafés maures. Musique arabe. On a mis, comme en Afrique du Nord, des tables sur la rue, devant les pas de portes, où l’on boit de la bière et on joue aux cartes. Il manque ici un David Téniers pas trop vieux pour peindre ce tableau. Bars à matelots toujours obscurs avec seul le clignotement des juke-boxes. Filles assises attendant le soir, prenant un peu de frais avant la nuit, les rires, l’alcool, les cigarettes, les langues qui se délient…

Murs décrépis, portes condamnées, murées, pierres de tailles au faîtage des maisons, entablements à l’italienne, hautes fenêtres à la française à la partie supérieure dessinée en berceau, arc de cercle très doux. Vieilles cheminées et fontaines de pierre en angle des cuisines anciennes où mijotait la daube il y a cent ans, attendant la sortie des ateliers de l’arsenal tout proche. Abandon des murs et des cœurs. On joue beaucoup dans les cafés maures peuplant seuls les rues désertées par leurs anciens habitants. On y parle fort, dans la lumière du soir. Claude Le Lorrain. Soleil levant ? Col sol levante. Col sol cadente.
Espagne, Sicile, rivages. Tout cela est amené à disparaître. Enseignes colorées des bouges. Marchés improvisés, montagnes de vieux vêtements. Un figuier a poussé au bord d’une corniche. Affiches décolorées mille fois. Epiceries et bazars. Tapis chatoyants. Citrons. Cigarettes algériennes. Linges aux fenêtres, sur les terrasses des derniers étages. Escaliers sombres, défoncés et puants. Colonnes de plastique des démolisseurs. Ici bat le vrai cœur de la ville. Mémoire des siècles passés. Rue des savonnières, rue du Noyer : façades parfaites soudain ensoleillées par les rayons rasant la rade, c’est l’heure de la navette ramenant les matelots dans l’arsenal et leurs foyers…


Giorgio de Chirico : « Je crois, moi, qu’une place pétrifiée dans la clarté de midi recèle plus de mystères qu’une chambre obscure, au cœur de la nuit, pendant une séance de spiritisme. »


Trois femmes…

Une jaune, une rouge et une noire. Un très beau jaune, un très beau rouge, robes à mi-cuisses, échancrées dans le dos. Abordé la rouge. Sourires, confusion.
La jaune était un Maillol. Le temps était encore gris et un peu lourd. Plaisir distillé tout au cours de la journée. En descendant le long des rues de la ville et ses effluves de fin d’été, l’air était doux et caressant, et immobile dans la lumière grise et apaisée, on peut sentir par ce temps si particulier, remonter des senteurs de Tunis, Palerme, Gibraltar, Calvi, et même de Saigon. Bitter. Tabac gris. Cortès. Cette nuit, comme à Nice hier, me sont venus, se sont mis en ordre, les projets de tableaux à venir. Aurais-je la constance et les idées assez claires pour les mener à bien ? Prendre le temps de la lecture. S’autoriser de plonger dans le travail et l’étude. Téléphoner à Marina. Arrivé à ce moment de la saison il est rare que je ne sois pas totalement heureux. Tout m’est plaisir. Les rues. Les femmes. Qu’une soit dans ma vie ou que je sois seul.
Passer le mois de septembre à flâner, observer, sentir, séduire, parler, écouter, aimer. Septembre est le plus beau mois de l’année...
Ce matin le Clémenceau a appareillé. Passer le mois de septembre à peindre, lentement, dans l’atelier calme et silencieux, une série de huit toiles conçues pendant les nuits d’août. Toiles déjà prêtes. Revenir à une préparation soignée du grain, de la tension…


A moto…

... entre Bormes-les-Mimosas et Toulon, sur la route nationale, sous une pluie battante. Tous les moments sont bons pour l’amour. Mais il en est un particulier. C’est la fin du mois d’août lorsque le temps est gris, se rafraîchit. A l’heure de la sieste. Il fait un peu lourd, il peut même pleuvoir un peu. Le repas fût riche, raffiné, cigares… Le temps alors s’arrête, on touche à l’éternité. Remontent alors les odeurs de la terre, si fortes dans les Maures, et celle de la mer toute proche derrière les collines, et nous atteignent, poussées à l’extrême, où que l’on se trouve, par des filets d’air, des vents légers et tournants, bientôt tamisés par la pluie fine. Il n’y a plus de mots pour décrire la volupté de ces moments là. La femme. Odor di femina. L’éternité. Les gros dentis sont souvent immobiles entre deux eaux, au fond des eaux, près des épaves. Gorgones et cheveux des femmes. Femmes mauresques ! Sexe offert, toujours plus ouvert, plaisir inouï…


Eaux profondes…

La grotte de l’anse San-Peire, reflets d’eaux qui scintillent au plafond calcaire de la grotte suintant comme un vagin. Effets de lumière. Caravage et Le Lorrain. Ports. Porto. Apéritifs. Eaux stagnantes au fond des bassins du port de Toulon. Nina la Créole à la peau tendue ruisselant de sueur, aux seins et fesses fermes, cheveux très serrés en chignon, visage ovale et plein. Les demoiselles d’Avignon. Les demoiselles de Toulon… Yeux noirs, tatouage sur l’épaule. Coup franc, cigarette, une bise... Lumière dorée se reflétant sur les eaux, rayons qui les traversent, et révèlent furtivement les formes endormies des fonds, bosses, rondes bosses moussues, et se réfléchit sur la courbe d’un bidon rouillé. Danse sur la pierre et ses reflets d’argent, le poulpe glisse latéralement sur le fond, épousant la lumière de tous ses pores et cherchant le refuge de l’ombre. Lumière calme et dorée du soir. Bonheur. Huiles répandues flottant à la surface, gasoil, essence du monde, corde rongée par le sel. Même reflets d’eaux à Venise, le long des quais des arsenaux, dans le soir. Trouées de lumière derrière les têtes du Tintoret ou du Véronèse, grilles des carceri de Caravage, Piranèse et de Raphaël.


Septembre...

Baisers interminables, sel, salive, sexes trempés, miel. Périnée, sueurs, pubis touffus. Nuits interminables. Se balancer, bien pesé, dans trois mètres d’eau, lorsque le temps est gris, ballet échevelé et calme des posidonies, dans le sillage des bans de saupes. Etre en suspension, s‘immobiliser. Agiter doucement une palme pour maintenir l’assiette. Se laisser porter. Ne pas tuer. Les Indes. Contes de Satyajit Ray. Déjeuner d’un poisson grillé, puis l’amour, jusqu’à la nuit, jusqu’aux étoiles, jusqu’au vent déchaîné des nuits de mistral et que les volets grincent. Je vais téléphoner à Marina. Lire, étudier, aimer, peindre, aimer, aimer encore. Lorsque le diesel s’arrête, vient le désir calme et l’assurance d’une belle plongée. Le silence de la mer. Lumière grise. Désir de plongées, désir d’aimer…


L’Arlésienne…

Passer l’hiver en Provence, derrière les fenêtres chauffées à blanc par le soleil de midi, odeurs de paille des chaises. Peinture. Bois d’olivier qui brûle. L’Arlésienne, avec ses poils, son corps. Maintenant le soir tombe. Lumière déclinante à travers les vitres. Le froid descend à son tour et enveloppe les collines où se dessinent les ombres. C’est la guerre au Liban. Oignons. Daube. Tabac gris. Velours noir. Vin. Oignons roux orangés devant le mur blanc gris bleuté, velours noir profond du pantalon. Cézanne-père lisant son journal. Derain. La Provence est grise. Bleus et verts de Baboulène. Corot. Beau sexe brun et rose odorant de femme offerte posée là, sur les draps de coton blanc. Sang. Sperme. Fumées des toits. Gris subtils et bleus coupés de blanc et de garance. Légion. Combats. Traités de paix. La peinture continue. Immensité de la nuit. Grand vent sur les tuiles. Le soir…

Les effets d’une construction réussie, élaboration lente du tableau pour donner l’illusion d’un dessin rapide. Fraîcheur du ton, du coloris, légèreté mais non pas transparence. Recherche des tons justes. Musique douce. Spaghettis, chinchillas, vin rouge du Piémont, grosse baise dans les châtaigniers.

Vertus mécaniques - esprit des fleurs !
Toutes les essences !
Dans l’air et le soleil
Le bois se tord et souffre
Elle tourne sur sa base
La boule métallique !


Dali…

Et puis penser au petit chemin menant à l’atelier de Cézanne, la montée des Lauves bordée de cyprès, pins, figuiers, lauriers, le maître s’y faisant conduire en fiacre depuis la rue Boulegon. Quelques cailloux, quelques pierres, sur la colline alors pelée, un muret, et la maison, en haut, en contrebas du chemin, d’où l’on domine Aix. L’atelier, huile de lin séchée, cloquée, mêlée aux aiguilles de pins centenaires au fond des cylindres de zinc de la palette qu’emportait le maître sur le motif aux grosses chaleurs. Toile rayée du parasol, senteurs. Le cercle rouge. Tout n’est que mémoire. Mémoire des sensations dans l’atelier frais où le monde se redresse par l’esprit. Sénèque. Melville. Entrer en peinture comme au couvent, pour mater les filles à leur toilette. En fourbe, en gangster. Pas de quartier, le monde doit rendre et payer son trop plein de clarté, son trop plein de beauté et de lumière insolente. Seins. Tétons roses. Toisons comme des puits. Entrer en douce. Pas de quartier. Quartier réservé, quartiers de viandes aux étals des bouchers. Bacon (Francis). Plats de côtes, jambons fumés, cuisses roses cernées d’un lacet noir de pêche. Entrer par la fenêtre. Volets verts. Mais quel vert ? Olives argentées dans le vent d’hiver. Femmes. Fichus. Laines. Dali, Lacan. Suivre les Maîtres et… leur casser la gueule. Poliment.


Visions…

En écoutant Léo Ferré. Epoques successives. Ecoulement du temps. Eternité, toujours. Je pense aux sous-mariniers de la France Libre, des missions sombres dans les fjords de Norvège. Narvik. Au stress infini les séparant des bassins de radoub anglais. De ceux perdus par le fond des eaux glacées. Messages radios. Chasse allemande. Ceux qui jamais ne revinrent. Et, toujours, la masse sombre des ombres consumées dans les forêts de Pologne. Ton cul est un vitrail. Chartres. Ton cul poisseux sur les draps froissés est un vitrail de plus. Rodin. Cathédrale humaine, jusqu’aux cieux. Oran. Alger. Agadir. Tanger. Danger. Mers, mines. Méduses. Tôles rouillées. Double coque des submersibles. Bordels. Coups tirés, contre la mort. Bouges de Gibraltar. Intelligence…
Enfants à naître. Ciels lourds sur la Méditerranée. Transparence des eaux pour la chasse. Cigarettes Pall Mall. Sten gun. Amirauté. Famine. Soleil sur les murs de la chambre pendant la sieste après le travail de la nuit et ses dangers. Couvre feu. Couvre lit. Nina la Créole fumant après l’amour, coiffée d’une casquette d’officier.
Vu hier soir des dessins de Juan Gris, qui avait suivi les Arts et Métiers. Lettres touchantes échangées avec Apollinaire…


Les roches rouges…

Antibes : trois minutes d’arrêt.
Chanson pour le maçon.
Cathédrale et rue du Saint-Esprit.
Tour du château des Grimaldi.
Le vieil Antibes d’Audiberti.
Le ciel.

Courants d’air léger sur la terrasse du musée.
La mer, immense, au bas des murailles blanches.
Le bleu.
Soupe de poisson.
Chambre d’hôtel à la gare routière et son horloge de tôle découpée. Nuits d’Antibes vous étiez des nuits d’amour.
Train Paris / Vintimille.
Dallages noirs et blancs du parvis.
Galets.
Oursins de Picasso.
Nappes de papier tachées de rouille orange et grasse.
Ail frais et rosé frappé.
Cigarettes.
Sel. Peau. Sexe trempé.
Rues désertes à l’heure de la sieste.
Shakespeare.
Soleil de plomb.
Mon nez dans tes fesses tièdes.
Martini.
Place du marché.
Bouquet de menthe fraîche dans ton cul ma chérie.
Note d’hôtel.
Jazz dans la nuit.
Courants d’air sur les remparts.
Lumière du petit matin sur les eaux froides frémissantes.
Photos de gris, de noir et blanc.
Pellicule de sel sur ta culotte blanche ma belle salope.
Bijoux de verre miroitant tes yeux.
Odeurs.
Vent du large.
La nuit à Antibes !
Lauriers roses et bancs de rondins verts à la peau craquante sous les platanes de la gare et les villas endormies par la fournaise.
Cailloux du ballast chauffés à blanc, rose du sol des quais !
Rose de ton cul ma chérie !
Pistaches.
Skaï vert des banquettes des anciens wagons, odeur des métaux, aluminium poli, toutes fenêtres ouvertes où l’air du printemps s’engouffre, dans les couloirs et les compartiments où l’on lit Apollinaire.
Bône où j’ai rencontré Lou.
Provinces de France.
Abbaye de Solesmes.
Petits stores de toile beige tirés de haut en bas.
E pericoloso sporgesi. Nicht in aus leinen. Ne pas se pencher au dehors.
Parfum de femme dans toute la rame.
Arrivés au Trayas, la voie courbe, entre la mer et les roches rouges abruptes.
Agaves, pierres ocres, roses, grises. Vert de gris et tiges chargées de fleurs jaunes.
Bonheur.
Nice !
La chambre de Laure.
A Menton sous les marchés couverts les poissons sont dans les bacs. Trottoirs et voirie arrosés à midi après le marché.
Fleurs jonchant l’asphalte devant les vitrines des bars.
L’Italie, si proche ! Ostende !
Poèmes lus arrachés au vacarme et à la vitesse.
Soufflets noirs du train et des chambres photographiques.
Tes yeux, ma chérie...




Parfum...

L’appartement d’Apollinaire appartenait au prince de Monaco. Bague faite d’un éclat de balle, cuivre pour l’anneau, lingot d’or pour inscrire « Gui aime Lou. » Le casque troué. La lampe bleue aux motifs floraux comme un lamparo sur une mer de livres. Lettres écrites à La Santé. Les Fantômas. Rouletabille. Bugatti. Le parfum de la dame en noir


Automne

PUTAIN ! Aujourd’hui je sortais de l’atelier (l’ATELIER) et je marchais sur les pavés luisants, passant devant Chez Angèle, où le peuple se restaure, je tournais à gauche dans le passage et putain de merde, ça sentait fort les olives noires un peu pourries ! J’ai vu des étoiles, des barriques crasseuses et tous les ports encore et encore ! Putain ça sentait fort les olives !!!



Commerce !


Commerce des perles de Formose vendues à Nîmes par Guillaume.
Trains de nuit le long de la Volga, Rogovine et l’épine d’Ispahan ! Commerce des tableaux. Faux. Tissus d’Inde vendus sous les mimosas de Nice.
Commerce d’esclaves et de bijoux.
Harare. Marseille. Oranges. Huile.
Pièces d’argent frappées de têtes aux lauriers.
Vins, miels des collines vendus au-delà de la mer.
Commerce d’un petit tableau. Chatte de cinq cent francs.
Tissus. Tiares, bibles ! Commerce !


Alfred…

Vu ce matin encore un très beau petit Marquet, eh oui, de 1916, sur les quais, boiseries, ambiance feutrée. Un port. Un délice. A l’intérieur : 2 petits dessins de De Chirico, des études de 1920. Sublime. L’exposition Paul Delvaux chez Isy Brachot, avec 4 aquarelles, miroirs et architectures. 14 gravures en couleur très intéressantes ! L’exposition Courmes a débuté hier soir rue de Seine. Doisneau était là, modeste, discret, souriant, un saint ! Courmes, le maître, est arrivé, accompagné par deux jeunes gens. Œil vif, teint clair et sain. Très lucide et attentif, malin, peu loquace, direct cependant et la main sûre : sa dédicace, qu’il m’accorde volontiers, sur la page de garde du livre de Jean-Marc Campagne, est impeccable. Lettres bien dessinées, calculées, précises. Je suis content d’avoir vu et serré la main de Courmes « de son vivant » !
La place Puget, les pères maristes près de la gare, les alcôves de la basse-ville, persiennes, poix chiches, femmes, marins, baletti l’été sous les platanes et serviettes propres pour les passes. Marine. Bormes-les-mimosas, chaises longues, plongées chez Roland Blanc. Alain Bombard au tuba sur le Radeau de la méduse (1964).

Anvers, les Rubens, Holbein, Van Eyck, intérieurs des cafés et des maisons de brique, pavés luisants, Simenon, cigares, échafaudages, bocs, rideaux à carreaux, nappes, horloges brunes, veillées, géraniums, grands boulevards, canaux, péniches, affiches lumineuses, lettres peintes séchées au pignons des murs, garages sentant l’huile sur les routes du Var, piles de pneus, halte à Gonfaron, petits chênes, goût du détail. Dessins annotés, une vie dans la peinture. Fesses aperçues au détour d’un corridor, surgissant d’un paravent aux oiseaux, tentures, sommiers, noyer des tables et des lits, draps, poils, étreintes rapides, escaliers dévalés le petit matin frais, haut le cœur de l’odeur de l’eau des bassins dès l’aube. Frégates, Monaco, Musée Océanographique, tâches noires : officiers portant bicorne épée et rubans, Direction des Affaires Maritimes. Atlantes, Puget, Daumier, ouvrages des proues sculptées dans les arsenaux, chênes millénaires. Toiles cirées, toile vierge, cinéma, châssis tendus, couleurs à l’huile embaumant la boutique du petit cours Lafayette. Le café est pris dans la froidure sur le poêle à charbon…


L'Agosta…

Bar Gauthier, près de l’atelier, 14h30. Bambochades de David Teniers le Jeune. Joueurs de cartes de Cézanne. Dehors il fait froid. Dans le bar il fait chaud. Les joueurs sont animés et parlent fort. Les cartes sont jetées tour à tour et vite ramassées. Ambiance paisible et conviviale d’un après-midi d’hiver de province dans la vieille cité aux immeubles fatigués. Etre sur le vif, la vie. Capter l’instant, chose impossible ? Saisir l’instant. Haïku permanent. Trafalgar square. Bataille de Lépante. Blessure horrible de Cervantès. Joyce. As de cœur. De quoi dînait Raymond Lulle ? 4. Chiffre fatidique. Carré d’as. Carl André. Sous-marin Agosta : 67 mètres, 1200 tonnes, 58 hommes à bord. Calculs permanents. Je projette un voyage à Gênes…


Portes cochères…

Hier, déjeuner délicieux avec Marina : confidences, expériences, œillades, gestes, observations, émotions, pâmoisons, sourires, virevoltes de la voix, silences, pirouettes, relâchement des corps après l’agape, pas lents et boudeurs, démarche lascive, chemins détournés, raccourcis, passages dans le labyrinthe des rues et de la séduction, pause pipi pour le chien, observation du ciel, lumière, belle lumière, zeste de bleu par-dessus les toits, trouée des nuages, capeline jaune à perles d’or, vitrine de surplis roses orangés, yeux verts tour à tour arrogants et tendres, jambes gainées de noir, escaliers abrupts plongeant sous un palier, corridors, galeries, XIXe siècle, Balzac, cheveux roux. Maryse qui nous rejoint, tout de noir gantée, yeux bleus, visage rond, blondeur, sourire, poignée de main, gentilles paroles échangées à la sauvette. Salut, à bientôt, yeux de feu. Nous sommes dans la rue Saint-Denis, en plein cœur du Sentier. Peep-show. Brune. Poils, fesses pleines. Seins auréolés de rose. Jacinthe. Roses de Tiépolo, de Véronèse. Chatte entrouverte. Détroit des fesses à l’œil si délicat. Métal chauffé à blanc. Fulvia fatiguée ce soir, pas de baise profonde.
Le lendemain Jean Renoir cause à la radio, bien qu’il soit mort. Etonnant. A travers son père il fut en contact de la civilisation d’avant le tube (Peter Halley), son père buvant le café avec le bourreau de Louis XVI et Montmartre restant un joli village avec ses deux sources, jusqu’à la fabrication industrielle des tubes et la construction des grands immeubles… Une autre époque.


Carnac…

Passé la nuit avec Isabelle. Ainsi que la nuit précédente. Peu de mots, beaucoup de gestes, comme des vagues. Paysanne forte, peau blanche de lait, tétons roses, aimant l’homme et sa chaleur. Prête pour la semence. Je pense à l’herbe grasse, aux falaises d’Etretat, à la fille du Metropolitan, celle de La vague de Courbet, si magistrale, magie de la chair et de la terre. Pulsion marine au travers de l’écheveau du pubis, cressonnière odorante. Nous faisons l’amour sans discontinuer. Je l’accompagne salle Gaveau à son cours de chant. Visite à la galerie Didier Imbert Fine Art, avenue Matignon.
La maison de Moore reconstituée est exposée et je prends un grand coup de grandeur simple en pleine face : maîtrise absolue de l’échelle, de la métrique et de la forme dans sa plénitude. Alignement « carnaquien » de ses petites sculptures, toutes destinées au monumental !



La collection de crânes, avec notamment celui incomparable de l’éléphant, sorte de falaise / grotte comme une Demeure d’Etienne Martin, me fait penser au vagin d’une femme, avec ses parois, ses formes intérieures, sublime cavité, muscle articulé, lèvres pileuses, le clitoris toujours en vigie au sommet, « tuileur » infaillible du temple !
Combinaison des articulations, du squelette, des tissus et des viscères dans le corps humain, étendue au monumental, disposée dans l’espace ouvert des landes vertes du Devon. Bacon, si proche, scrupuleux boucher sentant les os et les viscères mieux que quiconque… Jack l’éventreur. Fantasmagorie surréalisante de Moore à ses débuts…
Dans sa collection : une marine, par Courbet, qui m’émeut terriblement, et, un autre Courbet encore, presque l’antithèse du premier, l’entrée d’une grotte d’où coule une rivière. Espace ouvert et espace saturé fermé, entrailles de la terre, impossible d’aller y voir, si ce n’est par le toucher. Parois lisses…
Viennent ensuite deux encres sublimes de l’immense Daumier, visages de clercs, d’avocats, aux sillons des rides tracés comme les courbes si sensibles de ses propres dessins. Deux mines de plomb de Millet, le grand Millet, un de nos meilleurs artistes. Une Paysanne pilant du grain, monumentale, stalinienne. Finesse extrême d’ambiance de pénombre de la grange à l’arrière plan. Maîtrise extrême du dessin. Un dessin de Rodin, ocre et rose, lavis très dilué, curieusement immatériel, la grâce de Rodin est un mystère. Chaque trait est érotisé, magnétisé comme une pile, divin, aérien, la chair et l’esprit transcendés…


Un très beau Corot, peu commun, non convenu, qui ressemble à une étude des environs de Paris par Cézanne. Entrelacs des branches sinuant, frondaisons aux plans qui se superposent. Fuites, sfumatos. Une figure humaine à gauche, presque esquivée, qui n’est là que pour donner la notion d’échelle : voilà ce qui a du décider Moore ! Stupéfiant rapport Corot / Cézanne.
Un peu plus loin, chez Artcurial, se trouve un bel ensemble d’estampes Support-Surface, très jolies, de fort bon goût, et qui montrent s’il est encore besoin l’importance du mouvement dans l’histoire récente de la peinture française. Dans les revues ce mois-ci, Jean-Marc Bustamante est à l’honneur et Mike Kelley est désormais omniprésent sur la scène internationale, tout comme Paul Mac-Carthy. Une de ses installations ressemble fort à un projet d’installation que j’avais conçu il y a trois ans. Tout ça passera. J’aimerais voir « Une partie de campagne » de Jean Renoir. C’est mieux.
Je me rends à Lausanne pour l’exposition Human Posthuman, où je découvre un artiste attachant : Charles Ray.


Après avoir fait l’amour, la lecture, les commissions, la cuisine et la lessive, je marche vers l’atelier. Il n’y a qu’un chemin possible, celui de l’atelier. Qu’il se trouve dans la montée des Lauves, dans une plaine d’Amérique du Nord, dans une église d’Italie, ou donnant sur un coin de rue de l’est de Paris. Je suis heureux.


Les conditions du bonheur…

Trois jours avant Maastricht.
Repas légers de légumes, pâtes, peu de viandes, fromages etc. Qualité et frugalité. Vin très digérable. Café. Tabac. Peu ou pas d’alcool. Travail le matin, en bonne lumière, et en milieu et fin d’après-midi. Lecture. Cigares de qualité. Travail approfondi et cependant toujours en détachement. Immersion dans la couleur. Rues éclairées, filles, repas sur les planches. Danse. Parfums. Amour. Puis reprise du travail, dans le matin calme et la lumière des jours qui se suivent. La vie. Toute la vie. Rosée, oliviers, ciels lavés par les pluies. Vents violents. Lessives. Pierres sèches. Arbres tordus. Feu sec. Femme chaude, reprise des jours rythmés de travail régulier. Confiance de l’amour. Célébration de la vie. Magie du quotidien. Eternel retour des jours et des heures, de la matière, se fondre dans le monde, accepter son rythme. Mystère de la souffrance. Seul l’amour élève notre condition.


Nuit de Paris…


Vernissage de l’exposition Magnelli à la galerie Lahumière, boulevard de Courcelles. Lumières dans la nuit, froid, vitesse, fleuristes, yeux des femmes seules attendant un rendez-vous, magasins, installation nocturne des sculptures de Botero sur les Champs. Rencontré Anne Maisonnier, avec laquelle je m’entretiens. Petite, yeux pétillants et chauds, brune, quelques cheveux blancs, lunettes de métal doré un peu fantaisie, sourire enjoué, enfin un visage et une voix après tant de textes. Elle me questionne sur cet accrochage, sur mon travail, mon goût pour ce peintre dont elle est le très éminent spécialiste, et m’invite à nous revoir à la Fiac. Elle est agréable et attirante, curieuse et franche. J’aimerais parler plus longtemps avec Anne Maisonnier. Rentré par les Tuileries, le pavillon de Flore dans la nuit et la vitesse, la nuit comme une chape sur Paris. Demain je reprends le chemin de l’atelier. Taper des coups sûrs. Cassius. Jouer à la française avec les qualités traditionnelles de l’équilibre, de l’harmonie et du goût. Force de Braque... mais avec le regard d’aujourd’hui. Ces mêmes qualités françaises qui sont les plus difficiles et les plus risquées, à commencer par être traité de "franchouillard" par des crétins qui ne voient dans l'Art qu'une indifférenciation, un doux commerce international alors que les différences sont criantes, et craintes, différences de qualité, d'intentions... 
Importance des toutes petites choses  et valeur des sculptures de Twombly, des objets pauvres de Richard Tuttle. 
Bouts de ficelles. Champs / Contrechamps.







Trop tard…

Nous avons appris la mort d’Alfred Courmes dans Le monde daté du 10 janvier, paru le 9, il était décédé le 8, à l’âge de 94 ans.
Brave Courmes, une œuvre de brave, un grand éclat de rire !
Souvenir immédiat du peintre, voûté, âgé, mais au visage si doux de méditerranéen sensuel, au teint d’olive, regard sourd et attentif, précis, le plaisir qu’il prit alors un instant pour inscrire son nom avec soin, prenant son temps, sur le livre que je lui tendais. Quel peintre ! Et l’amitié si fine et si proche de Doisneau qui était là lui aussi, souriant, humble et ironique, amoureux de la vie.
C’était au printemps dernier, la lumière était douce dans la rue de Seine rose orangée.
Souvenir aussi de l’extrême qualité de ses œuvres exposées chez Berggruen rue de l’Université. Acquérir une gravure ? Le radeau de la méduse avec Alain Bombard au tuba ? Tristesse de cette nouvelle : il était prévu de lui rendre visite. Trop tard…

Façades décrépies, murs lépreux, effondrés, gravats, volets brûlés de soleil, peintures écaillées, papiers peints décollés sur les pignons des murs mis à nu par l’effondrement des immeubles de la vieille ville de Toulon. Murs photographiés depuis 1978. Figures au milieu des ruines colorées et baignées de lumière. Tapiès remonte à la surface après des années, et aussi les images de Beyrouth détruite.


Proposition…

Douze séquences, programme ping-pong. (Hommage à François 1e)

Une ! Petites lentilles  à la lyonnaise servies fraîches avec leur bouquet garni.
Deux ! Cassolette de foies de volailles sautés puis glacés au vinaigre avec petits haricots blancs (peu) ou lingots pour deux ou trois petits pets secs et sonores.
Trois ! Fromages moelleux de vache pas trop pourris et aussi un chèvre très sec pour un pet plus gras.
Quatre ! Salade amère en accompagnement (pissenlit) et vin de bourgogne et champagne millésimé sec.
Cinq ! Une belle charlotte aux fruits rouges ou clafoutis aux cerises et sorbet léger.
Six ! Café italien et un cigare de Cuba.
Sept ! Une bonne tronchade bien sentie avec préliminaires sérieux à base de dessous « La perla » et de cosmétiques tique-tique Saint-Laurent.
Huit ! Un quart d’heure de sieste.
Neuf ! Billard ou belote.
Dix ! Une autre tronchade franche, fraîche et jolie avec bonne décharge.
Onze ! Gibier et Gevrey-Chambertin.
Douze ! Discussion philosophique et blagues.


Il pleut *
(Académie)

Retrouver et repenser le projet de toile d’après Baboulène
Just Jaeckin, Emmanuelle 1 et son osier
Et le fauteuil bleu du chef des guérilleros dans
L’Aventure c’est l’Aventure, avec des entrelacs décoratifs
En gouttes d’eau
Myriade de boucles, Byzance et bonne baise
Les Femmes d’Alger en virée chez CorotCigares Monte Cristo, vengeance picturale
Hommage brutal à Azyadée
Sardines grillées, merguez et guitare sèche
Braseros, miels odorants, aisselles faisant la vaisselle
Belote menteuse, tir au pigeon, poularde à la crème
Pistou au cul, chatte brûlante, braises sous la cendre
Joli fond de terre d’ombre brûlée et de brou de noix bien grasses
Bouquets garnis, persillades, nichons en capilotade, girofle
Polenta fumante, truites roses, une olive noire dans l’œillet mauve
Langues de merle frites, Bourgogne d’orgueil, Leica au chocolat blanc
Les seins auréolés de Lola fumante assise sur l’aligot bouillant
Salade de clitoris au vieux vinaigre italien
Martingale de foie gras
Chute de rein sur la brioche chaude
Tournée de Pastis derrière les cannisses
Plage de la cressonnière parfumée
Le long de la jarretelle, coulée de lilas blanc
Coups de fusil dans les nougats !

* C’est vache


Chanson brillante
(Suite au disque de l’odalisque)

Rap.
Article.

Je vais donc te brouter l’anémone
Belle arabe luisante aux nichons fantaisie
Te carmeliner la pastille !
Bonnasse boniche des roumis endormis
Voler dans tes dessous comme la poudre sous les tuiles de la rue Saint-Nicaise
Te prendre sur la chaise sans sortir mon artiche
Et voir me supplier tes yeux de femme riche
Pendant que passionné, je te bourre la niche
Et sur tes hanches grasses je placerai mes nasses
Pantalons d’Odalisque déchirés sur tes cuisses
Comme on n’en vit jamais dans les musées de Nice
La praline écartée et le persil en berne
Les nichons écrasés par mes baisers puissants
Tu sentiras mon foutre
T’inonder jusqu’aux dents


Temps clair…

Le voyage en Corse est compromis par le refus d’une administration. Tant pis je consacrerais davantage de temps à terminer ma série de collages sur papier.


Un grand garçon…

Vernissage ce soir à l’ARC de l’exposition consacrée à la revue Purple Prose. J’y rencontre Paul-Armand Gette, de plus en plus grand. Et souriant aussi. Jean-Jacques Aillagon me demande à deux reprises de l’appeler malgré son emploi du temps chargé, d’ici un mois. Il se souvient de moi et de son aide pour l’exposition de Reykjavik, dont avait financé le transport…
Lise Toubon est là, guidée par Myriam Salomon. Marcel Fleiss est là. Je salue John Armleder qui me laisse sa carte de l’Hôtel Richemond à Genève, afin que je lui envoie les photos de Sylvie Fleury et lui, prises chez Gilbert Brownstone en automne. André et Carla Morain sont à l’affût, André, le Leica prêt à toute éventualité…
Damien Cabanes est plus lunaire que jamais, nous dinons ensemble ensuite au cocktail organisé par la revue à cette occasion. Je rencontre aussi Jörg, de retour de Berlin, il a très bonne mine. Nathalie Obadia est jolie à croquer dans ses petits escarpins noirs qui vont si bien avec ses beaux yeux bruns. Elaine L. arrive enfin, d’humeur égale et le sourire constant. Et n’est-ce n’est pas loin et rapplique avec Titus toujours aussi caustique. Je rencontre Grazia Quaroni près du flipper, elle n’est pas en beauté ce soir…
Michel Nuridsany est très en forme, sa jambe réparée, il a « la pêche » et sort accompagné de sa fille. J’embrasse plusieurs fois Sylvana Lorenz derrière les oreilles, elle sent bon et se prête comme d’habitude au jeu avec délice…
Heureusement que j’ai vu Et n’est-ce, car il me « branche » aussitôt sur un travail pour le lendemain. Un plafond à casser : les réjouissances habituelles. Amélie est là avec son ami : elle est prise par Mérino ! Jennifer Flay a le regard faux. Je parle pendant le cocktail avec Angeline Sherf, l’assistante de Suzanne Pagé, qui est ravissante et a l’air disponible… Ghislain Mollet-Viéville est toujours le même, il ne change ni ne vieillit pas. Mathias Fels me dit de passer à la galerie mais c’est au pif parce qu’il n’y est pas toujours, c’est un lunatique. Je rentre seul à la maison sans une femme à honorer…
Les lumières de la place de l’Alma sont superbes, rouges, roses, néons, « Tabac », ciel verdâtre dans une nuit de Paris. Je songe à Cendrars et aux photographies de Brassaï bien sûr, alors que passent les autobus, et à leurs virées « Chez Francis », à deux pas…

Appelé ce matin Jean-Roger S. Il m’a paru très en forme, sa voix était claire et douce. Nous nous verrons début mars à Paris. Giono : « Dans ce que j’écris tout est inventé. » Raymond Hains était encore fatigué et las après 3 semaines de bronchite. Il sort peu. Nous parlons de Chateaubriand. Apporté aujourd’hui mon dossier et quelques collages à la galerie Le Sous-Sol, rue du Petit Musc, sur le conseil de Nuridsany. Réalisé ensuite 2 ou 3 collages, de qualité relative. En fait, depuis 2 jours, mon travail a été difficile à mener et je sens des impasses à tout moment. Peut être que ce cycle de production de collages au format raisin s’épuise de lui-même, à mon insu. Il faut se laisser faire par les choses, le court des choses. Transformation des choses vues.


Maldonne…

Vu aujourd’hui Claudine et ne suis pas allé à l’atelier. Terrasse. Soleil. Paris. Taxis. Vu Charles Z. chez qui je prends l’apéritif, rue de Grenelle. « Coupez court à vos hésitations de langage, me dit-il, et allez droit au but car vous êtes quelqu’un qui a des choses à dire ! » 
Nous parlons de moi, de l’amour. J’aime bien Charles Z. mais il est difficile de deviner sa nature profonde. Un tendre, certainement. Il viendra voir mon travail très bientôt après son voyage à New York. Vais-je, m’en sortir ? Je continue mon travail en attendant, dès lundi. Sans hésitation. Montré hier mes collages à Jacques Donguy qui a apprécié et m’a conseillé de voir Ben le plus tôt possible et d’aller voir Micini à Florence pour mon rapport (d’après lui) avec la « Poesia Visiva. »



Terminé 3 ou 4 collages aujourd’hui. Vu Fulvia, fatiguée mais belle. Mort de désir pour elle à l’Iguana Café. Mon pantalon camarguais ne pouvant plus contenir mon membre érigé à éclater. Elle avait ses règles. Indicible torture. Nous nous verrons mercredi pour un beau feu d’artifice après avoir vu l’exposition Baudelaire et déjeuné ensemble. Je dois appeler Gette et Bertini, puis Beltz demain. 
Il faut continuer...
Et reprendre ces jours-ci les travaux en relief, en réalisant un grand format dont le départ a été constitué en mai 93. J’ai hâte de partir pour l’Italie. La danse me manque beaucoup. L’ivresse et la libération de la danse, du rythme. Tenir une femme dans ses bras…

Les collages tirent à leur fin ? Manque de documents. Lassitude du travail qui s’approche de lui-même de son terme, à mon insu ? Rendez-vous avec Jacques Barbier qui « ne rentre pas du tout dans mon travail et est incapable de porter un jugement dessus. » Déception. Mais qui saura voir l’évidence de ce que je fais ? Ils ont peur ? Je suis déçu, las et fatigué. J’espère retrouver ma forme et mon allant dès demain…
Annick, de Beaucaire, m’a fait chaud au cœur et m’invite à les rejoindre dès que possible. Je ne vais pas me faire prier ! J’attends avec impatience des nouvelles d’Italie et du salon de Montrouge. Il ne manquerait plus que tout soit négatif ! Il faut tenir coûte que coûte !

Vu aujourd’hui l’exposition Rauschenberg avec Marie la Suédoise, chez Karsten Greve, où sont installées de magnifiques porcelaines réalisées par l’artiste à Sèvres. C’était superbe. Mais la surprise la plus forte était chez Thadeus Ropac où sont accrochées les extraordinaires peintures de Fabian Marcaccio ! Suprématie de sa technique ! Vu hier « Salo ou les 120 journées de Sodome » à l’Accattone avec Catherine K. Puis nous avons marché et nous nous sommes embrassés de manière à la fois douce et déterminée ! Nous avons parlé de nos malheurs et je l’ai beaucoup embrassée et j’ai beaucoup aimé cela, elle aussi d’ailleurs.

Passé la soirée et la nuit avec Catherine K. Suis-je amoureux ? Je ne sais mais le suppose. C’était si doux. Catherine m’attire et je ne sais pas par où commencer. Nous étions inhibés. Si bien ensemble et près l’un de l’autre mais quand tout est devenu sérieux, nous étions coincés comme deux gamins, rétractés. J’ai aimé dormir avec elle. Je ressens un fort besoin de la prendre dans mes bras, de la protéger, de l’aimer et crains par-là même de l’étouffer, de la faire fuir, de produire le résultat inverse de ce à quoi j’aspire. Qui est-elle ? Sa fragilité, son aspect d’enfant perdue me fascine et m’attire. N’est-ce pas facilité de ma part ? Elle m’émeut jusqu’aux larmes ! Ce soir je suis seul et en manque d’elle. J’aimerais tant l’avoir près de moi, m’enfoncer au plus profond d’elle, sentir sa joue contre ma poitrine. Que de banalités ! Je la veux...
Continuer le plus possible ces instants si doux de silences, de demi mots, de baisers échangés dans la fragilité des caresses. L’autre et son inconnu…
Je l’aime ? Il est trop tôt. Je suis impatient. Elle est si douce. Il faut que nous nous aimions, je le souhaite tant.

Catherine n’appelle pas. Je suis triste. A peine commencée notre aventure est-elle déjà terminée ? J’attends son appel avec impatience. Je crains d’avoir fait tout échouer avec mon appel trop empressé d’hier. Je me trouve aujourd’hui dans la position de celui qui attend et qui désire séduire alors qu’avec Isabelle et Patricia c’est moi qui fuyais et ne faisais rien pour les aimer, seulement les désirer… L’attrait sexuel. Est-ce que j’ai déjà commencé à souffrir ? J’aimerais tant entendre sa voix, sentir un désir de sa part de me voir, de m’étreindre… J’attends. Je l’attends.

Bonne journée de travail. Réalisation d’un collage en volume « La Dorade » (assez bien réussi ?). Classement des documents accumulés depuis 15 ans, notamment ceux relatifs à la vidéo et aux expositions déjà réalisées, et classées par années. Il me reste à organiser davantage les dessins de projets… et les dessins tout court. Recomposer peut-être un dossier de photos retraçant de manière linéaire le parcours depuis 1978. Demain il faudra classer les collages sur papier (90 en tout). Regarder certains travaux sur toile. Continuer le collage en grand format commencé en mai dernier. L’atelier est en ordre… ou presque. J’attends un appel de Catherine et ne sais que faire. L’appeler au risque de la déranger. Je pense sans cesse à elle. Douleur.


Masochisme…

Je reprends mon journal en écoutant Chet Baker et sa voix si douce. Je suis seul, et assez triste et frustré ! Catherine m’échappe semble-t-il. Elle est enfermée dans un éloignement des sens et des émotions qui me fait souffrir. J’aimerais tant que nous fassions l’amour et que nous nous aimions tout simplement. Aujourd’hui ce fut encore impossible malgré un beau début qui s’est soldé par une rebuffade et un refus. J’ai un peu souffert. Beaucoup peut-être. Ne pas avoir d’ego pour ne plus souffrir ? Voilà des mois que je n’ai pas fait l’amour et plusieurs filles sont en liste. Comment choisir ? Sans doute faut-il laisser faire les choses, saisir le bon moment s’il se présente ? Que de banalités… Qu’est-ce qui me pousse à écrire tout cela ? Stéphanie, d’Athènes, et qui habite rue de Rivoli m’a appelé hier soir et était très désireuse de me voir, elle m’a même proposé un week-end sur la Côte bientôt. Les filles sont curieuses... Je pense aussi beaucoup à ma petite Sophie avec qui l’amour fut si doux et qui a une place dans mon cœur…
Rester sur un échec est une épreuve mais surtout je pense à elle, à quoi pense-t-elle ? Quel est le trouble qui la bloque ? Dépression lente et larvée ? J’ai connu cela. Je voudrais voir cette fille heureuse et gaie. Elle sait si bien sourire et dans ces moments-là nous nous comprenons…
Ah ! Son parfum !


200 titres…

Sorti de ma visite chez Paul-Armand Gette en cette belle journée douce et ensoleillée de printemps précoce, je me sens rasséréné par cet entretien décontracté et amical. Gette a la science ! Celle de parler de tout et même de choses très graves sur un ton stable, parfaitement naturel et décontracté. Son œuvre est complexe, sophistiquée, codée. L’homme est simple, souriant, souple, franc et direct. Il me parle de ses projets actuels, au Centre d’Art du Crestet, près de Vaison la Romaine, et ensuite à Sète. D’un livre à paraître chez Actes Sud et qui le satisfait. Il en a préparé la maquette sur son nouvel ordinateur. L’an dernier il a eu une douzaine de publications. Le catalogue raisonné de celles-ci occupe 200 titres : je m’empresse de téléphoner en Allemagne, chez l’éditeur. Gette a pas mal vendu ces dernières années aux institutions mais n’a pas de collectionneurs privés. Nous parlons de Jacques Villeglé, de Raymond Hains : « Un grand », de Ben : « Il nous fait chier. » Il aime mon travail et ne tarit pas d’éloges sur l’idée de mettre sur un même plan des images « nobles » et d’autres qui ne le sont pas. Il me semble convaincu de la validité de mon travail. Attention à la censure. Je lui parle de mon circuit dans les galeries dont je suis sortit assez dépité. Cela ne l’étonne guère : à Paris tout est dur, difficile. Mon travail est assez dérangeant et surtout, il insiste sur l’aspect violent de mon rapport à l’image. Cette façon de tout mettre sur le même plan… Je croyais susciter la méfiance (ce mec a la dent dure), et je n’ai droit qu’à des félicitations. Banco ! La journée commence bien…
Il est étonné, ébahi, du fait que je pourrai avoir un si grand atelier dans le sud, et pour si peu cher ! Je lui parle de mes inquiétudes pour l’avenir : « Si tu veux la sécurité il ne fallait pas faire l’artiste » me dit-il…
Nous nous quittons toujours meilleurs amis et il se déclare ravi d’avoir vu mes travaux récents.


Rue de Lille…

Avant hier nous sommes allés avec Et n’est-ce chez Renn Production, la société de Claude Berri, pour mesurer un panneau de Jean-Pierre Raynaud (un drapeau) assez lourd et que nous allons devoir déplacer…
Aujourd’hui nous sommes allés à la galerie Piltzer pour repeindre une partie de l’espace. La matinée fut consacrée à l’achat de matériel et à une visite au domicile de Gérald Piltzer, un hôtel particulier avenue Foch. Sculptures de Louis Cane. Tableaux immenses de Hantaï, Hartung, Mathieu, etc. Puis nous avons travaillé jusqu’à 16 h30 sur un espace à repeindre. Christine, l’assistante, déballait des tableaux provenant de chez De Jonkheere. Un beau Brueghel, que nous examinons attentivement avec Sarah Dahan. Puis une copie du Caravage, contemporaine du peintre, un Cupidon endormi, ainsi que d’autres œuvres anciennes.


Conversation…

Appelé et reçu des messages de Catherine. Nous parlons de Dante. Elle est ma Béatrice. Je l’aime et attends avec impatience ses appels, le son de sa voix syncopée. Si sèche et si douce. Une sensualité effrayée par elle-même, toute tournée vers l’intérieur, un trésor révélé par des émotions fulgurantes et instables. Le grand format que j’ai entrepris avance peu à peu. Je rencontre des problèmes liés au chromatisme. D’espaces intercalaires, de circulations, de structure, et la difficulté aussi à assurer l’unité du tout. Bref, rien n’est acquis. Il faut poursuivre…

Avons travaillé avec Enès chez Jennifer Flay pour décrocher les œuvres de Mariella Simoni puis chez Gérald Piltzer pour installer l’exposition de Odd Nerdrum, peintre norvégien, ancien élève de Joseph Beuys ainsi que des œuvres de Carpeaux, Bruegel (12 MF), Fragonard (900 000 F), Géricault (2,5 MF), Romanelli, Bellini, Caraciolli, Stoskopff, Grimon, Herman, Mandyn. Vu l’exposition des premières œuvres de Marc Devade en 1970, qui sont étonnantes. Au Salon de Mars je parle avec Raymond Hains, Olivier Debré, Daniel Templon, Amor, Louis Cane, Thadeus Ropac, Catherine Issert. Le salon est très beau et nous sommes très excités, avec Et n’est-ce, après une journée de travail et un vernissage très animé chez Gérald Piltzer où je courtise ses assistantes : Sarah, Christine, et un peu Paola. Jean-Edern Hallier semble fatigué. Point de vue…

Après ces allées et venues dans Paris, le Marais, les Champs-Élysées, la rue Bonaparte, le Champ de Mars, les contacts quotidiens avec le milieu de l’Art, je songe à la douceur de vivre à Beaucaire, au Gardon, à Nîmes, en Camargue, aux taureaux, au soleil, aux vignes autour de Arles, à la Feria, à l’amour, aux Gipsy King et à tout cela que j’aime tant. Les années passent comme des jours mais l’amour reste. Illusions fragiles. Beauté du monde. Dans sa folie. Lumière éternelle sur la Méditerranée. Vents à la surface du monde. Vie intérieure. Cyprine. Draps froissés. Amour l’après-midi derrière les murs frappés de soleil au zénith, sur les tuiles, dans la poussière argentant les cyprès… Cyprine.




Chinchilla…

Soirée de fête chez Jennifer Flay, très en beauté dans une robe du soir en soie noire. On bouffe et on danse beaucoup. Avec Mariella Simoni entre autres. Meyer Weisman arrive et je le félicite tout de suite de son expo chez Templon, il dit s’amuser beaucoup en travaillant. Ses dindes apprêtées sont très drôles mais aussi très mystérieuses. L’éclairage de la galerie était réussi pour ce vernissage de l’après-midi du samedi 19. Avons vu aussi ce vieux Fougeron, en forme, et des tableaux assez intéressants chez Barbier Beltz : bonne bouffe, bonne baise, bonne conscience, merci. Voilà sa devise. Nous voyons ensuite, avec Sadi, sous la pluie, une très belle expo Richard Tuttle chez Yvon Lambert. Piffaretti a réussi aussi un très bel accrochage chez Fournier, dont l’assistant m’offre trois catalogues Viallat, provenant de Corée, et qui manquaient à ma collection… Chez Brownstone nous rencontrons Jörg qui réitère son invitation à dîner. L’expo de photos est très intéressante, on y croise Boltanski, Bertrand Lavier, et surtout Bernar Venet qui me promet de m’employer bientôt, à Pâques, au Muy, où il est installé, près de Toulon. Je suis enchanté. Le vernissage de Philippe Thomas chez Claire Burrus est amusant, Claire Burrus s’adresse à moi très chaleureusement, et ce soir je la trouve ravissante et tout à fait comestible…

Hélas Catherine K. arrive avec la mine perturbée et je devine que ça ne va pas être du gâteau. Je ressens immédiatement une infinie tristesse et un sentiment de frustration qui me poursuit alors que nous allons à nouveau chez Jennifer Flay qui reçoit dans sa nouvelle maison dans une cour du quartier de la République pour fêter l’exposition de Xavier Veilhan. Beaucoup de monde. Catherine finit par s’en aller sans me laisser le temps de réagir. Je la rappelle, en vain, elle désire rester seule. Mais arrivé chez Jennifer avec Marylène N., je décide de me maîtriser et je danse et m’amuse comme un fou toute la soirée, qui se finira au Pigall’s  où il y a foule et un concert Funky / Rythm & Blues. Voilà. Demain sera un autre jour.


Chenue…

Lundi et mardi nous avons travaillé sur le stand Gérald Piltzer au Salon Découverte qui est très décevant. Gérald Piltzer, présentant la New New Painting est en fait plus frais et amusant que tout le reste. Nous avons fait du bon travail mais il y a un peu de casse : deux dessins de Jean-Edern Hallier sont tombés et les verres se sont brisé une demi-heure avant le vernissage.
Le salon est si décevant qu’il m’a un peu déboussolé et je me sens triste, ressens un malaise et le besoin de me replonger dans mon travail, la lecture, l’étude. Les affaires reprennent, Charles Z. a reçu son Barcelo chez Chenue et nous allons pouvoir intervenir.


A l’avenant…

Avons assisté à la conférence-présentation des trois jeunes revues françaises : Bloc NoteDocuments et Purple Prose. Diapos et commentaires… assez ennuyeux. Social, politique. Anti-Art, anti-jouissance au fond. Désespéré et triste. Nous allons ensuite au Café Beaubourg avec Nicolas Bourriaud, Franck Perrin, Mérino, Philippe Parreno, et Jean de Loisy qui accepte de me recevoir pour que je lui montre mes travaux récents. Ils sont plus sympathiques au café. Je vais ensuite avec Armelle T. au Palais de la Femme, pour une expo-installation de trois femmes dont une que je connais : Déborah Veinstein. C’est assez sympathique et réussi. Nous allons dîner avec les artistes au Petit Keller où l’ambiance est joyeuse et détendue car leur opération s’est très bien déroulée. Rentré vers 1 h du matin. Vu Eric Fabre rue Dauphine, il accepte de voir mon travail prochainement.


La chair…

Le travail avance… doucement. La grande pièce en préparation pose quelques problèmes difficiles à résoudre. La liste de Schindler m’a ému, à 2 minutes de la fin et j’ai quitté la salle au moment où les survivants déposent les pierres sur la tombe d’Oscar Schindler. Catherine n’appelle pas et je suis une fois de plus sans femme en ce début de printemps. Il faut que je trouve une femme. La chair me tarabuste cruellement.


Django…

Aujourd’hui bon travail ! J’ai reconstruit la sculpture effondrée hier en modifiant la structure, après l’avoir renforcée. Les surfaces seront désormais mieux réparties, tout cela afin de gagner en clarté de lecture, en simplicité, en évidence. Je conserve cependant des zones atomisées par un grand nombre de détails. Cela devrait fournir une belle pièce pour l’exposition prochaine aux Remparts. J’ai hâte de terminer ce travail qui devrait marquer une date dans la série de collages entamée voilà un peu plus de deux ans. La possibilité s’ouvre maintenant de réaliser certains « petits », en les reportant par exemple à l’échelle 10, ce qui rendra l’utilisation de surfaces peintes nécessaire, et risque d’amorcer par ce biais un retour à la peinture !


Tristesse…

Et joie. Vu Catherine hier soir. D’abord radieuse ou presque, puis abattue et mélancolique, frisant la panique. L’ai embrassée dans le cou, et aussi partout, senti et appuyé ma bouche sur sa motte tendue, senti son corps que je désire tant. Que pense-t-elle ? Je l’aime sans doute et me heurte à un problème de cyclothymie très difficile à résoudre. Mauvaise situation. Si tout cela pouvait s’arranger par une formidable partie de baise ! Ne rêvons pas. La perspective du plumard s’éloigne mais elle semble très attirée par un voyage en Italie. L’annonce suffit à faire son effet : attendons la suite. Elle est si désemparée, mes yeux s’emplissent de larmes lorsque je pense à elle. Heureusement qu’existent James Brown, Haendel et les frères Marx. On tient.


L’impériale…

Aujourd’hui j’ai pris l’autobus à impériale. Je suis allé voir Gianni Bertini ce matin, il est très sympathique et souriant. En jeans délavés et sweat-shirt, son atelier est tapissé de ses affiches d’expositions. Toutes sont drôles et le mettent en scène. Nous parlons une heure, il m’offre un petit livre à tirage limité qu’il vient de réaliser : New York - New York, me conte sa première rencontre, cocasse, avec Duchamp. Il aime mes collages et s’étonne du fait que je n’expose pas encore à Paris. Je regarde des photos de sa propriété près de Gênes. Il aime la vie et l’Art et moi, j’aime les artistes ! L’après-midi, je range l’atelier et appelle Roberto Peccolo à Livourne. Il est d’accord sur le principe d’une exposition personnelle dans sa galerie fin 94 et j’en suis bien sûr enchanté !






Alcools…

Passé la nuit avec ma jeune amante Céline. Amour… difficile. Très névrosée, elle tenait hier soir des propos incohérents sans doute dus à l’effet de l’alcool. Elle est touchante mais atteinte, si je puis dire. Toujours entre deux eaux, comme absente. Diagnostic : discours en boucle, répétition sans fin d’une même barrière traumatique (la mort du père). Thadeus Ropac accepte de me voir demain. C’est une très bonne nouvelle. Il a l’air sensible et un peu moins idiot que ses confrères. Plus ouvert aussi, enfin nous verrons bien. Vu Paul-Armand Gette et sa femme, Turid. Je n’étais guère en forme ce jour-là. Ils m’ont donné des catalogues. Il y a 200 titres P. A. Gette ! Je ne pourrais donc jamais prétendre réunir la collection entière. Jean Yves Jouannais, d’Art Press, souhaite me voir pour parler de mon travail. C’est une très bonne chose. Il me languit de retrouver le sud et ses matins radieux. Les bruits du marché et la lumière si douce…
Je lis et relis les textes de Gette et je redécouvre sans cesse l’importance ou en tout cas la subtilité inouïe de cet artiste, le charme et la séduction, qui émanent de son esprit. Esprit rebelle, à vif, mais très doué pour la séduction. Intelligence rare, humour corrosif, incomparable. Très haut niveau de culture. Sophistiqué et simple. Etonnement constant, même après des années de rapport à son travail. Les textes m’impressionnent plus désormais que les images. Je vais prendre ma douche…
19 h 30. Bon travail cet après-midi. La pièce, intitulée peut-être « Vanité », avance beaucoup, au point d’être presque achevée. Le châssis est prêt et semble solide…
Bonne journée de travail. Et n’est-ce au téléphone me conseille de me désinhiber et de ne pas hésiter à harceler les gens du milieu au téléphone et surtout à ignorer l’angoisse. Il part à Moscou bientôt. Je le sens un peu fatigué. C’est un ami et un maître pour moi…

Très bonne journée. Ma Vanité avance ! Elle est presque terminée… et elle a fière allure.
Rencontre avec Thadeus Ropac, dans son bureau, à la galerie. Voix douce. Hypersensible, intelligent, mais dur comme un diamant. Il a trouvé mon travail intéressant et bien fait mais pas assez nouveau pour lui, il n’a pas le « clic… » Homme affable et charmant. Demain je verrai Lara Vincy.


Vu aujourd’hui Lara Vincy qui n’est pas indifférente à mes travaux. Mais reste prudente… Bonne conversation au téléphone avec Raymond Hains qui m’apprend que Rotella est papa à 76 ans d’un bébé né il y a déjà 10 mois et dont la mère est russe. Il est très fort Rotella ! Très bon entretien avec Giovanni Joppolo sur l’Italie. Il habite les îles Eoliennes et nous nous voyons jeudi. Le travail avance. Il fait beau. Demain sera un autre jour…

Journée exceptionnelle. Je reçois Lise Ott, critique, venant de Montpellier, où elle m’invite à venir cet été. Critique pour Art Press elle est très intéressée par mon travail semble-t-il, et par le projet italien…
Nous allons ensemble au café et notre entretien suit un cours très agréable. Belle femme. Nous nous quittons avec l’idée de se revoir donc cet été, à Montpellier. Rendez-vous l’après-midi aux Affaires Culturelles. Jean-Jacques Aillagon étant souffrant, son assistant, charmant garçon, me reçoit et j’ai le temps de lui expliquer en détail ma requête et mes motivations. Il est d’accord sur tous les points et semble disposé à faire aboutir mes démarches. Cela serait tout simplement fantastique d’obtenir satisfaction. Nous verrons bien. Cela nous renvoie à la fin mai…

Vernissage Rezvani chez Charles Z. Je le salue et lui parle de sa pièce au Vieux-Colombier dont il n’est guère satisfait de la mise en scène. Lula est magnifique et me porte beaucoup d’attention. Je suis sous le charme de cette femme d’une si grande beauté. Charles est content. Yvon Lambert est là ainsi que Raymond Mason, Adami arrive aussi, beaucoup de personnalités sont présentes. Charles me promet de venir voir mon exposition à Toulon et me reçoit dans son bureau. Ce matin j’ai eu la visite de Giovanni Joppolo très bavard, je peux à peine lui répondre, il me parle de sa famille et nous évoquons aussi le milieu de l’Art. Les tarifs exceptionnels dont bénéficient César et Rotella à l’hôtel Lutétia...
La bohême constante et rêveuse de Raymond Hains. Le projet italien s’annonce bien. Je dois m’adresser à la DAP, avenue de l’Opéra, pour obtenir la liste des écoles d’Art et les dates des concours…


Artuby…

Hier je me suis rendu au Muy où réside Bernar Venet, sur la rivière Artuby, où il a acheté un moulin du 15e siècle et installé ses œuvres dans une usine blanche, lumineuse. Lieu de sérénité, de calme et de réflexion, loin de l’hystérie artistique des Alpes-Maritimes. Pluie et ciel de plomb sur l’autoroute.
J’arrive à 10 h précises, Bernar m’accueille chaleureusement et me fait visiter le moulin rapidement. Puis nous nous mettons au travail, je dois meuler et dégrossir des petites sculptures de métal qui sont vendues ou offertes à l’occasion de sa présentation du Champ de mars. Il est heureux, jeune et plein d’énergie.
Nous travaillons jusqu’à midi avec une interruption pou visiter les abords de la rivière et ses deux chutes d’eau « Port Venet » ! Nous déjeunons dans la cuisine du moulin en commentant l’article du Figaro qui lui est consacré. Courte sieste dans le grand salon, je m’assoupis entouré des grandes œuvres de Sol Lewitt, deux superbes Frank Stella, Richard Serra, Rotella, César, Ben, et un dessin de Scarpetta...
Nous reprenons ensuite le travail, entrecoupé de sonneries de téléphone car Bernar ne veut être dérangé… même par Daniel Templon, qui pourtant est empressé pour vendre ses sculptures… Nous allons acheter des bombes de spray avec la Range Rover puis nous signons les sculptures réalisées dans la journée… je repars aux alentours des 20 h après une journée agréable et prometteuse de prochains travaux ensemble. L’autoroute est ensoleillée, lumière dorée et douce. Vitesse. Mardi je dois rappeler Bernar à Paris…


Le tombant…

Magnifique plongée ce matin aux 2 Frères. Profondeur bleue. Silence. Fraîcheur de l’eau. Univers nouveau après l’hiver parisien. Pensées pour Jean R. qui, lui, ne plongera plus. Pour Gérald dont les jours sont comptés. La vie est belle, mais n’a aucun sens. Strictement. Demain je reprends mon travail et m’occuperai de plus en plus de représentation du monde. Monde d’images plus qu’images du monde. Yves Michaud a écrit dans Libération un article sur l’Art contemporain. Mort avant même d’avoir existé vraiment. C’est à dire vécu par et comme une culture populaire. Illusions des avant-gardes. Russes et italiennes. On a vu le résultat. Que nous réserve l’avenir ? Très belle plongée vraiment. 24 min à 28 mètres. Le tombant. Superbe pieuvre. Couleurs et transparences inouïes. Le monde sensitif. Sensationnel !


Volets clos...

Installé dans la très vieille rue Félix Pyat, j’entends le sifflement des oiseaux dans le ciel, tournoyant au-dessus des façades et des tuiles léchées par les premiers rayons du soleil de mai. Il est encore tôt et déjà la chaleur monte. Un tissu jaune pâle flotte et virevolte, par la fenêtre entrouverte, sur la façade vanille de mon vis-à-vis. Volets clos. Bruits étouffés des pas des humbles matinaux. Ecrire. Le monde et sa représentation. Douceur de l’air. L’eau doit être calme à l’heure qu’il est. Atelier endormi. Je t’aime. Tes yeux. Ta bouche. Ton sexe. Mais où es-tu ?


Canapés…

Cérémonie d'ouverture du MAC à Marseille. Ville de macs devenue ville du MAC. Vu François Morellet et son épouse, si sympathiques et souriants. Ils montreront des multiples aux entrepôts Laydet en septembre. Vu Isabelle Viallat belle et bronzée, et fatiguée me dit-elle. Vu Allun Williams, François Arnal qui n’a pas l’air très au courant de l’exposition de Brescia. Claudio est là avec Sarenco, qui est très sympathique et sa poignée de main donne chaud. Il est fort. Les Durand-Dessert sont très bien vêtus de violet et de mauve…
Annette Messager est là. Nicolas Bourriaud rentre de Moscou et semble épuisé. Roger Pailhas est un peu hautain et a l’air d’un mafioso. Il veut un dossier. Lara Vincy promène ses beaux yeux désabusés dans tous les coins. Bernard Blistène s’efforce de présenter la collection à Jacques et Lise Toubon qui sont toujours plus loin dans l’exposition. Je rencontre Claude Viallat au café et lui donne une photocopie couleur de mon travail, il a l’air d’apprécier et il est très très gentil avec moi. Nous retrouvons Angeline Sherf au café, qui cherche un taxi pour rentrer vers la gare Saint-Charles. Je me présente et lui propose de la raccompagner. Elle accepte. Je suis bien content car cela fait des mois, depuis le colloque d’Enès en fait, que je guette cette occasion de lui parler. Elle me plaît tellement ! Nous discutons agréablement dans la voiture et nous nous quittons au pied du grand escalier après un échange de coordonnées et une promesse de futurs contacts. Je suis très nerveux car cette fille me plaît beaucoup. Sa fonction de conservateur à l’ARC m’impressionne aussi. J’ai hâte de la revoir ! Le musée, lui, est décevant sur tous les plans et je suis de plus en plus inquiet de la situation actuelle de l’Art en Europe…

Visite ce matin de Jean Blanc qui visite mon atelier au complet. Il est très attentif à ce que je montre, pose des questions et garde de longs silences concentrés. Je pense qu’il a une opinion sans cesse plus positive sur ma production. Il me donne de précieux conseils sur la conception de mon catalogue pour l’exposition aux Remparts. Très belle soirée à Ollioules dans la villa de Violette Klein qui possède une Harley Davidson compressée par César. Une femme charmante, Julie. A suivre…

Je m’occupe de courtage pour des dessins de Riopelle. J’ai les contacts nécessaires, nous attendons la suite… Je parle un moment avec Lara Vincy de Jonier Marin dont l’exposition est superbe, de Raymond Hains, de Bernar Venet. Lara Vincy est disponible et semble intéressée par me voir. Ses yeux bleus sont fascinants. J’ai visité l’exposition Spoerri avec J.F.S qui a acheté un très beau petit format. Les Apelbaum, rue de Seine, sont de bons marchands et ils sont très sympathiques…
L’accrochage Debré / Olitski ce week-end s’est très bien passé et a été suivi d’un très agréable dîner sur invitation où nous avons bien ri.

Passé chez A. B. pour récupérer le Rotella, puis, je rends visite à Martine Laydet et je lui prends 1 tee-shirt d’Olivier Debré. Picasso photographe est une excellente exposition. Yvon Lambert me tutoie désormais ? Et se montre très gentil. Je rencontre Jacques Henric à la galerie Moussion ainsi que Bernard Marcadé et Nicolas Bourriaud. Jean-Yves Jouannais accepte de me voir cette semaine. Je rencontre Géraldine qui chante dans le cours de « Mireille » (le Petit conservatoire) elle est délicieuse et j’irais à l’ARC avec elle dimanche. Je voudrais faire l’amour avec elle…

Rencontré Géraldine. Je l’aime ? Galerie Moussion. Elle est drôle, sensuelle. Je prépare l’exposition de Toulon, aux Remparts (Galeries municipales). Beaucoup de travail et de soucis car la ville et ses affaires culturelles fonctionnent mal. J’aimerais, bien entendu, que tout soit réussi.

Midi. Nous allons atterrir à Orly, avec Jean Roger S., Nathalie et Avila, pour un voyage à Rouen, où sont exposés les Monet, les cathédrales. L’accrochage de L’Art américain au Musée de Toulon fut difficile et fatigant. Mon vernissage aux Remparts fut lui, réussi. Dîner en compagnie de François Arnal et de son épouse. Anecdotes et bonne humeur. Violette Klein semble sur le point d’acquérir une pièce. Ce soir je reverrais sans doute Géraldine et nous ferons l’amour ?


L’incendie…

C’est un bonheur total ! Le festin de Cézanne de 1870 ! L’atelier de Bazille ! Les sous-bois de Monet, Pissarro, Courbet…
Je découvre et comprend enfin la filiation Cézanne Pissarro. Puis c’est le rapport chromatique Monet-Bazille. Le rapport de touches et de valeurs Monet-Manet. Les natures mortes sont admirables. La pendule et le coquillage de Cézanne tournent avec un nouveau cadre noir…
Puis l’espace s’ouvre encore, le coloris s’allège et ce sont les dernières années. Quel choc ! Depuis 10 ans je n’avais pas vu une exposition aussi bouleversante ? L’après-midi amour avec Géraldine. Masque de sperme cosmétique. Le soir chez Lili la Tigresse : à ma demande Géraldine danse seins nus sur le comptoir…
17 h…
La voiture Citroën d’Hiroshi vient de brûler en 10 minutes, rue de Lorgues, à Toulon, alors que nous étions à l’intérieur. Sortis en catastrophe. A côté d’un commissariat, celui de la rue Roche, où travaille Guy D’Avanzo, un gardien de la paix, qui intervient tout de suite. Constat. Camion de pompiers. Lance à incendie. Guy d’Avanzo engage la conversation : il a habité rue Trousseau à Paris, rue où habite Hiroshi et où j’achète de la toile bisonne, a été l’homme de confiance de Jacques Lacan au 5, rue de Lille, il conserve son chapeau et sa canne, et a connu Serge Gainsbourg qui habitait à deux pas : nous sympathisons… pendant que brûle la voiture ! Ce « fait d’hiver » nous amène à parler de Jacques Lacan une après-midi d’été… très surréaliste !
A 16h, 40 minutes après l’incendie, ce sont les obsèques de ce pauvre Baboulène, dans la cathédrale de Toulon, Baboulène évoqué hier au téléphone avec Arnal… et aussi avec Plagnol ce matin. Le docteur Raoul, psychiatre, me complimente cet après-midi sur mon travail. J’oublie mon portefeuille près du téléphone alors que nous venons de parler du prix des œuvres. Si Lacan savait ça !


200 kmh…

Sylvie Fleury était ravissante le dimanche 3, venu de Suisse à Fréjus pour l’expo de John. Dîner agréable dans une villa fin de siècle. Boite de nuit à Cannes, Le Blitz, avec des étudiants de la Villa Arson et un collectionneur de Zurich. Retour sur Toulon à 5 h du matin, sur la BMW, lever du jour sur le rocher de Roquebrune. Sublime. 200 km / h Arrivée 6 h 30 à Toulon. Repos. Louis Cane viendra sans doute voir l’exposition aux Remparts, dont l’accrochage est réussi. Puis Nathalie Obadia. Jean-Paul Monery. Charles Z. Martin Guénet, avec qui je dîne pendant le vernissage de l’Art américain dans les jardins de La Résidence au Cap Brun, et qui est super-charmant. Plagnol a aimé l’expo et veut me rencontrer. Le communiqué de presse, réussi, a eu un certain impact à Paris…
Ben et Marie-Laure Mouzon, d’Arthèmes, feront un compte-rendu dans le prochain numéro. Il faut déjà préparer l’exposition de Brescia, pour le 4 septembre.


Je reprends la plume. Seul dans la cuisine, dans le petit appartement du Muy sous les tuiles encore chaudes, chez Bernar Venet, à l'ancien moulin qui abrite sa collection d’Art Contemporain, ses ateliers et sa résidence d’été. Bonne journée de travail parmi les invités, Eric, chef de bord à Air France, et son épouse, Diane, Bernar et les enfants. Je suis fatigué et en dessous de ma forme. J’essaye d’assurer cependant. La maison est calme, je vais bien dormir ? Un article a paru dans La Marseillaise, j’enverrais des fleurs à Louise Baron pour la remercier. Philippine de Rothschild sera la semaine prochaine au Moulin pour quelques jours…


Fenwick…

Rencontré Annie, sur la plage du Monaco avec mon copain Alain S. Charmante petite femme brune, fine, aux yeux rieurs. Très beau pubis. Fille de l’eau, du feu ? Si ça pouvait être du feu, ça serait pas mal, on verra. Je projette de l’emmener en moto dans le Haut Var, en Basse Provence, les gorges du Verdon ? Bernar Venet est très sympa, mais inquiet en ce moment pour son expo en Corée, dans un musée et une galerie. Le matériel voyage dès le 20 août et il reste 6 grands dessins à faire. La propriété est superbe. Pelouses et pins, sculptures, et la rivière qui traverse le domaine. Travailler pour lui est une chance mais je préfèrerais prendre des vacances totales pour régénérer complètement mon esprit et repartir, redémarrer l’année dans des souliers neufs, faire de nouvelles choses. Bernar me confiait fonctionner lui aussi ainsi, tout à l’heure, au bord de la piscine.

J’ai appris à conduire et manipuler le Fenwick, à déplacer avec des sculptures… demain j’espère profiter au maximum du soleil et de la piscine en l’absence des Venet, qui déjeunent à Sophia-Antipolis. Annie me plaît, j’espère que nous ferons l’amour un jour. Géraldine me plaît encore aussi mais je pense bien sûr plus à Annie ces jours-ci… Les trajets Toulon-Le Muy sont sublimes si ce n’était une probable panne de contacteur qui s’annonce sur la BMW. Le rocher de Roquebrune a des teintes rousses et orangées et de magnifiques reliefs qu’il faut observer dans la lumière douce du soir ou du matin, où le jour commence à poindre. Le Var est un bonheur total. J’aimerais passer quelques jours à Saint-Tropez avec Charles Z…


L'affaire Mattei…

Brescia. Palais anciens et baroques aux cours intérieures pleines de verdure. Monuments du Quattrocento. Place mussolinienne. Invités avec mon ami Jacques Guitteaud, à l’occasion de l'exposition au Palazzo Martinengo, avec 6 autres français. Hôtel 4 étoiles très confortable. L’occasion pour moi inespérée de me mesurer à Combas avec lequel je partage la grande salle ainsi qu’à François Arnal. Mon travail résiste très bien à l’épreuve ! Je dispose aussi d’une petite salle charmante où je présente mon grand collage Moravia  ainsi que des œuvres sur papier. Le catalogue est très réussi et les textes de Luca M. Venturi sont lumineux. Il a compris mon travail. Nous avons des articles dans 3 journaux. Je participe à une conférence de presse où j’ai l’occasion de m’exprimer dans un italien très correct. Venturi a travaillé avec Robert Ryman et Sol Lewitt. Joseph Beuys, dont il fut l’élève, lui a dit qu’il était une œuvre d’Art et l’a dûment signé. Chasseur de léopards en Afrique, habitant Lugano (au musée de laquelle il a offert 120 œuvres) avec une splendide jeune femme noire de la tribu Shona du Zimbabwe, à l’instar d’Arman, collectionneur d’armes, de femmes, de postes à responsabilités, c’est un homme jovial et hilarant avec lequel nous avons tout de suite sympathisé. Nous devons nous revoir pour naviguer sur son bateau entre Cannes, Toulon et le Bec de l’Aigle. La ville est superbe, les femmes sont élégantes...
Jacques Guitteaud et vôtre serviteur rendons ensuite visite à Gianni Bertini, à Nansola, près de Gênes. C’est là que ce cher Gianni passe ses étés avec sa femme, en pleine montagne, mais à seulement 4 km de la mer. La maison est à son image : kitsch, folle, amusante, accueillante. Il possède des archives extraordinaires, bien classées de surcroît, par années, et ce depuis 40 ans. Il garde tout. La conversation va bon train, les lieux tiennent de l’atelier d’artiste autant que du cabinet de curiosités dans l’esprit d’un Robert Houdin ! Je retourne à Brescia le 13 septembre...
En attendant nous irons à la Feria d’Arles. Le temps est doux. Le meilleur moment de l’année, et je me sens bien. L’atelier sera rangé et nettoyé dès demain et je vais commencer une série de collages sur papier. J’ai eu Marcel Lubac (son nom évoque pour moi Jacqueline Delubac, dernière épouse de Guitry et grande collectionneuse) au téléphone, il est très intéressé par mon travail. Je dois écrire et faxer à César. Une amie de Raymond Hains vient de s’installer à Toulon et je suis amené à présenter quelque chose chez elle. Albano Morandi, qui travaille au Palazzo Martinengo, veut me faire exposer à Mantoue en début d’année… nous verrons bien.

* Le club de plongée CSMS de la Seyne sur Mer, que je fréquente depuis 10 ans maintenant est endeuillé par la mort, en plongée, de Jean-Baptiste Mattei, 2e adjoint au Maire de la ville. La gendarmerie enquête car les « affaires » ici font que toutes les hypothèses sont retenues sur les causes de ce décès. Nous avons si souvent plongé et ri ensemble. Il m’appelait affectueusement « le peintre. » C’est pour moi la fin d’une époque. L’an dernier la mort de Jean R., plongeur émérite, et cette année, c’est Mattei : « L’Affaire Mattei » ?


Loulou…

Dans le train qui m’emmène dans la direction de l’Italie (je me rends à Brescia) nous stoppons à Beaulieu-sur-Mer, paysage sublime et résidentiel, sous une pluie battante et un ciel plombé. Je sais que Louis Cane a ici sa résidence d’été, où il est né, et je songe à ses paysages baignés de bleus outremer, cobalt, Prusse, de verts Véronèse, qui ornent sa demeure. Au dispositif décoratif et humoristique qu’il a su mettre en place afin d’investir les appartements bourgeois des collectionneurs ainsi rassurés. Je ne suis pas contre cette attitude, elle porte en elle une intention formidable de communiquer de la chaleur, de la lumière, de féminiser par la présence d’une œuvre la conscience des familles…
Une attitude pertinente au fond, même si beaucoup n’en comprennent pas la subtilité, l’aspect œcuménique au sens large. Je suis plus incertain de la valeur du label « Cane » quant au contenu et à sa vraie validité artistique !

Je retrouve la ville de Brescia avec plaisir, sous un ciel bas et une pluie battante, je me réfugie à l’hôtel, confortable (matelas rempli d’eau), pour téléphoner en France et dîner tranquillement. Massimo Minini est à Paris, je jetterai peut-être un coup d’œil à sa galerie demain…

Il fait sombre et il pleut sans discontinuer. Hier soir je suis sorti avant le dîner faire quelques pas et visiter la galerie Minini. Œuvres formalistes sans intérêt. L’Art d’aujourd’hui en Europe. Post-minimalisme du type : « J’en fais le moins possible. » Triste. Aucun humour, bien sûr... Sylvie Fleury est présente : elle est partout. Ce matin j’ai eu une discussion avec Noël Dolla en prenant le petit-déjeuner (nous sommes dans le même hôtel). Il est curieux. Ressemble à Markus Lüpertz. Nous sympathisons rapidement, je crois, en évoquant bien sûr la situation artistique en France et en Europe : un désastre économique, mais surtout moral. Une désaffection pour l’Art en général, et une méfiance durable. Il évoque sa prochaine exposition à Vienne, importante, et les préparatifs du catalogue, Claude Viallat et sa reconnaissance envers lui. Nous nous retrouvons ensuite au Palazzo Martinengo où peu après Georges Noël et son assistante japonaise nous rejoignent. Présentations. Retrouvailles pour Dolla et Noël, qui se connaissent et s’apprécient. Georges Noël considère Noël Dolla comme le meilleur artiste de l’Ecole de Nice. Roberto Peccolo arrive à son tour et nous allons tous déjeuner au délicieux restaurant face au Palais. La femme de Noël Dolla, Sandra, est très belle, étudiante en vidéo, en 4e année à la Villa Arson. Le repas est détendu et agréable, avec de bons champignons. Noël et Dolla semblent m’apprécier : l’éloge de mon travail est net et précis durant la visite commune de l’exposition. Après toutes ces années de travail solitaire, je récolte enfin une forme de récompense, par l’estime de mes aînés. Ce qui n’est pas rien. Je pressens enfin une ouverture et une proche accession au marché de l’Art…

Conscient de cela, je n’en profite cependant pas sur le moment, sans doute pourrais-je faire le bilan de ce qui est pour moi un événement, dans le silence et le recul de l’atelier, cet hiver. Dolla insiste sur les réseaux d’amitiés et le suivi des professeurs qui font que les jeunes de la Villa Arson se retrouvent tout de suite aux meilleures places dans l’actualité artistique. C’est une volonté de sa part de soutenir et d’aider ses élèves, en leur achetant parfois des choses, en leur faisant connaître les marchands, les décideurs. Je ressens un sentiment de solitude, d’isolement : toutes ces années passées à travailler seul et sans appui ! Avec Georges Noël nous évoquons ses débuts chez Paul Facchetti...
Nous comparons aussi nos couteaux. Il les collectionne, tout comme Noël Dolla. C’est un homme simple, drôle, originaire du pays basque mais aussi d’origine catalane. La discussion porte ensuite sur les rapports souvent négatifs de la France avec les Etats-Unis et New York en particulier. Il est aussi question de Boccioni, de Fontana… Noël Dolla a proposé au musée de Vienne de venir avec 25 personnes invitées. Il se pourrait que je sois du voyage ! Une occasion de visiter l’Autriche, de revoir Claude Viallat dans un contexte d’expositions internationales… et de mieux m’infiltrer dans les milieux si convoités de la Villa Arson !

15 sept 94, Hôtel Master’s, 20 h


Tonnerre…

De nouveau la pluie. J’entends les tonnerres et de grosses gouttes qui cinglent les rebords de fenêtres. Je retrouve le calme de ma chambre d’hôtel si confortable après une agréable journée passée à Milan avec Luca M. Venturi, le comte Ferdinando Rodino (un cousin de la famille Orsi Mangelli) et la galeriste Stefania del Portico de la galerie Millenium. Georges Noël, avec qui je voyageais ce matin, était dans les Corps-Francs. Aux côtés de son père, qui en est mort, sous les balles allemandes. Coups durs et coups fourrés dans le Sud-Ouest…

Derrière l’homme d’esprit, facétieux, faisant le pitre, toujours concentré sur un bon mot ou une blague, je devine le « français » profond : fin, hypersensible, fidèle, droit, et surtout intransigeant. Aucunes concessions... Il est né un 25 décembre (je suis du 27). Il me raconte à ce propos l’anecdote d’un ouvrier new-yorkais venu percer 1 fenêtre de son loft, et qui s’appelle Georges Washington Christmas ! Dans le train pour Milan, en cette belle matinée ensoleillée de septembre nous évoquons aussi Paul Facchetti, qui fut le 1e galeriste de Noël et devait décider de son destin. J’explique à Georges qu’à mon arrivée à Paris, en 78, j’ai fréquenté sa galerie, rue des Saints-Pères où je découvrais alors l’œuvre d’Hundertwasser…
Nous parlons de Joseph Sima, du Grand Jeu, d’Antonin Artaud. Des mérites, si peu respectifs, de Michel Macréau et Robert Combas avec lesquels nous exposons. Son assistante, japonaise, qui fût mariée à un sicilien, qui a habité Palerme 10 ans et possède donc la nationalité italienne, est une femme discrète mais affable, très cultivée et précise dans ses références, et douée d’un sens de l’humour équivalent à celui de son « patron. » Nous rions volontiers au cours du trajet.
J’apprécie la compagnie de Noël, celle aussi de Dolla, il existe une sorte de fraternité, là, entre peintres, qui est à mes yeux si naïfs et inexpérimentés, une récompense aussi importante que d’éventuels succès financiers. La reconnaissance de ses pairs.
Puis, c’est … le choc ! Ville j’écoute ton cœur ! Alberto Savinio !
La gare de Milan. Art déco. Monumentale, le terme prend ici tout son sens. La grande verrière métallique demi-circulaire. Les immenses portiques de pierre. Les proportions démesurées impressionnent fortement et donnent une idée exacte de la puissance économique, passée et présente, de l’Italie du Nord. Mon séjour dans cette partie de l’Italie me fait sans cesse songer, la séduction passée, à la tentation politique « dérivante » de la Ligue lombarde, on en comprend ici en partie les raisons. Je téléphone à Luca M. Venturi car les transports sont aujourd’hui en grève, chose ici fréquente ! Nous partons aussitôt déjeuner dans un des faubourgs de la ville où des jeunes prostituées s’alignent le long d’avenues larges et dégagées, bordées d’arbres. Elles sont souvent belles et habillées avec un certain goût, délice d’ambiguïté entre vulgarité et élégance. Beaucoup viennent d’Europe, d’Albanie, bien sûr. Je n’ai pas d’argent...
Nous nous arrêtons en bord de route, via Novara, dans un petit restaurant ou mieux la salle à manger d’une ferme, où rien n’a dû changer depuis au moins 50 ans, tenu par un vieillard de 85 ans, dont la famille loue les lieux à la noblesse locale et aux propriétaires de chevaux de course de l’hippodrome de San Siro depuis 1802. Je retrouve avec plaisir et fascination l’ambiance des campagnes piémontaises, une cuisine simple, mais précise, faite avec de très bons produits, cultivés dehors, à quelques mètres de la salle à manger noircie par les ans. Le « Barbera », bien sûr, vin frisant que le cousin Giovanni, de Cairo Montenotte, m’a appris à apprécier. Charcuterie, salades, omelette d’orties. Le bonheur. Le vieil homme, sec comme un sarment, la crinière blanche et l’œil vif, nous rappelle que les zouaves français sont passés par-là voici 150 ans et sont partis sans régler l’addition, et en emportant les femmes au passage. Il est question de m’en demander réparation !
J’essaye d’appeler Mimmo Rotella mais seul le répondeur (voix mélodieuse) est là. Le maître est à Nice sans doute, où il possède désormais un appartement près du port. Sa renommée est ici considérable et tous, artistes et marchands, le respectent. Fontana est un demi-dieu. Il le mérite. Le comte Ferdinando Rodino et la galeriste Stéfania del Portico, sa compagne, nous rejoignent ensuite et nous continuons à boire et à manger au soleil dans le jardin, très vert en cette saison. C’est un moment très agréable passé avec des gens civilisés et aimables. La famille du comte possède une écurie de chevaux de courses mais surtout, est un chasseur. Comme Venturi…
Bien entendu la conversation, à laquelle je ne peux prendre part, porte sur la chasse au léopard en Afrique. Stéfania est très belle et sensuelle, a un regard ravageur et m’invite à lui rendre visite dès que possible. Nous parlons alors de Bâle et de la Fiac. Son père était un grand collectionneur : à suivre...
Nous repartons vers Milan à 16 h. Luca M. Venturi est chargé de préparer un projet de concert pour Pavarotti, dans les montagnes du Néguev, à l’occasion de l’année internationale de la paix, car il est un des conseillers du gouvernement israélien pour les questions relatives aux campagnes de presse. Nous parlons d’Arafat.

Les bureaux de la Burson Masteller, agence de communication américaine pour laquelle Venturi travaille, sont installés dans un magnifique palais, non loin du Dôme, et qui abrite une noble famille milanaise et aussi une loge maçonnique importante de rite écossais ancien et accepté… La conversation rebondit sans cesse sur tous les sujets. Sexe et révolution permanente. Frilosité et impuissance en fin de compte des milieux artistiques. Luca M. Venturi se recommande de l’esprit des Lumières et du XVIIIe siècle français et cite volontiers Benjamin Constant...
L’action, seule, peut faire évoluer une situation. Je lui donne raison. Les bureaux sont vraiment magnifiques avec de nombreuses boiseries très ouvragées et des fresques de grande qualité sous les hauts plafonds à caissons ornementés. Dorures. Toiles de maîtres. Assistantes et collaboratrices nombreuses et efficaces, et souvent ravissantes. L’ambiance est assez détendue, à la plaisanterie, et les rapports semblent très bons au sein de l’équipe. A suivre aussi !
Cette importante agence conseille, entre autres, des sociétés liées à l’industrie chimique en Arabie Saoudite, mais traite aussi d’affaires politico-diplomatiques, des rapports entre agences gouvernementales, à travers la presse spécialisée. Stratégie de rigueur. La ville de Milan est superbe, gens pressés, arcades, palais aux cours stendhaliennes, églises, visages de femmes, trafic intense des transports en commun. La grande ville. Terrible. Regards fous, séducteurs sombres, à l’infini… Je devais découvrir Milan depuis si longtemps. C’est fait ! En beauté. J’irai demain à Venise où des marchands d’Art m’ont laissé leur adresse et auprès desquels je suis recommandé par Luca M. Venturi Les doutes et inquiétudes, où plutôt une certaine méfiance que je nourris envers lui persiste, mais se sont un peu estompés après nos discussions de la journée. Je dois reconnaître que nous sommes d’accords sur les stratégies à tenir aujourd’hui dans le milieu de l’Art, entre l’artiste et son milieu.


Corps-Francs…

22 h 30. Dîner au restaurant de l’hôtel Master’s en compagnie de Georges Noël et de son assistante. Noël est épatant. Il me parle de ses débuts. Il a connu Yves Klein à qui il fît faire un costume pour se rendre à un rendez-vous avec des allemands (Noël est lui-même réputé pour son élégance légendaire). Il nous fait part de leurs conversations où Yves Klein lui expliquait comment lui était venue l’idée du monochrome, de faire une peinture qui puisse lui permettre de résister à ses parents et surtout à l’image traumatisante du père, artiste de style « Montmartrois. »
Il exposait alors des monochromes de différentes couleurs (primaires) dans une galerie proche de la Closerie des Lilas mais s’aperçut très vite que les rapports de tons fonctionnaient encore et décida alors de ne conserver qu’une couleur : le bleu. De son caractère enfantin, son désir d’être aimé et ses abus dans la pratique intensive du judo qui ont fini par le tuer par un arrêt cardiaque. Il parle aussi de Wols, de Paulhan etc. Mais surtout de son passage dans les Corps-Francs, non politisés, ayant pour seul but celui de libérer la France de l’occupant. Son père lui avait dit : « Si l’un de nous meurt, l’autre devra continuer la lutte jusqu’en Allemagne… »
C’est ce qui s’est produit. Noël a donc combattu, sous l’uniforme américain, jusqu’en Alsace et possède aujourd’hui les médailles très honorifiques de l’armée anglaise et américaine, ce qui est rare. Son père était une tête brûlée ayant fait de la prison, puis engagé dans les bataillons d’Afrique où il est versé dans les services de renseignements et collabore avec les autorités militaires anglaises du colonel Lawrence (presque un Laurence d’Arabie).
Noël a d’abord fait des études d’ingénieur (et travaillé sur des réacteurs d’hélicoptères), puis à l’âge de 30 ans, marié et père de deux enfants, il a tout quitté pour partir à Paris et vivre l’aventure de la peinture. Pau, la région, la famille. « Une manière de résister. »
Nous évoquons le quartier de la Bastille après avoir parlé de la rue Campagne-Première, où Noël et Klein étaient voisins, car il habite la rue Sedaine, toute proche de « ma » rue de Lappe. Il connaît bien Mathilde Ferrer, dont je fais l’éloge, en tant que femme véritable, forte, déterminée, et au grand cœur. Nous parlons aussi de la rue Keller, de ses achats : Noël, je le comprends maintenant, est un grand collectionneur… Je vais me coucher mais regarde avant à la télévision un reportage sur la présentation à la presse de la future moto fabriquée en série limitée par Morbidelli et qui sera commercialisée en 96. Les lignes sont douces, c’est une « grand tourisme » ayant l’allure des récentes Triumph. La partie cycle et la transmission sont quasiment copiées de la série BMW K100 ainsi que les marchepieds, etc. Le moteur est très original : huit cylindres pour 100 ch. et 850 cm3. Un bel engin...
Il y a ensuite un documentaire passionnant sur la course des Mille Miglia qui parcourait toute l’Italie, au départ de Brescia, dans les années 50. Le tout, sur fond de musique de Jazz. Commentaires par une voix grave et scandée. On reconnaît les Ferrari, Triumph, Alfa-Roméo, Aston Martin, mais surtout les pilotes : Roberto Rossellini, le cinéaste, et surtout, le grand Fangio, toujours en 1e position !

16 sept 94, Brescia / Train pour Venise (9 h 06)

L’amabilité que nous avons ici rencontrée fut constante, de la part des organisateurs de l’exposition et de nos interlocuteurs en général, y compris dans les cafés, les restaurants… La ville est riche, la région puissante, puissante Lombardie ! Si les clochards sont rares à Brescia, caravagesques, comme recrutés par la municipalité dans un souci de pittoresque et d’authenticité, on rencontre davantage de marginaux, de laissés pour compte à la gare. La société italienne n’échappe pas en ce sens à la vaste sociologie européenne de crise que nous traversons, je suis choqué par les jeunes lycéens et leurs attitudes, semi-abrutis, habillés comme des américains moyens du « Middle West », ressemblant à ces mêmes autres lycéens des banlieues de Francfort, de Paris ou de Londres, c’est à dire « américanisés », normalisés, jeunesse des fast-foods et de l’audiovisuel, la mine boudeuse et soi-disant désenchantée, mollement ironiques sur le monde qui les entoure, la société post-industrielle des adultes, même pas vraiment méchants. Et je suis très choqué par les drogués qui se réfugient aux abords de la gare de Milan. Figures décharnées, regards vides. En particulier un jeune homme, qui en fait n’a plus d’âge, et qui déambule comme un mort vivant, sans but, si maigre qu’il me fait songer aux musulmans (déportés en phase terminale) des lagers nazis. C’est évident : il est malade du sida et il va mourir bientôt, cela se voit. Déjà dans un autre monde. Cela fait aussi partie de cette Italie du Nord, si riche, si élégante, si efficace !


Locanda San Samuelle…

Venise sous la pluie. Une chambre d’hôtel monastique. Un bon livre : L’éducation sentimentale. Une immense et parfaite solitude (mis à part les amants français de la chambre voisine, très amoureux… !)
Un cigare ? Inutile ! Demain l’Accademia. Le bonheur. Bonne nuit. 
Je pense à Catherine K. ?


L’Accademia…

Oh putain quel choc ! La Scuola San Rocco est sublime. 10 ans au moins que je ne l’ai vue, les reproductions sont de bonnes béquilles (j’en possède, bien sûr, un livre rare et superbe) mais là alors je dérouille… !
La grande crucifixion panoramique (qui valut à Tintoret d’emporter le concours) c’est Hollywood et Barnet Newman réunis ! De l’espace, encore de l’espace, et de l’action, beaucoup d’action. Symétrie / asymétrie, composition verrouillée et en même temps parfaitement dynamique ! Putain Sollers a raison : Tintoret c’est le plus fort, il est « en mouvement » !!! Marché la nuit sous la pluie dans les rues de Venise, ombres portées, bruits de pas…


Le tourisme de masse est une plaie ! C’est ici l’hystérie. Mais Venise résiste à sa façon, elle reste belle et sereine malgré ses chagrins. Et surtout on retrouve la paix, et le bruit de ses propres pas, dès que l’on quitte un tant soi peu les rues (calle) les plus fréquentées, qui mènent toutes à Saint-Marc. Arrivé à Lugano le soir à 19 h.
Les montagnes, hautes, sont superbes avec le soleil finissant sur les cimes. Le train serpente doucement le long du lac. Ce matin j’étais au bord de la lagune, à l’Accademia et surtout en compagnie des marchands d’Art Mainardi de la Venice Design Gallery, calle Vallerosso, à Saint-Marc. Ils m’ont gratifié d’une chambre d’hôtel, espérant me revoir bientôt à Venise en compagnie de Venturi, et sans doute à Paris où Monsieur Mainardi doit se rendre bientôt.
Luca M. Venturi habite un appartement moderne et fonctionnel sur les hauteurs, au bord du lac, mais près du centre ville. Il possède un petit jardin paisible d’où l’on a une vue imprenable sur les montagnes, grandioses, et le lac. Le décor intérieur est spartiate, hyperfonctionnel et presque tous les meubles y sont militaires ou safari. Armes indigènes, fusil d’assaut (de rigueur pour les citoyens-soldats suisses) photos prises avec le général Schwarzkopf, dont il a été l'attaché de presse, avoisinent les livres sur l’Art, dont plusieurs qu’il a écrit, l’anthropologie africaine, les happenings Fluxus, etc. Tous les murs, blancs mats, sont ornés de magnifiques trophées de chasse. Koudous, antilopes et buffles aux museaux menaçants. Peaux et crânes de léopards et de lion, de zèbre, de singes. J’étudie le fonctionnement d’un pistolet-mitrailleur Sterling, le successeur de la célèbre Sten gun, équipé d’un silencieux. Armes, Art, Afrique, gibier !


Safaris...

Photographies de Luca M. Venturi à cheval pour la chasse au guépard, avec un léopard et sa très belle petite amie américaine de la famille Flood, les magnats du commerce de l’argent, qui s’est installée chez lui en Suisse, ou en uniforme de Scout anti-braconnage avec son M16. Chasse aux grands animaux. Photographie prise sur des tapis et sous une tonnelle de vignes grimpantes, avec des guerriers kurdes bardés de cartouches et équipés de Heckler & Koch G3 turcs, lors de son séjour comme correspondant de guerre. Nous parlons du comportement des animaux dans la nature, qui dépend de leur positionnement dans la pyramide des espèces. L’homme est au sommet, les animaux le savent et se méfient. Beaucoup d’animaux sauvages n’ont jamais rencontré l’homme. Le léopard est fulgurant sur sa proie et meurtrier lorsqu’il est blessé. Quant aux humains, il n’attaque en principe que s’il est vieux, quand il se sent menacé, et détecte vite les comportements dysharmoniques : femmes enceintes, guerrier boiteux, chasseur effrayé… femelles grosses. Et n’attaque pas plus fort que lui pour s’économiser. Son énergie, sa vue et son odorat ultra sophistiqué le rendent quasi-invulnérable. Pour le chasser, il faut donc se donner beaucoup de mal : seule une parfaite immobilité et un silence total peuvent le laisser approcher sans qu’il s’enfuie ou attaque. Le comportement des animaux est donc une mine pour comprendre celui des humains.


La Favorita…

Déjeuner hier près de Varèse chez Luciano, un industriel en armement. Visité ensuite la Villa Favorita qui héberge ce qui reste de la collection Thyssen-Bornemisza dont la plupart est maintenant à Madrid. Le lac est magnifique et c’est la promenade dominicale sous les tonnelles fleuries qui longent le bord du lac…
Ce matin, départ pour Milan, pour la journée, Piazza San Alessandro, Milano, vicino al Palazzo Trivulzio dove lavora Luca M. Venturi...

Nous avons pris ce matin l’autoroute Lugano-Milan. Le soleil brille sur le lac et les cimes des montagnes. Nous écoutons dans son cabriolet un bel enregistrement des bruits des animaux de la savane : le koudou, le lion, les antilopes, l’hippopotame…
Cris qui sont le plus souvent des signaux très précis car la savane, écrasée par la chaleur et, en général, parfaitement silencieuse dans la journée, se réveille la nuit, et devient un univers de traque, de signaux mystérieux pour les humains…
Venturi travaille en ce moment pour deux pays antagonistes, Israël et l’Arabie Saoudite, quoique dans des domaines différents, ainsi que pour la firme d’aéronautique Mac-Donell Douglas, très importante sur le marché mondial. Ce midi, déjeuner dans un restaurant typique, face au Palazzo Trivulzio : hommes d’affaires, touristes chics et personnages de la spéculation financière, assez reconnaissables, avec leurs mines un peu patibulaires, de paysans citadins et enrichis, un peu trop placides, les poignets alourdis de luxueuses montres Cartier…


Vintimille…

Les gares sont nombreuses entre Gêne et Vintimille et le paysage est beau, où se succèdent les lieux de villégiature balnéaire frappés d’abandon après la rentrée de septembre et la tiédeur ambiante des rivages interminables et encore ensoleillés. Le voyage en Italie, d’une semaine, s’est bien passé et le bilan est bon. Hier, dans les embouteillages milanais, Luca M. Venturi m’apprenait que Roberto Peccolo a l’intention de me faire une exposition… et donc un catalogue, ce que j’attends depuis des mois et des années ! Je suis partout bien accueilli et bien reçu, preuve que mon travail suscite l’intérêt; Les rapports avec Roberto Peccolo, galeriste et éditeur connu à Livourne n’ont cessé d’évoluer depuis trois ans dans une direction satisfaisante. Mais Paris se fait toujours attendre…

De retour à Toulon, je me sens un peu désorienté. Dois-je reprendre le travail ici, où à Paris, écartelé entre plusieurs espaces, piégé par ma double appartenance à 2 villes…
Convocation pesante à une visite médicale ordonnée par des assurances sociales, dont je bénéficie largement depuis un an. Je rencontre Ben, intervenant au colloque organisé par Châteauvallon : Où fonce le progrès ? Il est très moyen, je le lui dis, mais ajoute qu’il n’a rien perdu de son énergie… Il regarde le catalogue de l’exposition en Italie et me complimente sincèrement sur mon travail, j’en suis content. Ben est un des premiers artistes auquel je me suis intéressé et je reste fidèle au personnage malgré ses erreurs, ses débordements superflus, ses errements. Contrairement à ce que dit Restany, il n’est pas con du tout, assez fin, et semble être un homme de cœur, si on le considère hors de toute polémique, son terrain de prédilection. C’est pour moi essentiel.


Cosmétiques…

Vu aujourd’hui, par un temps doux et ensoleillé, les nouveaux locaux de la Fondation Cartier, boulevard Raspail, et l’exposition Raymond Hains. Le catalogue est fort beau et, certaines pièces, étonnantes… Nous allons ensuite, avec Enès, près du cimetière Montparnasse, rue Roger, chez César, où nous sommes reçus par son amie, magnifique ! Le projet de travail à Venise, pour la Biennale, et initié par Venet, est toujours actif et j’aimerais tant qu’il se réalise ! Le matin nous avons rencontré les assistants et les architectes chargés d’aménager l’appartement (de luxe) de Monsieur et Madame Ronald Lauder, richissimes américains, Ronald Lauder étant le fils d’Esthée Lauder et le PDG du groupe, sur l’esplanade des Invalides. A installer : Yves Klein, Lucio Fontana, Piero Manzoni, Roy Lichtenstein, Rebecca Horn, Marcel Broothaers, Thomas Struth, etc.

Je souffre d’un terrible mal de reins. La journée automnale est ensoleillée, tonique et fraîche. Et n’est-ce appelle et nous allons boulevard Saint-Germain, angle rue du Bac, chez Bernard-Henri Lévy et Arielle Dombasle. Elle nous reçoit en chemise de nuit de soie, très déshabillée, parfumée et sans maquillage. Elle est tout à fait charmante. Il ne reste rien de la dureté du personnage filmé… Appartement au sol de marbre, boiseries ornées de bas reliefs. Luxe. Nous installons un Jacques Martinez (Jacques est un ami) dans le vaste bureau de B.H.L. Puis un lourd miroir, dans la chambre du couple. Arielle est exquise et nous prépare un café. Majordome hindou à veste blanche et boutons dorés. Nous allons ensuite déjeuner rue de Grenelle, près du Champ de Mars et nous entrons sous les gigantesques tentes de la Fiac où nous sommes attendus par Gérald Piltzer et sa fiancée, sur leur stand.
Cette année il sera très beau, et ce, grâce à un immense triptyque de Jean Hélion, un très grand Hantaï rouge et blanc, un très beau petit Debré de format carré, un Tapiès de qualité, sur panneau de bois, en provenance de Maeght / Barcelone, et surtout, nous allons accrocher un fort beau Braque : 3 MF ! Olitski aussi. Nous attendons fébrilement pour demain un Debré de 9 mètres de long ! César vient à passer dans les allées, je l’interpelle et il me saisi par les épaules et me parle comme à un sénateur, comme si nous étions intimes : « Tu sais Didier, il ne faut pas grand-chose pour être heureux, 2 tomates, une gousse d'ail et une Jaguar pour aller faire le marché... » Loin s’en faut cependant. Mais il a apprécié ma lettre, bien que la trouvant incongrue car il connaît déjà tous les ferrailleurs basés en Vénétie et aussi dans la région d’Antibes. Il me promet de faire appel à moi dès qu’il aura pris une décision. La journée fut donc très agréable. Demain sera un autre jour...

Les collages sur papier avancent de nouveau. C’est une technique très simple et qui donne de bons résultats. Bons en eux-mêmes mais surtout, rattachés à la pratique de la peinture. Je réutilise beaucoup en ce moment les tissus, pour « habiller » les images et ainsi le contact se fait avec la toile, par la matière, et par la proximité des anciennes toiles entreposées dans l’atelier. Tout cela se concrétise lors des accrochages, qui sont une étape décisive, où tout se joue, en terme militaire ou sportif, sur la prise d’un territoire où se joueront les dénouements esthétiques, de couleurs, de formes, et bien sûr de sens, avec toujours le fantasme d’une stratégie globale.


Le 29…

De retour à Paris après des mois passés dans le sud et en Italie je retrouve avec excitation les réseaux et le rythme de cette ville si diverse et si belle : la ligne 29, où l’autobus s’enfonce dans des perspectives où se déroulent des siècles d’histoire au long des façades, ciel chargé de gris subtils et de bleus au-dessus du point focal, mouvement pénétrant et moelleux des suspensions du véhicule, le dôme oxydé des Archives Nationales, le manège de la place des Victoires, l’étroitesse de la rue des Petits-Champs le long de la BN… Au Jeu de Paume je suis très impressionné par les débuts de Tapiès. Les œuvres figuratives, oniriques et surréalistes, sont absentes. C’est dommage. J’ai la sensation de plonger dans mon passé ! De retrouver mes véritables origines, au-delà des turpitudes plastiques, alors qu’ici la France n’est qu’équilibre.
Le vernissage de l’exposition Hors Limite au Centre Pompidou est sinistre. Institutionnalisation totalitaire, et mort instituée du mouvement Fluxus à Paul Mac-Carthy, etc. Ben est là, devant sa maison, exposée à l’occasion, et qui est son « chef d’œuvre. » Sa femme Annie est charmante et me reconnaît semble-t-il mais je suis mal à l’aise et n’ose la saluer bien que j’en aie très envie. Certaines inhibitions et une perte de confiance, que j’espère passagère. Ben trône, en slip, les pieds dans une bassine d’eau, tel un roi africain. Il me demande s’il n’était pas trop mal à Toulon. Je lui dis que ça allait bien et qu’il ne vieillit pas trop mal : une connerie sans doute. J’espère qu’il ne l’a pas mal pris. Je parle avec Eric Fabre et il me semble tout en parlant que Ben et Eric échangent des regards où l’un tente de signifier à l’autre que je suis un ringard, un fou qui harcèle tout le monde…
Etant donc plutôt mal à l’aise je décide de rentrer à la maison, d’autant plus que Mathilde et Maya me saluent mais en ayant l’air de m’éviter aussi, ce qui renforce ma paranoïa, et me laisse dépité de ces réseaux du petit milieu de l’Art que j’essaye de continuer de fréquenter. Sans doute mon attitude empruntée et apparemment froide, mon air absent, sont-ils la raison de tout cela…
Et, sans doute suis-je en train de ressentir les effets du vernissage de Ben, aux Remparts, où l’équipe de la galerie, avec laquelle je m’entendais fort bien, s’est mise subitement à me bouder sans que j’en comprenne les raisons. Je peux supposer que Md A., qui m’avait mis en pétard lorsque j’avais constaté au dernier moment pas mal d’erreurs dans la préparation de mon exposition, des « toulonnades » à répétition, a-t-elle essayé de « casser » mon image et ma personne pour couvrir le fait que j’ai réagi à des dysfonctionnements dans le travail ? Et, en aucun cas, voulu créer des « histoires » entre les personnes. Le bruit court que je n’aurais dû cette exposition qu’à des faveurs accordées à Jean-Roger S., le conservateur, dont chacun connaît l’homosexualité. Cela me laisse songeur sur le climat qui règne dans cette ville et ses institutions, sur l’absence de vraie compétence des fonctionnaires, qui se vengent comme ils peuvent, dès lors que cela ressort. J’en suis déçu car je m’étais investi à fond dans cette exposition, que j’ai préparée avec le plus grand sérieux. Il était important pour moi de donner le maximum car c’était la première fois que j’exposais dans ma ville. Avec le recul, c’est un signe de plus de la pétaudière qu’est cette municipalité où l’on est engagé non sur des compétences mais par clientélisme. Outre ces bassesses et ces blessures d’amour-propre, qui passeront, le bilan sera à long terme positif car il reste un « 4 pages » assez réussi, les photos qui rendent compte de l’accrochage, et la perception positive qu’en on eu les artistes (Arnal, Plagnol, Et n’est-ce, etc.), ou d’autres personnes comme Marcel Lubac, ou encore Michel Butor, qui était enthousiaste sur ma façon d’aborder la tridimensionalité et souhaite me rencontrer à Grasse, au printemps. Il faut laisser passer le temps et laisser les jaseurs s’enliser dans leurs calculs. A cette occasion je mesure à mon tour l’efficacité tactique de la rumeur et ses dégâts sur les personnes, et l’ambiance d’une petite ville…


2 jours passés à Cologne. Pour s’y rendre, passés par Reims, Verdun, Metz, le Luxembourg, Trier, Coblence, Bonn. Je fais le récit de mes tracas toulonnais à Et n’est-ce (Et n’est-ce et pour être précis), qui ne s’en étonne pas et pense que dès que l’on fait quelque chose, on attire à soi les critiques. Seul celui qui n’agit pas paraissant toujours plaisant, sans s’exposer aux critiques. Attitude très française par bien des aspects.
Je fais l’acquisition, aujourd’hui fête de l’Armistice, d’un ouvrage publié en 1946, « Cobayes humains », et qui est le récit par 3 médecins suisses de ce qu’ils ont constaté à leur entrée dans le camp de Dachau. Des photographies et des plans complètent ce document rare et édifiant. Il fait doux sur Paris, c’est une journée calme. Et en écrivant ces lignes j’écoute une chanson de Charles Trenet : Revoir Paris, « Me revoici au fond du bois de Vincennes, roulant vers ma maison de banlieue, mon Dieu merci d’être ici. »
Le voyage à Cologne fut intéressant, la foire est immense. Nous visitons la collection Ludwig. Une rétrospective Yves Klein s’y tient et je retrouve goût et intérêt pour une œuvre qui, il y a 20 ans, m’a passionné. La force des monochromes et des anthropométries est un peu éclipsée par les œuvres réalisées avec le feu, les « Feux. » Certaines sont très fortes ! Et bien entendu on peut constater, dans ces années 50 / 60, et aussi mettre en concurrence, la force étonnante de ce que faisaient au même moment Tapiès, en 58, Wols, vers 1950, Fontana, Manzoni etc. qui étaient tous en pleine maturation. Une part d’absolu est là, arrachée à l’infini, au cosmos, sans rapport à l’espace réel, ni au paysage classique. L’Art informel, le Spatialisme

Les choses faites en collaboration avec Tinguely sont étonnantes de fraîcheur. Tout comme les tous premiers Tinguely des années 50. Ou certains anciens Calder des débuts, très « bricolés », où le mouvement n’a plus de rapport avec la métrique, la géométrie, la mécanique traditionnelle et arrache du sens à l’infini de l’univers… En Europe du Nord, les nouvelles tendances artistiques sont très fortes, et infiltrent par l’exclusive le marché actuel, imposent une suprématie. Le marché est dominé par des Américains de l’Ouest, comme Paul Mac-Carthy (un nouveau Mac-Carthysme ?) ou Mike Kelley, qui s’enfoncent dans une entropie boudeuse, où règne le dérisoire et au fond sans grand intérêt. Les objets et images vendus aujourd’hui rendant compte de l’aliénation de nos sociétés (ou plutôt de certaines classes sociales), d’une sexualité triste et sans espoir, exposent le sang, la merde, la folie. Le nihilisme et le cynisme institué en valeur forte se vendent bien en Occident. Les peuples du monde sont de plus en plus frustrés, nos artistes, au fond, de plus en plus snobs. Rien ne peut sortir de tout ça. Nous rencontrons Bernar Venet qui revient de Séoul et a vendu au moins 5 sculptures. Les filles sont jolies en Allemagne et aiment sourire et communiquer. Les rapports humains sont ici différents, plus simples et plus directs qu’à Paris où les gens sont terriblement cons et si vite prétentieux…
Plus tard nous dansons dans une boite de nuit avec Gilbert & George.
L’Allemagne est forte et le sera de plus en plus. Le dilettantisme du milieu de l’Art français pourrait bien lui être fatal ? Il ne faut donc pas bouder, ne pas se décourager et continuer à produire sur le long terme, faire un travail sérieux et gagner peu à peu du terrain. Avoir le moral d’un international de Rugby, avec une bonne dose de lucidité… et se marrer quand même, aussi !


Les Kurt Schwitters...

... de la collection Ludwig sont parfaits. Le bout de sculpture issu du fameux Merz est une chose tout à fait étrange. Impatience et fébrilité donc, à l’approche de la grande exposition Schwitters au Centre Pompidou, qui devrait être pour moi l’occasion de faire le point sur mon travail et ses futurs développements. Occasion aussi d’acquérir le catalogue et de posséder une bonne documentation. Nous retrouvons Enès à l’exposition Hors Limite. Nous y rencontrons Annette Messager et parlons de son exposition de Cologne, que nous avons vue, dans une galerie excentrée… elle est charmante et ouverte. Le film montrant Gilbert & George dansant au milieu de leurs dessins est intéressant. Je retiens : Matthieu Barney, que j’avais déjà repéré à Lausanne pendant l’exposition Human Posthuman...
Le marché actuel est imbibé des produits américains, ils ont donc la part belle. Paul Mac-Carthy et Mike Kelley en étant les vedettes. Leaders du mouvement actuel qui travaille sur le corps et ses limites et aliénations, et cristallise les attitudes les plus débiles qui soient. On peut s’apercevoir que Boltanski à ses débuts était déjà allé plus loin et mieux avec son film « L’homme qui tousse », tourné d’ailleurs à l’époque dans l’appartement occupé actuellement par Enès et cédé gracieusement par Boltanski. C’est une exposition pas chère et assez médiocre. On a descendu des choses du 5e étage, et on bricole ça et là avec les grands noms des années 70. Le « plein » d’Arman avoisine Hermann Nitsch ou Wolf Vostell. Tout cela n’a guère de sens et je reste aussi dépité qu’à ma première visite. Quelques documents intéressants sur « Hépéryle éclaté », sur Antonin Artaud, sur Maurice Lemaître, etc.
On a l’impression que l’Art actuel ne peut qu’être soit axé sur la débilité humaine, l’aliénation, les aberrations du corps, ses limites, ses manipulations (Orlan) sang, sperme, merde, menstrues, masques, psychopathologie, soit axé, bloqué, sur des positions hyperformalistes, « à l’américaine » ou comme certains Allemands qui bégaient les leçons du Bauhaus, non sans bravoure parfois, comme le travail de Imi Knoebel. Personne pour prendre la responsabilité d’une œuvre plus conséquente et ambitieuse, plus aventureuse aussi, capable d’un esprit de synthèse, de dépassement et de réconciliation, d’une vraie volonté de communiquer par la chaleur quelque chose de positif. C’est une ère de glaciation ! Le cynisme l’emporte. Bon…
Un français comme Philippe Perrin essaye dans tout ça d’apporter un peu d’humour et de poésie mais il manque de punch et ne parvient pas à transformer l’essai.


Derain…

Je rencontre une employée de banque très belle qui se prénomme Colette et est italienne. Son nom : Del Ovo. Regard brun, jolies mains, corps arrondi aux bons endroits, pied alerte, air dégagé, souriante et très aimable, ouverte, prompte à répondre aux avances avec la franchise et la modestie des filles simples, qui ne sont pas snobs mais savent ce qu’elles veulent. J’ai ainsi les coudées franches. Je vois ensuite Charles Z. après avoir rêvassé à la terrasse de Chez Léon, quai Malaquais, en compagnie du Petit ouvrage inachevé de Paul Léautaud, des passants pressés, des automobiles grasses et ruisselantes (il pleut) et devant l’infiniment belle façade du Louvre, plombée sous un soleil blanc. Charles Z. se montre charmant avec moi et me propose que l’on se voie bientôt (il apparaîtra plus tard que son seul but est de trouver un nouveau minet…) mais il ne peut rien faire pour mon petit Schnabel. Nous parlons un peu de Cologne. Il présente ce mois-ci Fred Zeller (ancien Grand Maître du Grand-Orient de France), peintre naïf et surréaliste bourré d’humour, et qui loue en fait les murs de sa galerie. Les temps sont durs et moroses. Je le savais déjà. Je le quitte avec bon moral car l’entretien a été très chaleureux. Je pense et repense sans cesse à ce tableau de Courbet, « Les deux amies », vu au Petit Palais et qui me semble réunir toutes les qualités que doit avoir une œuvre d’Art qui soit aboutie, et surtout une peinture : clarté, simplicité, force totale, capacité de surprise et d’étonnement, être littérale, exacte adéquation entre le sujet et le format, équilibre chromatique…
Vu Claudine que je devine perturbée et qui m’échappe plus que jamais…
Voilà déjà cinq ou six années que j’ai compris l’importance de Derain, dans ses attitudes par rapport à la peinture, dans sa manière. Il est surtout à mes yeux dans ce qui l’a mis sur le banc de touche de la modernité, c’est à dire les portraits et les natures mortes, et l’entreprise des Arlequins, et par son sens des causes perdues, comme le fait d’assumer l’échec du projet pictural au XXe Siècle dans son rapport à la représentation.
Et c’est seulement aujourd’hui, à l’occasion de l’exposition à l’ARC (celle de l’Orangerie manquait d’ampleur et de lisibilité), que les conservateurs, toujours en retard d’un train, se décident à faire quelque chose, comme d’habitude de façon anachronique et décalée. L’ARC et les revues d’Art lancent pour marquer le coup un nouveau produit sur papier glacé, un « Derain », avec tambours et trompettes, alors que notre art français est en plein naufrage, un naufrage voulu, organisé, assumé par les plus hautes institutions du pays, dans un esprit de totale collaboration avec la pensée unique du monde de l’Art. A chaque époque sa collaboration…
L’article d’Harry Bellet dans Le monde daté du 19 novembre est remarquable cependant, et insiste beaucoup sur l’attitude si intelligente de Giacometti vis-à-vis d’André Derain.
C’est grâce à ce dernier, et à sa bienveillance critique, que l’on ose le regarder aujourd’hui à nouveau, en se faisant tirer par nos manches d’arlequins versatiles et incrédules (eh oui, il y a une constance de la peinture !) en suivant le doigt de Giacometti pointé sur ce nom, masqué d’un voile pudique. Très risqué, comme de parler vraiment de Céline ! Sans cela Derain serait encore au purgatoire, il y a une fraternité d’artiste, un fil ténu, sur lequel Giacometti n’a pas transigé, par goût de la vérité tout simplement. Une question morale. La destinée d’une œuvre tient à peu de choses, à ce fil ténu de la fidélité. Derain est grand aussi pour avoir introduit le doute dans son travail, en connaissance de cause des enjeux difficiles de la peinture dans la modernité, de son impossibilité même. Cela est mal connu, mal compris. Tant pis si l’échec a été au rendez-vous souvent. Cet échec que Giacometti disait avoir fait sien, avoir accepté. Et de tout résumer en une phrase : « Les qualités de Derain n’existent qu’au-delà du ratage, de l’échec, de la perdition possible, et je ne crois que dans ces qualités là, au moins dans l’Art moderne… » Tout était dit.


Cheval de Troie…

Relu le livre de William Styron : « Face aux ténèbres » qui est un rapport très exact sur ce qu’est la dépression, vécue à la première personne. Un cheval de Troie qui dans sa phase aiguë habite l’individu en son centre nerveux et empêche toute capacité de réaction, ce qui est le propre de la maladie. Ce livre nous laisse entrevoir un peu de cet espace entre le monologue du malade et la maladie elle-même, qui semble avoir son autonomie, une évolution irréversible (dans un premier temps) inscrite cependant dans un temps, une chronologie qui échappe au malade, le seul repère et la seule alternative possible ne pouvant plus qu’être pour le malade la recherche d’une ultime délivrance, celle du saut dans un autre monde… Un livre exemplaire qui devrait être prescrit à tous les anciens ou futurs malades !


Toujours Derain…

Admirable Nature morte aux potirons (1938 / 39 ?) Admirable et très réussie. Ses figures tiennent dans l’espace. Les fonds sont sublimes. Des portraits magnifiques. De belles natures mortes… qui forcent le respect, celui que l’on éprouve en présence de la grande peinture. Et aussi de formidables ratages. Pathétique Derain. Pathétique et grand. Sans issue. Une très forte mélancolie…
Travaillé à Renn Espace, chez Claude Berri, où nous restructurons les réserves afin d’être en accord avec les assurances. Après bien des turpitudes morales et des malaises par manque de communication avec mes parents lorsque j’étais si près d’eux en octobre, à distance, à Paris, je ne ressens alors plus qu’une grande compassion pour eux et aussi beaucoup d’amour en retour. Mystères de l’âme…
Une fois de plus c’est par l’écriture que j’essaye de faire le point et de fixer mon désir de reprendre ma production. Sur des bases plus solides et avec le désir de réaliser une sorte de synthèse. Désir de me donner le temps, d’indiquer à mon corps le chemin de l’atelier, entreprendre à nouveau. Voir et sentir en profondeur, en soi-même, loin des foires et des allées et venues dans le « milieu. »


La bonne mesure…

Au fond je me demande, après avoir posé un très beau châssis à clé contre un mur cachant un conduit de cheminée, dans mon appartement sous les toits, et s’inscrivant parfaitement bien dans le plan du mur, je me demande donc si dans mon travail tout ne se résume pas à des questions de mesure et de justesse dans les rapports de proportions, couleurs et inscriptions de signes ne venant que bien après…

Visite hier au musée du Louvre avec Vincent Decourt, un ami peintre de grande valeur, élève d’Olivier Debré, et pratiquant une figuration très libre, ambitieuse et qui devrait se signaler fortement sur la scène à l’avenir... Une fois de plus j’admire beaucoup la grande salle des XVII panneaux de Rubens. Une ambition en mouvement. On s’oublie ici, et on entre totalement dans l’espace de la peinture. Nous nous plaisons à étudier ensuite Jean-François de Troy et ses fameux « Déjeuners. » J’aime les vues des ports de Joseph Vernet, et surtout celles de Naples et de Toulon : ici la leçon classique de l’accord entre l’ensemble et les parties, le goût du détail et de l’anecdote pittoresque sont au service d’un remarquable sens de la composition, rarement égalé…
Certains Chardin et Watteau et bien sûr certains Fragonard : ce sont toujours les même devant lesquels on ne peut que s’attarder ! Nous terminons la visite par quelques Corot bien sentis, c’est décidément « mon » peintre, science et retenue, ce qui n’exclut ni l’autorité ni le goût du raccourci, la mesure ici est tout. Mesure du monde, loin des passions stériles, comme chez Mondrian.
J’attendais beaucoup de l’exposition Schwitters et après coup je reste, il est vrai, assez perplexe. Ni déçu ni emballé. Intéressé mais moins passionné. J’ai le tort de trop aimer les œuvres et de trop faire crédit aux artistes. L’embêtant c’est que j’espérais trouver chez lui un moyen pour l’imiter et ainsi progresser, avancer. Mais je ne trouve en fait que peu de choses à exploiter. Nous avons deux façons très différentes de concevoir la technique du collage. Ainsi sa façon d’« atomiser » les documents, en saturant l’espace dans un mouvement de spirale, mise en abîme, en abysse…
On perçoit très bien par contre au regard de cette rétrospective l’importance qu’a eu Kurt Schwitters pour Robert Rauschenberg, un rapport de filiation. Je retiens surtout de ses collages sur papiers (les plus précoces sont les plus beaux souvent et certains des quasi chef-d’œuvre du genre), et en particulier des petits formats, le fait que le détail y est fondamental, l’aspect très signifiant de toutes petites indications et leur rôle dans la perception du tout, dans l’équilibre de l’ensemble, un peu comme le minuscule point rouge dans un paysage de Camille Corot. Ce qui est très classique une fois de plus. Le rapport de la partie et du tout. Schwitters, bien que révolutionnaire par l’esprit et son rapport à l’actualité de son temps, se pose comme un classique du XXe siècle.
Ce goût avéré du détail, on a ça chez Pisanello par exemple, mais aussi bien sûr chez les primitifs flamands : Van Eyck, Dierick Bouts, Joachim Patinir, Van Der Weyden et toute la clique !
Cet aspect classique se décèle aussi dans le fait que l’œuvre finie revêt chez lui un aspect « verrouillé », est achevée, contrôlée, équilibrée, formant un tout. Certes il y a la question du « non finito », il est bon de laisser un peu la porte ou la fenêtre ouverte… mais sans pour autant éviter de se risquer à un ensemble construit, abouti, qui est le grand mérite de ces artistes. C’est une chose qui me préoccupe toujours en travaillant, le degré de contrôle, d’achevé ou légèrement inachevé des collages…
Trop fermer est un danger. Essayer d’être entre les limites, aux limites entre équilibre et déséquilibre.


Le rire…

Les frères Lumière (un nom prédestiné) inventent un procédé. Une technique, un appareil. Ils filment le plus souvent en extérieur de courtes scènes, reflets de fait réels, en temps réel. C’est le cinématographe. Le montage est encore absent, c’est une photographie en mouvement. Le public se lasse vite, la surprise passée. Méliès est un dessinateur né. Et son théâtre, qui fonctionne bien, est lié à la notion d’une mise en scène la plus élaborée possible, très vite, dès le début, notion qui est aussi celle des dispositifs illusionnistes de Robert Houdin dont il fût le noble héritier de son théâtre...
Il crée le montage. Ramène la caméra à l’intérieur, en studio, qui est alors à la fois un atelier de peintre, un atelier tout court, une scène de théâtre, des coulisses qui deviennent premier plan, tout cela à la fois. Il engage l’imaginaire avec tous les moyens possibles en compliquant les choses à loisir : décors délirants, scénarios qui mêlent les genres, et il se permet tout ou presque : le porno est encore marginal et très confidentiel, malgré déjà beaucoup d’amateurs ! Il préfigure les débuts de Chaplin, Keaton, Disney, où l’on bricolait des plateaux avec force clous et bouts de ficelles… C’est le cinéma. Et le public revient. C’est qu’il a décidé de s’amuser, au sens propre, et d’amuser le public en s’appropriant le procédé le plus fou qui soit : l’invention des Lumières. L’imaginaire, voilà l’enjeu, la grande affaire. L’Art récent a voulu tout démonter, les enfants gâtés ont cassé leurs jouets. Il faut tout démythifier. Le public s’enfuit en protestant. Quel public pour l’Art aujourd’hui ? De vrais amateurs, autres que le bétail que l'on emmène au musée ?Mais c’est que tout cela me préoccupe et je ne suis pas loin de penser que tout est imaginaire, que l’Art engagé est une gageure, que la vie est un songe. Le public doit se sentir concerné : Pagnol. Oui, Pagnol... Participer, s’identifier… rêver. Et rire.


Le goût…

Je ne lisais plus Giono depuis des années. Après l’avoir beaucoup lu. Et relu. J’y retrouve des sensations intactes et un plaisir inouï, qui me réconcilient avec une grande part de moi-même, en relisant, ébloui, le Voyage en Italie. Le style : voilà ce qui s’imposera toujours, dans tous les domaines. Giono surgit où on ne l’attend pas et procure quelques heures de bonheur parfait. Le bonheur… un mot qui lui va bien.
A tous moments Giono ment effrontément, tout comme Cendrars d’ailleurs, ce qui est pour lui un des innombrables moyens de jouir, en prétendant, en faux modeste, ne rien comprendre à la peinture, comme d’après lui la majorité d’entre nous. Mais son sens des couleurs, des rapports de couleurs et sa capacité à les décrire m’émeuvent beaucoup, m’indiquent à mon tour le chemin d’une jouissance aussi aiguë, car précise, que devant Corot ou Marquet ou Poussin. Relire Giono. « La chasse au bonheur... »
Il est par ailleurs curieux que ce même Giono si habile à décrire les couleurs et leurs effets par les mots, et ayant su un des premiers reconnaître le talent du jeune Bernard Buffet, ait ensuite mal compris et peu apprécié l’Art de son temps. Personne n’est parfait. Affaire de goût : voilà la grande affaire des français ! Une affaire loin d’être conclue…


Mélodie en sous-sol…


 
Nous travaillons avec Enès pour la galerie Renn Espace, qui appartient à Claude Berri, et nous réorganisons le sous-sol, consacré aux réserves. Caisses de toutes tailles, en provenance de New York pour la plupart, aux étiquettes éloquentes, Dan Flavin, Donald Judd, Carl André, Bruce Nauman, Lucio Fontana, Piero Manzoni, Jean Dubuffet etc. Renn Espace est le seul endroit à Paris, dont la collection est d’origine privée, et qui propose un espace d’exposition au public digne d’une fondation ou même d’un musée par la rareté et souvent la grande qualité des œuvres montrées. Nous allons chez Gérald Piltzer pour y accrocher de nouveau les tableaux présentés à la Fiac. Ils sont très beaux et c’est un honneur de manipuler ainsi un immense Hantaï rouge, un triptyque de Hélion de près de huit mètres, de très beaux Debré, et une sculpture de Hartung connue et reproduite dans beaucoup d’ouvrages.
Chantal D. nous reçoit le mercredi matin dans le grand appartement du boulevard Malherbes pour restaurer et accrocher un diptyque récent de Ben, acheté à Vence chez Catherine Issert, et comportant une vidéo. Nous passons un fort agréable moment à travailler car elle est charmante et très désireuse de nous connaître.

Cette semaine, à la galerie Hopkins-Thomas j’ai découvert une « mine », un gisement de petits dessins de Marquet, tous signés, paysages ou figures, encre de chine ou crayons, provenant de la succession Marquet, celle de son neveu, via Marcelle Marquet, sa veuve. Les premiers prix sont fixés à 4500 francs, ce qui est très accessible si l’on compare ces prix à ceux des estampes d’artistes vivants vendus chez Artcurial ou même à la moindre petite chose récente. Je suis donc extrêmement motivé par l’acquisition d’un petit croquis, en paiements différés.


Cha cha cha…

De retour de Belgique où nous avons passé 24 h… L’exposition White Wide Space  est une rétrospective des activités de la galerie du même nom, qui fut très active dans les années 60 / 70, et se tient au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. La pluie est battante, le vent violent. L’architecture intérieure est désuète et les pièces présentées le sont aussi pour la plupart. L’Art de ces années là vieillit mal. Place de Brouckère. Vent froid, pluie.
A Gand se tenait le vernissage de On line, exposition-foire réunissant une quinzaine de galeries d’avant garde de type « nouvelles tendances » (Fiac 94). Le lieu est une galerie marchande, avec une très belle déambulation sur deux niveaux et où chaque espace est délimité par un simple mur rideau, une baie vitrée. L’ambiance y est différente de Paris. Ici l’on est dans le même temps plus professionnel, plus souriant, plus détendu. Beaucoup d’artistes et de collectionneurs sont là. Une sociologie différente. Nous rencontrons Joseph Kosuth, Philippe Perrin de Bloc Note, Hélène Fleiss et Olivier Zham de Purple Prose, Nicolas Bourriaud de Documents. Jennifer Flay présente Marylène N., Claude Closky et Mariella Simonni dont nous avions décroché les œuvres à la galerie, rue Debeleyme. Edouard Mérino est là, présentant Paul Mac-Carthy… bien sûr. Un beau dessin humoristique de Richard Prince : 4000 $.

Il y avait à Gand une fête chez Wim Delvoye, à partir de minuit jusqu’au matin. Hangar, musique techno et rock, artistes, galeristes. Comme d’habitude Jennifer Flay est déchaînée, son associée aussi. Marylène danse aussi beaucoup ainsi que Klaus son ami viennois. Massimo di Carlo, le marchand milanais danse aussi avec son assistante, une fille blonde très jolie. Le soir même nous allons à une fête chez Anne-Marie Jugnier, artiste qui expose à la galerie Putman et vit avec une autre fille brune très jolie, aux yeux très langoureux. Claude Lévêque est là et se déchaîne sur la musique techno. Basserode est là aussi, ainsi que Eric Maillet. Ce sont de nouveaux ateliers dans un style paquebot contigus à Canal +. C’est fatiguant trop de fêtes.
Le soir suivant pendant le vernissage Closky chez Jennifer Flay nous partons chez Nicole et Jean-Luc Hinsinger pour une autre fête où nous dansons sur la musique de John Lee Hooker. Je rencontre et sympathise avec un artiste de Stuttgart qui expose chez Sylvana Lorenz. Il faut dormir…



Budget…

Déjeuner hier chez François Arnal, à Arcueil, après avoir travaillé à Renn Productions à déterminer l’état de conservation de pièces d’Absalon après trois prêts successifs. Arnal a un atelier (ou plutôt 3) répartis sur 1200 m2, avec de grandes réserves bien rangées, des archives classées par sa femme. Nous déjeunons tous les deux. Fin comme un chat, habile, agile, un peu désabusé. Meubles de l’ « Atelier A », faits par les copains artistes, Arman, César et bien d’autres…
Nous parlons d’Olivier Debré, de Monory, Mark Brusse qui sont ses amis, et habitent ou travaillent à Cachan. De sa mésaventure commerciale récente en Suède où 14 toiles furent vendues, mais impayées, d’où un procès en cours. Il a vu Gianni Bertini récemment. Il évoque une exposition en 1950, à Wuppertal, avec Beuys encore jeune, mais déjà passionné et nerveux, dans une Allemagne en ruines. Le « shopper » est garé dans l’entrée. Jardin intérieur de bambous et oliviers. Sa demeure est aussi un lieu d’exposition. On y voit des pièces de plastique exposées chez Templon, fin 70, et qui figurent dans les catalogues… Il me montre un article paru lors d’une exposition chez Jean Larcade et qui visait à diaboliser les peintres abstraits…
Son rêve est d’exposer aujourd’hui chez Thadeus Ropac ou Karsten Krève. Cela m’étonnerait mais je reste silencieux. Durand-Dessert, qu’il connaît, viendra bientôt, ainsi que Thadeus Ropac, Germain Viatte, Philippe Dagen, et Michel Nuridsany. Je le sens frustré de n’avoir pas eu encore de rétrospective. Le Jeu de Paume le fait rêver aussi. Il me questionne et me signale le danger qu’il peut y avoir à rester longtemps sans produire ainsi qu’à ne pas se laisser totalement aller, quitte à regretter ensuite des choses qui seraient mal venues. Nous évoquons son enfance dans la belle propriété vinicole, avec cette allée de palmiers majestueux, chemin La Calabro, sur la commune de La Valette. Sa mère a accouché presque en vendangeant. Enfance heureuse. La situation fait que la France ne défend que peu et mal ses artistes et que les USA et l’Allemagne nous dominent. Je pense qu’il y aura un juste retour des choses, mais lui, semble pessimiste, qu’il ne le verra pas, et qu’il faudra attendre vingt ans encore…
Dommage aussi que Claude Berri (j’apporte cette remarque) n’achète que des américains alors qu’avec sa surface financière considérable il pourrait créer une petite révolution en France en renflouant certains artistes, en créant une dynamique, en faisant bouger les valeurs. Nous le déplorons de concert. Je suis déçu en parlant avec Jean-Roger S., de passage à Paris, car il n’a plus de budget d’achat et a consacré ses derniers deniers à renflouer la galerie Athanor, de Marseille, alors qu’une de mes petites pièces ne coûte que 2000 francs, qu’il pourrait, en achetant, me faire entrer dans les collections, que j’en ai vraiment besoin, financièrement et moralement, que de toute façon, cela coûtera davantage dans le futur. Et voilà !

Visite à Claude Viallat dans son atelier de l’école des Beaux-Arts, le 15 décembre à 11h. Chaleureux, simple, direct, extraordinairement calme, serein. Une tête de moine paillard. Regard doux, pétillant de malice et de bonté. Poignée de main de vigneron. Enormes. Accueilli comme si on venait de se quitter, je suis content de le voir et cela semble réciproque. Il m’interroge sur mon dernier catalogue, que je lui présente, et me parle de celui de l’exposition de cet été aux Remparts. Il évoque l’âge de Noël, ainsi que celui d’Arnal et celui de Noël Dolla. Il me félicite pour la saine évolution de mon travail qui prend selon lui une bonne direction et me demande si j’ai une galerie à Paris, et me conseille d’aller voir Alain Veinstein, un « intelligent » selon lui. Ses compliments sont sincères et cela me remonte beaucoup le moral, venant de Viallat, que j’admire toujours autant. Nous parlons de Schwitters, de l’aspect précieux de ses collages et la relativité de sa notion d’échelle…
On se reverra. Poignée de main et regard complice. A bientôt. Bon travail. Hier j’ai eu Gianni Bertini au téléphone, il passera les fêtes à Milan puis dans sa campagne de Nansola, nous nous reverrons donc en janvier. Que l’été et sa sensualité sont loin…
C’est l’hiver dans une ville industrieuse, saturée de réseaux d’activités dans le froid, les brumes et les pluies. Passé la journée en accrochage chez Ghislaine Hussenot sur des œuvres photographiques de deux américains de la galerie Miller de New York (la France se régale des miettes venues des USA). L’assistante Céline, asiatique, a un body très moulant et m’excite beaucoup, je passe la journée à l’imaginer nue et l’enchaînement des actions qui s’en suivraient, tout cela en travaillant dans ce bel espace. Les photos sont lourdes. Nous devons suspendre une œuvre imposante de 6 mètres de haut, avec un élévateur peu fiable, ce n’est pas simple. Que l’enseignement est loin aussi avec sa monotonie et son cortège de frustrations, de colères quotidiennes ! Et le pire c’est que… j’aimais ces enfants. Bon.


Le vieux tromblon…

Hier, déjeuné avec François Arnal et sa jeune épouse, Nathalie B., attachée de presse au musée de Toulon, et Jean-Roger S., son conservateur (jusqu’à quand ?). Restaurant Le Sourd. Filets de poisson cru et sars grillés. Vin blanc sec. Tarte poire et amandes tièdes. Arnal, « vieux tromblon » (sic Georges Noël !) très fin, est très malin. La ville en hiver est sinistre.
Visité aujourd’hui à Marseille l’exposition Pierre Puget à la Vieille Charité. J’aime Puget. Si fort et si fin. Y compris pour ses ratages, ses maladresses. Il a compris véritablement la sculpture et surtout Michel-Ange. C’est notre grand sculpteur, avant Rodin. Son autoportrait âgé nous parle, nous réchauffe, aucun drame dans cet autoportrait, il appartient à la grande tradition, où il s’agissait d’entreprendre, et d’accomplir, d’aboutir, de réaliser, au sens où l’entendait Cézanne, réaliser, cette chose devenue impossible, et sur laquelle Giacometti ne cesse d’insister. Comme si les tragédies de l’époque avaient privé l’homme contemporain d’une réconciliation et d’une maîtrise sur le monde. Portrait donc souriant, gai, intelligent. Menton décidé, front large et sérieux, tenue dégagée. Provençal, c’est à dire doué à la fois de brio et de retenue, de pudeur. Une pointe d’ironie, celle de celui qui a « vu » l’autre côté du miroir. On se prend à rêver, n’est-ce pas ce qu’on souhaiterait pour aujourd’hui…
Le musée Cantini est tout endormi en cette journée d’hiver brumeuse et un peu poisseuse. Les gardiens qui papotent. Plus personne ne vient puisque le MAC (ce nom s’accorde avec les vrais héros de la ville…) recrute désormais le public, hagard, de l’Art contemporain…
Cela me plaît et me convient très bien, je visite le musée seul et trouve un plaisir inouï devant le Marquet, dans l’entrée, le Magnelli (très bonhomme, sympathique, chaud), et le Julio Gonzalès (sans commentaire : il est parfait) de l’étage. Les vraies richesses sont là, désormais bien cachées et protégées par les mille feux du MAC (toute ville qui atteint un certain niveau se doit d’avoir un musée d’Art contemporain !)  Tout cela est parfait. Quotas et coteries.
La ville est moche et grise, et sale et vulgaire. Je prends la route de l’Estaque. Le soleil perce timidement au-dessus des îles. Aqueducs. Autoponts. Ports et darses, entrepôts et les collines, au loin.


L’Estaque est endormie, seule, délaissée par la grande ville et c’est également parfait. La banlieue et ses villas modestes bien filmées dans French Connection  et Retour à Marseille de René Allio (dans L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville aussi), clôtures de pierres blanches, platanes décharnés. Cézanne et Gérard Traquandi ont su saisir la grâce de ce théâtre construit à la bonne dimension par 50% d’architecture hirsute et laborieuse et 50% d’une mer et d’un ciel sans égal. La route serpente sous l’aplomb des falaises et de la voie ferrée et me conduit vers Ensuès et La Redonne, Méjean, l’Escarayol, où Blaise Cendrars a séjourné dans la compagnie des pêcheurs de La Redonne, habitant sur la colline, face à la mer, le château de l’Escarayol ou « Maison du pendu » Beuveries, machine à écrire chauffée à blanc (Ah ! Le retour du Brésil et le gueuleton à Marseille chez la mère ?) Parties de boules.
A La Redonne, je suis surpris d’apprendre, par le seul restaurateur du coin, que l’écrivain est encore connu ici, pour son fameux chapitre de « L’homme foudroyé. » Retour à Marseille pour rendre visite à la galerie Athanor qui est très belle, un lieu idéal pour y présenter son travail. On me montre une abondante documentation sur Claude Viallat, notamment la publication de Céret, ainsi que de jolies toiles, des touts petits formats. La journée est bien remplie : Puget, l’Estaque, La Redonne et Cendrars, et Claude Viallat, sans oublier Marquet et sa Vue du vieux port, de 1912, je suis satisfait, et sur des rails. Rails pour rentrer sur Toulon, ville d’idiots. L’autoroute est dangereuse la nuit, le code de la route et le respect de la vie d’autrui étant choses obsolètes pour le contemporain moyen…
Le soir même Philippe Sollers, interrogé par Guillaume Durand (un ravi !) lui explique avec patience (il en faut) et quasi-compassion, que selon lui, être moderne ne sert désormais plus à rien en cette fin de siècle. Seule l’étude sérieuse du passé, une mémoire éclairée et active, restent utiles et nécessaires pour conduire et faire progresser la conscience dans le travail, conscience des conditions du présent et d’une progression possible. L’idée même (datant du 19° Siècle) du présent et de l’actualité (celle de l’Art contemporain) comme valeur suprême, étant devenue désuète et académique…

Revu aujourd’hui Une nuit à l’Opéra. Woody Allen s’est inspiré de ce film (la scène du discours des aviateurs) pour l’idée et les cadrages en préparant Zélig. C’est sublime et je ressens une grande émotion. La féerie existe vraiment avec la scène de la harpe et des enfants ! Voilà ce que l’on n’ose plus : ressentir et vivre des émotions simples par peur d’être naïfs. Le grand bordel pendant la représentation, avec le système d’ascenseur dans les cordages de la machinerie et les décors qui permutent sans cesse, Chico fendant la toile de haut en bas comme Fontana fendant une tôle légère au marteau et au burin, l’amour de l’expression vraie et sans fard et du chant juste (la voix !) saisissent le spectateur après les facéties, tout cela est sublime, et juste et beau. J’aime vraiment beaucoup les frères Marx. Plus que l’oncle Karl !



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